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Date : 20200508


Dossier : T-1499-16

Référence : 2020 CF 588

[TRADUCTION FRANÇAISE]

RECOURS COLLECTIF

ENTRE :

BRUCE WENHAM

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

(Approbation du règlement)

LE JUGE PHELAN

I.  INTRODUCTION

[1]  Le présent règlement d’un recours collectif est la conclusion d’une procédure contentieuse initiée par des survivants de la thalidomide qui se sont retrouvés handicapés à vie. Ils ont lutté en Cour pour obtenir un meilleur traitement et des prestations de la part du gouvernement du Canada (le Canada).

[2]  La première demande de contrôle judiciaire introduite par Bruce Wenham (M. Wenham) a été déposée en septembre 2016 pour contester le refus de sa demande de prestations au titre du Programme de contribution pour les survivants de la thalidomide (le PCST – parfois appelé l’« ancien programme »). Il a changé son recours en un recours collectif pour tous les demandeurs à qui des prestations ont été refusées au titre du PCST.

[3]  Il a intenté un recours collectif, autorisé en novembre 2018 par la Cour d’appel fédérale, pour contester les critères de preuve et les exigences en matière de preuve documentaire du PCST. Peu après l’autorisation, le Canada a remplacé l’ancien programme par une version améliorée qui est devenu le Programme canadien de soutien aux survivants de la thalidomide (PCSST ou le « nouveau programme »).

[4]  Ce nouveau programme a permis de répondre aux questions soulevées dans la présente procédure contentieuse et au Parlement. Le règlement proposé, exécuté le 22 octobre 2019 (le règlement ou l’entente de règlement), offre des protections d’équité procédurale supplémentaires et d’autres avantages au groupe admissible au PCSST.

[5]  L’entente de règlement doit être évaluée dans le contexte de ce nouveau programme. Le rôle de la présente procédure contentieuse dans la création du PCSST est sujet à controverse entre les parties et sera abordé plus précisément en ce qui a trait à l’approbation des honoraires des avocats du groupe.

[6]  Toutefois, il est juste d’affirmer que le PCSST correspond en grande partie à ce que visait le recours collectif. Les membres du groupe ont maintenant la possibilité d’obtenir en priorité un soutien financier qui leur avait été refusé au titre de l’ancien programme. Le nouveau programme a permis de réviser et d’améliorer les critères de preuve et il comprend un système de preuve documentaire révisé, soit des éléments qui faisaient tous l’objet de questions en litige dans le recours collectif.

[7]  Le PCSST est offert depuis le mois de juin 2019 et continuera d’être offert jusqu’au mois de juin 2024 à toute personne cherchant à être reconnue en tant que survivant de la thalidomide. L’entente de règlement offre plusieurs garanties procédurales et d’autres avantages aux membres du groupe jugés admissibles au titre du PCSST.

[8]  Par suite de la mise en œuvre du PCSST, le groupe, ayant obtenu une grande partie de ce qu’il cherchait à obtenir dans la procédure contentieuse, demande à la Cour d’approuver l’entente de règlement comme étant [traduction] « juste, raisonnable et dans l’intérêt supérieur des membres du recours collectif dans leur ensemble ». Le Canada consent à l’entente et à la présente requête visant l’approbation.

[9]  En plus de la présente requête en vue d’obtenir l’approbation du règlement, il existe une requête en vue d’obtenir l’approbation des honoraires des avocats du groupe – une question non tranchée dans le règlement – et une requête relativement aux dépens présentée par le groupe à l’encontre le Canada. Chacune de ces requêtes fait l’objet de décisions distinctes.

II.  CONTEXTE

A.  La thalidomide au Canada

[10]  La thalidomide a d’abord été mise au point et vendue en tant que sédatif sans effet d’accoutumance (et est encore sur le marché à ce titre), mais son efficacité pour combattre les symptômes associés à la nausée a aussi été établie. Elle a été prescrite hors indication à cette fin. Le médicament a été mis en marché en Allemagne (Allemagne de l’Ouest) le 1er octobre 1957.

[11]  Au Canada, la thalidomide a été distribuée sous les noms de marque Kevadon et Talimol, et son utilisation a été autorisée sous la forme d’échantillons le 23 juin 1959. Elle a ensuite été approuvée aux fins d’utilisation sur ordonnance du 1er avril 1961 au 2 mars 1962. La corrélation a été confirmée entre la prise de thalidomide par la mère au cours du premier trimestre de grossesse, des fausses couches et des déficiences congénitales. Le médicament a fait l’objet d’un rappel le 10 avril 1962. Le Canada a donné comme instructions aux médecins de détruire ou de retourner tous les stocks de thalidomide, et la saisie de tous les stocks en pharmacie a été ordonnée.

