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Date : 20040210

Dossier : IMM-1027-04

Référence : 2004 CF 212

Ottawa (Ontario), le 10 février 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                                                 AIYUB KUNNI

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             

et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE MOSLEY


[1]                M. Kunni est un citoyen des îles Fidji. Il est un résident permanent du Canada depuis plus de vingt ans. En janvier 2003, une mesure d'expulsion a été prise contre lui pour le motif de grande criminalité, et notamment pour le motif qu'il a été déclaré coupable de vol qualifié en 2001, infraction pour laquelle il a été condamné à une peine d'emprisonnement de deux ans assortie d'une période de probation. M. Kunni est un diabétique, il est atteint de plusieurs troubles mentaux graves et souffre depuis longtemps de problèmes de dépendance à diverses substances. Il doit recevoir des injections quotidiennes d'insuline et prendre tous les jours des médicaments pour soigner ses troubles psychiatriques.

[2]                Pendant qu'il était en détention, M. Kunni a présenté une demande de protection en application de l'article 112 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), en alléguant essentiellement qu'il ne pourrait pas bénéficier de soins médicaux et psychiatriques adéquats aux Fidji. Le 25 mars 2003, un examen des risques avant renvoi a mené à la conclusion que les risques auxquels le demandeur pouvait être exposé ne résultaient pas de l'incapacité du pays dont il a la nationalité de lui fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

[3]                M. Kunni a été libéré de prison en septembre 2003, et les membres du personnel du ministre se sont efforcés depuis lors d'exécuter la mesure d'expulsion.

[4]                Les antécédents médicaux de M. Kunni et son besoin constant de soins ont forcément entravé les efforts en question. Pour dissiper ces préoccupations, les agents d'exécution ont communiqué avec le gouvernement fidjien, qui les a assurés que les médicaments dont le demandeur avait besoin allaient être mis à sa disposition gratuitement ou à peu de frais.


[5]                Le 5 février 2004, l'agent d'exécution M.C. Flexhaug a informé M. Kunni que son renvoi devait avoir lieu le dimanche 8 février 2004, et qu'il était censé arriver aux Fidji le 10 février. Pour donner suite à des demandes de renseignements formulées par l'avocat de M. Kunni, l'agent Flexhaug a rédigé le même jour une lettre dans laquelle il disait qu'il n'avait pas le pouvoir de [traduction] « différer l'exécution de la mesure d'expulsion » et qu'il avait [traduction] « l'obligation de l'exécuter sauf décision à l'effet contraire de la Cour fédérale » .

[6]                M. Kunni a immédiatement cherché à obtenir une telle décision, en attendant qu'il soit statué sur une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire sous-jacente visant la décision dans laquelle l'agent avait refusé de différer son renvoi. Les moyens invoqués à l'appui de la requête consistent essentiellement à dire que l'agent a limité de façon indue son pouvoir discrétionnaire en refusant d'étudier la possibilité d'accorder un sursis, qu'en raison de son état de santé le demandeur subira un préjudice irréparable s'il est renvoyé aux Fidji et que, toujours en raison de son état de santé et du fait qu'il lui sera impossible de bénéficier d'un soutien adéquat aux Fidji, la prépondérance des inconvénients joue en la faveur du demandeur.

[7]                Les observations écrites ont été reçues le vendredi 7 février. Les parties ont été entendues par voie de conférence téléphonique le samedi 8 février, et à la fin de la conférence en question la Cour a décerné une ordonnance rejetant la demande pour le motif que le critère à trois volets n'avait pas été rempli : Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.).


[8]                Comme l'a dit le juge Pelletier, maintenant juge à la Cour d'appel fédérale, dans la décision Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] A.C.F. no 295 (1re inst.) (QL), le critère qui s'applique à une requête en sursis présentée à la suite du refus d'un agent de différer le renvoi du demandeur est plus exigeant parce que l'octroi d'un sursis dans de telles circonstances équivaut en fait à accorder au demandeur la réparation qu'il sollicite dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente. Par conséquent, il faut aller plus loin que l'application du critère de la « question sérieuse » et examiner de près le fond de la demande sous-jacente.

[9]                Le pouvoir discrétionnaire de différer le renvoi dont disposent les agents d'exécution chargés d'appliquer les mesures de renvoi en vertu de l'article 48 de la LIPR est très limité. L'article en question prévoit que la mesure de renvoi doit être « appliquée dès que les circonstances le permettent » . La décision de ne pas exécuter la mesure de renvoi doit être fondée sur une justification légitime se trouvant dans la Loi ou dans une autre obligation juridique suffisamment importante pour permettre au ministre de ne pas respecter l'article 48 : Wang, précitée.

[10]            Le juge Russel de la Cour a récemment passé en revue la jurisprudence concernant cette question dans la décision Prasad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 614, [2003] A.C.F. no 805 (1re inst.)(QL), et il a conclu que l'omission de tenir compte de circonstances impérieuses propres à une personne, comme sa sécurité personnelle ou sa santé, peut entraver indûment l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'agent.

[11]            La preuve qui m'a été soumise révèle clairement qu'avant de prendre les dernières dispositions en vue du renvoi du demandeur aux Fidji, l'agent d'exécution a tenu compte de l'état de santé de M. Kunni et qu'il a fait des démarches pour s'assurer auprès du gouvernement fidjien que le demandeur allait pouvoir obtenir les médicaments et les soins dont il avait besoin. De plus, le défendeur a présenté des éléments de preuve selon lesquels le système de santé fidjien était [traduction] « adéquat » suivant le Programme de médecine des voyages de Santé Canada, et que les médicaments essentiels, comme l'insuline, pouvaient être obtenus facilement et gratuitement ou à peu de frais aux Fidji. Le demandeur n'a fourni aucun élément de preuve pour contester efficacement ces assertions.

[12]            Dans les circonstances, je n'ai pas été en mesure de conclure qu'une question sérieuse à trancher avait été soulevée en ce qui concerne l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'agent. Il m'a également été impossible de parvenir à la conclusion que le demandeur subirait un préjudice irréparable s'il était renvoyé aux Fidji, et ce, compte tenu de la preuve présentée. La requête du demandeur reposait essentiellement sur l'idée implicite selon laquelle les soins médicaux dont il pourrait bénéficier aux Fidji ne seraient pas de la même qualité qu'au Canada. Ce motif est insuffisant pour justifier que l'on s'ingère dans l'exécution de l'obligation du ministre.

[13]            La présente requête en sursis à l'exécution de la mesure de renvoi est donc rejetée.

     « Richard G. Mosley »     

Juge

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                              IMM-1027-04

INTITULÉ :                                             AIYUB KUNNI

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                      OTTAWA / EDMONTON

PAR TÉLÉCONFÉRENCE

DATE DE L'AUDIENCE :                     LE 7 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                            LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                           LE 10 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS:

Kevin Moore                                             POUR LE DEMANDEUR

Rick Garvin                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Kevin Moore                                             POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Edmonton (Alberta)

Morris Rosenberg                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)                                  

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