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         Date : 19980323

     Dossier : IMM-2049-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 23 MARS 1998

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER


ENTRE :

     WAI HUNG SO,

     requérant,

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


     intimé.

     O R D O N N A N C E





     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.




     Danièle Tremblay-Lamer

     JUGE

Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, LL.L.




     Date : 19980323

     Dossier : IMM-2049-97

ENTRE :

     WAI HUNG SO,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE



LE JUGE TREMBLAY-LAMER

[1]    Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire concernant une décision par laquelle une agente des visas a rejeté la demande du requérant en vue d'obtenir la résidence permanente au Canada dans la catégorie des « entrepreneurs » .

[2]    Dans une lettre adressée au consulat du Canada à Hong Kong et datée du 7 mars 1996, le requérant a demandé la résidence permanente à titre d' « entrepreneur » . Dans la lettre, l'avocat du requérant a expliqué que son client et le frère de ce dernier s'étaient rendus au Canada en 1995 et qu'au cours de leur séjour, ils avaient convenu d'acheter le « Swiss Inn » , un motel-restaurant (le « motel » ) situé à Chetwynd (Colombie-Britannique). Leur intention était d'exploiter cet établissement en co-entreprise.

[3]    Le 8 avril 1997, le requérant a été interrogé par une agente des visas.

[4]    Cet entretien avait pour but de déterminer si le requérant satisfaisait à la définition d'un « entrepreneur » que l'on retrouve au paragraphe 2(1) du Règlement sur l'immigration de 19781, et dont le texte est le suivant :

« entrepreneur » désigne un immigrant

a) qui a l'intention et qui est en mesure d'établir ou d'acheter au Canada une entreprise ou un commerce, ou d'y investir une somme importante, de façon à contribuer de manière significative à la vie économique et à permettre à au moins un citoyen canadien ou résident permanent, à part l'entrepreneur et les personnes à sa charge, d'obtenir ou de conserver un emploi, et

b) qui a l'intention et est en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion de cette entreprise ou de ce commerce;

"entrepreneur" means an immigrant

a) who intends and has the ability to establish, purchase, or make a substantial investment in a business or commercial venture in Canada that will make a significant contribution to the economy and whereby employment opportunities will be created or continued in Canada for one or more Canadian citizens or permanent residents, other than the entrepreneur and his dependants, and

b) who intends and has the ability to provide active and ongoing participation in the management of the business or commercial venture.



[5]    Les renseignements qui suivent ont été obtenus par l'agente des visas lors de l'entretien en question. Ces renseignements figurent dans son affidavit1 et dans les notes relatives au Système informatisé de traitement des cas d'immigration (SITCI).

[6]    L'agente des visas a confirmé que la valeur nette du requérant était d'environ 113 000 $ CAN. À propos de son intention d'acheter une entreprise commerciale au Canada, le requérant a déclaré que son frère et lui avaient investi chacun la somme de 11 500 $ CAN en vue de l'achat du motel en question. À la question de savoir de quelle façon il acquitterait le solde, le requérant a répondu qu'il investirait 80 000 $ de sa valeur nette totale, et son père un montant d'environ 800 000 $ CAN, ou le solde restant et les frais de démarrage.

[7]    En ce qui avait trait à son expérience du travail et des affaires, le requérant a indiqué qu'il avait travaillé de 1974 à 1995 comme apprenti-tailleur au sein de l'entreprise de confection de vêtements de son père. Entre 1985 et 1990, il avait travaillé comme instructeur-tailleur au sein d'une entreprise appartenant à l'un des clients de son père.

[8]    En 1990, le requérant et un associé japonais ont établi en Chine une entreprise de confection de vêtements, la « Sianore Fashion Company » . Celle-ci a été exploitée pendant une période d'un an environ, mais a dû fermer ses portes faute de contrats. Le requérant n'a pu fournir aucune preuve au sujet de l'établissement de cette entreprise ou du rôle qu'il y aurait joué. Ses documents ont censément été détruits.

