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Date : 20200416


Dossier : T-2154-18

Référence : 2020 CF 526

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 avril 2020

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

CLAUDIO LUBAKI

demandeur

et

BANQUE DE MONTRÉAL

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, et visant la décision du 21 novembre 2018 [la décision] par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission] a rejeté la plainte déposée par le demandeur contre la Banque de Montréal [la BMO], en application du sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 [LCDP].

II.  CONTEXTE

[2]  Le demandeur est actuellement employé comme agent de recouvrement de niveau 4 au centre d’appels pour les recouvrements de la BMO, à Toronto. Il a commencé à travailler à la BMO en septembre 2006 à titre d’employé contractuel, sur une base temporaire. En juillet 2007, il a obtenu un emploi permanent comme « agent de centre d’appels de niveau I ». En avril 2011, il a été promu au poste d’agent de niveau II et en mars 2013, à son poste actuel, considéré comme le poste occupant l’échelon le plus élevé au sein du service, exclusion faite de ceux de chef d’équipe et de gestionnaire.

[3]  En août 2010, le demandeur avait déposé à la Commission une première plainte dans laquelle il alléguait avoir subi une différence de traitement et avoir été privé de possibilités d’emploi en raison de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique. Cette plainte a été rejetée par la Commission en juin 2012. Puis, le 11 septembre 2014, la Cour fédérale a rejeté la demande de contrôle judiciaire du demandeur. Voir Lubaki c Banque de Montréal Groupe financier, 2014 CF 865.

[4]  Dans l’intervalle, plus précisément depuis 2014, le demandeur relevait désormais d’une nouvelle gestionnaire, Mme Renee Beltran. Mme Beltran a été la gestionnaire du demandeur jusqu’à ce qu’elle soit remplacée par monsieur Ruben George, en 2016.

[5]  De 2014 à 2016, le demandeur a reçu des évaluations [traduction] « mitigées » de la direction pour son rendement. Selon la défenderesse, par rendement mitigé, il faut entendre :

[traduction

L’employé a satisfait à certaines des exigences de sa fonction au cours de l’année, mais le rendement doit être amélioré dans certains domaines. Bien que son apport au rendement soit apprécié par l’équipe, son niveau de rendement actuel se situe en deçà de celui de ses pairs.

[6]  Par ailleurs, en juillet 2015, le demandeur a fait l’objet d’une mesure corrective, il a reçu une prime de rendement moins élevée que celle d’un autre collègue et il a été exclu du processus de reclassement. Le demandeur prétend également que Mme Beltran et Mme Karin Riddell (gestionnaire principale du service de recouvrement) l’ont encadré de manière plus agressive, qu’il a été faussement présenté comme l’auteur d’actes qu’il n’avait pas commis, que la direction le dépréciait intentionnellement et qu’il s’est vu refuser de nouvelles possibilités d’emploi à la BMO.

[7]  Le demandeur est parti en congé de maladie le 10 mars 2016 et il a repris le travail le 5 octobre 2016. Il affirme que la BMO a refusé toutes ses demandes antérieures pour revenir au travail, notamment celle présentée le 23 août 2016 en vue d’effectuer un retour progressif au travail à compter du 6 septembre 2016. Malgré le fait qu’il n’en avait pas reçu l’autorisation, le demandeur est rentré au travail le 6 septembre 2016 et M. George l’a avisé qu’il n’avait pas encore reçu l’aval de l’Oncidium Health Group [l’OHG], la société experte engagée par la BMO pour évaluer les réclamations en matière de santé. Le demandeur a quitté l’immeuble, escorté par M. George. Enfin, le demandeur affirme qu’à son retour au travail, le 5 octobre 2016, on ne lui a pas versé toute la paye qui lui était due, mais ce problème a fini par être corrigé.

[8]  Selon le demandeur, le traitement préjudiciable que lui a fait subir la direction de la BMO était une forme de représailles à la plainte qu’il avait déposée en matière de droits de la personne en août 2010, et cette différence de traitement était discriminatoire, puisqu’elle était fondée sur la couleur, l’origine nationale ou ethnique et la race. Le demandeur se définit comme « Africain de race noire » né en Angola.

[9]  Le 1er avril 2016, le demandeur a déposé auprès de la Commission une plainte fondée sur ces motifs, plainte qu’il a ensuite modifiée, le 1er février 2017. L’enquête sur la plainte a été confiée à Mme Jennifer Huber [l’enquêteuse]. Le 29 août 2018, l’enquêteuse a produit un rapport [le rapport] dans lequel elle recommandait à la Commission de rejeter la plainte du demandeur. Le 30 septembre 2018 et le 15 octobre 2018, respectivement, le demandeur et la défenderesse ont présenté des observations en réponse au rapport. Le 21 novembre 2018, la Commission a rejeté la plainte du demandeur.

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[10]  Dans sa décision du 21 novembre 2018, la Commission fait les remarques suivantes :

[traduction

Avant de rendre sa décision, la Commission a examiné le rapport qui vous a déjà été communiqué ainsi que les observations présentées en réponse au rapport. Après avoir examiné ces renseignements, la Commission a décidé, en application du sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de rejeter la plainte parce que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, la poursuite de l’enquête n’est pas justifiée.

[11]  L’enquêteuse a conclu que la preuve ne permettait pas de penser que le demandeur avait subi une différence de traitement par rapport aux évaluations du rendement qu’il avait reçues en 2014, 2015, et 2016 et à ses candidatures à d’autres postes au sein de la BMO. Qui plus est, l’enquêteuse a conclu que la preuve n’étayait pas l’allégation voulant que le demandeur ait été encadré de manière plus [TRADUCTION« agressive »ou [TRADUCTION« piégé » et déprécié par la direction. L’enquêteuse est aussi arrivée à la conclusion que la preuve ne donnait pas à penser que le demandeur avait été empêché d’effectuer un retour au travail au terme de son congé. Même si elle reconnaissait que le retour du demandeur avait été retardé d’un mois et qu’une erreur avait été commise quant à sa paye, l’enquêteuse a fait remarquer que la preuve ne parvenait pas à démontrer que le retard ou l’erreur constituait une différence de traitement préjudiciable.

[12]  S’agissant des cas où elle a constaté une différence de traitement préjudiciable, l’enquêteuse a conclu que la preuve ne permettait pas de penser que ce traitement était lié à un motif de distinction illicite ou qu’il constituait une forme de représailles consécutives au dépôt d’une première plainte. En fait, l’enquêteuse est arrivée à la conclusion que, malgré la différence de traitement dont a fait l’objet le demandeur par rapport à ses collègues, du fait de la prise d’une mesure corrective en 2015 et de la prime de rendement moins élevée qui lui a été accordée par rapport à un de ses collègues, et malgré l’effet préjudiciable que cela a eu sur lui, il était impossible d’affirmer que ces différences découlaient de motifs de distinction illicites ou d’une volonté d’exercer des représailles.

[13]  L’enquêteuse a signalé que, dans le cadre de la production du rapport, elle avait examiné les positions des parties et l’ensemble de la preuve documentaire présentée et mené des entretiens téléphoniques avec les personnes suivantes : le demandeur, Mme Riddell, Mme Beltran, monsieur Freddy Matondo (chef d’équipe, service de recouvrement), monsieur Oliver Baroum (ancien conseiller, nouvelle clientèle commerciale à la BMO) et monsieur Amit Karia (chef d’équipe, service de recouvrement). L’enquêteuse signale également avoir tenté de s’entretenir avec tous les témoins du demandeur; toutefois, hormis M. Baroum, ceux-ci n’ont pas souhaité témoigner, ou alors l’enquêteuse n’a jamais pu les joindre, malgré de nombreuses tentatives.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[14]  La présente demande soulève les questions suivantes :

  1. L’affidavit du demandeur devrait-il être radié en totalité ou en partie?

  2. L’enquêteuse a-t-elle porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale en ne menant pas une enquête rigoureuse et impartiale?

  3. La conclusion du rapport sur lequel s’est fondée la Commission, à savoir que le demandeur n’a pas fait l’objet d’une différence de traitement préjudiciable en représailles à sa plainte de 2010 ou en raison de la couleur, de l’origine nationale ou ethnique et de la race, était-elle erronée?

V.  NORME DE CONTRÔLE

[15]  Dans la présente instance, les parties ont déposé leurs mémoires avant que la Cour suprême du Canada ne rende les récents arrêts Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], et Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66. Les observations des parties portant sur la norme de contrôle s’inspiraient donc du cadre d’analyse Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]. À l’audience, la Cour a demandé aux parties si elles souhaitaient modifier ces observations quant à la question de la norme de contrôle applicable en l’espèce. Ni l’une ni l’autre n’a évoqué la nécessité d’apporter d’importants changements. Aux fins de l’examen de la demande, j’ai appliqué le cadre d’analyse établi dans l’arrêt Vavilov, et j’ai conclu que, par rapport à l’analyse prévue dans l’arrêt Dunsmuir, les normes de contrôle applicables en l’espèce et mes conclusions ne s’en trouvaient point modifiées.

[16]  Aux paragraphes 23 à 32 de l’arrêt Vavilov, les juges majoritaires cherchent à simplifier la démarche que doit suivre une cour de justice pour choisir la norme de contrôle applicable aux questions dont elle est saisie. Délaissant l’approche axée sur le contexte et les catégories qui avait été adoptée dans l’arrêt Dunsmuir, les juges se prononcent plutôt en faveur de l’introduction d’une présomption d’application de la norme de la décision raisonnable. En revanche, ils précisent que cette présomption peut être écartée (1) s’il existe une intention claire du législateur de prescrire une autre norme de contrôle (Vavilov, aux par. 33 à 52), et (2) si le respect de la primauté du droit exige l’application de la norme de la décision correcte, comme pour les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, et les questions liées aux délimitations des compétences respectives d’organismes administratifs (Vavilov, aux par. 53 à 64).

[17]  Dans son mémoire, le demandeur ne fait aucune observation explicite sur la question de la norme de contrôle applicable en l’espèce. De son côté, la défenderesse prétend que la Cour doit appliquer la norme de la décision raisonnable au contrôle des questions du caractère impartial et rigoureux de l’enquête de la Commission, ainsi qu’aux conclusions de cette enquête. Toutefois, la défenderesse ajoute que si la Cour devait appliquer la norme de contrôle de la décision correcte aux questions d’impartialité et de rigueur de l’enquête de la Commission, elle parviendrait au même résultat.

