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Date : 20060412

Dossier : IMM-4745-05

Référence : 2006 CF 471

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

 

ENTRE :

MUHAMMAD AHMAD CHAUDHRY

(aussi appelé CHAUDHRY MUHAMMAD AHMAD)

 

demandeur

 

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision rendue le 21 juillet 2005 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) qui a statué que le demandeur n’avait pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger parce que :

1.         il manquait de crédibilité;

 

2.         il n’avait pas prouvé qu’il était une personne persécutée du fait de ses opinions politiques;

 

3.                  il n’éprouvait aucune crainte subjective ou objective d’être persécuté au Pakistan.

 

Faits

 

[2]               Le demandeur était un citoyen pakistanais âgé de 41 ans au moment de l’audition de sa demande d’asile devant la Commission. En 1997, il est devenu membre de la Ligue musulmane (Pakistan Muslim League – PML) dans une faction particulière nommée Nawaz (PML-N). Il prétend également avoir joué un rôle essentiel dans la mise sur pied de l’Alliance pour la restauration de la démocratie (Alliance for Restoration of Democracy – ARD), une association politique liée à la PML-N. Le demandeur habitait dans le district de Sialkot, où il prétend avoir aidé un candidat de la PML-N lors de la campagne électorale de 2002, avoir incité de nombreux nouveaux membres à se joindre au parti, avoir condamné publiquement les pratiques du gouvernement lors d’une manifestation le 12 octobre 2002 et avoir été vice-président de l’ARD à Sialkot.

 

Agression et menaces

 

[3]               Le demandeur soutient que, le 4 mai 2004, son véhicule a été arrêté et qu’il a été agressé par des sympathisants de deux membres de la faction rivale PML-Q : Ameer Hussain, alors président de l’Assemblée nationale du Pakistan, et Ajmal Cheema, alors ministre de l’Industrie au Panjab. Les agresseurs du demandeur auraient menacé de le tuer s’il n’abandonnait pas son allégeance politique. Le père du demandeur aurait tenté d’obtenir qu’un Premier rapport d’information soit déposé contre MM. Hussain et Cheema, ce que la police aurait refusé de faire pour le motif qu’il n’y avait aucun témoin.  

 

[4]               Deux jours plus tard, le 6 mai 2004, MM. Hussain et Cheema, respectivement président de l’Assemblée nationale et ministre de l’Industrie, sont venus chez le demandeur avec des gardes du corps brandissant leur fusil et ont menacé le demandeur de le tuer pour qu’il serve d’exemple aux autres partisans de la PML‑N, à moins qu’il n’abandonne son allégeance politique dans les deux semaines suivantes et qu’il cesse tout à fait d’essayer de déposer une plainte contre eux. À la suite de ces incidents, M. Chaudhry aurait été forcé de démissionner de son poste de coordonnateur du district pour l’ARD à Sialkot et de fuir vers le Canada. Pour prouver les menaces à son endroit, le demandeur a produit devant la Commission : 

1.         deux affidavits de voisins qui ont été témoins de l’incident;

 

2.         deux lettres provenant de dirigeants de la PML‑N et de l’ADR attestant l’importance du rôle du demandeur au sein du parti et les menaces proférées contre lui.

 

Fuite vers le Canada

 

[5]               Le gouvernement pakistanais à Lahore a délivré au demandeur un passeport valide en mai 2004. Le demandeur a fui le Pakistan le 10 mai 2004 et est entré au Canada le 13 mai 2004 à l’Aéroport international Pearson de Toronto, via les Émirats arabes unis et le Royaume-Uni, en utilisant de faux documents. Le demandeur a immédiatement demandé l’asile, à l’aéroport.

 

Demande d’asile

 

[6]               Le demandeur a affirmé craindre avec raison d’être persécuté par des éléments violents de la PML-Q parce qu’il appuie politiquement la PML-N et parce qu’il en est un membre bien en vue. M. Chaudhry a également prétendu que sa vie serait en danger s’il retournait au Pakistan à cause des menaces de mort qu’il avait précédemment reçues. 

