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     Date: 19971205

     Dossier: IMM-4174-96

Entre :

     GHEORGHE MARIS

     Requérant

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION

     Intimé

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]      La demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue le 9 octobre 1996 par la Section du statut de réfugié statuant que le requérant n'est pas un réfugié au sens de la Convention, tel que défini par le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration (la Loi). Le requérant base sa revendication sur sa crainte de persécution en Roumanie en raison de son appartenance à un groupe social, soit les jeunes Roumains de 19 à 26 ans.

[2]      Le requérant a quitté la Roumanie le 5 février 1994. Il est allé en Hongrie, en République tchèque, en Allemagne, en France et en Espagne avant de se rendre finalement au Canada.

[3]      Après avoir jugé que les jeunes Roumains de 19 à 26 ans ne constituent pas un groupe social particulier au sens de la Convention, tel que défini au paragraphe 2(1) de la Loi, ce qui aurait été suffisant pour rejeter la revendication du requérant, le tribunal a néanmoins considéré la version des faits exprimée par celui-ci et son comportement pour finalement conclure:

             Dans ce contexte, le revendicateur ne s'est pas déchargé du fardeau de la preuve qui leur (sic) incombait, il n'a pas démontré de façon raisonnable et crédible qu'il existe une "possibilité sérieuse" pour lui d'être victime de persécution advenant son retour en Roumanie.                 

[4]      Sur la question de la crédibilité reliée à la crainte de persécution exprimée par le requérant personnellement, le tribunal a jugé invraisemblable qu'il ait réussi à se faire réengager par la même compagnie sous une fausse identité et qu'il y ait travaillé pendant plusieurs mois sans problème. La Section du statut a en outre trouvé le comportement du requérant incompatible avec une vraie crainte subjective de persécution, puisqu'il n'a pas revendiqué le statut de réfugié dans aucun des autres pays où il était passé avant d'entrer au Canada, soit l'Allemagne, la France et l'Espagne. En effet, sur ces points, le tribunal s'est exprimé comme suit:

             Soulignons en deuxième lieu, l'invraisemblance de son historique sur le marché du travail. Le revendicateur travaille à partir du mois de février 1988 au mois de septembre 1989 pour la compagnie IELIF en qualité de mécanicien, et ceci jusqu'à son stage militaire. Suite à son stage militaire et aux problèmes qu'il a vécus lors de ce stage, le 5 octobre 1990, le revendicateur aidé par des amis réussit à se faire réengager chez IELIF, et ceci sous une fausse identité et y travaille jusqu'au mois d'avril 1991 sans aucun problème en qualité de mécanicien.                 
             Nous trouvons invraisemblable que le demandeur puisse travailler sous une fausse identité dans une compagnie dont il a déjà travaillé dans le passé récent pour une période d'environ un an et demi.                 
             Soulignons aussi, la crainte subjective du demandeur. Celui-ci indique à la question 35 de son FRP qu'il n'a jamais demandé le statut de réfugié dans d'autres pays que le Canada. À la question 22 de son FRP, le demandeur nous indique qu'il a résidé quelque temps à Francfort en Allemagne, à Paris (France), Santandre (Espagne) avant de venir au Canada et y demander le statut de réfugié. Nous trouvons sa conduite après son départ de la Roumanie incompatible avec sa crainte de persécution. Si le demandeur avait une crainte de persécution, il aurait tout au moins fait une demande de statut dans un des pays où il a résidé avant de venir au Canada.                 

[5]      Dans l'affaire Aguebor c. Canada (M.E.I.) (1993), 160 N.R. 315, Monsieur le juge Décary, pour la Cour d'appel fédérale, a précisé, à la page 316, que le même degré de retenue judiciaire s'applique aux questions de crédibilité et d'implausibilité:

             Il est exact, comme la Cour l'a dit dans Giron, qu'il peut être plus facile de faire réviser une conclusion d'implausibilité qui résulte d'inférences que de faire réviser une conclusion d'incrédibilité qui résulte du comportement du témoin et de contradictions dans le témoignage. La Cour n'a pas, ce disant, exclu le domaine de la plausibilité d'un récit du champ d'expertise du tribunal, pas plus qu'elle n'a établi un critère d'intervention différent selon qu'il s'agit de "plausibilité" ou de "crédibilité".                 
             Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié à pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut-être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau. (C'est moi qui souligne.)                 

[6]      En l'espèce, je suis d'avis, à la lumière de la preuve, que le requérant ne s'est pas déchargé de son fardeau de démontrer que les inférences tirées par le tribunal spécialisé qu'est la Section du statut ne pouvaient pas raisonnablement l'être. Cela est suffisant pour justifier le rejet de la demande de contrôle judiciaire sans que cette Cour ait à trancher la question relative à l'appartenance du requérant à un groupe social tel que défini par la Convention.

[7]      Par ailleurs, le principe de stare decisis, invoqué par le requérant, ne saurait ici recevoir d'application, tous les faits de l'autre revendication devant la Section du statut n'ayant pas été mis en preuve (voir Handal et al. c. M.E.I. (10 juin 1993), 92-A-6875).

[8]      Pour toutes ces raisons, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 5 décembre 1997



COUR FEDERALE DU CANADA SECTION DE PREMIERE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DE LA COUR : IMM-4174-96

INTITULE DE CAUSE: GHEORGHE MARIS c. LE MINISTRE

DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE : MONTREAL, QUEBEC

DATE DE L'AUDIENCE : LE 3 DECEMBRE 1997

MOTIFS DU JUGEMENT DE L'HONORABLE JUGE PINARD EN DATE DU 5 DECEMBRE 1997

COMPARUTIONS : ME SERGE SEGAL (514) 849-9336

POUR LE REQUERANT

ME JOSEE PAQUIN (514) 283-1895

POUR L'INTIME

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

SEGAL, LAFOREST, EL MASRI AVOCATS

240, SAINT-JACQUES, SUITE 200 MONTREAL (QUEBEC)

H2Y 1L9

POUR LE REQUERANT

GEORGE THOMSON

SOUS-PROCUREUR GENERAL DU CANADA

POUR L'INTIME

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