Les dates sont importantes en raison des délais de prescription imposés dans le PCSST et des objections entendues par la Cour.

[12]  Un registre a été créé par le Canada entre 1964 et 1973 pour déterminer qui étaient les survivants de la thalidomide. Il a permis d’établir que 115 enfants ont été touchés dans ce pays. Les membres du groupe de la présente procédure contentieuse ne figuraient pas sur la liste.

B.  Soutien initial aux survivants de la thalidomide – Régime d’aide extraordinaire (RAE)

[13]  Par décret du 10 mai 1990, le Canada a versé des paiements, à titre gracieux, aux « victimes de la thalidomide ».

[14]  Le soutien a été apporté au moyen du Régime d’aide extraordinaire (RAE). Le RAE nécessitait la preuve 1) qu’un demandeur avait reçu un règlement d’une société pharmaceutique ou 2) qu’il y avait eu [traduction] « une prise de thalidomide par la mère, au Canada, au cours du premier trimestre de la grossesse ou une inscription sur une liste gouvernementale de victimes de la thalidomide ».

Au total, 109 personnes ont reçu un soutien au titre de ce RAE de 1990.

[15]  En 2014, le Parlement a adopté une motion afin d’apporter un soutien additionnel aux survivants de la thalidomide pour répondre à leurs besoins médicaux croissants.

C.  Programme de contribution de survivants de la thalidomide (PCST)

[16]  En 2015, le Canada a annoncé un nouveau soutien aux survivants canadiens de la thalidomide au titre du PCST qui consistait à verser des paiements à deux groupes de bénéficiaires admissibles : 1) les personnes ayant reçu des paiements dans le cadre du premier programme du RAE de 1991; 2) les personnes ayant présenté une demande avant le 31 mai 2016 et répondant aux mêmes critères que ceux appliqués dans le RAE de 1991.

[17]  Aux termes du PCST, un paiement forfaitaire exempt d’impôt de 125 000 $, des paiements de soutien à vie continus en fonction du degré d’invalidité et un accès au fonds d’aide médicale extraordinaire pour les coûts de santé extraordinaires ont été fournis.

[18]  Concernant la preuve documentaire, une preuve objective précise est maintenant requise aux termes du PCST :

  • soit une copie d’une ordonnance d’un médecin;

  • soit le dossier de naissance hospitalier ou d’autres dossiers médicaux ou pharmaceutiques;

  • s’il n’existait aucun dossier, une preuve sous la forme d’une déclaration sous serment (affidavit) de la part de personnes ayant une connaissance directe du fait pouvait être acceptable, comme un médecin qui indiquait qu’il avait prescrit le médicament à la mère de la personne.

[19]  Même si le Canada l’a parfois qualifié de [traduction] « généreux » dans la présente procédure contentieuse, le PCST a imposé un sérieux obstacle en matière de preuve d’une prise par la mère de thalidomide au Canada au cours du premier trimestre de la grossesse.

[20]  Cette preuve stricte pouvait être un dossier d’ordonnances d’un médecin, d’un dossier de naissance hospitalier ou de dossiers médicaux ou pharmaceutiques, ou s’il n’existait aucun dossier, une déclaration sous serment de la part d’un professionnel de la santé ayant une connaissance directe du fait. Le témoignage d’une personne n’étant pas un professionnel de la santé (p. ex. la mère, le père, un parent ou un ami) ne serait pas suffisant.

[21]  La preuve ne devait pas simplement répondre à la norme de la prépondérance des probabilités, mais elle devait aussi être établie selon une norme plus stricte. En effet, une quasi-certitude ou un fardeau de la preuve en matière de droit criminel hors de tout doute raisonnable étaient requis.

Aucune de ces exigences imposées n’était assortie d’un droit à une audience.

[22]  Un aspect important des critères d’admissibilité du PCST (et du RAE de 1991 avant lui) et une question qui découle de son remplacement étaient l’absence de délais de prescription quant aux périodes de prise du médicament ou des naissances – une question soulevée par certains opposants au règlement.

Cette absence de délais de prescription a permis à des personnes dont la mère avait pris de la thalidomide après le retrait du médicament du marché de déposer des demandes.