[18]  Sur la question de savoir si la Commission a porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale en enquêtant sur la plainte de manière partiale et incomplète, certains tribunaux ont conclu que la norme de contrôle applicable à une allégation de manquement à l’équité procédurale est celle de la « décision correcte » (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au par. 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux par. 59 et 61 [Khosa]). Dans l’arrêt Vavilov, la Cour ne traite pas de la norme de contrôle applicable aux questions d’équité procédurale (Vavilov, au par. 23). Cependant, il serait plus juste, sur le plan doctrinal, de dire qu’aucune norme de contrôle particulière ne s’applique à ces questions. Dans l’arrêt Moreau‑Bérubé c Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, la Cour suprême du Canada avait ceci à dire concernant la question de l’équité procédurale :

[Cette] question n’exige pas qu’on détermine la norme de révision judiciaire applicable. Pour vérifier si un tribunal administratif a respecté l’équité procédurale ou l’obligation d’équité, il faut établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier (Moreau‑Bérubé, au par. 74).

[19]  Quant à savoir quelle norme la Cour doit appliquer à l’examen des conclusions du rapport sur lequel s’est fondée la Commission, rien ne permet de réfuter la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable en l’espèce. L’application de cette norme à ces questions concorde également avec la jurisprudence antérieure à la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov. Voir les décisions Kirkpatrick c Canada (Procureur général), 2019 CF 196, au paragraphe 22, et Holder c Banque UBS (Canada), 2019 CF 1597, au paragraphe 34.

[20]  Lorsqu’il s’agit de contrôler une décision selon la norme du caractère raisonnable, l’analyse consistera à déterminer si la décision « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, au par. 99). La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle unique qui varie et « qui s’adapte au contexte » (Vavilov, au par. 89, citant Khosa, au par. 59). Ces contraintes d’ordre contextuel « cernent les limites et les contours de l’espace à l’intérieur duquel le décideur peut agir, ainsi que les types de solution qu’il peut retenir » (Vavilov, au par. 90). En d’autres termes, la Cour ne doit intervenir que si la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au par. 100). La Cour suprême du Canada énumère deux types de lacunes fondamentales qui rendent une décision déraisonnable : (1) le manque de logique interne du raisonnement; (2) le caractère indéfendable d’une décision « compte tenu des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur [elle] » (Vavilov, au par. 101).

[21]  Par souci de clarté, ajoutons qu’aucune norme de contrôle ne s’applique à la question de savoir si l’affidavit du demandeur doit être radié, en totalité ou en partie.

VI.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[22]  Les dispositions suivantes de la LCDP s’appliquent à la présente demande de contrôle judiciaire :

Emploi

Employment

Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi

 

7 It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

[...]

[...]

Représailles

Retaliation

14.1 Constitue un acte discriminatoire le fait, pour la personne visée par une plainte déposée au titre de la partie III, ou pour celle qui agit en son nom, d’exercer ou de menacer d’exercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée.

14.1 It is a discriminatory practice for a person against whom a complaint has been filed under Part III, or any person acting on their behalf, to retaliate or threaten retaliation against the individual who filed the complaint or the alleged victim.

[...]

 [...]

Rapport

Report

44(3) Sur réception du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

44(3) On receipt of a report referred to in subsection (1), the Commission

b) rejette la plainte, si elle est convaincue :

(b) shall dismiss the complaint to which the report relates if it is satisfied

(i) soit que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle-ci n’est pas justifié,

(i) that, having regard to all the circumstances of the complaint, an inquiry into the complaint is not warranted, or

(ii) soit que la plainte doit être rejetée pour l’un des motifs énoncés aux alinéas 41c) à e).

(ii) that the complaint should be dismissed on any ground mentioned in paragraphs 41(c) to (e).

Les dispositions suivantes des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles des Cours fédérales] s’appliquent également à la demande de contrôle judiciaire :

Contenu

Content of affidavits

81 (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête – autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire – auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

81 (1) Affidavits shall be confined to facts within the deponent’s personal knowledge except on motions, other than motions for summary judgment or summary trial, in which statements as to the deponent’s belief, with the grounds for it, may be included.

Poids de l’affidavit

Affidavits on belief

(2) Lorsqu’un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables.

(2) Where an affidavit is made on belief, an adverse inference may be drawn from the failure of a party to provide evidence of persons having personal knowledge of material facts.

VII.  ARGUMENTS

A.  Le demandeur

[23]  Le demandeur soutient que la décision repose sur un rapport vicié et qu’il y a lieu, de ce fait, d’accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. En particulier, le demandeur affirme : (1) que l’enquête sur sa plainte a été confiée à une enquêteuse partiale et qu’elle manquait de rigueur; (2) que les conclusions du rapport reposent sur une mauvaise appréciation de la preuve et font l’impasse sur des éléments de preuve déterminants.

(1)  La neutralité et la rigueur de l’enquête

[24]  Le demandeur fait valoir que l’enquête sur sa plainte a été confiée à une enquêteuse partiale et qu’elle manquait de rigueur.

[25]  Essentiellement, le demandeur affirme que l’enquêteuse a fait preuve de partialité, car elle a défendu la position de la défenderesse et qu’elle n’a pas fait enquête de manière impartiale. Plus précisément, le demandeur avance que l’enquêteuse a privilégié aveuglément les témoins de la défenderesse, malgré l’absence de preuve corroborante et l’intérêt évident de ces témoins à se ranger du côté de la défenderesse. En fait, il souligne l’absence de preuve permettant d’affirmer que les témoins de la défenderesse disaient la vérité, tandis que lui avait fourni nombre de documents corroborant son témoignage.

[26]  De plus, le demandeur affirme que l’enquêteuse a révélé son parti pris lorsqu’elle a refusé à plusieurs des témoins du demandeur la possibilité de témoigner sous le couvert de l’anonymat. Selon le demandeur, cela a poussé bon nombre de ses témoins à se désister par crainte que leur carrière en souffre.

[27]  Le demandeur soutient également que l’enquête n’a pas été rigoureuse en ce sens que l’enquêteuse n’a pas contre-interrogé les témoins de la défenderesse et qu’elle a omis d’examiner la grande majorité des éléments de preuve qu’il a produits.

(2)  Le caractère raisonnable des conclusions

[28]  Selon le demandeur, le rapport de l’enquêteuse contient de nombreuses conclusions erronées qui sont la conséquence du fait qu’elle a ignoré les éléments de preuve déterminants qui ont été soumis et qu’elle a mal évalué la preuve.

[29]  Le demandeur affirme que, par leur caractère discriminatoire et revanchard, les évaluations du rendement « mitigées » qu’il a obtenues en 2014, 2015 et 2016 démontrent qu’il a fait l’objet d’une différence de traitement préjudiciable sur la base de motifs de distinction illicites, puisque, jusque-là, il avait surtout obtenu d’« excellentes » évaluations du rendement lorsqu’il relevait de gestionnaires différents. Il reconnaît que l’enquêteuse a tenu compte de ses évaluations antérieures, mais il relève qu’elle a commis une erreur en acceptant l’explication donnée par la défenderesse, à savoir que le gestionnaire précédent réalisait ses évaluations du rendement de manière subjective et qu’il n’encadrait pas de près le demandeur. Celui-ci affirme que l’enquêteuse a omis de tenir compte du fait que son précédent gestionnaire a occupé ses fonctions pendant seulement neuf mois et que les autres gestionnaires qui l’ont précédé lui ont eux aussi accordé d’« excellentes » évaluations du rendement. De plus, le demandeur soutient que l’enquêteuse a omis d’analyser la raison pour laquelle il n’a pas reçu d’évaluation du rendement de mi‑exercice, en 2015, en dépit du fait qu’il avait traité le plus grand nombre de dossiers de restructuration et de restructurations réussies.

[30]  Le demandeur affirme que l’enquêteuse a aussi commis une erreur en concluant que la mesure corrective prise contre lui en 2015 ne procédait pas d’une volonté de représailles ou de motifs de distinction illicites. Selon lui, la preuve démontre clairement qu’elle n’a pas été prise de bonne foi. En fait, il souligne que le courriel qu’il a produit en preuve montre qu’il ne s’est pas adressé à M. Matondo à des fins illégitimes, à savoir pour obtenir le rétablissement d’une MasterCard, mais qu’il lui a simplement demandé d’examiner le compte. Évoquant le caractère fondamentalement vicié des motifs pour lesquels la défenderesse a pris une mesure corrective en 2015, le demandeur prétend que cette démarche était motivée par un désir d’exercer des représailles ou fondée sur des motifs de distinction illicites.

[31]  De plus, le demandeur estime déraisonnable que l’enquêteuse ait conclu que l’écart entre la prime de rendement qui lui a été versée et celle qu’a reçue son collègue, M. Karia, lequel comptait moins d’ancienneté et présentait de moins bonnes statistiques sur le plan du rendement, ne constituait pas un acte de représailles ou de discrimination. Compte tenu des circonstances, le seul élément important qui le distinguait de son collègue est que ce dernier n’avait pas déposé de plainte contre la défenderesse en matière de droits de la personne.

[32]  Le demandeur affirme également que l’enquêteuse a commis une erreur en ne s’intéressant pas à la différence de traitement préjudiciable dont il a fait l’objet par rapport à l’attribution des places assises aux employés de race noire qui faisaient connaître leurs avis à la direction ou faisaient part de leurs griefs à la Commission. Il fait remarquer que l’enquêteuse a erré en ne tenant pas dûment compte du fait que les employés de race noire étaient maintenus à l’écart du reste du groupe et placés à proximité de la direction et que la plupart d’entre eux étaient visés par des mesures correctives.

[33]  De plus, le demandeur affirme que l’enquêteuse a omis de faire enquête sur les exemples qu’il lui a donnés pour illustrer l’encadrement agressif qu’il subissait et la façon dont la direction lui avait « tendu un piège » et le dépréciait. En particulier, le demandeur signale que l’enquêteuse a négligé d’enquêter sur le fait que Mme Beltran l’avait accusé de ne pas lui avoir transféré un appel sur [TRADUCTION« un ton chaleureux », une accusation qui s’est révélée fausse lors de l’écoute ultérieure de l’enregistrement de la conversation. Par ailleurs, le demandeur affirme que l’enquêteuse a commis une erreur en acceptant l’explication donnée par M. Matondo pour justifier qu’il l’avait faussement accusé de constituer une menace à la sécurité sans corroborer ses dires au moyen d’éléments de preuve. C’était sans compter que, pour justifier la prise d’une mesure corrective, M. Matondo avait déjà présenté sous un faux jour le fait que le demandeur avait sollicité l’examen d’un compte MasterCard.

