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Date : 19990525


Dossier : IMM-4627-98



ENTRE :

     JAGDEEP SINGH PUNIA,


     demandeur,

     - et -




     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,


     défendeur.




     MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE



LE JUGE CAMPBELL



[1]      Le demandeur conteste par voie de contrôle judiciaire la décision de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié (Section d"appel) (SAI) en date du 19 août 1998, dans laquelle la SAI a rejeté l"appel du demandeur relativement au refus d"un agent des visas d"accueillir la demande du droit d"établissement présentée par son fils adoptif.

Les faits

[2]      Le demandeur, Jagdeep Singh Punia, est un résident permanent du Canada à la suite de l"obtention de son droit d"établissement le 10 décembre 1986. Sa femme et lui ont trois jeunes filles, nées en 1990, en 1991 et en 1996. Le demandeur travaille à titre de conducteur-livreur pour un nettoyeur à sec.

[3]      Le couple a adopté un fils de 12 ans en Inde en janvier 1994 prénommé Jagtar, dont le père biologique est un cousin éloigné du demandeur. Après le processus d"adoption, le demandeur a fait des arrangements pour que son fils vive avec Hardam Singh Khatra, qui a par la suite obtenu par procuration le pouvoir d"agir à titre de tuteur de l"enfant. Le demandeur fait parvenir de l"argent au tuteur pour l"entretien de l"enfant. Le 5 septembre 1995, Jagtar a présenté une demande de résidence permanente au Canada à l"ambassade du Canada à New Delhi. Un agent des visas a interviewé Jagtar, ses parents biologiques, son tuteur, de même que le demandeur le 25 janvier 1996 en Inde.

[4]      La demande de l"enfant a subséquemment été rejetée, et le demandeur a porté la décision en appel. Une audience a été tenue devant la SAI le 2 juin 1998.


La décision de la SAI

[5]      La SAI a déclaré que les questions en litige étaient de savoir s"il existait une véritable relation parent-enfant, et si l"adoption constituait un moyen détourné d"obtenir l"entrée de Jagtar au Canada. Sa décision défavorable s"appuie sur un certain nombre d"incohérences et de contradictions relevées quant à trois éléments de la preuve : les motifs de l"adoption, la nature et la fréquence des contacts entre le demandeur et Jagtar, et la seconde visite du demandeur en Inde, au début de 1996.

[6]      La SAI a noté que le demandeur avait affirmé à l"entrevue avec l"agent des visas qu"il avait développé de l"affection pour Jagtar avant d"immigrer au Canada, et qu"il a voulu recourir à l"adoption après que sa femme a eu des complications lors de l"accouchement de ses deux premiers enfants. À l"audience, toutefois, le demandeur a témoigné que son affection pour Jagtar s"est développée au moment où sa famille avait effectué une visite en Inde du 16 octobre 1993 au 14 février 1994, et que c"est durant cette période que le demandeur a décidé d"adopter Jagtar.

[7]      La SAI a jugé que le demandeur aurait dû être plus cohérent quant à ses motifs d"adoption, et que son défaut de mentionner les raisons qu"il avait données à l"agent des visas indique que ses motifs sont [TRADUCTION] " suspects ".

[8]      En ce qui concerne le deuxième élément de preuve, à savoir la nature et la fréquence des contacts entre le demandeur et Jagtar, la SAI a conclu que les anomalies contenues dans la preuve laissent croire que le contact n"a pas été régulier, ce qui est atypique d"une véritable relation parent-enfant. Le demandeur a témoigné que le tuteur, avec qui réside Jagtar, a le téléphone chez lui depuis 1995. La communication s"établit parfois difficilement et il arrive donc fréquemment que le tuteur utilise plutôt un téléphone public, ou le téléphone de ses voisins. Au cours de l"entrevue avec l"agent des visas, cependant, le tuteur a déclaré ne pas posséder son propre téléphone.

[9]      Le demandeur a également témoigné qu"il avait écrit quatre ou cinq lettres à son fils avant de décider de s"en remettre principalement au contact téléphonique vers la fin de 1994 ou au début de 1995. À l"entrevue, toutefois, le tuteur a affirmé que le demandeur écrivait des lettres à chaque mois.

[10]      Le troisième élément de la preuve du demandeur dans lequel la SAI a relevé des incohérences fait référence au deuxième voyage du demandeur en Inde du 31 décembre 1995 au 26 janvier 1996 (le processus d"adoption a eu lieu durant la première visite du demandeur). Le demandeur était seul lors de ce voyage, effectué en partie pour assister à l"entrevue relative à l"obtention du visa le 25 janvier 1996. Le demandeur a témoigné qu"il est resté deux nuits chez le tuteur, et les autres nuits chez d"autres parents; qu"il a passé les matins et les soirs avec Jagtar, lorsque celui-ci n"était pas à l"école. Le tuteur a donné à l"agent des visas essentiellement la même version à l"entrevue.