[23]  En octobre 2016, l’administrateur du PCST avait indiqué à presque tous les demandeurs au titre du PCST s’ils avaient satisfait aux critères d’admissibilité. Parmi les 193 demandeurs au titre du PCST (et qui n’avaient pas reçu de versements au titre du RAE de 1991), seuls 25 ont été retenus.

D.  Situation de Bruce Wenham

[24]  La mère de M. Wenham est tombée enceinte en 1957. On a dit à M. Wenham que de la thalidomide avait été donnée à sa mère pour soulager ses nausées au cours du premier trimestre de sa grossesse alors qu’elle était enceinte de lui.

[25]  M. Wenham est né le 14 juillet 1958 avec une malformation aux deux bras. Il est le seul enfant né avec des malformations au sein d’une fratrie de cinq enfants.

[26]  La famille a déménagé en Angleterre en 1959. Il n’a pas été inscrit par le gouvernement canadien ou britannique en tant que survivant de la thalidomide. Les dossiers hospitaliers de sa mère ont été détruits et le fonctionnaire consultant n’était plus là. La demande au titre du RAE de 1991 de M. Wenham a été rejetée en raison de l’absence des dossiers de sa mère concernant sa prise de thalidomide.

[27]  En 2016, M. Wenham a présenté une demande au titre du PCST et a fourni les éléments de preuve suivants :

  • le témoignage d’un expert généticien quant au lien de causalité entre les malformations de M. Wenham et l’exposition à la thalidomide;

  • le témoignage d’un médecin de famille attestant de la cohérence entre l’état de santé de M. Wenham et l’exposition in utero à la thalidomide;

  • le propre témoignage de M. Wenham dans lequel il fournit des renseignements sur la prise de thalidomide par sa mère, sur sa naissance et sur l’absence de malformation chez ses frères et sœurs, sur le décès de ses parents, sur le décès supposé de son médecin consultant et sur l’absence de dossiers médicaux hospitaliers;

  • le témoignage d’un frère qui confirme que la naissance de son frère et corrobore le témoignage de M. Wenham selon lequel il était le seul de la famille né avec un handicap;

  • le témoignage de la femme de M. Wenham dans lequel elle indique que la mère de M. Wenham lui avait parlé de sa prise de thalidomide alors qu’elle était enceinte de M. Wenham.

[28]  Le 12 août 2016, l’administrateur du PCST a informé M. Wenham que sa demande était rejetée, car il ne n’avait pas répondu aux critères du PCST.

E.  Historique des recours collectifs

[29]  Le 12 septembre 2016, M. Wenham a présenté une demande de contrôle judiciaire individuelle de la décision négative du PCST au motif que les critères et les exigences du PCST étaient invalides et inéquitables sur le plan de la procédure.

[30]  Son contrôle judiciaire correspondait aux contrôles judiciaires déposés par d’autres personnes à qui des prestations au titre du PCST (voir les décisions Fontaine c Canada (Procureur général), 2017 CF 431 [Fontaine]; Briand c Canada (Procureur général), 2018 CF 279 [Briand]; Rodrigue c Canada (Procureur général), 2018 CF 280 [Rodrigue]) dans lesquelles l’équité du programme était contestée. Un total de 168 particuliers se sont vus refuser l’admissibilité au PCST.

[31]  M. Wenham a changé son contrôle judiciaire individuel en contrôle judiciaire de recours collectif. Le Canada s’est opposé à une autorisation, une attitude d’opposition qu’il a adoptée pratiquement à toutes les étapes de la présente procédure contentieuse.

[32]  Au cours de la même période, un contrôle judiciaire semblable (Fontaine) a été rejeté au motif que les critères et les exigences en matière de preuve du PCST et des exigences n’étaient pas justiciables parce que le programme était un régime de paiement « à titre gracieux ». La question du caractère « justiciable » était un thème récurrent tout au long de la procédure contentieuse.

[33]  En attendant qu’une décision d’autorisation soit rendue à la Cour fédérale, diverses mesures pour remédier à l’iniquité du PCST ont été prises au niveau politique. En janvier 2017, un député a fait circuler une pétition visant à modifier le PCST. Par suite d’audiences publiques, le Comité permanent de la santé (HESA) a recommandé au ministre de la Santé de modifier les critères et les exigences en matière de preuve du PCST pour inclure des évaluations cliniques et, surtout, pour que l’évaluation de l’exposition à la thalidomide soit réalisée selon la norme de la « prépondérance des probabilités ».

[34]  La requête en autorisation a été rejetée par la Cour fédérale le 6 juillet 2017.