[34]  Enfin, le demandeur affirme que l’enquêteuse a commis une erreur en ne reconnaissant pas que la différence de traitement préjudiciable dont il a fait l’objet lorsqu’il est rentré au travail au terme de son congé de maladie revêtait un caractère de discrimination et de représailles. Il signale que la défenderesse ne l’a jamais avisé par écrit qu’il ne pouvait rentrer au travail et elle l’a escorté jusqu’à la sortie de l’immeuble, lui infligeant [TRADUCTION« l’humiliation la plus totale ». Aux yeux du demandeur, il s’agit là d’éléments de preuve essentiels auxquels l’enquêteuse ne s’est pas intéressée. En outre, le demandeur note qu’à son retour au travail, il a fallu plus d’une année, de même que l’intervention des pouvoirs publics, pour que soit corrigée l’erreur commise par la défenderesse relativement à sa paye. Il était donc déraisonnable que l’enquêteuse se contente d’excuser cette erreur pour la simple raison qu’elle avait fini par être corrigée. Le demandeur ajoute que l’enquêteuse a aussi omis à tort de mentionner le fait que la défenderesse lui avait refusé le versement de sa prime mensuelle pour mars 2016.

B.  La défenderesse

[35]  La défenderesse soutient : (1) qu’il y a lieu de radier l’affidavit du demandeur, en totalité ou en partie, car il se compose presque entièrement d’opinions, d’arguments et d’hypothèses; (2) que l’enquêteuse a procédé à un examen rigoureux de la preuve et des observations présentées en l’espèce et qu’aucune preuve n’indique qu’elle aurait fait preuve de partialité; (3) que les conclusions de l’enquêteuse étaient raisonnables, qu’elles offraient des réponses aux observations des parties et qu’elles pouvaient se justifier au regard des faits et du droit. Pour ces raisons, la défenderesse soutient que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée. En outre, la défenderesse demande que les dépens de la cause lui soient adjugés, étant donné que l’actuelle plainte du demandeur – et la demande de contrôle judiciaire qui en découle – repose dans une large mesure sur une plainte semblable déposée, puis rejetée, il y a quelques années à peine, et que l’affidavit du demandeur est entaché d’irrégularités.

(1)  L’affidavit du demandeur

[36]  La défenderesse soutient que l’affidavit du demandeur est entaché d’irrégularités, parce qu’il se compose presque entièrement d’opinions, d’argument et d’hypothèses. Elle rappelle l’article 81 des Règles des Cours fédérales, qui énonce que les affidavits « se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle ». Ainsi, comme l’affidavit est « truffé » de contenu interdit, la défenderesse demande à la Cour de le radier en entier. Voir la décision Lostin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1098, au paragraphe 14, et l’arrêt Société Canadian Tire Ltée c Canadian Bicycle Manufacturers Association, 2006 CAF 56, aux paragraphes 7, 8 et 15 [Société Canadian Tire].

(2)  La neutralité et la rigueur de l’enquête

[37]  La défenderesse soutient que le demandeur n’a offert aucun fondement pour étayer son allégation selon laquelle l’enquêteuse était partiale. En effet, dans cette affaire, la plainte a fait l’objet d’un examen rigoureux.

[38]  La défenderesse affirme que le fardeau de prouver l’existence d’une partialité réelle ou d’une crainte raisonnable de partialité pèse sur les épaules de l’auteur de l’allégation. Il s’agit d’un lourd fardeau, et un simple soupçon de partialité ne suffit pas. Voir Hughes c Canada (Procureur général), 2010 CF 837, au paragraphe 21 [Hughes]. Le demandeur n’a offert aucun fondement pour étayer son allégation de partialité. L’enquêteuse a examiné les témoignages de manière satisfaisante dans cette affaire; elle a aussi tenté, à de multiples reprises, d’entrer en contact avec les témoins du demandeur, qui soit ne l’ont pas rappelée, soit ont refusé de témoigner, à l’exception de M. Baroum.

[39]  En outre, la défenderesse affirme que l’enquêteuse a respecté le principe de rigueur, car elle n’a fait aucune omission déraisonnable pendant l’enquête. Toutefois, ce n’est que lorsqu’un enquêteur n’a pas examiné « une preuve manifestement importante » qu’un contrôle judiciaire s’imposera. Voir Slattery c Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 CF 574, au paragraphe 69 [Slattery]. Dans l’affaire qui nous occupe, le demandeur s’est contenté de vagues assertions : que l’enquêteuse n’a pas enquêté sur toutes les questions soulevées dans sa plainte ou qu’elle a omis de tenir compte de la totalité de la preuve qu’il a produite. Or, il est bien établi en droit qu’un enquêteur n’est pas tenu de faire référence à chaque allégation et à chaque élément de preuve qui lui sont soumis. Voir Slattery, aux paragraphes 68 à 70.

(3)  Le caractère raisonnable des conclusions

[40]  La défenderesse affirme que le rapport a été fondé sur un examen complet et raisonnable de la preuve. Il répond aussi aux observations des parties et peut se justifier au regard des faits et du droit. La Cour a déjà statué qu’il faut plus qu’un simple désaccord portant sur les conclusions d’un enquêteur pour qu’il soit justifié de revenir sur la décision de la Commission d’accepter un rapport. En l’espèce, les conclusions du rapport sont raisonnables et la demande de contrôle judiciaire devrait donc être rejetée.

[41]  En particulier, la défenderesse affirme que l’enquêteuse a analysé la décision de la direction de ne pas procéder à une évaluation du rendement du demandeur à mi-exercice, en 2015, et de privilégier la prise d’une mesure corrective. La défenderesse relève que l’enquêteuse n’a pas contesté ce fait, mais au bout du compte, elle a conclu qu’au-delà de la vague assertion formulée par le demandeur, aucune preuve ne démontrait que la prise de la mesure corrective était liée à un motif de distinction illicite ou qu’elle constituait une forme de représailles consécutives au dépôt d’une plainte antérieure. La défenderesse affirme qu’il s’agissait d’une conclusion raisonnable, fondée sur la preuve dont disposait l’enquêteuse.

[42]  Quant à l’assertion du demandeur selon laquelle l’enquêteuse aurait dû conclure que la prime de rendement moins élevée qu’il avait reçue par rapport à un collègue s’expliquait par une volonté d’exercer des représailles ou d’établir une distinction fondée sur un motif illicite, il se trouve que l’enquêteuse a tiré une conclusion raisonnable en fonction de la preuve dont elle disposait. Au-delà de la vague assertion formulée par le demandeur lui-même, aucune preuve ne démontrait que le versement d’une prime de rendement moins élevée, comparativement à d’autres, était lié à un motif de distinction illicite ou qu’il constituait une forme de représailles consécutives au dépôt d’une plainte antérieure.

[43]  Eu égard au retour au travail du demandeur, la défenderesse estime qu’il était raisonnable que l’enquêteuse conclue à l’absence de preuve d’une différence de traitement, compte tenu du peu de temps qui s’est écoulé jusqu’à ce que son retour effectif soit possible et du fait que l’erreur de paye a fini par être corrigée.

[44]  S’agissant de la question de l’attribution des places assises, la défenderesse note que le demandeur n’a pas tenté d’expliquer en quoi les conclusions de l’enquêteuse étaient déraisonnables. En fait, la défenderesse affirme que la conclusion de l’enquêteuse sur cette question était raisonnable et pouvait entièrement se justifier au vu du dossier de preuve dont elle disposait.

[45]  Enfin, concernant l’incident survenu entre le demandeur et M. Matondo, la défenderesse soutient que le premier s’est contenté d’indiquer qu’il n’adhérait pas aux conclusions de l’enquêteuse sur ce point, sans préciser en quoi ces conclusions étaient déraisonnables. En somme, selon la défenderesse, le demandeur peut avoir l’impression que les conclusions tirées par l’enquêteuse au sujet du rapport étaient erronées, mais la conviction ou l’impression subjectives qu’un acte discriminatoire a eu lieu ne constitue pas un motif suffisant.

VIII.  ANALYSE

A.  Introduction

(1)  La demande

[46]  Le demandeur, qui n’est pas représenté par avocat dans le cadre de la présente instance, demande à la Cour de réviser la décision de la Commission de ne pas renvoyer sa plainte au Tribunal canadien des droits de la personne pour instruction. Malgré que ses documents écrits présentent quelques problèmes, le demandeur s’exprime avec aisance et il a plaidé sa cause avec assurance à l’audience qui a eu lieu à Toronto. Je suis convaincu qu’il croit sincèrement avoir fait l’objet de discrimination au travail mais, naturellement, cela ne prouve en rien qu’une telle discrimination a eu lieu ou que la décision visée par le présent contrôle est partiale ou déraisonnable.

[47]  Globalement, le demandeur se plaint de ce que la BMO aurait exercé des représailles contre lui après qu’il eut déposé une première plainte auprès de la Commission, en août 2010, et aurait fait preuve de discrimination contre lui en le soumettant à une différence de traitement préjudiciable en raison de la couleur, de l’origine nationale ou ethnique, de la race et/ou d’une déficience.

[48]  Dans la demande dont je suis saisi, le demandeur allègue que la décision n’était pas impartiale, que l’enquête qui a mené à cette décision a manqué de rigueur et que l’enquêteuse et, par le fait même, la Commission, ont tiré des conclusions déraisonnables.

[49]  Dans les observations qu’il a présentées à la Cour, le demandeur défend une théorie générale du complot à l’effet suivant :

  • a) Le problème des représailles et de la discrimination à la BMO est devenu une question d’intérêt public;

  • b) Les employés de race noire de la BMO sont forcés de taire leurs préoccupations par crainte de représailles;

  • c) La Commission rejette les plaintes des employés de race noire de la BMO parce que, dans la plupart des cas, les enquêteurs ne sont pas impartiaux.

[50]  Ces allégations de nature générale n’ont pas été soumises à la Commission en l’espèce et il est certain que je ne dispose d’aucune preuve qu’elles sont fondées. Par conséquent, ces questions n’ont pas à être examinées dans le cadre de la présente demande.

[51]  Avec sa demande, le demandeur a également déposé un affidavit qui n’est pas admissible. Son contenu ne se limite pas aux faits dont le demandeur a une connaissance personnelle; au contraire, il se compose presque entièrement d’opinions, d’arguments et d’hypothèses. Cela n’est pas conforme à l’article 81 des Règles des Cours fédérales et à la jurisprudence applicable de la Cour fédérale. Le demandeur n’essaie pas de communiquer à la Cour les faits pertinents pour qu’elle puisse procéder par elle-même à leur analyse; au lieu de cela, il propose sa propre évaluation de la preuve et déclare qu’il rejette l’analyse et les conclusions de l’enquêteuse. Voir l’arrêt Société Canadian Tire. Les conclusions du demandeur quant à la preuve et ses opinions concernant les erreurs commises par l’enquêteuse ne sont pas des éléments de preuve factuels et elles peuvent être présentées sous forme d’observations écrites ou orales. C’est pourquoi j’ai ignoré toutes les parties de son affidavit qui contiennent des arguments, suppositions, hypothèses, opinions et ouï-dire. Je me suis donc appuyé uniquement sur les parties de l’affidavit exposant des faits dont le demandeur a connaissance.

