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Date : 20200508


Dossier : T-1499-16

Référence : 2020 CF 590

[TRADUCTION FRANÇAISE]

RECOURS COLLECTIF

ENTRE :

BRUCE WENHAM

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

(Approbation des honoraires)

LE JUGE PHELAN

I.  INTRODUCTION

[1]  Il s’agit de la décision relative à l’approbation des honoraires des avocats. La présente affaire a été instruite séparément de la requête en consentement visant à approuver le règlement. Le gouvernement du Canada (le Canada) refuse de consentir à la présente requête visant l’approbation des honoraires. L’entente de règlement prévoyait précisément la possibilité pour les avocats de présenter une requête concernant leurs honoraires d’avocat proposés.

7.01 Honoraires d’avocat et débours

Les avocats du groupe peuvent présenter une requête en vue d’obtenir la détermination de leur droit aux honoraires d’avocat, débours et taxes ainsi que du montant de ceux-ci, payables par les membres du groupe, parallèlement à la requête en approbation de l’entente de règlement, et le Canada se réserve le droit de demander de présenter des observations à la Cour sur cette requête. Aucune disposition de la présente entente de règlement n’empêche le demandeur de présenter une requête en adjudication des dépens.

[2]  Les avocats du groupe ont présenté une requête visant à obtenir une ordonnance :

  • a) approuvant les honoraires et débours fondés sur un maximum de 15 % des [traduction] « sommes d’argent versées dans le cadre du Programme de contribution de survivants de la thalidomide (PCSST) jusqu’à concurrence d’un maximum de 2 131 297,05 $ (soit 1 850 000 $ en honoraires, une TVH de 240 500 $ et des débours de 40 797,05 $) »;

  • b) enjoignant au défendeur ou à l’administrateur du PCSST de retenir 15 % de la somme d’argent forfaitaire et les dix premiers versements annuels payables aux membres du groupe et de verser les sommes d’argent aux avocats du groupe jusqu’à ce que ledit maximum soit versé;

  • c) prévoyant des sommes versées à titre d’acompte individuelles consensuelles aux membres du groupe pour le travail réalisé après le règlement (réexamens, appels ou contrôle judiciaire pour les membres du groupe dont les demandes au titre du PCSST ont été rejetées) pour lequel les honoraires ne dépasseront pas 10 % de toute indemnisation, en plus des débours.

[3]  Le Canada a obtenu l’autorisation de la Cour de présenter des demandes limitées à la question du « succès » de la procédure contentieuse concernant la mise en œuvre du programme révisé pour venir en aide aux survivants de la thalidomide (PCSST). Le Canada a précisé ses observations sans autorisation, pour aborder la question de savoir comment les avocats devaient être payés. Il s’est opposé au mode de paiement au motif qu’une telle ordonnance constituerait une violation de l’immunité de la Couronne relative à l’insaisissabilité des fonds publics. Le Canada s’est aussi opposé aux honoraires proposés des avocats du groupe pour le travail réalisé après le règlement. La Cour a accueilli ces observations tout en rappelant au Canada qu’il aurait dû obtenir une autre autorisation pour ces nouvelles observations.

[4]  Aux termes de l’article 334.4 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), tout paiement versé à un avocat par suite d’un recours collectif doit être approuvé par la Cour. Le critère général applicable aux honoraires est « juste et raisonnable » au vu des circonstances (Manuge c Canada, 2013 CF 341, au paragraphe 28 [Manuge]). Le critère à appliquer ou les facteurs à prendre en compte ne sont pas non plus contestés.

[5]  Il s’agit d’un contentieux inhabituel par rapport à plusieurs autres recours collectifs contre le Canada dans lesquels le Canada verse des honoraires aux avocats du groupe ou y contribue. La concession relative au paiement des honoraires est une contribution mineure. L’argument selon lequel le Canada pourrait contribuer à hauteur de 50 000 $ aux honoraires des avocats et à hauteur de 40 000 $ aux débours ne constitue pas, dans ces circonstances, une contribution importante méritant d’être examinée avec attention au point de limiter l’approbation des honoraires demandés.

II.  CONTEXTE

[6]  La nature de l’affaire, son historique ainsi que les risques et avantages du règlement sont énoncés dans la décision relative à l’approbation du règlement (Wenham c Canada (Procureur général), 2020 CF 588). Toutefois, concernant le [traduction] « facteur de risque », l’accent en l’espèce est mis sur le risque au moment où l’action en justice est engagée. Cela diffère du contexte de l’approbation du règlement dans lequel le risque de poursuivre la procédure contentieuse est comparé aux avantages d’un règlement proposé.