[35]  La tentative du demandeur d’être associé aux changements proposés à apporter au programme au niveau politique a été bloquée en juillet 2017 au motif que Santé Canada ne pouvait pas s’engager à tenir [traduction] « une ligne de conduite hypothétique qui n’est pas encore établie dans la sphère législative ou parlementaire, et qui fait seulement l’objet de discussions au sein du comité parlementaire ».

[36]  Le 27 février 2018, le problème de la preuve documentaire a été reconnu dans le budget de 2018 où il est indiqué que « le programme sera élargi de manière à garantir que tous les survivants admissibles de la thalidomide ont le soutien financier dont ils ont besoin ». D’autres détails sur la manière dont le programme serait élargi n’ont pas été fournis.

[37]  Les tentatives du demandeur visant à être consulté ont été limitées par le Canada à lui permettre de déposer des observations écrites en avril 2018.

[38]  La Cour d’appel fédérale a infirmé la décision d’autorisation de la Cour fédérale et a accordé l’autorisation le 1er novembre 2018. Après cela, le demandeur a entamé le processus de présentation de l’avis d’autorisation au groupe, comme le prévoient les Règles de la Cour.

[39]  Le 9 janvier 2019, le Canada a annoncé un nouveau programme pour les survivants de la thalidomide appelé le PCSST. Le PCSST a été créé par décret le 5 avril 2019.

[40]  Aux termes du décret, les personnes jugées admissibles au RAE de 1991 ou au PCST de 2015 ou dont le nom figure dans un registre gouvernemental canadien seraient admissibles au PCSST.

[41]  Le décret établit un cadre relatif aux dates de naissance aux fins d’admissibilité allant du 3 décembre 1957 au 21 décembre 1967, l’utilisation d’un algorithme de diagnostic pour faciliter l’évaluation de la probabilité que la thalidomide ait causé des malformations congénitales ainsi que la participation d’un comité multidisciplinaire chargé de faire des recommandations quant à l’admissibilité.

[42]  Le cadre relatif aux dates de naissance est fondé sur la période au cours de laquelle le médicament était disponible et sur la période de grossesse pertinente. Il est aussi présenté comme garantissant que seule une utilisation autorisée devait être indemnisée. Pour un programme axé sur l’indemnisation pour le préjudice causé à un fœtus, on comprend mal comment un fœtus pourrait être responsable d’une [traduction] « utilisation non autorisée ».

III.  RÈGLEMENT

[43]  En dépit de la défense vigoureuse menée par le Canada dans le présent recours collectif, les parties ont entamé des négociations indépendantes vers le 17 juin 2019, qui ont abouti à l’entente de règlement du 22 octobre 2019.

[44]  L’entente de règlement et ses dispositions essentielles doivent être examinées dans le contexte du PCSST. Ces dispositions essentielles comprennent plusieurs garanties procédurales importantes.

[45]  Les principales modalités du règlement, telles que les conçoivent les parties, prévoient notamment :

[traduction]

a)  des garanties d’équité procédurale relativement au processus d’application du PCSST, y compris :

i)  la confirmation que l’administrateur aura recours à la norme de la prépondérance des probabilités dans son évaluation préliminaire à la première étape (une norme qui n’est pas clairement établie dans le décret ayant créé le PCSST);

ii)  à la deuxième étape, les demandeurs qui ne reçoivent pas de conclusion « probable » au moyen de l’algorithme de diagnostic qui détermine l’admissibilité auront l’occasion de présenter des renseignements supplémentaires pour qu’ils soient examinés par l’administrateur avant que leur demande ne soit rejetée;

iii)  lorsqu’une décision définitive de rejeter une demande est rendue à un stade du processus en trois étapes, l’administrateur :

1)  informe le demandeur des motifs du rejet;

2)  donne à l’occasion de présenter des renseignements supplémentaires ou des observations écrites pour qu’un nouvel examen soit effectué;

