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                                                                                                                     Date : 20041126

                                                                                                      Dossier : IMM-10111-03

                                                                                                    Référence : 2004 CF 1662

Ottawa (Ontario), le 26 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                      SIMONE INGABIRE

                                                                                                                        demanderesse

                                                                    - et -

               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]                La demanderesse, Simone Ingabire, est une citoyenne du Rwanda âgée de 20 ans. Elle est arrivée au Canada le 6 septembre 2001. Elle prétend avoir raison de craindre d'être persécutée au Rwanda du fait de sa race et de son appartenance à un groupe social, à savoir sa tribu. Mme Ingabire ajoute que, au Rwanda, elle sera exposée au risque d'être soumise à la torture et à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités aux mains des Hutus extrémistes. Dans une décision datée du 22 octobre 2003, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a décidé que la demanderesse n'était pas une réfugiée au sens de la Convention ni une personne à protéger. Elle vise à obtenir le contrôle judiciaire de cette décision.

La question en litige

[2]         La question en litige dont je suis saisie est celle de savoir si la Commission a commis une erreur en ne tenant pas compte des directives concernant la persécution fondée sur le sexe (directives no 4 : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe; directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, et modifications, abrogée par L.C. 2001, ch. 27, al. 274a)).

La décision de la Commission


[3]         Une des questions en litige abordée par la Commission était celle de l'incompatibilité entre les déclarations que la demanderesse a faites au point d'entrée (le PDE) et celles qui se trouvent dans son formulaire de renseignements personnels (le FRP). Plus précisément, au PDE, la demanderesse a déclaré, par écrit, qu'elle avait failli être violée, alors que, dans son FRP, elle a déclaré qu'elle avait été violée. Lorsqu'on lui a demandé de rendre compte de l'incompatibilité, elle a d'abord expliqué que, au PDE, elle n'était pas prête à discuter de son viol parce qu'elle était mal à l'aise. Toutefois, quelques minutes plus tard, elle a expliqué qu'elle pensait que les expressions « avoir failli être violée » et « être violée » étaient la même chose.

[4]         La Commission a reconnu qu'une fille de 17 ans pouvait ressentir de l'intimidation devant des agents d'immigration posant souvent des questions personnelles. Toutefois, la Commission a conclu que l'explication de la demanderesse au sujet de l'incompatibilité était déraisonnable, compte tenu que les déclarations au PDE avaient été faites par écrit (non verbalement), que sa soeur était avec elle et qu'elle avait déjà 17 ans à l'époque. Son autre explication, selon laquelle elle ne connaissait pas la différence entre le fait d'avoir failli être violée et celui d'être violée, n'a pas été acceptée par la Commission.

[5]         Le témoignage de la demanderesse soulevait d'autres difficultés pour la Commission :

·            À la lumière de la tentative de viol dont sa soeur a été victime ainsi que des lettres et des appels téléphoniques de menaces allégués, la Commission a conclu qu'il était improbable que les parents de la demanderesse l'aient gardée à Kigali pendant presque 3 ans après ces incidents.


·            La Commission a conclu qu'il était improbable que les parents de la demanderesse lui aient permis de continuer à fréquenter l'école jusqu'en juillet 2001, tout en sachant que l'homme responsable de la tentative de viol dont sa soeur avait été victime venait d'être libéré un mois auparavant.

·            La Commission a également jugé improbable qu'on ait permis à la demanderesse de visiter son amie en juillet 2001, tout en sachant que cet homme était libre.

·            La Commission a également conclu que la demanderesse n'avait pas fait suffisamment d'efforts pour corroborer sa demande, à savoir qu'elle n'avait produit aucun des documents suivants : un rapport médical corroborant le fait qu'elle avait été hospitalisée après son enlèvement allégué en 2001, un rapport de police corroborant les plaintes qui auraient été faites par les membres de la famille de la demanderesse, ainsi que des copies des lettres contenant les menaces faites à l'encontre de la demanderesse et de sa famille. La Commission a conclu que les explications de la demanderesse étaient improbables. Par conséquent, la Commission a présumé que le rapport médical et les lettres n'existaient pas.


Analyse

[1]         La demanderesse invoque la section D des directives concernant la persécution fondée sur le sexe, intitulée « Problèmes spéciaux lors des audiences relatives à la détermination du statut de réfugié » . Elle soutient que cette section des directives est hautement pertinente dans son cas, étant donné qu'elle était mineure à l'époque où elle aurait été victime de violence ainsi qu'à l'époque où elle a formulé sa demande d'asile. Selon elle, c'est le fait que la Commission n'ait pas tenu compte des directives qui a donné lieu au rejet de ses explications au sujet des contradictions entre ses déclarations au PDE et celles contenues dans son FRP. Le fait de ne pas tenir compte des directives concernant la persécution fondée sur le sexe peut constituer une erreur de droit (Narvaez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration), [1995] 2 C.F. 55 (1re inst.)) et la décision doit donc être annulée en totalité.


[2]         La jurisprudence de la Cour est clairement à l'effet qu'il n'est pas nécessaire que le tribunal mentionne expressément, dans ses motifs, chaque élément de preuve présenté par le demandeur (C.E.C.U. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 393). La jurisprudence de la Cour établit en outre clairement que la Commission est censée prendre en compte les directives concernant la persécution fondée sur le sexe. Dans la décision Griffith c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1999) 171 F.T.R. 240 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 27, on laisse entendre que, pour dûment tenir compte des directives, la Commission doit démontrer un degré de connaissance, de compréhension et de sensibilité dans l'appréciation des déclarations et de la conduite d'un demandeur.

[3]         En l'espèce, la Commission a, à mon avis, démontré le degré de connaissance, de compréhension et de sensibilité commandé par les directives concernant la persécution fondée sur le sexe lorsqu'elle a pris en compte les raisons de l'incompatibilité entre les déclarations de la demanderesse au PDE et celles contenues dans son FRP. La Commission a reconnu la possibilité qu'une jeune fille puisse se sentir intimidée en face d'un agent d'immigration qui lui pose des questions personnelles. Toutefois, comme autre explication concernant l'incompatibilité, la demanderesse a déclaré qu'elle pensait que les expressions « avoir failli être violée » et « être violée » étaient synonymes. La Commission peut décider, malgré les sentiments d'intimidation, qu'à la lumière de l'âge de Mme Ingabire et de la présence de sa soeur, ses explications n'étaient pas acceptables.

[4]         Il est important de ne pas perdre de vue le fait que, à la fin de la journée, c'est à la demanderesse que revient le fardeau de prouver son allégation de persécution. En l'espèce, elle n'a présenté aucune preuve documentaire à la Commission (c.-à-d. des copies des dossiers d'hospitalisation, des dossiers de police ou des lettres de menaces) pour corroborer son récit. Les directives concernant la persécution fondée sur le sexe ne constituent pas, en elles-mêmes, une preuve étayant sa demande.


[5]         La demande sera rejetée. Aucune des parties n'ayant proposé de question en vue de la certification, aucune question ne sera certifiée.

                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          La demande est rejetée;

2.          Aucune question de portée générale n'est certifiée.

      « Judith A. Snider »

                                                                                                                                                                                                   

      Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                              IMM-10111-03

INTITULÉ :                                                             SIMONE INGABIRE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE 22 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                        LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                           LE 26 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Micheal Crane                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Sharon Stewart-Guthrie                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane                                                           POUR LA DEMANDERESSE

Avocat

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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