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Date : 20060223

Dossier : IMM-8683-04

Référence : 2006 CF 248

Toronto (Ontario), le 23 février 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

 

ENTRE :

MOHAMMED ELSHEIKH ALI

NADA EL FAKI

FARAS MOHAMED ALI

AMR MOHAMED ALI

OULLA MOHAMED ALI

LEENA MOHAMED ALI

 

demandeurs

et

 

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant un examen des risques avant renvoi (ERAR) défavorable daté du 14 septembre 2004. À la fin de l’audience, j’ai indiqué que j’accueillerais la demande et j’ai brièvement exposé mes motifs. Il s’agit de consigner ces motifs par écrit et de les expliquer en détail.

 

[2]               À titre préliminaire, l’intitulé sera modifié pour refléter le changement de responsabilité ministérielle attribuant de nouveau les fonctions concernant la prise de décision d’ERAR au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

 

[3]               Les demandeurs sont une famille originaire du Soudan. Ils sont entrés au Canada via les États‑Unis en septembre 1999 et ils ont revendiqué le statut de réfugié en se fondant sur leur crainte d’être persécutés par le gouvernement soudanais en raison de leur appui au parti Oumma. Le demandeur principal, Mohamed Elsheikh Ali, était membre du parti d’opposition Oumma au Soudan et appuyait le mouvement soudanais de défense des droits humains pendant que la famille résidait en Arabie saoudite. 

 

[4]               Quand les demandeurs sont retournés au Soudan, M. Ali a été brièvement détenu, interrogé, puis sommé de se présenter dans 30 jours. Son passeport a été saisi. Le demandeur ne s’est pas présenté et sa famille et lui ont quitté le Soudan clandestinement.

 

[5]               La Section du statut de réfugié (SSR) a jugé en mai 2001 que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. En se fondant sur la preuve documentaire portée à sa connaissance à l’époque, le commissaire de la SSR avait conclu que le demandeur ne possédait pas, en tant qu’opposant, le type de profil politique qui attirerait l’attention des autorités soudanaises au point de donner lieu à de la persécution. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire visant la décision de la SSR a été rejetée le 17 octobre 2001.

 

[6]               Les demandeurs ont ensuite demandé l’autorisation de rester au Canada sous le régime de la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié (CDNRSR). Cette demande n’a pas été tranchée avant l’entrée en vigueur de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). La demande a été convertie en demande d’ERAR et les demandeurs ont saisi l’occasion de soumettre d’autres observations, ce qu’ils ont fait en janvier 2003. Le 14 septembre 2004, une décision défavorable a été rendue relativement à l’ERAR.  

 

[7]               La question principale dans la présente procédure est de savoir si l’agente d’ERAR n’a pas tenu compte, dans sa décision, des nouveaux éléments de preuve déposés par les demandeurs. À titre de question secondaire, les demandeurs soutiennent qu’ils n’ont pas eu droit à l’équité procédurale, car l’agente n’aurait pas divulgué les documents qu’elle avait consultés à partir d’Internet et sur lesquels elle s’était basée pour conclure au sujet du changement dans la situation du pays.  

 

[8]               Puisque j’ai conclu que la demande doit être accueillie pour le premier motif, je n’ai pas l’intention d’analyser la question de l’équité. Cependant, à titre d’indication pour le prochain agent qui examinera l’affaire, l’équité exige que soit divulguée l’information facilement accessible appartenant au domaine public lorsqu’elle est inédite et importante et lorsqu’elle fait état d’un changement survenu dans la situation générale du pays si ce changement risque d’avoir une incidence sur l’issue du dossier :  Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 C.F. 461, 161 D.L.R. (4th) 488 (C.A.F.)

 

[9]               En ce qui concerne la norme de contrôle applicable à une décision suivant un ERAR, je m’appuie sur l’analyse pragmatique et fonctionnelle effectuée dans Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2005), 30 Admin. L.R. (4th) 131, 2005 CF 437. Ainsi, la norme de contrôle applicable aux questions de fait devrait être, de manière générale, la décision manifestement déraisonnable; la norme applicable aux questions mixtes de droit et de fait, la décision raisonnable simpliciter; et la norme applicable aux questions de droit, la décision correcte. Quand la décision est examinée « dans sa totalité », la norme applicable devrait être la décision raisonnable : Figurado c. Canada (Solliciteur général), [2005] 4 R.C.F. 387, 2005 CF 347.