3)  accorde le droit de demander qu’un nouvel examen soit effectué sur présentation de nouveaux éléments de preuve, pour autant que les demandes sont reçues avant le 3 juin 2024;

iv)  les membres du groupe dont les demandes sont refusées à la troisième étape décrite au paragraphe 3(7) du décret, après recommandation du comité multidisciplinaire, auront le droit de soumettre des observations écrites ou à une audience avec le tiers administrateur et au moins un représentant du comité multidisciplinaire. Les audiences auront lieu par téléconférence, vidéoconférence ou en personne, aux frais du demandeur, s’il en fait la demande;

b)  que le représentant du groupe demandeur ou tout autre membre du groupe désigné serait invité à formuler des commentaires au sujet des capacités, des connaissances, de l’expérience et de l’expertise des membres du comité multidisciplinaire ayant pris part à la troisième étape;

c)  l’examen des demandes des membres du groupe au titre du PCSST en priorité par rapport à d’autres demandes;

d)  que les membres du groupe qui sont jugés admissibles au titre du PCSST reçoivent leurs paiements annuels rétroactifs au 3 juin 2019, sans égard au moment où ils ont présenté leur demande pendant la période de présentation des demandes;

e)  le versement du paiement forfaitaire à la succession des membres du groupe si ces derniers décèdent après avoir été jugés admissibles au PCSST, mais avant le versement du paiement;

f)  un versement à titre gratuit de 10 000 $ au demandeur;

g)  un désistement du recours collectif;

h)  que le règlement ne comporte pas d’admission de responsabilité.

[Observations écrites des parties –

Non souligné dans l’original.]

[46]  Contrairement à plusieurs autres règlements de recours collectifs devant la Cour, l’entente de règlement ne comporte aucune disposition sur le paiement des honoraires des avocats. Le Canada s’est réservé le droit de demander l’autorisation de présenter des observations quant à requête relative aux honoraires. Les parties se sont également entendues sur le fait que rien dans l’entente de règlement n’empêchait le demandeur de déposer une requête visant à obtenir des dépens.

[47]  La Cour a accueilli la demande du Canada de présenter des observations quant aux honoraires, en l’obligeant clairement à n’aborder que la question de la [traduction]« réussite » (ou les résultats du contentieux) dans l’analyse du critère des [traduction] « honoraires justes et raisonnables ».

IV.  Analyse

A.  Droit

[48]  Comme l’a soutenu notre Cour à de nombreuses reprises (voir Merlo c Canada, 2017 CF 533 [Merlo]; McLean c Canada, 2019 CF 1075 [McLean]), le règlement d’un recours collectif doit être approuvé par la Cour (voir également l’article 334.29 des Règles des Cours fédérales). Le critère juridique à appliquer est de savoir si le règlement est [traduction] « juste, raisonnable et dans l’intérêt supérieur de l’ensemble du groupe ».

[49]  Lorsqu’elle examine ce critère, la Cour tient compte de plusieurs facteurs dont la pondération ainsi que le poids accordé individuellement et comparativement varient en fonction des circonstances.

[50]  Voici une liste non exhaustive des facteurs à prendre en compte :

  • les modalités et conditions du règlement;

  • les probabilités de succès ou de recouvrement;

  • la quantité et la nature des activités préalables à l’instruction, y compris l’enquête, l’évaluation des éléments de preuve, la production et la communication;

  • la conduite de négociations sans lien de dépendance et les renseignements quant à la dynamique des négociations;

  • les recommandations des avocats du groupe;

  • la communication avec les membres du groupe;

  • l’expression de soutien et d’oppositions;

  • les dépens futurs et la durée probable du litige;

  • tout autre facteur ou circonstance pertinents.

[51]  Il est maintenant bien établi qu’un règlement doit être examiné dans son ensemble et que la Cour ne peut pas réécrire les conditions de fond du règlement. Les règlements nécessitent des compromis, même si les parties lésées ont du mal à voir pourquoi elles devraient faire des concessions. Les règlements n’ont pas à être parfaits, pourvu qu’ils se situent dans une « fourchette d’issues jugées raisonnables » (McLean, au paragraphe 76). Au bout du compte, le règlement est une proposition « à prendre ou à laisser ».

[52]  Les tribunaux ne doivent pas réécrire ou modifier les règlements, mais ils jouent un rôle important en veillant à ce que les règlements prennent effet et soient dûment appliqués. Pour ces raisons ainsi que pour d’autres, les tribunaux assurent une surveillance continue du règlement (JW c Canada (Procureur général), 2019 CSC 20). Il peut s’agir de produire des rapports périodiques, de veiller à la mise en œuvre rapide du règlement, ou encore d’interpréter et de faire appliquer le règlement et les questions qui s’y rapportent.

[53]  En l’espèce, le règlement incorpore le PCSST et en fait partie, du moins en ce qui concerne les membres du groupe. Certaines modalités du règlement doivent être accessibles aux personnes qui sont concernées par le PCSST mais ne sont pas membres du groupe. Par conséquent, les modifications du PCSST pourraient avoir des répercussions sur le règlement et l’ordonnance d’approbation. Le règlement et l’ordonnance d’approbation confèrent au programme une stabilité qu’il n’aurait probablement pas autrement.