[52]  Le demandeur prétend aussi que l’ensemble de la décision est entaché par l’absence d’impartialité et par l’existence d’un parti pris. Toutefois, le demandeur n’a présenté à la Cour aucune preuve à l’appui de ces graves accusations. Puisqu’il considère que l’enquêteuse n’a pas procédé à une enquête suffisamment rigoureuse et puisqu’elle n’a pas non plus confirmé ses propres opinions, le demandeur semble penser que tout le processus était partial.

[53]  Il n’y a pas de preuve de partialité réelle en l’espèce et le critère de la crainte raisonnable de partialité est énoncé comme suit dans la décision Hughes :

[20]  Le critère qui permet de déterminer s’il existe une partialité réelle ou une crainte raisonnable de partialité en rapport avec un décideur particulier est bien connu : la Cour doit se demander quelle conclusion tirerait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. C’est-à-dire, cette personne croirait-elle que, selon toute vraisemblance, le décideur, consciemment ou non, ne rendrait pas une décision juste : voir Committee for Justice and Liberty c. Canada (Office national de l’énergie), [1978] 1 R.C.S. 369, à la p. 394. Voir aussi Bande indienne de Wewaykum c. Canada, [2003] 2 R.C.S. 259, au paragraphe 74.

[21]  Le fardeau de prouver l’existence d’une partialité réelle ou d’une crainte raisonnable de partialité pèse sur les épaules de l’auteur de l’allégation. Une allégation de partialité est une allégation sérieuse, qui met en doute l’intégrité même du décideur dont la décision est en litige. De ce fait, un simple soupçon de partialité ne suffit pas : R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, au paragraphe 112; Arthur c. Canada (Procureur général) (2001), 283 N.R. 346, au paragraphe 8 (C.A.F.), et c’est une question qu’il faut examiner avec rigueur : R. c. S. (R.D.), au paragraphe 113.

[22]  La CCDP est manifestement soumise à l’obligation d’agir équitablement quand elle exerce les pouvoirs que la loi lui confère de faire enquête sur une plainte relative aux droits de la personne : Syndicat des employés de production du Québec et de l’Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879 (SEPQA), et cela exige que la Commission et ses enquêteurs soient exempts de toute partialité. 

[23]  Cela dit, vu la nature non décisionnelle des responsabilités de la Commission, il a été statué que la norme d’impartialité exigée d’un enquêteur de la Commission est moins stricte que celle qui s’applique aux membres de la magistrature. Plus précisément, il ne s’agit pas de savoir s’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part de cet enquêteur mais plutôt de savoir s’il a abordé l’affaire avec un « esprit fermé » : voir Zündel c. Canada (Procureur général) (1999), 175 D.L.R. 512, aux paragraphes 17 à 22.

[24]  Comme l’a déclaré la Cour dans la décision Société Radio‑Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), (1993), 71 F.T.R. 214 (C.F. 1re inst.), le critère à appliquer dans les affaires semblables à la présente est le suivant :

[L]e critère ne repose donc pas sur le point de savoir si l’on peut raisonnablement discerner un parti pris, mais plutôt si l’on s’est tellement écarté de la norme de l’ouverture d’esprit qu’on pourrait avec raison affirmer qu’il y a eu préjugement de la question portée devant l’organisme d’enquête.

[54]  Pour des raisons qui apparaîtront clairement lorsque je traiterai des erreurs susceptibles de révision alléguées par le demandeur, ce critère n’est pas rempli en l’espèce. Rien n’indique que l’enquêteuse a favorisé injustement les témoins de la direction, qu’elle a choisi d’ignorer la preuve du demandeur ou qu’elle n’a pas fait enquête de manière suffisamment rigoureuse, vraisemblablement en raison d’un parti pris en faveur de la défenderesse. De l’avis du demandeur, on ne peut pas s’en remettre aux témoins de la direction pour dire la vérité, parce qu’ils doivent se ranger du côté de la BMO et qu’ils ont inévitablement un parti pris. Il s’agit, de toute évidence, d’un facteur dont l’enquêteuse doit tenir compte dans son appréciation des déclarations des témoins de la direction, tout comme elle doit être consciente de l’intérêt du demandeur lorsqu’elle analyse la preuve de ce dernier. Le demandeur pense qu’on ne peut pas se fier aux témoins de la BMO et qu’il est le seul à dire la vérité. Il reste qu’il n’a produit aucune preuve convaincante du fait qu’un témoin de la BMO aurait menti ou que l’enquêteuse aurait fait preuve d’une réelle partialité ou aurait fait naître une crainte raisonnable de partialité dans le cadre de l’enquête relative à ses plaintes. Même si l’enquêteuse avait commis des erreurs ou agi de manière déraisonnable, cela n’établirait pas, en soi, l’existence d’une forme ou d’une autre de partialité.

(2)  Allégations particulières

[55]  Les observations du demandeur se présentent, pour une large part, comme des tentatives pour obtenir que la Cour examine et soupèse à nouveau la preuve pour en arriver à une conclusion différente de celle de l’enquêteuse. Or, ce n’est pas là la finalité du contrôle judiciaire. Par conséquent, je m’intéresserai uniquement aux cas où le demandeur soulève une erreur susceptible de contrôle et de révision par la Cour.

(3)  Le défaut d’enquêter

[56]  Le demandeur affirme que ses gestionnaires lui ont fait subir du harcèlement et des humiliations continuels et qu’on lui a parfois reproché des choses dont il n’était pas responsable. Par exemple, il mentionne un épisode où Mme Beltran se serait mise en colère parce qu’il ne lui aurait pas transféré un appel sur [TRADUCTION« un ton chaleureux », une accusation qui s’est révélée fausse lors de l’écoute de l’enregistrement sur le système de surveillance des appels téléphoniques : en effet, il en est ressorti qu’il avait bel et bien transféré l’appel sur [TRADUCTION« un ton chaleureux ». Il affirme que l’enquêteuse [TRADUCTION« n’a pas fait enquête sur cet incident malgré la preuve qu’elle avait reçue [de lui] ».

[57]  L’« incident » sur lequel l’enquêteuse n’a pas fait enquête concerne la plainte du demandeur selon laquelle ses gestionnaires cherchaient à l’intimider et à le discréditer en faisant la [TRADUCTION« microgestion » de son travail, et ce, en guise de représailles pour la première plainte qu’il avait présentée à la Commission en 2010. Il affirme que leur attitude, qui tenait du harcèlement et de l’humiliation, est à l’origine d’une maladie mentale qui l’a forcé à prendre un congé d’invalidité de courte durée.

[58]  L’enquêteuse a repris expressément les allégations du demandeur qui, au dire de ce dernier, démontraient qu’il avait fait l’objet d’une différence de traitement préjudiciable. D’après ces allégations, il aurait notamment été [TRADUCTION« encadré de manière plus agressive » et [TRADUCTION« piégé et déprécié ».

[59]  La décision décrit dans le détail, avec force renseignements, la procédure suivie par l’enquêteuse pour faire enquête sur les allégations et les analyser. Qu’elle ait omis de mentionner que le demandeur avait adopté [TRADUCTION« un ton chaleureux » lors du transfert d’un appel est sans réel intérêt, car cela touche à un aspect qui n’est pas suffisamment important ou marquant pour devoir figurer dans le rapport : en effet, la question de savoir si le demandeur a parlé sur [TRADUCTION« un ton chaleureux » revêt un caractère fortement subjectif. De plus, l’enquêteuse n’est pas tenue de révéler chaque détail, indépendamment de son importance et de sa pertinence. Voir l’arrêt Tahmourpour c Canada (Solliciteur général), 2005 CAF 113, au paragraphe 39, et la décision Slattery, aux paragraphes 68 à 70. Quoi qu’il en soit, le demandeur n’a pas fait la preuve devant moi qu’il s’était en effet adressé à Mme Beltran sur [TRADUCTION« un ton chaleureux ».

(4)  Le retour au travail

[60]  Dans ses observations écrites, le demandeur déclare ce qui suit :

[traduction

Après 6 mois passés en congé d’invalidité de courte durée, j’ai fait parvenir à mon employeur les documents remis par mon médecin pour expliquer que j’étais en mesure de reprendre le travail à compter du 6 septembre 2016. À mon retour, j’ai été choqué de constater qu’en plus de me demander de rentrer chez moi, mon gestionnaire m’a également escorté hors de l’enceinte de l’immeuble. J’ai subi l’humiliation la plus totale et mon employeur m’a clairement fait savoir que je n’étais pas le bienvenu. D’abord, mon employeur ne devrait pas exiger que je rentre chez moi parce que lui ne s’est pas conformé au paragraphe 34(3) de la loi fédérale en matière d’emploi, qui énonce : « L’employeur qui ne peut pas rappeler un employé au travail dans les 21 jours suivant la date de réception du certificat mentionné au paragraphe (1) doit fournir dans ce délai un avis écrit à l’employé... » (voir mon affidavit, section 2.M, pièce 12- dernière page). Mon employeur ne m’a jamais avisé par écrit de la raison pour laquelle il était préférable que je ne rentre pas au travail le 6 septembre. Après avoir été renvoyé chez moi, j’ai dû attendre de 3 à 4 semaines avant de pouvoir reprendre le travail, le 5 octobre. Je n’ai pas encore été payé pour ces 3 semaines où j’ai dû rester à la maison.

[61]  Fidèle à l’approche qu’il a adoptée généralement dans ses observations, le demandeur n’indique pas quelle erreur susceptible de révision l’enquêteuse aurait commise en traitant de cette question.

[62]  Comme le précise la décision, l’enquête sur l’allégation voulant que le demandeur ait été escorté de façon humiliante jusqu’à l’extérieur de l’immeuble par M. George lorsqu’il s’est présenté au travail, le 6 septembre 2016, s’est déroulée comme suit :

[traduction

94.  L’intimée affirme que, le 6 septembre 2016, le plaignant s’est présenté au travail et que M. George l’a informé du fait qu’il n’avait pas encore été autorisé à reprendre le travail et qu’il était préférable qu’il rentre chez lui en attendant la confirmation. Le plaignant a reçu instruction de communiquer avec son médecin, d’obtenir un avis favorable de ce dernier et de soumettre la documentation à l’OHG.

95.  L’intimée nie que M. George ait escorté le plaignant jusqu’à l’extérieur de l’immeuble. Selon elle, M. George et le plaignant ont poursuivi leur conservation tout en se dirigeant vers la sortie. L’intimée affirme que M. George n’a jamais eu l’intention d’accompagner le plaignant en vue de s’assurer qu’il quittait l’immeuble : il a simplement discuté avec lui tout en marchant en direction de la sortie.