[7]  En résumé, le premier programme du Canada visant à indemniser les survivants de la thalidomide (le Régime d’aide extraordinaire de 1991) a été critiqué pour son indemnisation inadéquate. Par conséquent, le Canada a établi le Programme de contribution de survivants de la thalidomide (PCST) en 2015 fournissant un paiement forfaitaire de 125 000 $ et un soutien annuel allant de 25 000 $ à 100 000 $, en fonction du degré d’invalidité.

[8]  Le PCST comportait des critères de preuve très élevés et imposait une norme de preuve correspondant à une [traduction] « quasi-certitude ».

[9]  M. Wenham, dont la mère a pris de la thalidomide fournie par son médecin, est né avec une malformation aux deux bras, ce qui correspond aux effets de la thalidomide. Il a présenté une demande au titre du PCST, mais le médecin de sa mère était probablement décédé et les dossiers hospitaliers de sa mère, qui étaient à l’Hôpital Mount Sinai, ont été détruits.

[10]  Par conséquent, M. Wenham a déposé son propre témoignage par affidavit, celui de son frère et celui de sa femme, l’avis d’un expert sur le lien de causalité entre ses malformations et l’exposition à la thalidomide, et l’avis d’un expert corroborant la cohérence entre ses malformations et l’exposition in utero à la thalidomide.

Sa demande au titre du PCST a été rejetée parce qu’elle ne répondait pas aux exigences en matière de preuve.

[11]  Le 17 septembre 2016, M. Wenham a introduit sa demande de contrôle judiciaire de la décision du PCST. Le Canada a contesté la demande, plus précisément au motif que la Cour n’avait pas compétence pour examiner le programme de paiement à titre gracieux (la question « non justiciable »).

[12]  Ayant appris la possibilité que 280 autres personnes se soient vu refuser des prestations au titre du PCST pour les mêmes motifs relatifs à la norme de la preuve, M. Wenham a changé son contrôle judiciaire en contrôle judiciaire de recours collectif.

[13]  Par suite de la recommandation du Comité permanent de la santé de la Chambre des communes selon laquelle la norme de la preuve du PCST doit être révisée – ainsi que la réparation demandée dans le contrôle judiciaire – le Canada a refusé de consulter M. Wenham à ce sujet, indiquant que Santé Canada ne saurait s’engager à suivre un « plan d’action hypothétique ».

[14]  Alors que la question de l’autorisation était débattue, la Cour fédérale a rendu une décision dans Fontaine c Canada (Procureur général), 2017 CF 431 [Fontaine], concluant qu’une décision de refus au titre du PCST n’était pas justiciable.

[15]  Par suite de Fontaine, la requête en autorisation du demandeur a été rejetée – la décision a fait l’objet d’un appel.

[16]  Alors que la décision d’appel était en délibéré, un juge de notre Cour a conclu dans les décisions Briand c Canada (Procureur général), 2018 CF 279 [Briand] et Rodrigue c Canada (Procureur général), 2018 CF 280 [Rodrigue], qu’une décision de refus au titre du PCST était justiciable et que les exigences en matière de preuve étaient déraisonnables.

[17]  En dépit de ces deux décisions, le Canada, qui n’a pas interjeté appel de ces deux décisions, a maintenu sa thèse selon laquelle ces décisions au titre PCST n’étaient pas justiciables et qu’un recours collectif n’était pas justifié.

[18]  Le 9 janvier 2018 (le jour même où la question de l’autorisation a été débattue en Cour d’appel), le ministre de la Santé a annoncé que le PCST serait remplacé par le PCSST. L’annonce traduisait l’engagement à répondre à la préoccupation selon laquelle plusieurs survivants de la thalidomide étaient exclus en raison des critères d’admissibilité. Une augmentation de l’indemnisation a aussi été annoncée.

Aucun détail n’a été fourni sur la manière dont les critères d’admissibilité seraient modifiés.

[19]  Près d’un mois plus tard, le Canada a déposé le budget de 2018 dans lequel on faisait de nouveau référence à la question de la preuve dans le cadre du PCST et où il était dit que les survivants de la thalidomide recevraient l’aide financière dont ils ont besoin. Toutefois, aucun détail n’a été donné, mais il a été promis qu’il en serait fourni au printemps.

[20]  Bien qu’ils aient été écartés de la consultation en 2017, M. Wenham et les avocats du groupe ont tenté de tenir une deuxième ronde de consultations sur les changements proposés au PCST. Cette tentative a également échoué.

