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Date : 20060712

Dossier : IMM‑3984‑05

Référence : 2006 CF 865

Ottawa (Ontario), le 12 juillet 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

ENTRE :

EDGAR FRANCISCO LEMA ARCENTALES

MARIA FILOMENA GUAMAN YAURI

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée à l’égard d’une décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 13 juin 2005.

 

Les faits

[2]               Les demandeurs forment un couple marié qui est arrivé au Canada depuis l’Équateur, en tant que visiteurs, le 18 juillet 2002. Ils ont demandé l’asile quand leur statut de visiteur a expiré. Le 8 mars 2003, les demandeurs sont devenus les parents d’une fille née au Canada. Ils ont encore un jeune fils qui vit en Équateur.

 

[3]               Les demandeurs ont revendiqué la qualité de réfugiés au sens de la Convention au Canada et aussi la qualité de personnes à protéger. S’ils ont revendiqué ces qualités, c’est parce que, disaient‑ils, la police équatorienne exerçait contre eux une persécution politique et ethnique.

 

[4]               Les deux demandeurs étaient membres d’une organisation gouvernementale appelée Institut national de la sécurité sociale (l’Institut), qui offre à ses membres un programme d’assurance-maladie. Comme il était question de privatiser le programme d’assurance-maladie de l’Institut, ses membres ont organisé une grève et une manifestation qui ont eu lieu au début de 2002. M. Arcentales y a participé.

 

[5]               M. Arcentales a témoigné devant la Commission qu’il avait été agressé par la police équatorienne au moment où lui‑même et d’autres tentaient de dresser une barricade de rue. Son témoignage fut le suivant :

[traduction]

La police est arrivée et a entrepris d’enlever le barrage. Nous avons alors décidé de lui résister parce que notre manifestation était pacifique. La police s’est alors mise à nous lancer des gaz lacrymogènes et à nous frapper.

 

 

En résistant à la police et en l’empêchant d’enlever le barrage, nous avons été attaqués et battus. Moi personnellement, j’ai été battu au point où j’ai dû être emmené dans une clinique mais, avant que l’on me donne des soins médicaux dans cette clinique, on a exigé un permis de la famille.

 

 

Nous avons tenté de défendre les barricades. Ce qu’ils ont fait alors par la suite, c’est de nous arrêter tous, moi et mes compagnons. C’est la raison pour laquelle nous avons décidé de nous défendre. C’est alors que la police a décidé de nous attaquer.

 

 

La police a essayé de nous arrêter, mais nous nous sommes défendus. Nous avons résisté. Et c’est pourquoi elle a décidé de nous tabasser. Nous avons résisté à sa tentative d’enlever la barricade, et c’est à ce moment‑là que j’ai senti un coup dans le dos et, après cela, je ne me souviens plus de ce qui est arrivé.

 

 

[6]               Quand l’événement susmentionné a eu lieu, M. Arcentales était membre de l’Institut depuis environ cinq ans. Selon M. Arcentales, les membres de l’Institut organisaient régulièrement des manifestations pour s’opposer aux projets de privatisation du gouvernement, mais ce fut la seule fois où il n’en était pas sorti indemne. M. Arcentales a témoigné qu’il était l’un des chefs du groupe de manifestants qui avait érigé la barricade de rue, et il a dit que c’est en raison de son rôle que la police était allée le chercher plus tard à trois reprises. Il a dit que, bien qu’il ait pu éviter d’être appréhendé, plusieurs manifestants avaient été arrêtés lors de l’incident. Il a soutenu qu’ils avaient été battus, puis relâchés le lendemain. Il a aussi déclaré qu’il avait appris que la police s’était récemment arrêtée devant son ancienne adresse, mais qu’il n’avait aucune preuve de l’objet de sa visite.

 

[7]               Ce fut peu après cet affrontement avec la police que les demandeurs ont sollicité l’asile au Canada. Aucun des deux n’a songé à déposer officiellement une plainte de brutalité policière avant de quitter l’Équateur pour le Canada.

 

[8]               Les demandeurs ont prétendu avoir été persécutés en raison de leur origine indigène. Ils en ont fait très peu de cas durant l’audience devant la Commission, et cette question ne constitue pas un aspect significatif de l’exposé circonstancié des demandeurs. M. Arcentales a produit le témoignage suivant sur cette question :

[traduction]

Le commissaire :  Très bien. Vous souvenez‑vous personnellement si des commentaires insultants ont été faits?

 

Le revendicateur :  Oui. Oui, ils nous ont tiré dessus en nous appelant Indiens et autres choses du genre. Je ne me souviens plus de rien d’autre.

 

 

[9]               Ce qu’a dit M. Arcentales devant la Commission à propos de son origine indigène n’était pas tout à fait clair. À certains moments, il se décrivait comme Indien autochtone, mais à d’autres il se désignait simplement comme paysan ou personne habitant en dehors d’une région urbaine.

 

La décision de la Commission

[10]           La Commission a rejeté les revendications des demandeurs en se fondant sur les faits. Elle a jugé que la preuve ne suffisait pas à appuyer une demande d’asile fondée sur leur origine indigène. La Commission a estimé aussi qu’il était invraisemblable que la police équatorienne, ou toute autre instance publique, puisse s’intéresser encore aux demandeurs étant donné le contexte général des événements qu’ils avaient décrits.

 

Point litigieux

1.       Les conclusions de fait de la Commission ou ses conclusions sur leur vraisemblance étaient‑elles manifestement déraisonnables?

