Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20200512


Dossier : T-763-19

Référence : 2020 CF 609

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2020

En présence de la juge en chef adjointe Gagné

ENTRE :

FERNAND MARCOUX

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Survol

[1]  En septembre 2014, M. Fernand Marcoux s’est vu refuser l’assurance-emploi, après avoir épuisé ses recours devant la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale [la Division générale], au motif qu’il avait perdu son emploi auprès de l’Agence canadienne d’inspection des aliments pour cause d’inconduite.

[2]  Parallèlement à sa demande d’assurance-emploi, M. Marcoux a logé un grief pour congédiement injuste, lequel s’est soldé par un règlement à l’amiable conclu en juin 2016.

[3]  En janvier 2019, M. Marcoux a déposé une demande d’annulation ou de modification de la décision de septembre 2014, sur la base du paragraphe 66(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34 [la Loi], invoquant comme fait nouveau le règlement de son grief intervenu en juin 2016.

[4]  La Division générale a rejeté sa demande au motif qu’il l’a présentée en dehors du délai de déchéance d’un an prévu par la Loi, et la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale [la Division d’appel] a rejeté son appel au motif que les critères prévus à l’article 58 de la Loi n’étaient pas rencontrés, et que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès.

[5]  C’est cette dernière décision de la Division d’appel qui fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire dont la Cour est saisie.

II.  Décision contestée

[6]  Devant la division d’appel, M. Marcoux a fait valoir qu’il ne pouvait pas demander l’annulation ou la modification de la décision de septembre 2014 avant de connaître le résultat de son grief pour congédiement injuste. Puisque son congédiement a été annulé par le règlement, il avait donc droit aux prestations d’assurance-emploi pour la période s’étant écoulée entre son congédiement et sa réinsertion.

[7]  Le Division d’appel a rejeté cette demande de permission en application de l’alinéa 58(1) de la Loi, lequel prévoit qu’elle ne peut se saisir d’un appel d’une décision de la Division générale que dans les cas où :

  La division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

  Elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou

  Elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[8]  Puisque l’article 66 de la Loi n’accorde à la Division générale aucune discrétion pour déroger au délai d’un an imposé pour demander l’annulation ou la modification d’une de ces décisions, la Division d’appel conclut que la Division générale n’a commis aucune des erreurs énumérées à l’alinéa 58(1). La demande qui lui a été présentée près de quatre ans après qu’elle ait rendu sa décision finale était tardive et ne pouvait être accordée.

III.  Question en litige et norme de contrôle

[9]  Cette demande de contrôle judiciaire ne soulève qu’une seule question : la Division d’appel a-t-elle erré en concluant que l’appel que M. Marcoux tentait de loger n’avait aucune chance raisonnable de succès?

[10]  La norme de contrôle applicable à l’examen de cette question est celle de la décision raisonnable (Andrews c Canada (Procureur général), 2018 CF 606 au para 17; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 16). La Cour doit donc examiner à la fois le caractère raisonnable de la justification et des conclusions de la Division d’appel, et n’intervenir que pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif (Vavilov au para 13).

IV.  Analyse

[11]  M. Marcoux reproche principalement à la Division générale de ne pas lui avoir suggéré en septembre 2014 de suspendre le dossier dont elle était saisie dans l’attente du dénouement de son grief de congédiement injuste. Il s’agit là, selon lui, d’un manquement aux principes d’équité procédurale qui justifie l’intervention de la Cour.

[12]  Pour expliquer le délai entre le moment du règlement intervenu en juin 2016 et le dépôt de sa demande d’annulation en janvier 2019, M. Marcoux allègue qu’il n’a reçu copie de l’entente de règlement qu’à la fin de l’année 2018. Il aurait d’abord demandé à son employeur, sans succès, de lui en fournir copie pour enfin la recevoir de son représentant syndical.

[13]  À l’égard de la décision sous étude, M. Marcoux reproche à la Division d’appel de ne pas avoir tenu compte, en 2019, du manquement à l’équité procédurale commis par la Division générale en septembre 2014.