[21]  Bien qu’il ait été écarté, le demandeur a formulé des observations détaillées sur les changements qui devraient être apportés. Ces observations ont évidemment été examinées avant la conception définitive du PCSST qui était semblable à la thèse du demandeur.

[22]  N’ayant obtenu aucun des détails promis sur les changements au PCST, M. Wenham a poursuivi le recours collectif.

[23]  Fait important, et comme j’en discuterai plus loin, le Canada n’a jamais pris de mesures pour garantir au demandeur qu’il obtiendrait ce qu’il demandait, il n’a pas sollicité de suspension de la procédure contentieuse pour avoir le temps d’élaborer et de présenter les changements, et il n’a jamais avisé la Cour (ou la Cour d’appel) du fait que le contentieux pouvait devenir théorique.

[24]  Après que la Cour d’appel a accordé l’autorisation le 1er novembre 2018, les avocats du groupe ont présenté une troisième demande de consultation sur de potentielles modifications, sans quoi l’action maintenant autorisée se poursuivrait. Aucune réponse à la demande n’a été donnée.

[25]  Les tentatives des avocats du groupe de fournir l’avis d’autorisation requis aux termes des Règles et de tenir une audience sur le fond n’ont pas du tout été prises en compte.

[26]  Toutefois, un an après avoir annoncé le remplacement du PCST, le 9 janvier 2019, le Canada a annoncé qu’il [traduction] « lançait » le PCSST, mais n’a pas donné de détails sur les processus administratifs et juridictionnels de ce PCSST.

[27]  En dépit de l’annonce du PCSST, le demandeur a pensé qu’il devait poursuivre la procédure contentieuse en l’absence de la garantie que l’instance serait redondante, et il a présenté une requête approuvant (en l’absence de consentement) l’avis d’autorisation qui a été accordée. Il a fallu ordonner qu’une conférence de règlement des litiges se tienne le 17 juin 2019. Le défendeur a déposé d’autres éléments de preuve complémentaires et une requête relative aux refus a dû être prévue.

[28]  Enfin, le défendeur a signifié une requête en rejet de l’action avant l’audience portant sur les points en litige communs en tenant pour acquis que le PCSST constituait une réparation subsidiaire adéquate qui rendait le recours collectif théorique. La question de l’avis d’autorisation, la requête en rejet et l’audience portant sur les points en litige communs ont été mises au rôle du 23 octobre 2019 – les dossiers de la demande respectifs ont été signifiés.

[29]  Par suite de la conférence de règlement des litiges du 17 juin 2019, les parties ont entrepris des négociations qui ont donné lieu au règlement du 22 octobre 2019.

[30]  Étant donné que les parties ont élaboré des exposés complètement différents, la Cour a énoncé ces faits en détail pour présenter un point de vue objectif quant à savoir comment et pourquoi la procédure contentieuse a été tenue et relativement au rôle joué par les avocats du groupe tout au long de cette procédure.

III.  ANALYSE

A.  Critère juridique

[31]  Les contrôles judiciaires de recours collectifs, relativement peu nombreux, imposent une complexité qui n’est pas constatée dans les recours collectifs portant sur les dommages-intérêts plus traditionnels. Plutôt que d’avoir une indemnité pécuniaire ou un règlement compte tenu desquels examiner [traduction] « ce qui est juste et raisonnable », les contrôles judiciaires fructueux donnent généralement lieu à un renvoi au décideur et à un nouvel examen. Le groupe a généralement la possibilité d’être entendu à nouveau, mais ne se voit généralement pas accorder d’indemnité en définitive.

[32]  Cet aspect peut encore être compliqué par la notion de [traduction] « conformité anticipée », lorsque, à un moment donné avant que la Cour rende sa décision, le défendeur souscrit à la réparation, rendant ainsi la procédure contentieuse théorique. La conformité anticipée est abordée plus loin dans les présents motifs.

[33]  Notre Cour, dans des décisions comme McLean c Canada, 2019 CF 1077, Merlo c Canada, 2017 CF 533 [Merlo] et Manuge, a énoncé une liste non restrictive de facteurs pour aider à déterminer si les honoraires sont justes et raisonnables. En voici quelques-uns :

  • le risque assumé;

  • les résultats obtenus;

  • le temps consacré;

  • la complexité des questions;

  • l’importance du litige pour les demandeurs;

  • le niveau de responsabilité assumée par les avocats;

  • les qualités et compétences des avocats;

  • la capacité de payer du groupe;

  • les attentes du groupe;

  • les honoraires dans des affaires comparables.