[9]    Le requérant a soutenu de plus qu'en 1993, il a établi en Chine le « Happy Together Restaurant » . À l'appui de ses dires, il a produit un certificat d'autorisation de posséder une entreprise individuelle étrangère, ainsi qu'un permis légal d'exploitation d'un commerce, pour le restaurant. Ces deux documents confirmaient l'existence du restaurant, mais ne prouvaient ni l'un ni l'autre que le requérant en avait été propriétaire ou que le restaurant avait été exploité. En outre, le permis d'exploitation d'un commerce indiquait bel et bien que le requérant exerçait les fonctions d'administrateur-gérant et de directeur général, mais le certificat d'autorisation de posséder une entreprise individuelle étrangère indiquait que les investisseurs était la Suzhou Jin Chan District Food Company et la Stanore Fashion Company Limited. Le requérant a expliqué que le restaurant était une co-entreprise, exploitée par son frère et lui sous le nom de Stanore Fashion Company, ainsi que par le gouvernement chinois sous le nom de Suzhou Jin Chan District Food Company. Le requérant n'a produit aucune preuve corroborant l'affirmation selon laquelle son frère et lui étaient la Stanore Fashion Company.

[10]    Le requérant a soutenu que le restaurant a été rentable dans sa première année d'activité. Selon son estimation, les bénéfices réalisés entre les mois de septembre 1993 et août 1994 ont été d'environ 60 000 $ CAN. Le seul document fourni à l'appui de sa prétention a été un état financier non vérifié d'une longueur d'une page. À la question de savoir pourquoi un restaurant rentable mettrait fin à ses activités dans l'année suivant son ouverture, le requérant a répondu que c'était le gouvernement chinois qui avait fait fermer le restaurant à cause de l'importance des bénéfices.

[11]    À la conclusion de l'entretien, l'agente des visas a informé le requérant qu'elle avait décidé de rejeter sa demande, et elle lui en a donné des motifs détaillés. Dans une lettre datée du 9 avril 1997, elle a confirmé sa décision par écrit. Voici les motifs qui ont été donnés :

     [TRADUCTION]

     J'ai décidé que vous ne satisfaites pas à la définition d'un entrepreneur, et ce, pour les raisons suivantes.
     1) Je ne suis pas convaincue que vous êtes en mesure d'établir ou d'acheter au Canada une entreprise ou d'y investir une somme importante. Dans votre demande de résidence permanente au Canada, vous avez fait état d'une valeur nette personnelle d'environ 113 000 $ CAN, montant qui a été confirmé lors de votre entretien. Je ne suis pas persuadée qu'une valeur nette personnelle de ce montant vous procure la capacité financière voulue pour établir ou acheter au Canada une entreprise quelconque ou y investir une somme importante. Plus particulièrement, je doute que vous soyez financièrement en mesure d'acheter le Swiss Inn en C.-B. (Canada), que vous prévoyez d'acheter au prix de 460 000 $ ou d'y investir une somme importante. Le fait que votre père ait accepté d'investir 800 000 $ dans l'entreprise, et de payer également les frais de démarrage, ne me convainc pas que les 80 000 $ que vous prévoyez investir suffisent pour acheter le Swiss Inn ou y investir une somme importante.
     2) Je ne suis pas persuadée que vous soyez en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion du Swiss Inn. Même si vous avez prouvé que vous êtes un tailleur chevronné, vous n'avez pas fait la preuve, par le rôle que vous avez joué soit dans la Sianore Fashion Company soit dans le Happy Together Restaurant, que vous êtes en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion d'une entreprise. Dans les deux cas, les profits n'ont pas été confirmés, et ceux qui ont été déclarés étaient minimes, c'est le mieux que l'on puisse dire. En outre, comme les deux entreprises n'ont été actives que pendant un délai fort court, je ne suis pas persuadée qu'il est possible de déterminer qu'elles ont eu du succès sous votre direction.
     3) Enfin, même si vous dites avoir passé quatre mois au Canada en 1995, il est ressorti des questions qui vous ont été posées à l'entretien que votre connaissance des pratiques commerciales canadiennes de base est restreinte. Le fait que vous n'ayez aucune connaissance de l'anglais confirme en outre ma décision. Ce point est particulièrement pertinent car vous avez l'intention d'acheter au Canada une entreprise qui implique de nombreux rapports quotidiens avec des clients et des fournisseurs.

ANALYSE

[12]    Dans To c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration1, la Cour d'appel fédérale a confirmé récemment que le degré de contrôle qui s'applique aux affaires de ce genre et celui énoncé par le juge McIntyre dans l'arrêt Maple Lodge Farms Limited c. Gouvernement du Canada et al.1 :

     C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision1.

[13]    En l'espèce, à mon avis, l'agente des visas a déterminé de manière raisonnable que le requérant ne satisfaisait pas à la définition d'un « entrepreneur » .

[14]    En ce qui a trait au premier volet de la définition, il a été confirmé, à l'entretien, que la valeur nette personnelle du requérant était de 113 000 $ CAN. L'agente des visas n'a pas été convaincue que cette somme permettrait au requérant, d'un point de vue financier, d'établir ou d'acheter au Canada une entreprise ou d'y investir une somme importante, et, plus particulièrement, en ce qui concerne le motel qu'il avait l'intention d'acheter avec son frère et son père.