[63]  Voici ce que M. George a déclaré en témoignage :

[traduction

101.  M. George affirme que lorsqu’un employé part en congé, la société qui traite les dossiers d’invalidité communique normalement avec le gestionnaire de l’employé pour obtenir l’information concernant son retour au travail. Il précise que pendant la période de transition, c’est Mme Beltran qui devait avoir reçu l’information initiale sur le retour au travail, mais qu’ensuite, c’est à lui qu’on a transmis toute nouvelle information. M. George explique que le plaignant a tenté d’effectuer un retour au travail en septembre 2016, mais que l’employeur n’avait pas reçu l’autorisation médicale requise. Concernant le fait que le plaignant affirme avoir tenté de lui parler au téléphone et avoir attendu en vain qu’il le rappelle, M. George déclare ne pas en avoir de souvenir précis, vu le temps qui s’est écoulé depuis. Par contre, il affirme : « Je l’aurais rappelé s’il m’avait téléphoné. Je lui aurais dit qu’il lui fallait obtenir une autorisation. » M. George nie avoir « escorté » le plaignant hors de l’immeuble. Selon lui, lorsque quelqu’un doit être escorté jusqu’à la sortie, on fait appel aux services d’un agent de sécurité, et cela n’a jamais été fait dans le cas du plaignant.

[64]  L’analyse et les conclusions de l’enquêteuse sont les suivantes :

[traduction

102.  Le plaignant affirme que même s’il était prêt à reprendre le travail le 6 septembre 2016, il en a été empêché et a été escorté jusqu’à l’extérieur du lieu de travail.

103.  La preuve indique que le médecin du plaignant a relevé, à compter de mai 2016, des restrictions/limitations quant à la capacité de son patient d’effectuer un retour au travail (capacité restreinte à comprendre des instructions, à se concentrer, à avoir des interactions sociales, etc.). L’intimée explique que ces limitations s’accordaient mal avec le travail que devait accomplir le plaignant au centre d’appels, puisqu’il était appelé à servir les clients au téléphone, à faire attention aux détails et à suivre des processus comprenant des tâches multiples. De mai 2016 jusqu’à août 2016, l’intimée a reçu de l’OHG des renseignements de suivi sur la capacité du plaignant de reprendre le travail.

104.  La preuve indique que le plaignant a tenté un retour au travail le 6 septembre 2016, mais il n’avait pas encore obtenu de l’OHG la confirmation qu’il était autorisé à le faire. Ainsi, il est raisonnable que l’intimée ait avisé le plaignant qu’il n’était pas encore autorisé à revenir au travail. Bien que le plaignant se formalise de ce que M. George l’a accompagné jusqu’à la sortie de l’immeuble, rien ne permet de penser qu’il ait reçu un traitement particulier. Comme l’a précisé M. George, lorsqu’il est nécessaire d’escorter un employé hors de l’immeuble, on fait appel aux services de sécurité. En l’espèce, il ne semble pas que ces services soient intervenus. Vu l’absence d’autres éléments de preuve à l’appui, rien ne permet de croire que le plaignant a subi une différence de traitement préjudiciable.

105.  Le plaignant a allégué qu’on l’avait empêché de revenir au travail. Or, la preuve indique qu’il a repris le travail en octobre 2016 (soit environ un mois après la date recommandée par son médecin). Compte tenu de la complexité des restrictions applicables à la situation du plaignant, un retard d’un mois ne paraît pas déraisonnable. Il ne semble pas y avoir suffisamment d’éléments de preuve pour pouvoir affirmer que le plaignant a été traité différemment à cet égard. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de pousser plus loin l’analyse de cette allégation.

[65]  Dans la présente demande, le demandeur prétend qu’on n’aurait pas dû le prier de rentrer chez lui le 6 septembre 2016, parce qu’il n’avait pas été informé par écrit qu’il ne pouvait reprendre le travail. Toutefois, il ne conteste pas le fait qu’il n’avait pas reçu l’autorisation de retour au travail. Essentiellement, il semble laisser entendre que, même s’il n’était toujours pas autorisé par l’OHG à revenir au travail, il n’aurait pas dû être renvoyé à la maison; en particulier, M. George n’aurait pas dû l’humilier en l’escortant hors de l’immeuble.

[66]  Sur cette question, la preuve soumise par la défenderesse est la suivante :

[traduction

93.  L’intimée affirme que le 23 août 2016, l’OHG a reçu des renseignements médicaux supplémentaires de la part du médecin du plaignant, lequel recommandait un retour progressif au travail à partir du 6 septembre 2016. D’après l’intimée, aucune restriction ou limitation ne lui a été imposée, mais le médecin lui a conseillé de modifier la disposition des sièges afin d’éloigner le plaignant des gestionnaires. Elle ajoute que le médecin n’a pas expliqué la raison de la mesure d’adaptation demandée ni précisé sa durée. L’intimée affirme que l’OGH a fait trois tentatives pour parler au médecin du plaignant et obtenir plus de précisions, mais que ses efforts ont été vains. Or, étant donné que l’OHG n’a pas été en mesure d’obtenir des éclaircissements sur les mesures d’adaptation nécessaires, il a été présumé que le plaignant n’avait pas été autorisé par son médecin à reprendre le travail.

[67]  Le demandeur prétend que l’invitation à rentrer chez lui, ce 6 septembre 2016, n’était qu’une nouvelle tentative d’humiliation dont l’enquêteuse n’a pas tenu compte. De toute évidence, l’enquêteuse a déterminé qu’il existait de bonnes raisons de prier le demandeur de rentrer chez lui ce jour-là, que le témoignage de M. George différait de celui du demandeur sur la façon dont il avait quitté l’immeuble, et que des tentatives avaient été faites pour joindre le médecin du demandeur et lui demander pourquoi son patient n’était pas autorisé à reprendre le travail.

[68]  Il n’y a rien de déraisonnable dans la conclusion de l’enquêteuse, à savoir que la preuve ne permettait pas d’établir que le demandeur avait subi un traitement différent. Le demandeur s’est peut-être senti humilié, mais cela n’établit pas, en soi, qu’il y a eu différence de traitement.

(5)  Erreur dans la rémunération versée au retour au travail

[69]  Sur ce point, le demandeur a exposé son argument par écrit en ces termes :

[traduction

Lorsqu’enfin, j’ai pu reprendre le travail, mon employeur n’a pas voulu me verser le salaire exact qui m’était dû (mes heures travaillées n’étaient pas payées). J’ai pris contact avec le ministère de l’Emploi et du Développement social du Canada pour me plaindre de mon problème de paye. Une enquête a permis de conclure que mon employeur avait enfreint l’article 247 (se reporter à mon affidavit, section 2.N, pièce no 13). L’enquêteuse de la Commission canadienne des droits de la personne a convenu qu’il y avait différence préjudiciable de traitement, mais dans son rapport, elle a conclu que l’affaire n’était pas assez éloquente pour pouvoir être qualifiée de cas de représailles. Au paragraphe 111 de son rapport (voir l’affidavit de Karen, section 1F), l’enquêteuse déclare que l’intimée a reconnu qu’une erreur dans la paye avait pu faire en sorte que le plaignant ne reçoive pas toute la rémunération due, et ajoute que le problème semble toutefois avoir été corrigé. J’aimerais apporter une correction à cet égard. Mon employeur n’a pas reconnu l’erreur lorsque je l’ai contacté à diverses occasions pour discuter de mes problèmes de paye. En fait, il a admis qu’il y avait eu erreur un an après la conclusion de l’enquête effectuée par un inspecteur de l’administration fédérale. Si je n’avais pas communiqué avec le ministère de l’Emploi et du Développement social, mon employeur ne m’aurait pas versé ce qui m’était dû.

[70]  Les assertions du demandeur ne s’intéressent pas aux faits expliquant pourquoi l’erreur est survenue et comment elle a été corrigée. L’enquêteuse a examiné dans le détail cette question.

[71]  Que l’employeur n’ait pas laissé le demandeur revenir au travail le 6 septembre 2016 ne signifie en rien que son retour n’était pas bien accueilli. Comme nous l’avons vu précédemment, la raison en était que l’OHG n’avait pas donné son autorisation. Les erreurs de paye ont été examinées et expliquées dans le moindre détail par l’enquêteuse. Le demandeur demande maintenant à la Cour de réexaminer ces questions et de tirer une conclusion différente de celle de l’enquêteuse à partir des mêmes faits. Or, contrairement à ce qu’il affirme, il n’est pas du tout certain que la BMO a tenté de faire pression sur lui financièrement pour le forcer à remettre sa démission. L’enquêteuse ne disposait pas de suffisamment d’éléments de preuve pour étayer la conclusion qui aurait dû être tirée, selon ce que le demandeur affirme aujourd’hui.

(6)  Les mesures correctives

[72]  Dans ses observations écrites, le demandeur se plaint du fait que des mesures correctives ont été prises contre lui et contre d’autres employés de race noire de la BMO pour la simple raison qu’ils ont exprimé des opinions différentes de celles de la direction :

[traduction

Voici un autre exemple de différence préjudiciable de traitement que l’enquêteuse n’a pas pris en considération. Tous les employés de race noire (moi-même et Mme Boboy, toujours employés de la BMO, M. Muco, congédié, Mme Weir, congédiée pour refus de s’installer dans la zone de ségrégation, M. Diankulu, démissionnaire) qui ont exprimé des opinions différentes de celles du gestionnaire ou déposé une plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne ont fait l’objet de représailles, c’est-à-dire de ségrégation et de mesures correctives. Nos places assises ont été isolées du reste de la salle. Nous étions assis dans le coin de la salle, où on pouvait nous surveiller de façon régulière (mon gestionnaire et le gestionnaire principal étaient assis derrière nous). Il est difficile de comprendre pourquoi l’enquêteuse de la Commission canadienne des droits de la personne n’a pas estimé qu’il y avait lieu de considérer le fait d’isoler les employés d’une même origine ethnique (tous de race noire) comme une différence préjudiciable de traitement (voir mon affidavit, section 2J, pièce 9). Des mesures correctives avaient été prises contre 98 %d’entre NOUS. Dans la deuxième question qu’elle a adressée à Mme Carruthers (relation avec le personnel de la Banque de Montréal) (voir l’affidavit de Mme Karen Carruthers, section 2.1 ), l’enquêteuse demande à cette dernière de nommer quatre employés visés par une mesure corrective. Malheureusement, la réponse ne figure pas dans le rapport d’enquête, et cette question n’y est pas non plus évoquée.

[73]  L’enquêteuse a traité les plaintes du demandeur portant sur la prise de mesures correctives et de représailles à son endroit en procédant à une enquête et à une analyse approfondies, et elle est arrivée à la conclusion suivante :

[traduction

120.  Hormis une vague affirmation du demandeur reliant la mesure corrective à un motif de distinction illicite, il ne semble pas y avoir de preuve à l’appui. L’intimée a produit des éléments de preuve visant à démontrer que le plaignant avait un rendement inférieur à celui de son équipe et des points à améliorer. Il semble que son refus de reconnaître son problème de rendement soit à l’origine de la prise de la mesure corrective. Le document instaurant cette mesure donne des exemples de ce qui suscitait l’inquiétude de la direction sur le plan du rendement. Vu l’absence de preuve susceptible de démontrer que la mesure corrective était liée à un motif de distinction illicite, cette allégation n’a pas fait l’objet d’une analyse poussée.