[34]  Ces facteurs n’ont pas le même poids en fonction des affaires. Toutefois, le risque et le résultat demeurent des facteurs critiques dans chaque affaire. Le risque comprend le risque de non-paiement, mais aussi le risque relatif à une procédure contentieuse et à une partie opposée exigeante. Poursuivre un important gouvernement, sur lequel une mesure disciplinaire financière n’a pas nécessairement la même incidence que sur une entreprise commerciale, est un risque supplémentaire à prendre en compte. Les « résultats » correspondent aux avantages monétaires et non monétaires pour le groupe, plus précisément, tels qu’ils sont perçus par le groupe.

[35]  Le rôle de la Cour est de protéger le groupe – substituer son opinion à celle de l’avocat du groupe. La Cour doit aussi tenir compte du rôle des honoraires conditionnels en ce qui a trait à l’objectif d’« accès à la justice » – du fait que les honoraires sont fondés sur une issue favorable et que le coût des procédures contentieuses est réparti entre les membres du groupe, permettant de rendre justice, ce qui ne pourrait par ailleurs pas avoir lieu sans entente d’honoraires conditionnels.

[36]  Les honoraires de base demandés – 15 % (plafonnés à 1,8 million de dollars) – représentent une différence importante par rapport aux sommes initiales versées à titre d’acompte de 25 %, non plafonnées.

1)  Risque

[37]  La procédure contentieuse était une entreprise risquée, sans garantie de paiement pour les parties qui, dans un grand nombre de cas, étaient non seulement handicapées, mais aussi financièrement désavantagées.

[38]  Le risque supplémentaire était de poursuivre un gouvernement national aux ressources importantes, voire illimitées, souvent motivé par des valeurs politiques, stratégiques ou administratives absentes d’autres procédures contentieuses. Ce risque était exacerbé par la position adoptée au cours de la procédure contentieuse par le Canada consistant à contester constamment la présente demande et des demandes semblables, en dépit de l’iniquité reconnue des normes et des exigences en matière de preuve du PCST.

[39]  Le facteur de risque correspond au risque entrepris lorsque le recours collectif est intenté – sans le recul lorsque l’issue semble inévitable. Les risques encourus comprennent notamment :

  • la possibilité que l’affaire ne soit pas autorisée, notamment pour des motifs comme l’absence d’un groupe identifiable et de demandes individualisées. Ce risque était une réalité jusqu’à ce que la Cour d’appel fédérale accorde l’autorisation;

  • la question de la justiciabilité sur laquelle s’est largement appuyé le Canada en l’espèce et dans Fontaine, Rodrigue et Briand;

  • le délai de prescription de 30 jours était un risque que la Cour d’appel fédérale a reconnu dans sa liste de questions en litige certifiées;

  • la possibilité que les réparations qui seraient accordées ne répondent pas de manière adéquate aux besoins et aux attentes du groupe;

  • le risque général d’une procédure contentieuse exacerbée par le fait qu’il s’agissait d’un recours collectif et d’un contrôle judiciaire pour lesquels il existait peu de précédents;

  • l’incertitude inhérente à une procédure contentieuse comprenant la politique et les priorités bureaucratiques, et le changement potentiel de priorités et de politiques;

  • les retards en raison d’une procédure contentieuse prolongée et d’évaluations individuelles.

[40]  La présente procédure contentieuse n’est pas faite pour les « âmes sensibles ». Le temps et les dépenses étaient évidents dès le départ et ont augmenté à mesure que l’affaire et d’autres procédures contentieuses semblables ont progressé.

2)  Résultat

[41]  Le résultat obtenu grâce au règlement, monétaire et non monétaire, a amélioré la situation des membres du groupe. Les éléments de preuve du groupe – son large appui – ont permis de confirmer que, du moins de son point de vue, les résultats obtenus étaient importants et satisfaisants.

[42]  Concernant la question des résultats, le Canada conteste le rôle du recours collectif dans l’obtention des prestations au titre du PCSST. Le Canada affirme que le PCSST n’est pas le résultat de la procédure contentieuse ni du règlement. Il soutient que le PCSST a été créé au moyen de processus démocratiques de mesures politiques et administratives et que le recours collectif ne comportait pas de lien de causalité suffisant pour affirmer qu’il était la cause ou une cause du PCSST. Il soutient aussi que les autres aspects non liés au PCSST du règlement ne suffisent pas pour justifier une indemnisation importante aux avocats.