 

Décision à l’étude

 

[7]               La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur parce qu’il manquait de crédibilité, parce qu’il n’avait pas prouvé qu’il était une personne persécutée du fait des ses opinions politiques ou de son appartenance à la PML-N ou à l’ARD et parce qu’il n’éprouvait pas de crainte subjective ou objective d’être persécuté au Pakistan. Le demandeur a reconnu qu’il n’avait pas eu peur de demander son passeport au gouvernement pakistanais, ce qui, selon la Commission, ne concorde pas avec une crainte subjective d’être persécuté par ce même gouvernement. Le tribunal a conclu qu’il n’existait aucune crainte objective de persécution pour le motif que : (1) une lettre écrite par Idress Ahmed Bajwa indiquait que le père du demandeur était trésorier du district pour la PML‑N, qu’il habitait encore chez lui sans craindre d’être persécuté; et (2) selon l’élément de preuve documentaire daté du 5 mai 2004, aucun incident violent contre la PML‑N, qui a assisté aux conférences sur la politique étrangère du président Musharraf en 2003, n’a été signalé récemment. La Commission a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité parce que :

(a)        l’affirmation du demandeur selon laquelle il a incité 2000 nouveaux membres à se joindre à la PML‑N dans son district contredit son FRP, qui ne fait pas mention de ce chiffre;

 

(b)        une lettre écrite par Idress Ahmed Bajwa indique que le père, la mère et la sœur du demandeur ont aussi joué un rôle dans la PML‑N, ce que le demandeur n’a pas mentionné dans son témoignage; 

 

(c)        bien que la lettre écrite par Khawaja Awais Mushtaq indique que M. Chaudhry a dû démissionner de son poste de coordonnateur du district pour l’ARD à Sialkot à cause de l’agression et des menaces de mort de mai 2004, la lettre ne fait aucune mention de la participation du demandeur à la campagne de 2002 et l’en‑tête de la lettre était celle du cabinet d’avocats de l’auteur et non de la PML‑N ou de l’ARD; 

 

(d)        la déclaration du demandeur selon laquelle les membres de sa famille ont été harcelés par les autorités de l’impôt sur le revenu relativement à leur entreprise a été omise dans son FRP;

 

(e)        la déclaration du demandeur selon laquelle il a publiquement condamné les pratiques du gouvernement Musharraf lors d’un grand rassemblement politique en octobre 1999 a été omise dans son FRP;

 

(f)         le demandeur n’a pas expliqué comment ceux qui travaillaient pour la PML-N ont été menacés lors de l’élection de 2002, comme il le prétend dans son FRP;

 

(g)        le demandeur n’a pas produit d’article de journal ou de rapport médical étayant l’agression et les menaces dont il avait été victime en mai 2004;

 

Questions

 

[8]               La seule question soulevée dans la présente demande est celle de savoir si la Commission a tiré une conclusion manifestement déraisonnable quant à la crédibilité, touchant une question essentielle à la demande d’asile du demandeur.

 

Norme de contrôle

 

[9]               Puisque la question en l’espèce est de savoir si la Commission a commis une erreur quant aux faits, la norme de contrôle applicable est la décision manifestement déraisonnable. Voir la décision Malik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1617, rendue par le juge Pierre Blais, au paragraphe 7. Pour que la Cour annule une décision de la Commission pour le motif qu’elle est manifestement déraisonnable, la décision doit être fondée sur une conclusion de fait qui est clairement erronée ainsi qu’arbitraire ou tirée sans égard pour la preuve, comme l’exprime le juge Blais dans Malik au paragraphe 17 :

¶ 17      Afin de justifier l'intervention de la Cour, le demandeur devait remplir trois conditions : d'abord, que les conclusions de faits devaient être clairement erronées, ce qui n'est pas le cas pour les raisons exprimées précédemment. Ensuite, que les conclusions devaient être capricieuses ou sans regard à la preuve, ce qui n'est pas le cas non plus. Enfin, pour être cassée, la décision devait être elle-même basée sur des conclusions erronées quant aux faits.