[74]  Ainsi que l’enquêteuse le précise dans son rapport, plusieurs témoins ont abordé la question de la disposition des sièges dans le cadre de leur témoignage :

[traduction

51.  Sur la disposition des sièges, Mme Riddell explique qu’aucun gestionnaire n’avait de bureau propre : ils travaillaient « dans la salle » avec les agents. Mme Riddell confirme qu’en 2015, la disposition des places assises du centre d’appels a été modifiée et que les agents ont été regroupés en équipes (les équipes du matin, de l’après-midi et du soir étaient toutes ensemble). Mme Riddell précise que l’entreprise avait voulu regrouper les agents en équipes pour faciliter la tâche des gestionnaires et des chefs d’équipe, lors des entretiens individualisés et du travail d’observation en parallèle, en leur évitant d’avoir à [traduction] « couvrir l’ensemble de l’aire de travail ». Mme Riddell dit avoir choisi une place près de l’équipe de nuit, parce qu’entre 7 h et 14 h, elle pouvait « profiter de l’espace sans avoir personne autour ». Elle ajoute que Renee Beltran et Freddy Matondo étaient assis à proximité l’un de l’autre.

52.  Mme Riddell affirme qu’ils ont décidé d’asseoir les employés bilingues à côté de Freddy Matondo (le chef d’équipe), qui était lui aussi bilingue et pourrait donc aider ces agents à traiter les appels. Elle mentionne qu’un grand nombre d’employés bilingues étaient de race noire; cela étant, elle s’inscrit en faux contre l’idée que « tous les employés de race noire » étaient assis à côté de Mme Beltran.

53.  Freddy Matondo, qui est chef d’équipe, affirme que, d’après ses observations, Mme Beltran traitait le plaignant ainsi qu’elle traitait tout autre employé. Il explique ne pas être en mesure de commenter la façon dont Mme Riddell traitait le plaignant, n’ayant pas été témoin d’interactions directes entre eux. En revanche, il a dit ne pas avoir été témoin d’actes de discrimination de la part de la direction. Au cours de l’entretien, M. Matondo s’est défini comme un « employé de race noire originaire du Congo ». Il réfute la thèse selon laquelle les employés de race noire auraient été isolés ou leurs places assises, regroupées. Il ajoute : « [D]e mon côté, je n’ai constaté aucune différence. Nous sommes tous traités de la même manière. Cela fait 14 ans que je travaille ici. Il s’agit davantage d’une question de rendement. Ce qu’il t’est permis de faire et ce qui t’est interdit. »

[...]

57.  S’agissant des allégations voulant que la direction ait opéré une ségrégation des employés bilingues de race noire, M. Karia déclare : « Je ne suis pas de cet avis. Non, il y avait d’autres personnes de race noire dans d’autres coins. Assis juste à mes côtés, il y avait un autre employé de race noire. Je n’ai jamais constaté que les personnes étaient assises de part et d’autre d’une pièce en fonction de certaines caractéristiques. Il n’y a jamais rien eu de tel. »

[75]  Compte tenu de la preuve dont disposait l’enquêteuse, on ne peut pas qualifier de déraisonnable sa conclusion sur cette question, même si le demandeur n’en est pas satisfait.

(7)  Les fausses accusations

[76]  Dans ses observations écrites, le demandeur affirme que la direction de la BMO a inventé de toutes pièces des histoires à son sujet et a déformé ses propos. Toutefois, il se concentre sur les actes de son chef d’équipe, M. Matondo :

[traduction

Inventer des histoires qui me dénigrent, fabriquer des preuves et déformer mes propos était devenu une habitude au travail. Par exemple, M. Matondo (chef d’équipe), qui m’avait accusé à tort d’avoir demandé le rétablissement d’une Master Card en juillet 2015. Je n’ai jamais demandé le rétablissement d’une Master Card. Dans le courriel que j’ai envoyé en mai 2015 (voir mon affidavit, section 2.E, pièce no 4), je précise l’objet de la demande que j’adressais à M. Matondo, à savoir un réexamen du compte. Il faut faire une distinction entre une demande et un réexamen. Mme Beltran a décidé de se servir de cette erreur d’interprétation de leur part pour motiver la prise d’une mesure corrective contre moi. (Voir mon affidavit, section 2.C, pièce no 2- paragraphe 2). Dans sa réponse à ma plainte, la Banque de Montréal a déclaré que Mme Beltran (gestionnaire) avait confondu réexamen et demande. Même si mon employeur a reconnu que mes mots avaient été déformés, l’enquêteuse n’a pas estimé qu’il s’agissait d’une différence préjudiciable de traitement.

En décembre 2015, j’ai été accusé à tort, toujours par M. Matondo, de l’avoir harcelé et menacé et de lui avoir dit que Dieu était témoin. À l’issue d’une enquête très singulière (je n’ai jamais rien reçu par écrit, qu’il s’agisse du fondement de l’accusation ou du rapport final d’enquête), j’ai été disculpé. Malheureusement, l’enquêteuse n’a pas jugé nécessaire de qualifier cet épisode de différence préjudiciable de traitement. Dans son rapport (voir l’affidavit de Karen Carruthers, section IF, paragraphe 71), l’enquêteuse va même plus loin en déclarant qu’aucune preuve ne démontre que M. Matondo a menti. Cela montre à quel point l’enquêteuse était partiale. Premièrement, M. Matondo est l’accusateur : c’est donc à lui qu’il revient de prouver la véracité de son accusation. Or, il a été incapable de produire un seul élément de preuve ou un seul témoignage. Deuxièmement, l’enquêteuse aurait également pu dire qu’aucune preuve ne démontrait que M. Matondo disait la vérité. Cette déclaration prouve que l’enquêteuse n’était pas impartiale et qu’elle prenait fait et cause pour cette fausse allégation de M. Matondo. Elle a en quelque sorte accordé le bénéfice du doute à M. Matondo sans soumettre ses réponses à un contre‑interrogatoire (preuve, témoins). Cet acte de diffamation a porté un dur coup à ma réputation et à ma carrière. J’ai postulé divers emplois à la Banque de Montréal mais, chaque fois, j’ai malheureusement dû essuyer un refus. (Voir l’affidavit de Karen Carruthers, section 2.B, CHRC SUPP008 027).

Je n’ai jamais été violent et jamais je n’aurai recours à la violence. On m’a élevé pour faire de moi un artisan de la paix, et non un fauteur de troubles. Mon comportement irréprochable au sein de la société canadienne s’est manifesté dans mes efforts pour promouvoir la paix dans le monde au cours de mes études à l’Université de Sudbury. J’ai été président de l’association Angolan Students Against Landmines (affiliée à la Fondation des mines terrestres du Canada). L’accusation de M. Matondo a terni mon image et ma réputation, que j’ai mis des années à construire.

L’enquêteuse ne devrait pas considérer M. Matondo comme un témoin, parce que celui-ci n’a cessé de mentir à mon sujet. Il était évident que le fait d’interroger M. Matondo faisait naître un conflit d’intérêts, parce qu’il avait constamment menti sur mon compte. Par ailleurs, il avait obtenu une promotion quelques semaines avant l’interrogatoire. En vérité, il a été forcé de mentir. Il m’a lui-même confessé qu’il avait été pris dans des tirs croisés et qu’il était très fatigué d’être mêlé à la situation.

Avant que M. Matondo ne formule son accusation, j’avais exprimé à Mme Beltran le souhait de pouvoir compter, à l’avenir, sur la présence d’un témoin indépendant lors des rencontres en individuel afin d’éviter toute mauvaise interprétation de mes propos (voir mon affidavit, section 21, pièce no 8). Cela prouve que je savais que mon employeur projetait de fabriquer des preuves contre moi. Avant que M. Matondo ne m’accuse faussement, il y a eu une autre gestionnaire – elle se nommait Jag Brar – qui s’était adressée à ma gestionnaire pour dénoncer, à tort, le fait que je parlais à un collègue alors que j’étais en récapitulation d’appel (période consécutive à une conversation téléphonique avec un client). Lorsque j’ai raconté à ma gestionnaire ma version des faits, elle a demandé à confronter Mme Brar. Je refuse catégoriquement de le faire, parce que je pourrais être accusé d’agression ou de harcèlement, à l’instar de ce qu’a fait M. Matondo. Je savais que mon employeur se préparait à me piéger.

[77]  Ces affirmations ne sont pas étayées par une preuve factuelle suffisante par affidavit. Compte tenu de la preuve, les conclusions de l’enquêteuse sur cette question étaient raisonnables.

[78]  Après avoir pris connaissance de l’ensemble de la preuve se rapportant à ces incidents, l’enquêteuse a tiré les conclusions suivantes :

[traduction

71.  Le plaignant allègue que la direction ment à son sujet, cherche à le piéger et le présente sous un jour défavorable pour détruire sa carrière. Il cite deux incidents (le premier impliquant une autre gestionnaire, Jag Brar, et le second, le chef d’équipe Freddy Matondo). Dans sa déposition, M. Matondo explique que le plaignant lui a fait des déclarations inquiétantes et que l’incident était « perturbant ». Le plaignant nie avoir fait les déclarations alléguées par l’intimée. Indépendamment du fait que le plaignant a ou non fait ces déclarations, M. Matondo a dit en témoignage avoir signalé l’incident à la direction. Dès lors que l’incident lui était signalé, l’intimée avait l’obligation de faire enquête. En fin de compte, il semble que les services de sécurité de l’intimée soient arrivés à la conclusion qu’il n’y avait pas de menace à la sécurité des employés et le dossier a été clos. En outre, aucune mesure disciplinaire ne semble avoir été prise contre le plaignant. La preuve produite à l’appui ne permet pas de démontrer que M. Matondo a menti au sujet de l’incident ou que la direction cherchait à « tendre un piège ». Au contraire, il semble qu’il y ait eu signalement de l’incident, enquête, puis clôture du dossier.

72.  Pour ce qui est de l’incident mettant en cause Jag Brar, Mme Beltran a déclaré en témoignage que Mme Brar lui avait signalé un incident visant le plaignant et un autre employé. Après avoir discuté de l’affaire avec le plaignant, il était raisonnable que Mme Beltran lui suggère d’aller parler à Mme Brar de ce qui le contrariait relativement à l’incident. Il semble qu’aucune mesure disciplinaire n’ait été prise contre le plaignant par suite de cet incident. Le plaignant n’a présenté aucune preuve pour étayer ses dires, à savoir qu’il s’agissait d’un « piège ».