[43]  D’après la thèse du Canada, il était inévitable que le gouvernement crée le PCSST. Il avance une chronologie (déposée avec son argumentation) pour établir le dossier législatif confirmant sa thèse.

[44]  Quels qu’aient été les motifs du gouvernement, rien n’indique dans le dossier de la procédure contentieuse que cette dernière était un facteur sans importance. Pour obtenir gain de cause relativement aux honoraires des avocats, il n’est pas nécessaire d’établir que les avocats ou la procédure contentieuse étaient la cause du PCSST. Les avocats ont reconnu, tout comme les membres du groupe, que plusieurs forces extérieures faisaient progresser la cause visant l’amélioration du PCST et la modification des aspects monétaires et liés à la preuve du programme.

[45]  Le facteur relatif aux autres forces qui influencent les décisions du gouvernement ne mine ni le rôle des avocats du groupe ni le droit à des honoraires justes et raisonnables.

[46]  Dans d’autres recours collectifs touchant le gouvernement comme les affaires des pensionnats indiens (Gottfriedson c Canada, 2019 CF 462), de la rafle des années 1960 (Riddle c Canada, 2018 CF 641) et des externats indiens (décision McLean c Canada, 2019 CF 1075), il y a des forces non liées à la procédure contentieuse en jeu. Le fait qu’un règlement a été obtenu au moyen de plusieurs facteurs ne mine pas le droit à des honoraires d’avocat justes et raisonnables.

[47]  La position adoptée au cours de la procédure contentieuse par le Canada contredit son allégation selon laquelle le PCSST aurait été mis sur pied de toute manière sous sa forme actuelle et dans les délais qui ont été observés. Le Canada s’est opposé aux recours en justice des survivants de la thalidomide en éternisant les affaires jusqu’à ce qu’une décision judiciaire ou un règlement soit à la « porte du palais de justice ». La présente procédure contentieuse aurait par la suite obligé le Canada à faire face à un contrôle judiciaire pour le compte de tous les survivants de la thalidomide privés injustement des prestations au titre du PCST.

[48]  Compte tenu de la position du Canada au cours de la procédure contentieuse, le demandeur n’a pas eu d’autre choix que de poursuivre la procédure contentieuse. Lors de l’examen de la conduite du Canada lors de la procédure contentieuse, il aurait été déraisonnable de présumer de la résolution des affaires. Lorsque le Canada aurait pu demander de suspendre l’action ou garantir un résultat favorable au cours de la procédure contentieuse, il ne l’a pas fait.

Son recours à un privilège tacite d’exclure toute discussion sur ses intentions manque de détails quant au privilège invoqué et son application. J’accorde peu de poids à cette excuse.

[49]  Des déclarations vagues et imprécises ont été faites au groupe sur le budget de 2018 sans aucun suivi détaillé. Lorsque des changements au PCST ont été annoncés, les questions essentielles de l’admissibilité et du processus ont été omises. Les efforts du groupe pour obtenir une consultation ont été annihilés.

[50]  Le « caractère inévitable » allégué mentionné dans les observations du Canada n’était pas manifeste pour une personne raisonnable. Aucune décision stratégique importante n’a été prise et aucune approbation importante de conception ou de mise en œuvre de programme n’a été communiquée avant l’autorisation du 1er novembre 2018.

[51]  Comme il est indiqué dans la chronologie du Canada, il y a eu un laps de temps important de 13 mois (du 27 février 2018 au 5 avril 2019) entre l’annonce du budget de 2018 et la création officielle par décret du PCSST. Rien ne garantissait qu’une réponse serait apportée aux besoins du groupe et le résultat n’avait rien d’inévitable.

[52]  Le Canada n’a rien nié et n’a pas non plus présenté d’éléments de preuve selon lesquels la procédure contentieuse n’a pas influencé l’annonce, la conception ou la mise en œuvre du PCSST. En outre, le règlement a apporté d’autres avantages comme l’assurance d’une norme de la prépondérance des probabilités, l’utilisation d’un algorithme d’évaluation, l’intervention au sein du comité disciplinaire de la santé, une exigence de motifs, un meilleur processus juridictionnel, la priorité accordée aux demandes des membres du groupe, les paiements aux successions et la rétroactivité des paiements.

[53]  La question de la « conformité anticipée » a été soulevée dans le contexte de la requête en adjudication des dépens du demandeur. La situation se produit lorsqu’un gouvernement retarde l’octroi de la réparation demandée dans la procédure contentieuse pour l’accorder au dernier moment, afin de rendre une affaire théorique et priver une partie de dépens. La Cour a conclu que les dépens devraient être adjugés en tout état de cause. Cette question a été abordée dans la décision Tetzlaff c Canada (Ministre de l’Environnement), 1991 ACF no 113 (1re inst.); confirmée dans 1991 ACF no 1277 (CAF).