 

Analyse

[11]           Par leur demande de contrôle judiciaire, les demandeurs contestent les conclusions de fait de la Commission et ses conclusions touchant la vraisemblance de leur récit. La norme de contrôle qui est applicable aux conclusions de ce genre est la décision manifestement déraisonnable, ce qui englobe les conclusions tirées de façon abusive ou arbitraire ou au mépris de la preuve : voir la décision Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. n° 1611, 2002 CFPI 1194.

 

[12]           La décision de la Commission est, à mon avis, raisonnable et conforme à la preuve qui avait été produite. M. Arcentales a fait état d’un seul cas de violence policière, au cours duquel il avait subi une blessure bénigne. Il a dit que des manifestations de membres de l’Institut étaient souvent organisées et que les arrestations étaient assez courantes, mais, en général, le gouvernement tolérait assez bien les protestations publiques de ce genre.

 

[13]           À la lecture de la transcription de la preuve, il n’est pas évident que la conduite de la police durant la manifestation ait été inutilement ou excessivement violente. Selon M. Arcentales, la situation s’était aggravée quand les manifestants avaient résisté aux efforts déployés par la police pour enlever leur barricade. Mais, que l’action policière fût ou non justifiée, la conclusion de la Commission selon laquelle les demandeurs ne présenteraient plus aucun intérêt pour les autorités est une conclusion raisonnable qui était étayée par la preuve.

 

[14]           La Commission a rejeté l’affirmation des demandeurs selon laquelle ils étaient victimes d’une persécution fondée sur la discrimination ethnique et, vu la preuve, c’était là aussi une conclusion raisonnable. Lors de son témoignage, M. Arcentales a dit seulement que la police avait qualifié les manifestants d’« Indiens » durant l’unique affrontement violent dans lequel il était impliqué. Son témoignage sur ce point particulier a été superficiel. La remarque en question était sans aucun doute désobligeante (selon la Commission, c’était une épithète raciste), mais elle ne fonderait pas une demande d’asile, et il était raisonnable pour la Commission de conclure que l’origine indigène des demandeurs n’avait aucun rapport avec leurs revendications respectives.

 

[15]           Les demandeurs ont fait valoir que les conclusions de fait de la Commission ainsi que ses conclusions concernant la vraisemblance de leur récit étaient manifestement déraisonnables et que la Commission s’est fourvoyée sur la question de la protection étatique. S’agissant de la protection étatique, je ne vois dans la décision de la Commission aucun passage où il soit le moindrement question de protection étatique, si ce n’est pour dire incidemment que les demandeurs n’avaient pas cherché à s’en réclamer.

 

[16]           La décision de la Commission reposait complètement sur des conclusions de fait et, plus exactement, sur la conclusion selon laquelle les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque s’ils retournaient en Équateur. Sur ce point, j’ai l’obligation de déférer totalement aux conclusions de la Commission. J’accepte comme description exacte de cette obligation de retenue judiciaire le passage suivant tiré de la décision Supramaniam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1997] A.C.F. n° 622, où le juge Yvon Pinard écrivait ce qui suit :

La Cour accorde généralement une grande déférence aux inférences que la SSR tire de la preuve qui lui est soumise, mais il faut néanmoins que ces inférences soient raisonnables. Cette déférence s’applique autant aux conclusions que formule la SSR quant à la vraisemblance du récit du demandeur qu’à celles qui se rapportent à la crédibilité. Dans l’arrêt Aguebor c. Canada (M.E.I.), 160 N.R. 315, la Cour d’appel fédérale a expliqué en ces termes la grande déférence qui est habituellement manifestée à l’égard de la SSR :

 

5     Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu’est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d’un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d’un récit et de tirer les inférences qui s’imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d’attirer notre attention, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n’a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d’une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d’un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient raisonnablement l’être. L’appelant, en l’espèce, ne s’était pas déchargé de ce fardeau.

 

 

[17]           Les demandeurs se sont aussi référés à une preuve documentaire considérable qui avait été présentée à la Commission et qui portait sur la situation ayant cours dans le pays. Cette preuve concernait surtout les difficultés que connaissait la population indigène en Équateur. Les demandeurs reprochent à la Commission de ne pas avoir tenu compte de cette preuve.

 

[18]           La Commission cependant n’avait pour ainsi dire reçu des demandeurs aucune preuve appuyant cet aspect de leur revendication, et il n’y avait donc aucun fondement sur lequel ait pu reposer cette prétendue discrimination. La Commission ne saurait être accusée d’avoir rejeté ce moyen en l’absence d’un témoignage clair de M. Arcentales en ce sens. En effet, M. Arcentales n’a pas établi clairement son ascendance indigène, et le dossier sur ce point ne laisse pas de susciter un doute considérable.

 

[19]           En conclusion, je ne vois dans la décision de la Commission aucun aspect qui puisse être qualifié de manifestement déraisonnable ou qui justifie de quelque manière son annulation.

 

[20]           Aucune des parties n’a proposé qu’une question soit certifiée, et aucune question de portée générale ne se pose.

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE : la demande est rejetée.

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Lynne Davidson-Fournier, traductrice-conseil


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑3984‑05

 

INTITULÉ :                                       EDGAR FRANCISCO LEMA ARCENTALES ET AL.

 

                                                            ‑et‑

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE:                LE JEUDI 1er JUIN 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 12 JUILLET 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Loftus Cuddy                                                               POUR LES DEMANDEURS

 

Ladan Shahrooz                                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Robert Gertler and Associates

Etobicoke (Ontario)                                                      POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                               POUR LE DÉFENDEUR

 

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