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Date : 20060606

Dossier : T-1473-91

Référence : 2006 CF 690

Ottawa (Ontario), le 6 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

REMO IMPORTS LTD

demanderesse/

défenderesse reconventionnelle

et

 

JAGUAR CARS LIMITED et FORD MOTOR COMPANY OF CANADA, LIMITED/FORD DU CANADA LIMITÉE exploitant une entreprise sous la raison sociale JAGUAR CANADA

 

défenderesses/

demanderesses reconventionnelles

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

CONTEXTE

[1]               La demanderesse a intenté une action en contrefaçon de marque de commerce contre les défenderesses. Elle n’a pas eu gain de cause au procès. La Cour a accordé un délai aux parties pour présenter des observations concernant les dépens. Elle a maintenant reçu, examiné et analysé ces observations. Les présents motifs ont trait à la question des dépens qu’il convient d’accorder.

 

 

ANALYSE

[2]               Suivant le paragraphe 400(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), les dépens relèvent du pouvoir discrétionnaire de la Cour, mais il y a, au paragraphe 400(3) des Règles, une liste non-exhaustive des facteurs dont la Cour peut tenir compte pour prendre une décision logique à cet égard. La règle générale est que les dépens suivent l’issue de la cause et, sauf dans des circonstances exceptionnelles, devraient être accordés à la partie qui a gain de cause sur la base des frais entre parties.

 

[3]               Le principe fondamental est que l’adjudication de dépens représente un compromis entre l’indemnisation de la partie qui a gain de cause sans imposer un fardeau trop lourd à la partie qui a perdu (Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 159 F.T.R. 233 (1re inst.), décision confirmée par (2001), 1999 F.T.R. 320 (C.A.)).

 

[4]               En l’espèce, la demanderesse n’a pas eu gain de cause. Il convient de souligner que les défenderesses ont réclamé que la demanderesse leur verse des dommages-intérêts ou les profits qu’elle a retirés de la contrefaçon de la marque de commerce « JAGUAR », mais que dans l’un et l’autre cas, leur demande n’a pas été accueillie. Les questions nouvelles telles qu’elles sont décrites dans la décision ainsi que le contexte et les circonstances entourant l’action constituent les motifs spéciaux justifiant cette décision.

 

[5]               La Cour reconnaît l’importance et la complexité des questions en litige (alinéa 400(3)c) des Règles). Les questions de droit sont en elles-mêmes très importantes pour les propriétaires de marques de commerce renommées. La clarification du droit en matière de dépréciation, d’achalandage, de tromperie, de confusion et de caractère distinct est à la fois importante et complexe. Ces questions sont maintenant d’une importance nationale comme en témoigne l’examen du droit en matière de marques de commerce renommées entrepris par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Veuve Clicquot Ponsardin c. Boutiques Cliquot Ltée (Veuve Clicquot) et Mattel, Inc. c. 3894207 Canada Inc. (Mattel). Les affaires Veuve Clicquot et Mattel ont été entendues en octobre 2005, mais la Cour suprême du Canada ne s’était pas encore prononcée lorsque la décision Remo c. Jaguar a été rendue le 16 janvier 2006. Le concept de ce qui constitue, et de ce qui ne constitue pas, une extension de marque spécifique dans une situation donnée démontrait la nécessité d’un examen et d’une explication.

 

[6]               Les offres écrites de règlement (alinéa 400(3)e) des Règles) doivent aussi être prises en considération. Dès 1995, Jaguar Cars a proposé un règlement en vertu duquel la marque de commerce JAGUAR, employée en liaison avec les marchandises en question, lui appartiendrait en échange de l’octroi à Remo d’une licence sans versement de redevances. En 1997, Jaguar a proposé, par écrit, que Remo lui transfère ses droits de propriété industrielle et commerciale en échange d’une licence et d’une somme de 25 000 dollars américains. Cette offre n’a pas été retirée, pas plus que ses diverses versions. La proposition de règlement de la demanderesse exigeait que les défenderesses versent une somme de 5,7 millions. Comme l’affaire soulève des questions nouvelles et fait incursion en territoire inconnu en matière de litige, on ne pouvait guère s’attendre à ce que, dès le début de la procédure ou en cours d’instance, les deux parties aient une idée claire de l’issue de l’affaire, compte tenu du contexte et des circonstances particulières.