[54]  À mon avis, la question s’applique en l’espèce, en ce qui a trait aux honoraires des avocats. La conformité anticipée ne peut pas être invoquée comme moyen de priver les avocats du groupe de leurs honoraires.

[55]  Si l’opposition du Canada au recours collectif était véritable, comme l’indiquent les éléments de preuve, le groupe aurait alors poursuivi l’exercice du recours pour lequel les avocats ont droit à une indemnisation. Si la position du Canada était simplement de gagner du temps jusqu’à ce que le PCSST inéluctable soit prêt à être mise en œuvre, il aurait alors pris part à une forme de « conformité anticipée » dont elle aurait été responsable à l’égard du groupe.

Dans un cas comme dans l’autre, les avocats du groupe ont dû prendre part à la procédure contentieuse et investir le temps et engager les dépenses déclarés.

[56]  Compte tenu de toutes ces circonstances, les avocats du groupe ont le droit de faire valoir le rôle qu’ils ont joué concernant les avantages du règlement, y compris la reconnaissance de leurs rôles et du rôle des membres du groupe (et d’autres) dans la création du PCSST.

3)  Temps et ressources

[57]  L’historique de la procédure contentieuse, ainsi que le rôle des avocats du groupe dans d’autres aspects de la dépense du groupe, a été présenté en détail dans l’affidavit de M. Ptak (annexe C de cet affidavit). Les détails portent sur les étapes habituelles et attendues d’un contrôle judiciaire et d’un processus d’autorisation, tels qu’elles sont toutes énoncées dans les présents motifs et les motifs d’approbation du règlement.

[58]  Fait important, la valeur temporelle s’élevait à plus de 800 000 $, plus 40 797,05 $ à titre de débours. Il n’y a rien de déraisonnable dans les détails examinés par la Cour et je retiens les éléments de preuve comme correspondant à un calcul exact de la valeur temporelle des services professionnels nécessaires.

[59]  Tandis qu’un multiplicateur comme fondement du calcul des honoraires a été abordé prudemment dans la jurisprudence récente de notre Cour (voir Condon c Canada, 2018 CF 522; Manuge), il peut s’agir d’une vérification utile quant au « caractère raisonnable » – un facteur à prendre en considération en y accordant le poids approprié. Dans le contexte d’un contrôle judiciaire sans indemnité pécuniaire précise, il doit être examiné de manière plus approfondie, mais ne saurait être admis comme seul facteur ou facteur principal.

[60]  En l’espèce, le montant maximal des honoraires représente un facteur de multiplication par deux environ. Une valeur temporelle double n’est pas nécessairement déraisonnable dans les affaires d’honoraires conditionnels. Les honoraires proposés se situent ainsi dans la fourchette d’issues jugées raisonnables si l’on tient compte des autres facteurs pertinents.

4)  Complexité

[61]  Il ne fait aucun doute que ces instances sont complexes et difficiles. Il y a peu d’indication sur la tenue des contrôles judiciaires d’un recours collectif, plus précisément en l’espèce. La question de la justiciabilité dans le contexte d’un programme de paiement à titre gracieux n’était pas un domaine du droit établi. La confluence des politiques gouvernementales, d’une indemnisation adéquate et de principes d’équité a compliqué davantage la présente affaire.

[62]  La position adoptée par le Canada – dynamique, mais pas inacceptable – a compliqué le déroulement et la résolution de l’affaire.

5)  Importance pour le groupe

[63]  Un petit groupe partage le fardeau d’être désavantagé et vulnérable. Il se trouve dans une situation dont il n’est pas responsable : il n’a ni fabriqué, ni prescrit, ni pris le médicament; il en subit pourtant les conséquences. Plusieurs des membres du groupe ont des moyens financiers limités.

[64]  La procédure contentieuse a été intentée pour améliorer leur situation, rendre le programme d’indemnisation équitable, leur donner la possibilité d’obtenir une indemnisation substantielle et mettre un terme à un système créé en 1991 (le Régime d’aide extraordinaire de 1991) qui a été révisé au fil du temps.

[65]  L’instance intentée par ces survivants de la thalidomide était importante pour garantir une juste reconnaissance de leur situation critique ainsi qu’un traitement juste et équitable. Cette importance a visiblement été comprise compte tenu de la participation publique d’un grand nombre des membres du groupe à l’audience devant la Cour.