[15]    Je ne suis pas d'accord avec l'avocat du requérant que l'agente des visas devait tenir compte de la capacité de gagner sa vie. Un tel facteur s'applique dans les cas où l'agent des visas attribue des points d'appréciation à un requérant en vertu des alinéas 8(1)c) et 9(1)b) du Règlement, mais non lorsqu'il évalue si un requérant tombe sous le coup de la définition d'un « entrepreneur » . La définition que donne l'alinéa 2(1)a) n'envisage pas l'effet que peut avoir l'entreprise commerciale en question sur la vie personnelle d'un requérant, mais plutôt la façon dont elle contribue à la vie économique et permet à au moins un citoyen canadien, à part l' « entrepreneur » et les personnes à sa charge, d'obtenir ou de conserver un emploi. Par conséquent, selon moi, la capacité de gagner sa vie est un facteur qui, à ce stade-ci, importe peu.

[16]    Deuxièmement, l'agente des visas n'était pas convaincue que le requérant était en mesure de participer activement et régulièrement à la gestion du motel, du fait de l'expérience qu'il avait acquise soit dans la Sianore Fashion Company soit dans le Happy Together Restaurant. Les conclusions de l'agente ne reposent pas sur des questions non pertinentes; elles sont étayées par la preuve, et il lui était donc loisible de les tirer. Le requérant conteste le poids accordé par l'agente des visas à la preuve - ou au manque de preuve - qu'il a présentée lors de son entretien ainsi que dans sa demande. Le poids qu'un décisionnaire accorde à la preuve qui lui est soumise n'est pas une question susceptible d'un contrôle judiciaire.

[17]    Enfin, l'agente des visas n'a pas manqué à son obligation d'agir équitablement. Elle a donné au requérant la possibilité de répliquer à ses préoccupations. La situation dont il est question en l'espère diffère de celle que l'on retrouve dans la décision Muliadi c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)1, sur laquelle se fonde le requérant. L'agente des visas lui a donné la possibilité de prouver qu'il avait établi la Sianore Fashion Company, ainsi que la preuve du rôle qu'il avait joué au sein du Happy Together Restaurant.

[18]    Comme l'indique le juge McKeown dans l'arrêt Kashani c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration1 :

     Le requérant affirme être privé de l'équité en n'ayant pas la possibilité de répondre aux préoccupations de l'agent des visas. Toutefois, il incombe au requérant de prouver qu'il est en mesure d'établir une entreprise au Canada, de façon à créer un emploi pour lui-même et à contribuer de manière significative à l'économie. Il était loisible à l'agent des visas de conclure que le requérant n'avait pas de plan d'action réaliste, et qu'il ne comprenait pas les conditions du marché des bijoux au Canada. Il lui était également loisible de conclure que le requérant n'avait pas les compétences de gestion nécessaires qui contribueraient de façon significative au Canada. Ainsi donc, il n'était pas nécessaire pour l'agent des visas de demander au requérant de produire d'autres éléments de preuve sur ces points. Le fardeau incombait, non pas à l'agent des visas, mais au requérant.1

[19]    L'agente des visas n'a pas commis d'erreur susceptible de contrôle en refusant la demande du requérant à titre d' « entrepreneur » ; de ce fait, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[20]    Les deux avocats ont convenu qu'il n'y avait pas lieu en l'espèce de certifier une question grave.


     Danièle Tremblay-Lamer

     Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 23 mars 1998

Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER



N DU GREFFE :              IMM-2049-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Wai Hung So c. M.C.I.     

LIEU DE L'AUDIENCE :          VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :      18 mars 1998


MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR

MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER


EN DATE DU :              23 mars 1998



ONT COMPARU :

Me Gerald G. Goldstein          POUR LE REQUÉRANT

Me Esta Resnick              POUR L'INTIMÉ



PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Evans, Goldstein & Eadie          POUR LE REQUÉRANT

Vancouver (C.-B.)


Me George Thomson          POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général

du Canada

__________________

1.      DORS/78-172.

2.      Précité, note 1.

3.      (22 mai 1996) A-172-93 (C.A.F.).

4.      [1982] 2 R.C.S. 2.

5.      Ibidem, p. 7-8.

6.      [1986] 2 C.F. 205 (C.A.).

7.      (16 avril 1997), IMM-2580-96 (C.F. 1re inst.).

8.      Ibidem.

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