 

[7]               La présente affaire soulève des questions mixtes de fait et de droit, mais cela ne signifie pas, contrairement à ce qu’a laissé entendre la demanderesse, qu’elle n’est pas complexe. Le principe du « lien » (entre les marchandises des parties) énoncé dans l’arrêt Pink Panther Beauty Corp. c. United Artists Corp. (C.A.), [1998] 3 C.F. 534, [1998] A.C.F. no 441 (QL), est assez facile à formuler, mais difficile à appliquer. La Cour doit tenir compte de plusieurs facteurs, notamment :

a)                  les pratiques de l’industrie;

b)                  l’étendue de l’emploi des marques des deux parties;

c)                  la vente par l’ancien utilisateur des marchandises du nouvel utilisateur;

d)                  les plans d’expansion de l’ancien utilisateur (hypothétiques ou réalistes);

e)                  la théorie de l’extension de la marque.

 

 

[8]               De nombreuses questions importantes ont été soulevées dans la présente affaire. Par exemple, même si l’article 22 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13, est souvent plaidé dans des actions en matière de marque de commerce, il fait rarement l’objet d’une analyse exhaustive de la part de la Cour. Même s’ils s’appuyaient clairement sur la loi et la jurisprudence, les faits de l’espèce offraient pour la première fois à un tribunal canadien l’occasion de trancher certaines questions, comme celle de savoir si le propriétaire d’une marque déposée contrevenait à l’article 22, si une marque de commerce bien établie pouvait être radiée parce que l’article 22 avait été violé ou si le principe énoncé dans Orkin Exterminating Co. Inc. c. Pestco Co. of Canada Ltd. (1985), 5 C.P.R. (3d) 433, pouvait également s’appliquer à un nouvel utilisateur qui adopte la marque d’un ancien utilisateur à l’intérieur de la zone d’expansion de ce dernier.

 

[9]               En ce qui a trait au paragraphe 6 des observations écrites de la demanderesse, la juge Barbara Reed a dit au paragraphe 9 de la décision Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd., [1999] A.C.F. n1465 (QL) (citée de manière favorable dans Champion International Corp. c. Sabina (Le), 2003 CFPI 39, [2003] A.C.F. no 64 (QL)) :

Même si elle n’est pas la plus complexe des affaires de brevets, la présente affaire dépasse effectivement la complexité d’une affaire ordinaire. Une augmentation de la complexité justifie des dépens dépassant le niveau prévu à la colonne III. La charge de travail se situe dans la moyenne pour une procédure relative aux brevets, mais elle dépasse la charge de travail que requiert une affaire moyenne.

 

 

[10]           La complexité de la présente instance dépasse de beaucoup la complexité d'une affaire ordinaire.

 

[11]           La Cour prend en considération l’importante charge de travail, conformément à l’alinéa 400(3)g) des Règles. Dès le début de l’action, en 1991, il semble qu’aucune des parties, chacune pour ses propres raisons compte tenu des circonstances et du contexte, ne savait au juste ce qui serait nécessaire pour le procès, de sorte qu’on en a fait plus plutôt que moins. Sans jeter le blâme à quiconque pour la volumineuse documentation, il fallait trouver une solution pour cette situation nouvelle surgissant dans un contexte où aucune des parties ne connaissait les produits de l’autre et où le concept d’extension de la marque, bien que déjà traité, n’avait pas encore fait l’objet d’une formulation précise et complète dans la jurisprudence. Tout cela a donné lieu, après quatorze années de préparation, à un procès de huit semaines où ont été déposés 6000 pièces, 200 relieurs à feuilles mobiles, des douzaines de brochures et des dizaines d'échantillons d'accessoires, douze relieurs d’observations finales et un résumé de 90 pages par chaque partie.

 

[12]           Outre l’importante charge de travail des avocats des parties et de leurs collaborateurs respectifs, telle que décrite dans le résumé du jugement, une tâche colossale a été accomplie, avec mention spéciale, par Mme Bettina Murphy, technicienne juridique, qui a agi comme archiviste pour l’une des parties mais qui, au cours du procès, a assisté les deux, avec un réel dévouement des plus remarquables et un talent considérable pour trouver et organiser le très grand nombre de documents.