[11]      La SAI n"a pas accepté cette partie de la preuve, en raison non pas de ses incohérences ou de ses contradictions, mais bien de sa plausibilité. Elle n"a tout simplement pas cru que le demandeur soit revenu à la demeure du tuteur de la manière qu"il prétend l"avoir fait. La SAI a affirmé :


[TRADUCTION] Le tribunal ne peut accepter qu"un véritable père ne prenne pas l"occasion de consacrer plus de temps à son fils adoptif au cours d"une visite qui a duré plus de trois semaines. Le tribunal se serait attendu à ce que l"appelant fasse des arrangements pour rendre visite au requérant en dehors des heures d"école afin de passer plus de temps avec lui. De plus, l"appelant n"a rendu qu"une seule visite au requérant en bientôt quatre ans depuis l"adoption. Le tribunal juge que l"appelant n"a pas accordé suffisamment d"importance au fait de visiter le requérant, ce qui n"est pas compatible avec une relation parent-enfant1.


Analyse

[12]      Dans Canada (MCI) c. Erada2, la Cour a statué qu"il y avait deux obstacles qui se dressaient devant le demandeur qui désirait remporter sa cause devant la SAI dans une affaire comme celle-ci. Premièrement, les exigences juridiques du droit étranger en matière d"adoption doivent avoir été respectées. Deuxièmement, une véritable relation parent-enfant doit être établie, conformément au paragraphe 2(1) du Règlement sur l"immigration.

[13]      Le premier obstacle ne fait pas l"objet d"un litige en l"espèce. La présente affaire renvoie au second obstacle, qui traite de la nature de la relation parent-enfant.

[14]      Comme l"a exposé la Cour précédemment, la SAI a émis des réserves relativement à trois éléments de la preuve. Chacun d"eux mérite d"être examiné.

[15]      La première réserve de la SAI concerne les raisons du demandeur de recourir à l"adoption. Lorsque l"agent des visas lui a demandé la raison pour laquelle il voulait adopter un enfant, le demandeur a déclaré que sa femme ne voulait plus d"enfants et qu"elle avait des craintes en raison des complications survenues durant ses deux premiers accouchements. Le couple désirait également avoir son propre fils. Jagtar a été choisi parce que le demandeur lui est apparenté de loin; le demandeur a aussi déclaré qu"il avait l"habitude de rendre visite à la famille de Jagtar, et qu"il s"est ainsi attaché à l"enfant3. À l"audience devant la SAI, le demandeur a affirmé qu"il avait déjà deux filles, et qu"il était préoccupé par le fait que sa femme puisse donner naissance à une troisième. Avoir un fils était réellement imprtant pour lui pour des motifs culturels, selon lesquels les fils valent davantage que les filles, et il était également conscient qu"il avançait en âge. Il a témoigné que, au cours de la visite en Inde, tous les membres de la famille se sont attachés à Jagtar, qu"ils ont rencontré lorsqu"ils ont visité la parenté considérablement étendue du demandeur4.

[16]      Il est difficile de concevoir comment ces réponses peuvent être incohérentes les unes par rapport aux autres. Elles sont plutôt complémentaires, et le témoignage du demandeur ne fait qu"expliquer ce qui a dû être bien plus qu"une simple décision susceptible d"être justifiée par une simple raison.

[17]      Quant à la seconde réserve de la SAI, à savoir la nature et la fréquence des contacts, le demandeur a dit à l"entrevue que le tuteur possédait un téléphone. Il a de plus ajouté qu"il donnait ses messages à un tiers, qui les transmettait alors au tuteur, et que lui et le tuteur communiquaient deux fois par semaine en cas d"" urgence ", et à quelques semaines d"intervalle en temps normal. Le tuteur a toutefois déclaré qu"il ne possédait pas de téléphone, mais que lui et l"enfant appelaient le demandeur, qui alors rappelait. La fréquence des appels était de un mois ou deux. Le tuteur a aussi présenté trois lettres à l"agent des visas5. À l"audience, le demandeur a affirmé que son fils et lui se parlaient au moins une fois par mois, et que parfois son fils lui téléphonait à partir d"un téléphone public quand il se sentait triste6. Il a aussi affirmé que le tuteur s"est fait installer le téléphone après 1995, mais qu"il ne pouvait en être tout à fait certain, et que, lorsqu"il ne pouvait pas entrer en communication avec la demeure du tuteur, il appelait alors les voisins7.