 

[10]           La norme de la décision raisonnable exige qu’il y ait un certain mode d’analyse, dans les motifs, qui puisse raisonnablement amener l’agente, au vu de la preuve, à conclure comme elle l’a fait, et qui puisse résister à un examen assez poussé : Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, 2003 CSC 20, au paragraphe 55.

 

[11]           Comme l’a affirmé la juge Judith A. Snider dans Marin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 135 A.C.W.S. (3d) 917, 2004 CF 1683, au paragraphe 10, il n’est pas nécessaire que l’agent d’ERAR mentionne chaque élément de preuve documentaire. Il est présumé avoir examiné toute la preuve et un examen de l’ensemble de sa décision permet normalement au juge saisi d’une demande de contrôle judiciaire de déterminer si l’agent était au fait de tous les éléments de preuve et s’il en a tenu compte.

 

[12]           Les demandeurs prétendent essentiellement que l’agente s’est fondée sur la décision antérieure rejetant leur revendication du statut de réfugié et qu’elle n’a pas tenu compte des nouveaux éléments de preuve qu’ils ont présentés, y compris des lettres des Forces de défense populaire et des services de sécurité du ministère de la Défense du Soudan ainsi qu’une lettre du président du Groupe soudanais de défense des droits humains (GSDDH). Le défendeur m’invite à conclure que l’agente a de toute évidence pris en compte toute la preuve présentée par les demandeurs, puisqu’elle affirme l’avoir fait, et qu’il ressort d’ailleurs implicitement de son analyse qu’elle l’a fait.  

 

[13]            L’agente a effectivement traité de la question de savoir si M. Ali risquait d’être enrôlé de force dans l’armée soudanaise et a conclu, raisonnablement, qu’étant donné son âge (48 ans), il existait un risque mince mais improbable. Toutefois, l’agente n’a pas traité des lettres qu’a reçues M. Ali des services de sécurité lui enjoignant de se présenter. Ces lettres ne portaient pas sur la question de la conscription, mais elles contredisaient la conclusion de la SSR selon laquelle le demandeur ne possédait pas le « profil » d’une personne susceptible d’avoir des problèmes avec les autorités. De plus, la lettre du président du GSDDH indiquait que M. Ali était un sympathisant actif du groupe parmi des expatriés soudanais en Arabie saoudite et dans les États du Golfe. L’agente disposait également d’une preuve documentaire provenant d’un tiers objectif faisant état de violations des droits humains par le gouvernement soudanais, y compris l’arrestation du président du GSDDH.  

 

[14]           À mon avis, l’agente aurait au moins dû traiter de la preuve documentaire dont elle disposait et fournir un motif justifiant son rejet. L’authenticité des documents n’a pas été mise en cause. L’agente aurait dû expliquer pourquoi ces éléments de preuve n’ont pas pesé dans sa décision. Comme l’a expliqué le juge Evans (maintenant juge à la Cour d’appel fédérale) dans Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35, [1998] A.C.F. no 1425 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 17, « plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée “sans tenir compte des éléments dont il [disposait]” ».

 

[15]           Dans les circonstances, je tire cette inférence et je conclus que l’ERAR en l’espèce a été effectué de manière abusive et arbitraire sans égard à la preuve. En conséquence, les conclusions de fait étaient manifestement déraisonnables et l’examen, examiné dans sa totalité, était déraisonnable.  

 

[16]           Aucune question de portée générale n’a été proposée et aucune n’est certifiée.

 

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.        L’intitulé est modifié de façon à ce que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration remplace le solliciteur général à titre de défendeur.

 

2.         La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée à un agent d’ERAR différent pour être examinée de nouveau.

 

3.         Aucune question n’est certifiée.

 

« Richard G. Mosley »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-8683-04

 

INTITULÉ :                                                               MOHAMED ELSHEIKH ALI, NADA EL FAKI, FARAS MOHAMED ALI, AMR MOHAMED ALI, OULLA MOHAMED ALI, LEENA MOHAMED ALI

                                                                                    c.

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                       LE 22 FÉVRIER 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               LE JUGE MOSLEY   

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 23 FÉVRIER 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jack Martin

POUR LES DEMANDEURS

 

Ladan Shahrooz

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jack Martin

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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