 

[13]           Dans l’ensemble, les témoins experts des défenderesses ont très peu aidé la Cour, sinon pas du tout, en ce qui a trait à ce qui n’avait pas déjà été présenté par d’autres sources. La preuve d’expert et la contre‑preuve de la demanderesse ont nécessité environ treize jours de procès et une partie importante des plaidoiries écrites et verbales.

 

CONCLUSIONS

[14]           En vue d’aider l’officier taxateur, la Cour ordonne que les dépens des défenderesses soient taxés en fonction d’un barème plus élevé :

a)                  Honoraires de deux avocats au procès, au maximum de la colonne IV du tarif B.

b)                  Honoraires d’une technicienne juridique correspondant à la moitié des honoraires d’un avocat.

c)                  Frais de préparation du procès, au maximum de la colonne IV du tarif B.

d)                  Taxation de tous les autres articles énumérés dans le projet de mémoire de frais des défenderesses, selon l’éventail d’unités au maximum de la colonne III du tarif B.

e)                  Les dépens des défenderesses attribuables à leurs témoins experts et tous les frais connexes sont taxés à raison de 20 % du montant total, compte tenu des réserves abondamment exprimées à leur sujet dans le jugement comme tel. (Puisque la plus grande partie de ce qui était utile a aussi été fournie ou confirmée par d’autres sources.)

f)                    En raison des complexités juridiques inhérentes, des circonstances et du contexte nouveaux, l’offre de règlement des défenderesses devrait accroître le montant des dépens, à l’exclusion des débours, par un facteur de 1,3 plutôt que les doubler. [Au début du procès, toutes les offres de règlement avaient été retirées, et, au cours du procès, aucune offre écrite de règlement n’a été proposée par l’une ou l’autre des parties. Par conséquent, les conditions requises pour accorder le double des dépens conformément à l’alinéa 420(2)b) des Règles n’étaient pas réunies, et les dépens des défenderesses depuis le début de la présente action ne devraient donc pas être doublés. Tenant compte de l’interprétation donnée à l’article 420 des Règles par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Francosteel Canada Inc. c. African Cape (L’), [2003] 4 C.F. 284, [2003] A.C.F. n385 (QL), la Cour conclut que l’offre de règlement des défenderesses ne justifie pas que les dépens soient doublés. La Cour reconnaît toutefois qu’elle peut tenir compte de l’offre dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire général qui lui est conféré relativement aux dépens par l’article 400 des Règles. Il convient de citer à cet égard l’arrêt Halford c. Seed Hawk Inc., 2004 CF 1259, [2004] A.C.F. no 1541 (C.A.F.) (QL). De l’avis de la Cour, l’offre des défenderesses était sans équivoque et contenait des éléments de compromis. Dans les circonstances, l’offre des défenderesses devrait donc accroître le montant des dépens auquel elles ont droit, à l’exclusion des débours, par un facteur de 1,3, plutôt que les doubler.]

g)                  De plus, pour ce qui est des débours usuels des défenderesses, il reviendra à l’officier taxateur, si les parties ne parviennent pas s’entendre sur l’une ou l’autre des questions a) à g) ci-dessus, de déterminer les montants appropriés.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  Les frais des défenderesses pour services rendus sont augmentés par un facteur de 1,3, à l’exclusion des débours.

2.                  Les dépens des défenderesses devraient être taxés conformément au maximum de la colonne IV du tarif B.

3.                  Les défenderesses recouvrent 20 % seulement du montant total lié aux honoraires de leurs témoins experts.

4.                  Les défenderesses ont droit de recouvrer les débours usuels qu’elles ont engagés.

5.                  Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur le montant approprié, ou sur tout montant relatif aux points 1 à 5 ci-dessus (qui, en gros, se rapportent aux alinéas a) à g) du paragraphe 14 des Conclusions ci-dessus), il reviendra à l’officier taxateur d’établir ces montants.

 

 

« Michel M. J. Shore »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1473-91

 

 

INTITULÉ :                                       REMO IMPORTS LTD.

c.

JAGUAR CARS LIMITED et al.

 

 

REEQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES           

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE SHORE

 

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 6 JUIN 2006

 

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

 

Richard Uditsky                                    POUR LA DEMANDERESSE

 

J. Douglas Wilson

William D. Regan

Pauline Bosman                                    POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

McMillan Binch Mendelsohn s.r.l.

Montréal (Québec)                               POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Ridout & Maybee s.r.l.

Toronto (Ontario)                                 POUR LES DÉFENDERESSES

 

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