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Date : 20000831


Dossier : IMM-4574-99



ENTRE


RANJIT SINGH SIDHU,


demandeur,


- et -



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


défendeur.




     MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE LEMIEUX


INTRODUCTION ET CONTEXTE


[1]          Ranjit Singh Sidhu (le demandeur) cherche dans cette demande de contrôle judiciaire à faire annuler la décision qu'a prise le 10 août 1999 la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) qui a déterminé qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]          Le demandeur est un citoyen de l'Inde et un Sikh qui résidait au Punjab avant de fuir au Canada où il a affirmé avoir une crainte bien fondée de persécution en raison des opinions politiques qui lui sont imputées.

[3]          L'élément central de sa revendication est que la police pense qu'il est un militant Sikh et un partisan actif du mouvement nationaliste. Son lien avec les activistes Sikh serait son cousin et son frère qui sont devenus membre du parti Shiromani Akali Dal en 1995.

[4]          Dans son FRP, le demandeur relate un incident survenu le 20 janvier 1995 au cours duquel son frère et lui ont été arrêtés, incarcérés et torturés puis libérés trois jours plus tard après le versement d'un pot-de-vin. Le demandeur a également mentionné avoir été convoqué au poste de police le 9 juillet 1997 après qu'un train ait sauté à 80 kilomètres de son village. Il a été interrogé au sujet de son cousin et d'autres militants mais son frère et lui n'ont pas été arrêtés grâce à l'intervention du maire du village.

[5]          L'événement qui a convaincu le demandeur à s'enfuir s'est produit le 8 août 1998. Ce jour-là, la police a intercepté un des camions de la famille parce que ce camion aurait été utilisé par des militants qui auraient tiré sur eux avant de s'enfuir. La police prétendait avoir trouvé des munitions à bord du véhicule. Le demandeur prétend avoir été arrêté le 10 août 1988 mais que son frère, absent de la maison, aurait été épargné. Le demandeur affirme également avoir été torturé. Son frère et lui ont été accusés d'avoir nourri et hébergé des militants et de leur avoir fourni un camion. Il aurait lui-même été accusé d'être militant, d'avoir des liens avec son cousin et des militants Sikh et Kashmiris et d'être des agents des services de renseignement pakistanais.

[6]          Le demandeur a été relâché le 13 août 1998, là encore grâce à l'intervention du maire du village, ainsi que d'autres notables et à la suite du versement d'un pot-de-vin. Il affirme qu'on lui a ordonné d'amener son frère et le chauffeur du camion le plus vite possible et de se présenter au poste de police une fois par mois.

[7]          Il s'est réfugié dans la maison de son oncle à Delhi mais soutient que le 5 septembre 1998, la police s'est rendu au domicile de son oncle pour poser des questions à son sujet et que le lendemain la police est revenue pour l'arrêter. C'est alors qu'il a décidé de s'enfuir.

LES ERREURS INVOQUÉES PAR LE DEMANDEUR

[8]          L'avocat du demandeur soutient que le tribunal a commis trois erreurs qui justifieraient une intervention de notre cour.

[9]          Premièrement, le demandeur conteste la conclusion du tribunal selon laquelle les faits relatés par le demandeur seraient incompatibles avec les preuves documentaires provenant de diverses sources dont disposait le tribunal et qui montraient que l'Inde jouissait aujourd'hui d'une paix relative, en particulier, dans la région du Punjab.

[10]          Deuxièmement, le demandeur conteste le fait que le tribunal ait déclaré invraisemblable que la police ait libéré le demandeur après la prétendue saisie de son camion en août 1998. Le tribunal a déclaré ceci à la page 3 de sa décision :

     Le transport d'armes entre le Kashmir et l'Inde est un crime des plus graves. De plus, lors de l'interception du camion par les policiers, les militants auraient tiré sur eux avant de s'enfuir ce qui aggravait grandement la situation. Ajouté à cela le fait que le revendicateur et son frère étaient déjà soupçonnés d'être des collaborateurs et même des militants depuis 1993. Dans ces circonstances, il n'est pas plausible que l'intervention de personnes influentes et le paiement de pot-de-vin aurait pu convaincre la police de libérer le revendicateur.
     Il est vrai que la preuve documentaire nous indique que le paiement de pots-de-vin aux policiers est chose courante partout en Inde. Cependant, cela n'a rien à voir avec la politique.
     Face à une situation telle que décrite par le revendicateur, la preuve documentaire ne nous permet pas de croire que la police devant ce genre d'activités aurait si facilement libéré le revendicateur.

[11]          Troisièmement, l'avocat du demandeur soutient que le tribunal a commis une erreur en n'accordant aucune valeur probante à quatre éléments de preuve documentaires corroborants présentés par le revendicateur. Il s'agit des documents suivants : (1) une lettre datée du 22 février 1999 émanant du président du Shiromani Akali Dal confirmant le fait que le frère du demandeur était un membre actif de ce parti politique qui défendait les droits des Sikhs. Cette lettre confirmait le fait que le demandeur avait été harcelé par la police, qu'il avait quitté l'Inde parce que sa vie était en danger et que, s'il y retournait, il serait torturé et tué au cours d'une embuscade simulée; (2) deux affidavits émanant du maire du village corroborant le fait qu'il était intervenu en faveur du demandeur et de son frère après les arrestations dont ils avaient fait l'objet; (3) des photographies et (4) un rapport médical décrivant les blessures subies par le demandeur.

ANALYSE

[12]          J'estime que le demandeur ne peut obtenir gain de cause dans sa demande de contrôle judiciaire. Les erreurs alléguées par son avocat ne peuvent être retenues.