B.  Modalités et conditions du règlement

[54]  Les recours collectifs ont permis de contester les exigences documentaires et la norme de preuve injustes du PCST. L’accueil de la demande de contrôle judiciaire aurait probablement donné lieu à un réexamen aux termes du PCST pour les membres du groupe, sans le poids de cette norme et de ces exigences – comme ce fut le cas dans la décision Briand. Le règlement en l’espèce est supérieur à ce qui aurait normalement été obtenu à la suite d’un contrôle judiciaire.

[55]  Suivant la procédure contentieuse et d’autres efforts de revendication politiques et administratifs, le PCSST a explicité le PCST. Il a donné aux membres du groupe (et à d’autres) une autre occasion d’obtenir un soutien financier accru. Le paiement forfaitaire est passé de 125 000 $ à 250 000 $. Les paiements annuels de 25 000 $ à 100 000 $, quant à eux, sont restés inchangés.

[56]  Le PCSST tient compte d’un des objectifs principaux du recours collectif, qui est de réduire la quantité d’éléments de preuve et de documents que doit fournir un demandeur. Le règlement a confirmé la nouvelle norme de preuve.

[57]  Sans le PCSST ou un équivalent pour corriger les lacunes PCST, il n’y aurait pas de règlement.

[58]  De plus, tel qu’il est indiqué au paragraphe 45, la Cour admet que le règlement a précisé et amélioré les garanties procédurales, en plus de fournir d’autres avantages aux membres du groupe.

[59]  Le but du recours collectif est de s’assurer que la procédure a été équitable. Quel que soit leur statut définitif en tant que demandeur, les membres du groupe jouissent de l’équité, des garanties et des autres avantages prévus dans le règlement.

[60]  Dans son contexte global, le règlement offre aux membres du groupe des avantages de taille que la poursuite du contentieux n’aurait pas forcément permis d’obtenir.

C.  Probabilités de succès ou de recouvrement

[61]  Contrairement à ce qui se passe pour les honoraires d’avocat et les risques estimés lorsqu’un recours collectif est pris en charge, les probabilités de succès ou de recouvrement doivent être évaluées lorsque l’on doit décider s’il faut maintenir les poursuites ou envisager un règlement. En l’espèce, deux éléments doivent être pris en compte : le PCSST, d’une part, et l’autorisation du recours collectif par la Cour d’appel fédérale, d’autre part.

[62]  Le groupe doit tenir compte de l’objectif du recours collectif, qui est de donner aux survivants de la thalidomide une possibilité juste et équitable d’obtenir des avantages financiers.

[63]  La création du PCSST a obligé le groupe à faire un choix : remettre en question le recours dans le contexte de la procédure contentieuse, ou l’améliorer en abordant des questions comme celle de la rétroactivité. Le Canada, quant à lui, était confronté à la possibilité que le recours collectif fasse l’objet d’une conclusion finale et inattendue.

[64]  Le Canada, tout particulièrement après la création du PCSST, disposait de différents moyens de défense, notamment le caractère théorique. Il était toutefois confronté au risque que le public ait l’impression que le gouvernement contribuait aux souffrances des survivants de la thalidomide.

[65]  Le Canada a continué de s’opposer au recours en mettant fermement en avant le principe non-justiciabilité d’un programme de paiements à titre gracieux et en présentant une requête en vue de faire écarter le recours collectif au motif qu’il est théorique et que le PCSST offre un autre recours approprié.

[66]  La jurisprudence de notre Cour (voir Fontaine; Briand) comprend des précédents contradictoires qui font courir des risques aux deux parties. Quoi qu’il en soit, l’accueil de la demande de contrôle judiciaire ne donnerait au groupe qu’une partie de ce qu’il pourrait obtenir au moyen d’une négociation.

[67]  À cette incertitude s’ajoutent d’autres risques, à savoir les délais de prescription, les risques généraux afférents à la procédure contentieuse, la durée du contentieux et les évaluations individuelles non réglées.

[68]  Même s’ils ne sont pas vieux, les membres du groupe prennent de l’âge et certains ont des besoins croissants en raison de leur vulnérabilité et de leur handicap. Le temps ne joue pas pour eux, et joue peut-être même déjà contre eux.