 

 

Analyse

 

[10]           La Cour a jugé, et les deux parties en ont convenu à l’audience, que les motifs de la Commission étaient difficiles à comprendre et peu clairs. Le tribunal a tiré les quatre conclusions de fait manifestement déraisonnables qui suivent.

 

 

(1)        Carte de membre de la PML‑N

 

[11]           La Commission a mentionné la carte de membre de la PML‑N du demandeur délivrée en 1997 et a demandé pourquoi il n’en avait pas de plus récente. La preuve indique que la carte de membre demeure valide indéfiniment à moins que son détenteur ne change d’allégeance. D’après les motifs, il est difficile d’établir si la Commission a tiré une conclusion défavorable à cause de la carte. Il apparaît clairement à la Cour que la carte était valide et, avec d’autres éléments de preuve, qu’elle démontre l’appartenance du demandeur à la PML‑N.

 

(2)        Inciter des nouveaux membres à se joindre à la PML‑N

 

[12]           La Commission a tiré une conclusion défavorable de l’omission par le demandeur de déclarer dans son FRP que, depuis son adhésion à la PML‑N en 1997, il a incité 2000 personnes à se joindre au parti. Cette conclusion donne une représentation inexacte du témoignage du demandeur et est manifestement déraisonnable. 

 

[13]           Dans son FRP, M. Chaudhry a déclaré :

[traduction]

À la suite de mes activités, la PML‑N est devenue tellement populaire que le nombre de ses membres a beaucoup augmenté avant les élections de 1997, qui ont finalement été remportées par la PML‑N.

 

En réponse à une question du tribunal, le demandeur a affirmé avoir incité 2000 personnes à se joindre au parti. Selon la Cour, le demandeur a inscrit dans son FRP le fait important qu’il a attiré des nouveaux membres à la PML‑N et n’a que précisé cette information en indiquant le nombre de 2000 nouveaux membres quand le tribunal l’a interrogé à ce sujet à l’audience.  

 

(3)        Agression de mai 2004 et menaces de mort

 

[14]           La Commission a tiré une conclusion défavorable manifestement déraisonnable de l’absence d’articles de journaux, de Premiers rapports d’information de la police ou de rapports médicaux étayant l’agression et les menaces de mort dont aurait été victime le demandeur en mai 2004. La Commission n’a pas tenu compte du témoignage du demandeur voulant que la police ait refusé que soit déposé un Premier rapport d’information, qu’il ait été soigné par sa famille et que ses voisins aient été témoins des évènements, ce qu’ils ont confirmé par affidavit.  

 

[15]           À l’appui de son témoignage, le demandeur a produit des lettres concernant ces incidents écrites par Idress Ahmed Bajwa, président de la PML(N) pour le district de Sialkot, et par Khwaja Awais Mushtaq, vice-président de l’ARD pour le district de Sialkot, datées respectivement du 13 et du 10 janvier 2005. Ces lettres confirment que le demandeur a été obligé de fuir le pays. L’affidavit signé par le voisin du demandeur Samson Walayat Masih le 27 octobre 2004 confirme qu’il a été témoin de l’agression contre le demandeur le 4 mai 2004. Dans son affidavit, M. Masih affirme entre autres :

[traduction]

3-                           Je suis un voisin de M. Chaudhry. Le 4 mai 2004, alors que je revenais du travail vers 23 h 30, j’ai vu des hommes battre un autre homme dans la rue. Je me suis arrêté parce que je craignais que les hommes battant l’autre homme soient armés. Ils l’ont ensuite laissé là, gisant dans la rue, blessé et couvert d’ecchymoses. Il ne pouvait pas bouger, je l’ai rapidement aidé à se relever, avec d’autres hommes qui étaient aussi venus aider.

 

4-                           Nous l’avons amené chez lui où sa famille a été bouleversée et horrifiée de le voir dans un tel état.

 

5-                           Il avait des blessures et des ecchymoses à la figure, aux bras et au ventre.

 

6-                           J’ai été très ébranlé et terrifié après avoir été témoin d’un incident aussi horrible.