LA PREMIÈRE ET LA DEUXIÈME ERREURS ALLÉGUÉES

[13]          Le tribunal aurait commis une première erreur en interprétant de façon arbitraire la preuve documentaire. Le demandeur soutient que la preuve documentaire présentée sous la forme de rapports émanant de groupes de défense des droits de la personne indique qu'en 1998, il y avait des troubles graves au Punjab, que les militants étaient actifs et qu'il y avait des attentats à la bombe et des meurtres.

[14]          J'ai examiné la preuve documentaire dont a fait état le tribunal. Il y avait des éléments allant dans les deux sens mais je ne peux conclure que le tribunal n'était pas fondé à conclure qu'il existait une « paix relative » au Punjab en 1998.

[15]          La deuxième erreur concerne le fait que le tribunal a conclu au manque de plausibilité du témoignage du demandeur. L'avocat du demandeur soutient que le tribunal a conclu au manque de crédibilité de l'histoire du demandeur non pas en se fondant sur des contradictions dans son témoignage mais plutôt sur des critères extrinsèques. C'est ce qui permet de contester les déductions qu'a tirées le tribunal. Le demandeur invoque la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Ye c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (no du greffe A-711-90, 24 juin 1992). Il cite également la décision de la Cour d'appel fédérale dans Giron c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (no du greffe A-387-89, 28 mai 1992).

[16]          Je considère que la Cour d'appel fédérale a énoncé la règle applicable à ce domaine du droit dans la décision qu'elle a prononcée le 16 juillet 1993 dans l'affaire Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R., p. 315. Le juge Décary, parlant au nom de la Cour, a déclaré :

[4]      Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau.

[17]          La Cour d'appel fédérale a énoncé un autre principe dans l'arrêt Shahamati c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (no du greffe A-388-92, 24 mars 1994) dans lequel le juge Pratte a déclaré :

... On ne nous a pas convaincu que la conclusion que la Commission a tiré au sujet de la crédibilité était abusive ou arbitraire. Contrairement à ce qu'on a parfois dit, la Commission a le droit, pour apprécier la crédibilité, de se fonder sur des critères comme la raison et le bon sens.

[18]          En appliquant les principes énoncés dans les arrêts Aguebor et Shahamati, (précités), je conclus que le tribunal n'a pas commis d'erreur susceptible d'être contrôlée judiciairement lorsqu'il en est arrivé à la conclusion que, dans les circonstances décrites par le demandeur, il aurait pu être relâché en payant un pot-de-vin. Au cours de cet incident, il y avait eu échange de coups de feu entre les militants et la police dans un camion appartenant à la famille du demandeur qui aurait été utilisé pour transporter des armes provenant du Kashmir. La conclusion du tribunal n'est pas déraisonnable.

TROISIÈME ERREUR -- ABSENCE DE VALEUR PROBANTE ACCORDÉE À LA PREUVE DOCUMENTAIRE DU DEMANDEUR


[19]          D'après moi, la question de savoir si le tribunal n'a accordé aucune force probante aux affidavits préparés par le maire du village et à la lettre du président du parti concerne l'appréciation des éléments de preuve. Je mentionne ceci parce que la transcription des débats indique qu'il existait certains éléments qui pouvaient fonder le tribunal à écarter ces documents.

[20]          Dans le cas des affidavits du maire du village, le tribunal en est arrivé à sa conclusion en se basant sur l'impossibilité matérielle que ces affidavits aient été reçus au moment où ils l'ont été ainsi que sur les incohérences internes existant entre ces deux documents. Dans le cas de la lettre du président du parti, la preuve démontre que cette lettre est basée sur les renseignements qui ont été fournis à son auteur par le père du demandeur.

[21]          Il est bien établi que les tribunaux chargés de réviser une décision n'ont pas le droit d'apprécier les preuves régulièrement présentées à un tribunal administratif (voir Syndicat canadien de la fonction publique c. Montréal, [1997] 1 R.C.S. 793, à la p. 844, dans laquelle Mme le juge L'Heureux Dubé a déclaré, au nom de la Cour :

Les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve.

Voir également Brar c. Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (C.A.F., no du greffe A-987-84, 29 mai 1986).

[22]          Pour ce qui est des photographies et du rapport médical que conteste le demandeur, la Cour n'est pas justifiée à intervenir. Le tribunal n'a accordé aucune valeur probante aux photos parce que celles-ci ne permettent pas au tribunal d'établir un lien entre elles et le témoignage du demandeur. Quant au rapport médical, le tribunal a jugé qu'il ne pouvait relier le rapport médical à l'histoire non crédible relatée par le demandeur. J'estime que le tribunal était fondé d'en arriver à ces conclusions.

[23]          Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'a été proposée en vue d'être certifiée.

     « François Lemieux »

     _______________________________

     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

31 août 2000

Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.





Date : 20000831


Dossier : IMM-4574-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 31 AOÛT 2000

DEVANT      M. LE JUGE LEMIEUX


ENTRE :


RANJIT SINGH SIDHU,


demandeur,


- et -



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


défendeur.



     ORDONNANCE

     Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est certifiée.

     « François Lemieux »

    

Traduction certifiée conforme


Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad a.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DE GREFFE :              IMM-4574-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :      RANJIT SINGH SIDHU c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE :          le 22 août 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR le juge Lemieux

EN DATE DU 31 août 2000


ONT COMPARU :

Jean-François Bertrand              POUR LE DEMANDEUR
Jocelyne Murphy                  POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslaurires              POUR LE DEMANDEUR

Montréal

Morris Rosenberg                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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