[79]  À part exprimer son désaccord quant à ces conclusions, le demandeur ne relève rien d’injuste ou de déraisonnable dans l’enquête et l’analyse de l’enquêteuse. Lorsqu’il a plaidé devant moi, le demandeur a déclaré que son principal grief en l’espèce était que l’enquêteuse n’avait pas été suffisamment rigoureuse. Selon lui, les accusations le visant ont peut-être été traitées en interne et de manière informelle, mais cela ne permet pas d’expliquer pourquoi M. Matondo l’a faussement accusé, ni le fait qu’il a bel et bien fait la démonstration de l’hostilité de la direction à son endroit. Or, l’enquêteuse a traité de ces questions de manière exhaustive au paragraphe 71 de son rapport, reproduit ci-dessus.

[80]  Autrement dit, si on fait exception des affirmations du demandeur, rien n’indique que M. Matondo ait menti. Une enquête plus poussée n’aurait vraisemblablement pas permis de déterminer qui il fallait croire. De plus, la preuve de l’existence d’une différence de traitement était insuffisante.

[81]  Le demandeur a allégué que M. Matondo l’avait faussement accusé. Par conséquent, l’enquêteuse devait décider si la preuve permettait d’étayer cette accusation, au-delà de cette vague assertion du demandeur. Or, aucune preuve n’indiquait que M. Matondo avait menti au sujet de l’incident. Cela ne signifie pas qu’il a dit la vérité, mais simplement que rien n’étayait les dires du demandeur sur la question. Conclure à l’absence de preuve étayant une allégation n’est pas le signe d’un jugement partial ou déraisonnable.

(8)  La déclaration de Mme Weir

[82]  Le demandeur reproche à l’enquêteuse d’avoir communiqué abusivement avec ses témoins, lesquels avaient refusé de se manifester en raison de la décision de l’enquêteuse de ne pas les autoriser à témoigner à titre confidentiel. Cela s’apparente à une allégation selon laquelle l’enquêteuse aurait agi de mauvaise foi :

[traduction

Au cours de l’enquête, j’ai pris contact avec Mme Huber (l’enquêteuse) et je lui ai demandé s’il était possible que certaines personnes témoignent sans que leur nom apparaisse dans le rapport. Mes témoins étaient disposés à se manifester et à témoigner contre la Banque de Montréal, mais ils ne voulaient pas que leur nom figure dans le rapport d’enquête final. Mme Huber a répondu que chaque personne qui témoignait verrait son nom dans le rapport. Pour cette raison, mes témoins ont refusé de se présenter. Par conséquent, j’ai dit à l’enquêteuse qu’elle pouvait interroger uniquement M. Olivier Baroun, lequel ne s’opposait pas à être nommé dans le rapport. Malheureusement, Mme Huber a aussi tenté d’entrer en contact avec les personnes qui avaient refusé de servir de témoins. Quant à savoir comment l’enquêteuse a réussi à mettre la main sur leurs coordonnées sans leur consentement. En essayant de communiquer avec Mme Boboy, M. Diankulu, Mme Weir, M. Muco sans que ces derniers sachent comment la Commission canadienne des droits de la personne avait obtenu leur numéro, l’enquêteuse les a effrayés. Honnêtement, ils étaient inquiets pour la confidentialité de leurs données personnelles. Ne s’agissait-il pas d’une atteinte à la vie privée? Ce n’est pas moi qui lui ai donné ces coordonnées (numéro de téléphone et adresse électronique). J’aimerais savoir qui a donné les coordonnées de ces quatre personnes à l’enquêteuse. Par exemple, les numéros de téléphone de M. Diankulu, M. Muco et Mme Weir ne sont pas répertoriés dans l’annuaire « Canada 411 ». Comment a-t-elle réussi à obtenir leurs numéros? Quelle était la véritable intention de l’enquêteuse derrière ses tentatives pour entrer en contact avec eux, sachant qu’ils refusaient tout contre-interrogatoire? Si l’enquêteuse était motivée par la bonne foi et souhaitait entendre la version des faits de ces personnes, elle aurait pu mentionner la déclaration de Mme Weir (voir mon affidavit, section 2J, pièce no 9) dans son rapport. Malheureusement, l’enquêteuse tenait davantage à mentionner qu’elle avait tenté de communiquer avec elles et elle ne s’est pas souciée de lire ce que l’une d’elles avait écrit dans sa déposition.

[83]  L’enquêteuse expose la situation en ces termes :

[traduction

4.  Le plaignant a été prié de fournir la liste de ses témoins. Il a donné le nom d’Olivier Baron. L’enquêteuse a interrogé M. Baron et son témoignage figure dans le présent rapport.

5.  L’enquêteuse a tenté d’interroger quelques-uns des collègues du plaignant (actuels et passés}, dont il allègue qu’ils ont également fait l’objet de discrimination en raison de la couleur, de l’origine nationale ou ethnique et/ou de la race. Il a donné les noms suivants : Sharifah Weir, Freddy Muco, Ricky Diankulu et Mie‑Josee Boboy. L’intimée a fourni les coordonnées de ces personnes. L’enquêteuse a tenté de les interroger, quoiqu’en vain, pour les raisons qui suivent :

a.  Mme Weir (ex-employée) a parlé avec l’enquêteuse le 14 mai 2018 et, au départ, elle était d’accord pour participer à un entretien. Toutefois, avant que celui-ci ait lieu (il était fixé au 23 mai 2018), elle a fait savoir qu’elle avait conclu une transaction dans le dossier qui l’opposait à l’intimée et qu’elle ignorait si sa participation à l’entretien aurait une incidence sur le règlement de sa propre réclamation. L’entretien a donc été remis à plus tard pour qu’elle puisse obtenir l’avis de son avocat. Le 25 mai 2018, Mme Weir a joint l’enquêteuse pour l’informer qu’elle avait fait le nécessaire pour parler à un avocat et qu’elle la rappellerait si elle décidait de se présenter à l’entretien. À la date de la publication du présent rapport, Mme Weir n’avait toujours pas contacté l’enquêteuse.

b.  L’enquêteuse a composé le numéro de M. Muco (ex‑employé) le 14 mai 2018; toutefois, la personne qui a décroché a expliqué qu’elle n’avait pas le bon numéro, car celui‑ci avait été attribué à quelqu’un d’autre. Une recherche dans l’annuaire électronique Canada411 n’a donné aucun résultat pour « F. Muco ».

c.  L’enquêteuse a composé le numéro de M. Diankulu (actuel employé) le 14 mai 2018 et elle a laissé un message vocal expliquant la nature de l’appel et priant son destinataire de la rappeler pour fixer le moment de l’entretien. Le 15 juin 2018, n’ayant toujours pas reçu d’appel de M. Diankulu, l’enquêteuse a laissé un nouveau message à son intention en lui demandant une fois de plus de rappeler pour programmer un entretien. À la date de la publication du présent rapport, M. Diankulu n’avait toujours pas contacté l’enquêteuse.

d.  L’enquêteuse a communiqué avec Mme Boboy (actuelle employée) par courriel le 15 août 2018 pour solliciter un entretien. En réponse, Mme Boboy a décliné l’invitation à participer à l’enquête en invoquant des raisons personnelles.

[84]  Quant à Mme Weir, il semble qu’elle ait refusé d’être interrogée. Elle n’a pas confirmé son souhait de prendre part au processus, fût-ce par l’entremise d’une déposition de témoin. L’enquêteuse s’est simplement inclinée devant l’évidente réticence de Mme Weir à participer au processus.

[85]  Le demandeur affirme maintenant que l’enquêteuse aurait dû tenir compte des déclarations écrites de Mme Weir. Dans sa déposition, Mme Weir confirme avoir vu la direction dénigrer le demandeur et ajoute qu’elle s’est portée à la défense de ce dernier. La déposition contient également nombre d’énoncés généraux, non étayés, exprimant la difficulté qu’il y a [TRADUCTION« à améliorer sa situation lorsqu’on est une personne de couleur » et tentant d’expliquer que les personnes de couleur [TRADUCTION« étaient pointées du doigt et finissaient par être renvoyées pour des problèmes qui auraient pu être réglés ». Toutefois, aucune précision n’était donnée. M. Weir termine sa déposition sur ces mots : [TRADUCTION« Je manifeste par les présentes mon soutien envers Claudio Lubaki et toutes les accusations qu’il formule relativement à la façon dont il a été traité par la BMO, qui va du ciblage au harcèlement, en passant par le traitement discriminatoire. » Un tel soutien aveugle pour « toutes les accusations » n’est pas de nature à laisser croire que nous avons affaire à un témoin fiable et impartial, d’où la nécessité d’interroger Mme Weir, car l’enquêteuse ne pouvait pas se fier à cette déposition. Malgré les propos généraux de Mme Weir sur la difficulté qu’éprouvent les personnes de couleur à obtenir de l’avancement à la BMO, il ressort du dossier que le demandeur a bénéficié d’une promotion depuis le dépôt de sa première plainte de discrimination à la Commission. En dépit des efforts de l’enquêteuse, Mme Weir n’a pas consenti à un entretien. L’enquêteuse a donc décidé, à juste titre, de ne pas s’appuyer sur les déclarations de Mme Weir, pour la simple raison qu’elle n’avait pas pu obtenir de précision à leur sujet ni les mettre à l’épreuve à l’occasion d’un entretien. L’ensemble de la preuve sur laquelle l’enquêteuse s’est fondée a été fournie par des personnes ayant accepté d’être interrogées, dont le témoin nommé par le demandeur, M. Baroum.

(9)  Évaluation du rendement de mi-exercice (2015)

[86]  Le demandeur affirme que sa gestionnaire a choisi de dissimuler et d’ignorer l’évaluation du rendement positive qu’il avait obtenue au milieu de l’exercice 2015, parce que cette évaluation aurait contredit [TRADUCTION« l’image qu’ils [lui] avaient fabriquée » depuis qu’il avait déposé sa plainte à la Commission en 2010.

[87]  Le rapport traite de cette question en détail :

[traduction

37.  Le plaignant déclare avoir fait l’objet d’une mesure corrective en juillet 2015. Il conteste l’idée que son rendement se serait détérioré en 2015 et il pense qu’en réalité, il s’améliorait au fil des mois.

38.  L’intimée a expliqué que le plaignant avait soumis son évaluation de mi‑exercice vers le 15 juin 2015 et qu’il avait pris congé du 14 au 27 juillet 2015. Elle affirme que Mme Riddell et Mme Beltran ont toutes les deux décidé de s’attaquer aux problèmes de rendement du plaignant (erreurs répétées; non-respect des procédures de fonctionnement normalisées, plaintes et recours fréquents des clients au gestionnaire pour les comptes dont il avait la charge) en appliquant une mesure corrective au lieu de procéder à une évaluation du rendement à mi‑exercice, et ce, afin d’insister sur le caractère sérieux de leurs préoccupations et de définir avec précision les comportements attendus.