6)  Rôle des avocats

[66]  Les témoignages, plus précisément le témoignage de M. Wenham, ont fait ressortir de manière probante l’importance du rôle que les avocats ont joué au cours de la procédure contentieuse, non seulement en tant que défenseurs, mais comme conseillers fiables.

[67]  La capacité des avocats à maîtriser le droit, la politique et la stratégie liés à la présente affaire pour parvenir à une résolution favorable témoigne des qualités et des compétences des avocats du groupe.

7)  Capacité à payer

[68]  Comme l’ont soutenu les avocats du groupe, le groupe est composé de personnes qui ont dû vivre avec leurs malformations physiques depuis leur naissance. Plusieurs d’entre eux ont des moyens limités et ont plus de 60 ans (retraités ou n’ayant jamais travaillé).

[69]  La perspective de mener une contestation judiciaire et d’en assumer les risques et les coûts serait décourageante pour ces personnes. Peu d’entre elles pourraient se permettre de le faire. En outre, il s’agit d’un petit groupe par rapport à d’autres recours collectifs où les économies d’échelles et la portée de la plupart des recours collectifs n’existent pas. Seule une entente d’honoraires conditionnels a pu être conclue.

[70]  Le recours aux fonds que chaque membre reçoit au titre du PCSST est la seule manière concrète de payer des [traduction] « honoraires justes et raisonnables ».

8)  Honoraires dans des affaires semblables

[71]  L’entente relative aux sommes versées à titre d’acompte prévoyait des honoraires conditionnels de 25 %. Les avocats du groupe ont révisé l’entente relative aux honoraires initiaux pour fixer les honoraires à 15 %, avec un plafonnement à 1,8 million de dollars. Selon l’[traduction] « intérêt » démontré dans les demandes, le pourcentage réel peut être inférieur ou un multiplicateur peut être utilisé, il serait inférieur à une multiplication par deux, mais le maximum ne dépasserait pas 1,8 million de dollars.

[72]  Les comparaisons avec d’autres affaires doivent prendre en compte les montants d’argent visés (mégafonds), la taille du groupe et l’ampleur du travail effectué dans des affaires semblables. Dans certains cas, le recours collectif a été instruit immédiatement après le dépôt d’autorisation sur consentement relativement au règlement. La contribution d’un défendeur ou d’un intimé est aussi un facteur important.

[73]  À ce titre, le montant des honoraires et le pourcentage des indemnisations varient grandement. Par exemple, dans Merlo, où les honoraires étaient fondés sur un taux de 27 %, une contribution du Canada de 12 millions de dollars a effectivement permis de réduire le taux à 15 % (ou 21 % lorsque la contribution est liée aux paiements anticipés).

9)  Conclusion

[74]  Compte tenu de tous ces facteurs et étant donné que les honoraires proposés par les membres du groupe ont été peu contestés, je conclus que les honoraires des avocats du groupe sont justes et raisonnables.

B.  Mode de paiement

[75]  Le demandeur sollicite deux autres ordonnances. Aux termes de la première, l’administrateur du PCSST devrait retenir 15 % sur chaque paiement versé à un membre du groupe jugé admissible à un versement au titre du programme et de payer la retenue aux avocats du groupe. La deuxième est une ordonnance approuvant des honoraires de 10 % de tout recouvrement par un membre du groupe qui retient les services des avocats du groupe pour l’aider à régler des questions après le règlement (à l’exception d’une demande au titre du PCSST).

[76]  Le Canada s’est opposé aux deux affaires. Dans le premier cas, il a affirmé que la retenue impose une charge publique pour laquelle le Canada a le droit de se prévaloir de l’immunité. Dans le deuxième cas, le Canada s’oppose à une autorisation préalable d’une entente relative aux honoraires.

1)  Retenue de 15 % – immunité de la Couronne

[77]  La proposition des avocats du groupe cadre avec d’autres règlements de recours collectifs dans lesquels un administrateur, aux termes d’un règlement, verse un paiement direct aux membres et aux avocats du groupe, conformément à une ordonnance d’approbation des honoraires.

[78]  Les exemples de ces ententes sont sur consentement, en tout ou en partie. En l’espèce, le Canada s’est opposé aux honoraires des avocats du groupe. La Cour n’est pas appelée à décider si la position du Canada à cet égard cadre avec sa position générale visant à faire obstruction au recours collectif ou correspond à une préoccupation de fond relative à l’immunité de la Couronne.