[18]      Le demandeur a témoigné qu"il avait au départ écrit quelques lettres à son fils, mais qu"il est devenu par la suite trop occupé; le téléphone est alors devenu leur moyen de communication. Il a par ailleurs indiqué qu"ils s"envoyaient des cartes de fête et des cartes de Noël. Lorsque la SAI a interrogé le demandeur quant au nombre précis de lettres écrites, celui-ci a répondu qu"il en avait écrit quatre ou cinq, mais qu"il n"en était pas sûr et qu"il pouvait en avoir écrit davantage8.

[19]      La seule divergence dans cet élément de preuve est liée au fait de savoir si le tuteur avait un téléphone. Le demandeur a affirmé que oui, alors que le tuteur a dit à l"agent des visas qu"il n"en avait pas. Mis à part cela, cependant, le demandeur et le tuteur ont indiqué que les appels téléphoniques se faisaient en provenance de l"Inde à l"aide des téléphones publics et de ceux des voisins. Le demandeur a témoigné également qu"il appelait parfois les voisins dans le but d"être mis en contact avec son fils. La Cour est d"avis que cet écart mineur ne constitue pas une preuve suffisante pour conclure que le demandeur n"était pas crédible.

[20]      En dernier lieu, en ce qui concerne la seconde visite du demandeur en Inde, il n"existe aucune incompatibilité entre le témoignage du demandeur et les déclarations faites par le tuteur devant l"agent des visas. Rien dans la décision de la SAI n"appuie sa conclusion selon laquelle la prétention du demandeur qu"il rendait visite à son fils avant et après l"école n"était pas soutenue par une preuve crédible. Alors que la SAI s"attendait à ce que le demandeur organise sa visite à un moment où l"enfant n"était pas à l"école, elle semble avoir oublié, ou sous-estimé, la stratégie du demandeur au cours de sa visite, soit consacrer du temps à Jagtar les matins et les soirs. De plus, le demandeur était aussi en Inde alors pour assister à l"entrevue avec l"agent des visas. Les conclusions de la SAI relatives à cet élément sont sans fondement.

[21]      En dernière analyse, la SAI semble avoir tiré des conclusions relativement à la plausibilité de la preuve du demandeur qui ne sont pas appuyées par des motifs valables. La preuve indique que le demandeur et sa femme voulaient adopter Jagtar parce que celui-ci était un parent éloigné du demandeur, qu"il était un garçon, et que toute la famille s"y était attachée. La cérémonie d"adoption a eu lieu, et le demandeur a par la suite retiré Jagtar de la garde de ses parents biologiques, choisi un tuteur, et confié Jagtar aux soins de cette personne. Le demandeur a assumé les coûts de l"entretien de son fils, maintenu un contact avec lui, d"abord par des lettres, puis par téléphone, et lui a rendu visite une fois en Inde.

[22]      La Cour est d"avis que les conclusions de la SAI en ce qui concerne la preuve constituent une erreur aux termes de l"alinéa 18.1(4)d ) de la Loi sur la Cour fédérale, en ce qu"elles ont été tirées sans égard à la preuve.

[23]      Par conséquent, la décision est annulée, et le dossier est renvoyé pour réexamen devant un tribunal différemment constitué.


     " Douglas R. Campbell "

     JUGE

Calgary (Alberta)

25 mai 1999

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




NO DU GREFFE :      IMM-4627-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      JAGDEEP SINGH PUNIA c. MCI     

LIEU DE L"AUDIENCE :      CALGARY (Alberta)

DATE DE L"AUDIENCE :      21 mai 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE ET ORDONNANCE PRONONCÉS

PAR LE JUGE CAMPBELL

EN DATE DU :      25 mai 1999



COMPARUTIONS

Charles Darwent      pour le demandeur

B. Hardstaff      pour le défendeur



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Darwent Law Office

Calgary (Alberta)      pour le demandeur

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)      pour le défendeur



COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE




Date : 19990525


Dossier : IMM-4627-98



ENTRE :



JAGDEEP SINGH PUNIA,


         demandeur,


- et -



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION,


défendeur.








MOTIFS DE L"ORDONNANCE

ET ORDONNANCE



__________________

1      Dossier de la demande du demandeur [DD], à la p. 17.

2      (1996), 108 F.T.R. 60 (1re inst.).

3      Voir DD, notes de l"agent des visas, à la p. 12.

4      Voir la transcription de l"audience, aux pp. 7, 11, 12, 15 et 22 à 24.

5      Voir DD, notes de l"agent des visas, à la p. 12.

6      Transcription de l"audience, aux pp. 10, 11, 25 et 26.

7      Ibid., aux pp. 25 et 26.

8      Transcription de l"audience, aux pp. 10, 20, 25 et 26.

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