[69]  Compte tenu de tous ces éléments, un règlement raisonnable constitue une solution de rechange viable et attrayante pour les deux parties.

D.  Quantité et nature des activités préalables à l’instruction, y compris l’enquête, l’évaluation des éléments de preuve, la production et la communication

[70]  Lorsque l’entente de règlement a été signée (la veille de la date prévue pour l’audience sur le fond), tout le nécessaire avait été fait en matière d’enquête, de recherche, de collecte d’éléments de preuve et d’étapes préalables à l’audience. Les parties étaient en mesure de comprendre le risque qu’il y avait à poursuivre le contentieux.

[71]  La poursuite du contentieux aurait pu retarder la décision, déboucher sur un appel et prolonger le délai imparti pour les évaluations individuelles aux termes du PCST (si un nouvel examen avait été ordonné).

[72]  Le règlement constitue une solution pratique et éclairée qui lève l’incertitude pour les parties et offre des avantages supplémentaires aux membres du groupe, tout en évitant les perturbations, les retards ainsi que les incertitudes inhérentes au contentieux.

E.  Conduite de négociations sans lien de dépendance

[73]  Compte tenu du dossier en l’espèce, de la position combative adoptée par le Canada et de la détermination inébranlable du groupe, la Cour est certaine que les négociations ont été menées sans lien de dépendance.

[74]  Comme souvent dans ce type de contentieux, les parties n’ont même pas pu se mettre d’accord sur les honoraires des avocats du groupe ou sur une contribution du Canada à ces honoraires. Comme il a déjà été mentionné, une requête est d’ailleurs en suspens concernant les dépens; cette requête est fondée sur une exception au régime sans dépens applicable en matière de recours collectifs.

[75]  Les parties avaient déjà essayé de négocier, sans succès, lors d’une conférence de règlement des différends présidée par la juge McDonald. Ce n’est que juste avant l’audience sur les questions communes – « à la porte du palais de justice », pour ainsi dire – que les parties sont parvenues à un règlement.

F.  Recommandations des avocats du groupe

[76]  Les avocats des deux parties recommandent le règlement. Les avocats du groupe, ayant travaillé sur le recours jusqu’au bout, en avaient largement atteint le but.

[77]  Les avocats du groupe et le cabinet sont des professionnels expérimentés et réputés en matière de recours collectifs. Ils disposent d’une vaste expérience acquise au fil de nombreux recours collectifs. Leur recommandation a une importance considérable.

[78]  Le Canada possède une vaste expérience en matière de recours collectifs, dans toute une série de circonstances. Le fait qu’il recommande le règlement revêt une grande importance.

G.  Degré et nature de la communication

[79]  Les avocats du groupe et M. Wenham ont manifestement bien communiqué. Le fait que le groupe soit relativement petit facilite la communication (voir plus bas).

[80]  Un site Web a été créé et est tenu à jour. Les documents de procédure et autres documents y sont affichés afin que les membres du groupe puissent les consulter.

[81]  Ainsi que l’atteste le nombre de personnes présentes dans la salle d’audience et par vidéoconférence, les membres du groupe sont informés et participent à ce processus de règlement, qu’ils y soient favorables ou défavorables.

H.  Soutien et opposition

[82]  Les observations des survivants de la thalidomide, qu’elles soient favorables ou défavorables, ont été la partie la plus émouvante de l’audience de règlement. Leur présence, leurs récits et leur passion ont contribué à humaniser l’instance. Leur éloquence et le courage dont ils ont fait preuve pour se présenter à l’audience sont très louables.

[83]  Au départ, le Canada a identifié 167 membres du groupe d’après l’avis d’autorisation. Douze (12) s’étaient exclus, mais trois (3) ont annulé leur exclusion après la date limite d’exclusion.

[84]  Un actuaire expert a estimé qu’il y avait, au Canada, entre 157 et 409 survivants de la thalidomide. Aux termes du RAE de 1991 et du PCST, 135 personnes ont déjà été reconnues comme survivants de la thalidomide. Sur les 168 personnes jugées inadmissibles, 31 sont nées avant la date de référence du PCST, et 11 sont nées après cette date. On estime qu’aux termes du PCSST, 124 personnes respecteront les paramètres de référence, tandis que 42 ne les respecteront pas.

[85]  Pour ce qui est du soutien et de l’opposition, les formulaires reçus indiquent que 80 % des personnes appuient le règlement.