 

[16]           L’affidavit du voisin Malik Arif Mahmood, daté du 26 octobre 2004, confirme qu’il a vu MM. Hussain et Cheema entrer chez le demandeur le 6 mai 2004 avec des gardes du corps qui ont pointé leurs fusils contre le demandeur. Dans son affidavit, M. Mahmood déclare entre autres :

[traduction]

 

(2)            Je suis un citoyen du Pakistan.

 

(3)            Je suis un voisin de M. Chaudhry. Le 6 mai 2004, j’ai vu entrer Ameer Hussain et Ajmal Cheema avec leurs cinq gardes du corps chez M. Chaudhry vers 18 h. Les gardes du corps étaient lourdement armés et les voisins qui les ont vus arriver étaient terrifiés. 

 

(4)            J’ai aussi vu, du toit de ma maison, les gardes du corps pointer leurs armes sur M. Chaudhry; j’ai eu très peur parce que j’ai cru qu’ils allaient le tuer.

 

(5)            Je connais M. Chaudhry depuis de nombreuses années et je sais qu’il exerce de nombreuses activités politiques.

 

(6)            Je connais Ameer Hussain et Ajmal Cheema puisqu’ils sont des hommes politiques très bien connus dans la région et je les ai effectivement vus entrer chez M. Chaudhry et lui parler d’une voix forte.

 

[17]           L’agression et les menaces de mort de mai 2004, apparemment le fait de sympathisants et de hauts gradés de la PML‑Q, sont essentielles à la prétention de M. Chaudhry selon laquelle il est persécuté en raison de son allégeance politique. La Commission pouvait tirer une conclusion défavorable de l’absence de rapports de la police, de médecins ou des médias au sujet des incidents, mais elle était tenue d’expliquer pourquoi elle rejetait les explications du demandeur, les deux affidavits constituant des éléments de preuve importants, pertinents et contredisant sa conclusion, ainsi que les lettres de hauts gradés de la PML‑N. Au contraire, la Commission n’a pas tenu compte du témoignage du demandeur et a fondé sa décision rejetant la demande d’asile de M. Chaudhry sur des conclusions de fait manifestement déraisonnables. 

 

(4)        Documentation sur le pays d’origine 

 

[18]           La Commission a conclu que le cartable national de documentation sur le Pakistan, daté du 2 mars 2005, ainsi que le document de recherche sur le pays d’origine PAK42531.EF, daté du 5 avril 2004, indiquent qu’aucun incident violent contre la PML‑N, qui a assisté aux conférences sur la politique étrangère en présence du président Musharraf en 2003, n’a été signalé récemment. Cette conclusion donne une représentation inexacte de la preuve et est manifestement déraisonnable.

 

[19]           La preuve montre que des membres de la PML‑N ont été arrêtés au Panjab en 2000. La Commission a mal jugé le lieu de résidence du demandeur, l’établissant à Gujarat plutôt qu’à Sialkot. Le district de Sialkot peut se situer dans la province du Panjab, où les arrestations des membres de la PML‑N auraient eu lieu. La Commission devait s’assurer que le Panjab n’incluait pas Sialkot, ce qu’elle n’a pas fait.

 

Conclusion

 

[20]           Bien que M. Chaudhry n’ait pas contesté certaines des conclusions défavorables tirées par la Commission,  et bien qu’après avoir évalué ces conclusions je suis d’avis qu’elles n’étaient pas contestables, je conclus que la Commission a fondé sa décision statuant que le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention sur quatre conclusions de fait manifestement déraisonnables. En conséquence, la décision de la Commission doit être annulée et renvoyée à un tribunal différent pour être jugée de nouveau. 

 

[21]           Les parties n’ont pas proposé de question de portée générale à certifier et aucune n’est certifiée.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

 

 

La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la Commission datée du 21 juillet 2005 est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4745-05

 

INTITULÉ :                                                   MUHAMMAD AHMAD CHAUDHRY

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

                                                                        L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 4 AVRIL 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE KELEN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 12 AVRIL 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Donald Greenbaum                                           POUR LE DEMANDEUR

 

Claire le Riche                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Donald Greenbaum                                           POUR LE DEMANDEUR

North York (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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