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Date : 20060309

Dossier : IMM-2708-05

Référence : 2006 CF 301

Toronto (Ontario), le 9 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CAMPBELL

ENTRE :

SHAO BO BAO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente demande vise la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) rejetant la demande d'asile du demandeur qui prétend craindre avec raison d'être persécuté en Chine en tant que pratiquant du Falun Gong.

[2]                Un élément unique de la décision rendue par la SPR est la comparaison entre l'exposé circonstancié du FRP du demandeur avec celui des FRP de six autres demandes d'asile portant sur le Falun Gong. Les FRP de chacune de ces sept demandes ont été rédigées avec l'aide du même interprète (M. Yang) et les causes ont été défendues devant la SPR par le même avocat. Dans sa décision, la SPR porte une attention particulière aux ressemblances entre les sept demandes examinées et elle tire à la suite de l'analyse deux conclusions cruciales.     

[3]                   La première conclusion cruciale tirée par la SPR est rédigée comme suit :

Je ne tire aucune conclusion défavorable quant à la crédibilité ou à l'intégrité de M. Yang. Je demeure perplexe et sans explication suffisante au sujet des similarités entre les FRP, y compris celui dont je suis saisi en l'espèce. Toutefois, je fais observer que l'interprète a décrit un processus dans le cadre duquel, d'une manière ou d'une autre, sept demandeurs d'asile différents ont produit sept exposés circonstanciés pratiquement identiques à quelques détails près, et ce, fréquemment, même du point de vue de leur libellé.

[Non souligné dans l'original.]

(Décision, page 8)

La seconde conclusion cruciale est la suivante :

Il incombe au présent demandeur d'asile d'assumer la responsabilité de son propre exposé circonstancié, même s'il affirme ne pas savoir comment a pu se produire cette situation où les exposés circonstanciés présentent des similitudes frappantes. Je suis conscient de mon obligation de croire ce que dit le demandeur d'asile à moins d'avoir des raisons d'en douter (Maldonado); toutefois, le bon sens me dicte que sept exposés circonstanciés aussi semblables dans des FRP ne peuvent provenir sans cause de sept demandeurs d'asile différents qui ne se connaissent pas, qui n'ont aucune idée des raisons qui expliquent une aussi grande similarité des exposés circonstanciés compris dans les FRP, dont plusieurs ont vécu dans des villes éloignées les unes des autres en Chine et qui se trouvent tous à avoir retenu les services du même interprète et du même conseil. Étant donné la production de sept exposés circonstanciés dans les FRP présentant une similarité frappante, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que l'exposé circonstancié du demandeur d'asile n'est pas assez personnel pour être crédible. Les similitudes sont tellement frappantes que je tire une conclusion défavorable quant à la véracité du récit allégué par le demandeur d'asile dans la présente affaire.

[Notes de bas de page omises.] [Non souligné dans l'original.]

(Décision, pages 10-11)

[4]                De toute évidence, l'analyse des sept dossiers faite par la SPR dans la décision à l'étude montre qu'elle soupçonnait qu'il y avait eu mensonge dans la demande d'asile présentée par le demandeur. En ce qui concerne le droit de la SPR de procéder à cette analyse, l'avocate du défendeur soutient que le paragraphe 17(1) des Règles de la Section de la protection des réfugiés permet à la SPR d'utiliser les renseignements provenant des autres demandes d'asile pour juger celle du demandeur. Je n'ai rien contre cet argument. La question en l'espèce ne porte pas sur le fait que l'analyse comparative a été menée, mais bien sur le fait que le résultat de cette analyse n'était pas concluant.

[5]                Rien ne laisse croire que l'interprète ou le conseil du demandeur ait fait quoi que ce soit de répréhensible. Lors de l'audience devant la SPR, quand il a été interrogé au sujet des ressemblances entre les dossiers, le demandeur a simplement affirmé : [traduction] « Je ne fais que raconter ce qui m'est arrivé; ce que je dis est vrai, je ne sais rien sur les autres personnes. » (Dossier du tribunal, pages 690 et 691.) En conséquence, je peux comprendre que la SPR soit demeurée « perplexe et sans explication suffisante » en ce qui concerne les ressemblances entre les FRP. Replacée dans son contexte, cette affirmation représente une conclusion établissant que le soupçon selon lequel il y avait eu mensonge dans la demande d'asile présentée par le demandeur n'était pas étayé.     

[6]                Étant donné ce résultat, je conclus qu'il incombait à la SPR d'exclure le soupçon non étayé du processus de prise de décision, ce que la SPR n'a pas fait. En fait, selon la façon dont est rédigée la décision, la SPR s'est servie de ce soupçon non étayé pour conclure que « l'exposé circonstancié du demandeur d'asile n'est pas assez personnel pour être crédible » . À mon avis, cette conclusion défavorable quant à la crédibilité est fondée sur une considération extrinsèque, c'est-à-dire le soupçon non étayé. En conséquence, je conclus que la SPR a commis une erreur susceptible de contrôle en tirant la conclusion défavorable quant à la crédibilité.   

[7]                Au cours de l'audition de la présente demande, l'avocate du défendeur a soutenu que, indépendamment de l'erreur susceptible de contrôle, la décision de la SPR ne devait pas être annulée parce que la preuve du demandeur comportait d'autres problèmes susceptibles de fonder une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Je rejette cet argument. À mon avis, la conclusion erronée quant à la crédibilité est si cruciale dans la décision de la SPR qu'elle éclipse toute autre conclusion allant à l'encontre de l'intérêt du demandeur. Je conclus donc que la décision de la SPR est manifestement déraisonnable.

ORDONNANCE

            En conséquence, j'annule la décision de la SPR et je renvoie l'affaire à un tribunal différemment constitué pour qu'elle soit jugée de nouveau.

            Il n'y a aucune question à certifier.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-2708-05

INTITULÉ :                                                    SHAO BO BAO

                                                                        c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 8 MARS 2006

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :                                   LE 9 MARS 2006

COMPARUTIONS :

John Savaglio

(905) 839-7290

POUR LE DEMANDEUR

Claire LeRiche

(416) 973-2087

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John Savaglio

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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