Analyse et conclusion :

39.  Nul ne conteste le fait que l’intimée a imposé une mesure corrective au plaignant au lieu d’évaluer son rendement à mi‑exercice. Il semble donc que le plaignant ait reçu un traitement différent de celui de ses pairs. Puisque les mesures correctives sont une forme de mesure disciplinaire, il paraît évident que cette différence de traitement aurait des conséquences négatives. Ainsi, en ce qui touche la mesure corrective, il est possible que le plaignant ait fait l’objet d’une différence de traitement préjudiciable. Les motifs de la mesure corrective seront examinés à la prochaine étape de l’analyse (à savoir, son lien avec un motif illicite).

[...]

115.  L’intimée a expliqué qu’au cours de 2015, le rendement du plaignant s’est dégradé à un point tel qu’il n’atteignait pas la cible fixée pour deux des cinq indicateurs. Par conséquent, le 29 juillet 2015, la première étape d’une mesure corrective en trois étapes a été imposée au plaignant, dont le dossier n’a pas été retenu en vue d’une éventuelle augmentation salariale. L’intimée explique que la mesure corrective visait à remédier au fait qu’il n’adhérait pas aux processus ainsi qu’à son manque de réceptivité à l’encadrement et aux rétroactions.

[...]

[traduction

120.  Hormis une vague affirmation du demandeur reliant la mesure corrective à un motif de distinction illicite, il ne semble pas y avoir de preuve à l’appui. L’intimée a produit des éléments de preuve visant à démontrer que le plaignant avait un rendement inférieur à celui de son équipe et des points à améliorer. Il semble que son refus de reconnaître ses problèmes de rendement soit à l’origine de la prise de la mesure corrective. Le document instaurant la mesure corrective donne des exemples de ce qui suscitait l’inquiétude de la direction concernant son rendement. Vu l’absence de preuve susceptible de démontrer que la mesure corrective était liée à un motif de distinction illicite, cette allégation n’a pas fait l’objet d’une analyse poussée.

[88]  Le demandeur ne propose rien qui puisse réfuter la preuve de la défenderesse sur cette question : il se contente de déclarer qu’il rejette cette preuve. Il n’a pas démontré en quoi la Commission s’est montrée partiale ou déraisonnable eu égard à cette question.

(10)  La prime de rendement moins élevée

[89]  Afin d’étayer son principal argument, qui veut qu’on lui ait [TRADUCTION« tendu un piège » et fait subir de la discrimination et qu’il ait été gêné dans sa progression, le demandeur affirme qu’en dépit de son rendement supérieur à celui de son collègue, M. Karia, il a touché une prime de rendement moins élevée. Le demandeur reproche maintenant à l’enquêteuse de n’avoir pas qualifié cette affaire de cas de différence de traitement préjudiciable.

[90]  Cette affirmation est tout simplement inexacte. L’enquêteuse a tiré les conclusions suivantes :

[TRADUCTION

74.  Le plaignant affirme qu’en 2015, malgré le fait qu’il comptait plus d’ancienneté (trois années) et que son rendement était supérieur, il a reçu une prime de rendement inférieure à celle d’un autre collègue travaillant au sein du même groupe et au même niveau que lui (Amit Karia).

75.  L’intimée ne conteste pas le fait que le plaignant a reçu une prime de rendement inférieure. À cet égard, il est possible que le plaignant ait fait l’objet d’une différence de traitement. Les raisons de ce traitement différent seront examinées à la prochaine étape de l’analyse (à savoir, son lien avec un motif illicite).

[91]  L’enquêteuse a ensuite entrepris l’examen de la preuve. Elle est arrivée aux conclusions suivantes :

[TRADUCTION

129.  Le plaignant allègue que M. Karia a reçu une prime plus élevée et une augmentation salariale. Il prétend que cela prouve qu’il a fait l’objet d’une différence de traitement fondée sur un motif illicite. Or, à l’exception de cette vague affirmation voulant que la différence de traitement soit liée à un motif de distinction illicite, aucune preuve ne permet de penser que ce soit le cas.

130.  À l’inverse, l’intimée explique que M. Karia a reçu une prime plus élevée et une augmentation salariale parce que son rendement est globalement supérieur à celui du plaignant. M. Karia lui-même explique que la prime n’est pas liée uniquement aux résultats chiffrés de l’employé, mais à son rendement global.

131.  Lorsqu’elle examine les évaluations du rendement du plaignant et de M. Karia, l’enquêteuse remarque qu’en 2014, M. Karia a respecté 7 paramètres sur 9, alors que le plaignant en a respecté 5 sur 8 pour les volets Q1 et Q2, et 3 sur 9 pour les volets Q3 et Q4. Le plaignant souligne à juste titre qu’il a obtenu un pointage plus élevé que M. Karia en 2015. Cela dit, il ressort clairement de l’examen des évaluations du rendement que le pointage n’en constitue qu’un aspect. L’enquêteuse relève que le plaignant a reçu la mention « mitigé » pour son rendement dans plusieurs catégories, alors que le rendement de M. Karia a été jugé « exceptionnel » ou « excellent ». Par exemple, en 2015, M. Karia a reçu la mention « excellente » pour sa mise en pratique de la norme « Être BMO », alors que le plaignant a obtenu un résultat mitigé.

132.  Vu l’absence de preuve susceptible de démontrer l’existence d’un lien avec un motif de distinction illicite, cette allégation n’a pas fait l’objet d’une analyse poussée.

[92]  Le demandeur n’a pas fait la démonstration de la présence d’une erreur susceptible de révision dans l’analyse et les conclusions de l’enquêteuse. Il les a simplement refusées.

(11)  L’attribution des sièges

[93]  Le demandeur allègue que l’attribution des sièges sert à cibler les employés de race noire, dont lui-même. Le problème que pose cette allégation tient à l’abondance d’éléments de preuve à l’effet contraire et à la fragilité des assertions du demandeur :

[TRADUCTION

59.  En ce qui concerne la disposition des places assises, M. Baroum a déclaré que « [les gestionnaires] regroupent tous les employés de race noire au même endroit. Tous ceux qui sont bilingues. Ils les réunissent tous, en un endroit, à proximité de la [direction] ». Toutefois, Mme Riddell affirme qu’ils rassemblent tous les employés bilingues à proximité de M. Matondo, le chef d’équipe, lui aussi bilingue. Elle reconnaît que de nombreux employés bilingues sont de race noire, mais dément l’affirmation selon laquelle « tous les employés de race noire » auraient été assis près de Mme Beltran. M. Matondo (qui se définit comme une personne de race noire) et M. Karia ont aussi réfuté la thèse selon laquelle les employés de race noire étaient isolés ou leurs places assises, regroupées.

60.  Le plaignant allègue que M. Muco, M. Diankulu, Mme Boboy et Mme Wier (qu’il définit comme des employés bilingues de race noire) ont tous été ciblés par Mme Beltran. L’enquêteuse a tenté d’interroger ces personnes; toutefois, pour les raisons exposées au paragraphe 5, aucune d’entre elles ne s’est prêtée à un entretien.

61.  Bien que le plaignant affirme que M. Baroum a vu Mme Beltran en train de cibler ces employés, ce n’est pas ce que M. Baroum a déclaré en témoignage. En effet, M. Baroum a confirmé n’avoir rien vu personnellement : « Tout ce que j’ai entendu repose sur ce que m’a dit Claudio. »

62.  Par comparaison, M. Matondo, qui se définit comme un « employé de race noire originaire du Congo », a déclaré en témoignage qu’il n’a été témoin d’aucune différence de traitement au cours des 14 années où il a travaillé pour l’intimée. Il affirme : « Nous sommes tous traités de la même façon. » M. Karia précise qu’il n’a « jamais constaté que les personnes étaient assises de part et d’autre d’une pièce en fonction de certaines caractéristiques. Il n’y a jamais rien eu de tel. »

63.  Par conséquent, vu l’absence de preuve à l’appui, cette allégation n’a pas fait l’objet d’une analyse poussée.

[94]  Le demandeur n’a pas démontré que ces conclusions étaient déraisonnables. Simplement, il rejette l’analyse et les conclusions de l’enquêteuse. Il souhaite donc que la Cour procède à une nouvelle appréciation de la preuve et tranche en sa faveur. Or, tel n’est pas le rôle de la Cour lors d’un contrôle judiciaire. Voir l’arrêt Vavilov, au paragraphe 125.

B.  Autres questions

[95]  Le demandeur a présenté d’autres questions à la Cour aux fins du contrôle. Il conteste la mention [TRADUCTION« mitigé » qu’il a obtenue dans le cadre de l’évaluation de son rendement en 2014, 2015, et 2016. Il affirme s’être vu refuser d’autres possibilités d’emploi et avoir été exclu du processus de reclassement. Cependant, la décision indique que l’enquêteuse était parfaitement au fait de chacune des questions, qu’elle a étudié la preuve produite de part et d’autre de manière exhaustive et impartiale, et qu’elle a rédigé des conclusions compréhensibles. Le demandeur n’a pas démontré que ces conclusions étaient déraisonnables.

[96]  En assurant lui-même la conduite de son dossier devant la Cour, le demandeur m’a donné l’impression d’une personne honnête et apte. Il aimerait que sa carrière progresse et il se croit freiné et victime de discrimination. D’après ses observations, il croit également que la BMO traite ses employés de race noire de manière discriminatoire. Essentiellement, le demandeur prétend qu’en n’adhérant pas à son avis sur ces questions, la Commission a montré qu’elle avait un parti pris et qu’elle n’avait pas fait enquête de manière rigoureuse et impartiale.

[97]  Il demeure que la sincérité des croyances du demandeur ne peut pas servir de fondement à un contrôle judiciaire. Sur bien des points, il souhaite simplement que la Cour procède à une nouvelle appréciation de la preuve et qu’elle tire une conclusion qui lui soit favorable. Mais ce n’est pas une chose que la Cour est autorisée à faire. La preuve dont je dispose ne permet pas d’affirmer que l’enquêteuse – et, partant, la Commission – avait un parti pris et qu’elle n’a pas effectué une enquête raisonnable et rigoureuse. Je ne puis non plus conclure que l’enquêteuse a fait une analyse et tiré des conclusions déraisonnables quant à un élément important du dossier, de sorte qu’il soit nécessaire d’annuler la décision et de réexaminer l’affaire.


JUGEMENT dans le dossier T-2154-18

LA COUR STATUE :

  1. La demande est rejetée et les dépens sont adjugés à la défenderesse.

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2154-18

 

INTITULÉ :

CLAUDIO LUBAKI c BANQUE DE MONTRÉAL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 10 FÉVRIER 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 16 AVRIL 2020

 

COMPARUTIONS :

Claudio Lubaki

 

LE DEMANDEUR

 

Jordan D. Winch

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

 

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