[86]  L’opposition au règlement, qu’elle ait été exprimée en Cour ou dans des documents déposés, reposait sur diverses objections relatives aux paramètres de date, au fait que les avantages du règlement iront (du moins en partie) à des personnes qui ne sont pas membres du groupe, à la pression exercée pour que l’entente soit acceptée, à l’utilisation d’un algorithme ainsi qu’à la nature restrictive des critères du PCSST. Des voix se sont également élevées contre les honoraires envisagés pour les avocats du groupe.

[87]  Des préoccupations ont été régulièrement exprimées face aux paramètres de la date de naissance. La Cour a entendu les récits tragiques et convaincants de personnes qui n’étaient pas admissibles à quelques semaines près. Les avocats du groupe ont reconnu le problème, mais le Canada s’est montré intraitable à ce sujet.

[88]  Bien que scientifique, l’explication donnée par le Canada quant à son approche rigide était froide et dépourvue de la compassion dont fait preuve le gouvernement à l’égard des personnes. Cette approche pouvait pénaliser les personnes innocentes qui n’avaient pas fait une [traduction] « utilisation non autorisée » du médicament. Il n’était pas du tout clairement expliqué pourquoi la preuve d’une prise de thalidomide au Canada au cours du premier trimestre de la grossesse ne constituait pas à elle seule un critère raisonnable, comme ce fut le cas avec le RAE de 1991 et le PCST.

[89]  Malgré le risque de mettre en péril le règlement, la Cour aurait radié ces paramètres de date si elle en avait eu le pouvoir. Malheureusement, la Cour ne peut absolument rien faire à ce sujet; elle peut seulement inciter le Canada à faire preuve de compassion et à revoir la question. Le rejet du règlement, en plus de ne pas être une solution de rechange viable, serait injuste pour le groupe et pour d’autres personnes.

V.  Honoraires

[90]  Les parties demandent à la Cour d’approuver le versement d’honoraires de 10 000 $ au représentant des demandeurs, M. Wenham. Le Canada s’est déclaré prêt à verser cette somme.

[91]  Un paiement de cet ordre ou plus élevé a été accordé dans d’autres recours collectifs devant la Cour (voir Riddle c Canada, 2018 CF 641; Merlo; McLean), même s’il s’agissait de recours collectifs qui rassemblaient davantage de demandeurs et qui portaient sur des sommes globales plus importantes.

[92]  En l’espèce, M. Wenham a accepté que le contrôle judiciaire qu’il demandait à titre personnel devienne un recours collectif. Cette décision, à elle seule, a retardé le traitement de ses propres demandes.

[93]  Compte tenu de la position combative adoptée en l’espèce, M. Wenham a joué un rôle essentiel dans le déroulement des diverses étapes du contentieux. Il était réellement le « client » et était chargé, pour le compte des autres, de toutes les responsabilités incombant à un client.

[94]  Si M. Wenham avait obtenu gain de cause dans sa demande de contrôle judiciaire, comme cela s’est vu dans les décisions Briand et Rodrigue, et s’il avait obtenu gain de cause dans le réexamen de sa demande au titre du PCST, il aurait reçu des paiements en 2017-2018 plutôt que des paiements rétroactifs à compter de juin 2019. Les avocats du groupe estiment que la somme à laquelle M. Wenham a ainsi renoncé se situe entre 50 000 $ et 200 000 $.

[95]  Les modestes honoraires demandés sont amplement justifiés, si l’on tient compte ne serait-ce que d’un pourcentage de la somme susmentionnée et de la participation active de M. Wenham au nom des membres du groupe.

VI.  Conclusion

[96]  Pour ces motifs, je conclus que l’accord de règlement est juste, raisonnable et dans l’intérêt supérieur de l’ensemble du groupe.

[97]  La Cour rendra une ordonnance donnant effet à cette conclusion.

[98]  La Cour conserve sa compétence sur cette affaire, et en particulier sur l’ordonnance d’approbation et le règlement. L’ordonnance d’approbation, qui confirmera le maintien de la compétence de la Cour et des exigences initiales en matière de déclaration, pourra être modifiée si les circonstances le justifient.

« Michael L. Phelan »

Juge

Ottawa (Ontario)

le 8 mai 2020

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1499-16

 

INTITULÉ :

BRUCE WENHAM c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 26 et 27 février 2020

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

le 8 mai 2020

 

COMPARUTIONS :

David Rosenfeld

Charles Hatt

Nathalie Gondek

 

Pour le demandeur

 

Christine Mohr

Melanie Toolsie

Negar Hashemi

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Koskie Minsky LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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