[79]  Le Canada s’appuie plus précisément sur l’arrêt Canada (Ministère des Affaires Indiennes et du Nord Canadien) c Choken, 2004 CAF 248 [Choken], où la Cour a conclu que les fonds avancés par le Canada à un administrateur au titre d’une entente d’administration par tierce partie (EATP) conservent leur statut de « fonds publics » et ne peuvent donc pas faire l’objet d’une saisie-arrêt.

[80]  Je conclus que la décision dans Choken est d’une portée restreinte en l’espèce. Dans la décision, la Cour confirme bien l’immunité relative aux fonds publics, mais refuse précisément de décider du statut des fonds qui ont été retirés du compte de l’administrateur. Au paragraphe 27, la Cour a conclu que les fonds qui se trouvent sur le compte de l’administrateur conservent leur caractère de fonds publics, au moins jusqu’à ce qu’ils aient été utilisés par l’administrateur aux fins prévues dans l’EATP.

[81]  La question en litige en l’espèce est le caractère des fonds lorsqu’il est déterminé par l’administrateur qu’ils sont dus à un membre du groupe. Les fonds non alloués qui se trouvent sur le compte de l’administrateur sont des fonds publics, comme l’a reconnu la Cour dans Choken. Toutefois, conformément au PCSST, lorsqu’un administrateur détermine que le montant provenant des fonds est payable et déclenche le processus de paiement, ces fonds ne sont plus publics.

[82]  Par conséquent, je ne puis accepter que le Canada s’appuie sur l’immunité pour faire obstacle au paiement efficace à un membre du groupe et pour son compte.

[83]  Toutefois, cela ne règle pas la question. Il existe un obstacle plus important à la demande des avocats du groupe. À mon avis, le décret (article 4) empêche le type de paiement fractionné proposé et aux termes de celui-ci, le membre du groupe « reçoit » les paiements au titre du PCSST.

Personne visée à l’alinéa 3(1)a)

4  La personne visée à l’alinéa 3(1)a) reçoit, à compter de la date de début du Programme :

a)  un paiement forfaitaire de 125 000 $, lequel montant est exempt d’impôt;

b)  le montant annuel prévu à l’annexe, selon son niveau d’invalidité déterminé aux termes du Programme de contribution pour les survivants de la thalidomide (2015), lequel montant est exempt d’impôt;

c)  un accès au fonds d’aide médicale extraordinaire.

[84]  Une ordonnance de la Cour prescrivant que les fonds soient répartis et qu’une partie soit remise aux membres du groupe et qu’une partie soit remise au cabinet d’avocats va à l’encontre de cette disposition précise.

[85]  Cela étant dit, un paiement aux membres du groupe en fiducie aux avocats du groupe, conformément à l’ordonnance d’approbation des honoraires de la Cour, ne serait pas contraire au décret. Une fois que les fonds sont détenus en fiducie, ils peuvent être gérés à titre de fonds des membres du groupe et distribués, tel que la Cour pourrait l’autoriser.

[86]  La Cour rendra une ordonnance conforme à ce qui précède.

2)  Paiement après le règlement

[87]  Concernant la demande des avocats d’approbation d’ententes relatives aux honoraires après le règlement, je suis d’avis que la Cour ne peut pas ou ne doit pas accueillir d’approbation préalable aux termes de l’article 334.4 des Règles.

[88]  Comme je l’ai conclu dans la décision Mclean c Canada (Procureur général), 2019 CF 1525, la Cour doit conserver la capacité d’approuver les honoraires une fois le travail effectué. Des honoraires de 10 % peuvent ou non être justes et raisonnables selon les circonstances. Toutefois, la Cour ne peut pas accorder d’autorisation ouverte de travail non connu et ainsi limiter son pouvoir d’approbation d’honoraires d’avocat.

[89]  Par conséquent, cette partie de la requête est rejetée.

IV.  CONCLUSION

[90]  Pour tous ces motifs, la requête visant l’approbation des honoraires sera accueillie essentiellement telle qu’elle a été demandée, sous réserve du refus de paiement direct au membre du groupe et de l’entente relative aux sommes versées à titre d’acompte après le règlement.

« Michael L. Phelan »

Juge

Ottawa (Ontario)

le 8 mai 2020

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1499-16

 

INTITULÉ :

BRUCE WENHAM c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 26 et 27 février 2020

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

le 8 mai 2020

 

COMPARUTIONS :

David Rosenfeld

Charles Hatt

Nathalie Gondek

 

Pour le demandeur

 

Christine Mohr

Melanie Toolsie

Negar Hashemi

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Koskie Minsky LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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