[14]  Or, la Division d’appel était appelée à examiner la décision de la Division générale de 2019 – concernant l’impact du délai de déchéance d’un an – pour déterminer si l’appel avait une chance raisonnable de succès, et non la décision finale rendue en 2014. À l’égard de cette dernière décision, le remède aurait été de demander la permission d’en appeler dans les 30 jours, ce que M. Marcoux n’a pas fait en 2014.

[15]  Il n’est pas rare qu’un employé congédié pour cause demande des prestations d’assurance-emploi alors même qu’il conteste son congédiement. M. Marcoux savait qu’il avait déposé un grief, il est présumé connaître la loi et était, de surcroit, représenté par son syndicat. Il aurait pu demander la suspension de sa cause devant la Division générale en 2014, dans l’attente du résultat de son grief, ce qu’il n’a pas fait. Il ne peut aujourd’hui reprocher à la Division générale de ne pas lui avoir proposé un remède qu’il n’a pas lui-même recherché.

[16]  Si l’on revient aux décisions de 2019, la question pour la Division d’appel était de savoir si M. Marcoux avait soulevé, dans ses moyens d’appel, une erreur de la nature de celles énumérées à l’alinéa 58(1) de la Loi qu’aurait commise la Division générale et qui aurait conféré à l’appel une chance raisonnable de succès.

[17]  Pour répondre à cette question, la Division d’appel devait se demander si la Division générale a correctement appliqué les conditions strictes énumérées à l’article 66 de la Loi qui donnent ouverture à une demande d’annulation ou de modification d’une de ses décisions par la Division générale. Il y en a trois :

  Il doit y avoir un fait nouveau survenu après le prononcé de la décision;

  Il ne peut y avoir plus d’une demande de révision d’une même décision; et

  La demande de révision doit être présentée dans l’année suivant la réception de la décision dont on demande l’annulation ou la modification.

[18]  En 2019, la Division générale admet, pour les fins de la discussion, que les deux premières conditions sont rencontrées. Elle retient toutefois qu’il n’est pas contesté que la décision initiale ait été émise le 2 septembre 2014 et transmise par la poste à M. Marcoux le 3 septembre 2019. Aux termes de l’alinéa 19(1) a) du Règlement sur le Tribunal de la sécurité sociale, DORS/2013-60, M. Marcoux est présumé en avoir reçu copie dix jours après la mise à la poste, soit le 13 septembre 2014. Son délai pour présenter une demande d’annulation ou de modification expirait donc le 13 septembre 2015, de sorte que sa demande présentée en janvier 2019 est tardive. La Division générale la rejette pour ce seul motif.

[19]  La Division d’appel quant à elle ne voit aucune erreur dans cette analyse et conclut, pour le même motif, que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

[20]  Puisque la Loi n’accorde à la Division générale aucune discrétion dans l’application du délai de déchéance prévu à l’alinéa 66(2) de la Loi (Maclean c Canada (Procureur général), 2019 CAF 277 au para 6), non seulement cette décision est-elle raisonnable mais elle est la seule décision que pouvait rendre la Division générale. Partant, la justification offerte et les conclusions retenues par la Division d’appel sont raisonnables.

V.  Conclusion

[21]  Puisque la Division générale n’avait, en 2014, aucune obligation de suspendre de son propre chef le dossier de M. Marcoux, et puisque sa demande d’annulation et de modification a été soumise hors délai, la décision de la Division d’appel est intrinsèquement logique et rationnelle et elle fait partie des issues raisonnables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[22]  Le Procureur général n’a pas demandé que la Cour lui accorde ses frais de justice et aucun tel frais ne sera accordé.


JUGEMENT dans T-763-19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucun frais n’est accordé.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-763-19

 

INTITULÉ :

FERNAND MARCOUX c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Québec (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 mars 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE en chef adjointe GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 MAI 2020

 

COMPARUTIONS :

Philippe Thériault

 

Pour le demandeur

 

Isabelle Mathieu-Millaire

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Côté Carrier Avocats

Québec (Québec)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Québec (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.