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Date : 20001004


Dossier : IMM-2883-99



ENTRE :

     BO CHAI CHO

     demandeur

     - et -



     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



     MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS


[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision, rendue oralement le 7 avril 1999 (des motifs écrits ont été signés le 17 mai 1999), dans laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.



LES FAITS

[2]      Le demandeur est un citoyen âgé de 39 ans de la ville de Guangzhou, en République populaire de Chine. Il a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention parce qu'il craint d'être persécuté en raison des opinions politiques qui lui sont imputées et du fait qu'il a déjà été persécuté par l'État.

[3]      Le demandeur a franchisé une pisciculture en Chine en compagnie de son associé en affaires, Yang, He Ping. Pendant qu'ils franchisaient leur pisciculture, des agents du Bureau de police et de sécurité (le BPS) de leur localité leur ont demandé de leur fournir gratuitement du poisson. Le demandeur a fourni gratuitement du poisson au bureau local du BPS jusqu'à ce qu'il commence à éprouver des difficultés financières.

[4]      Quand il a refusé de fournir gratuitement du poisson au BSP, le demandeur a été battu, à l'instar de son associé en affaires. Le demandeur s'est disputé avec les agents. D'autres personnes de la pisciculture qui ont assisté à la dispute ont tenté de défendre le demandeur. En conséquence, le BPS a accusé le demandeur d'inciter les gens à s'opposer au gouvernement.

[5]      Après l'incident, le demandeur, qui craignait subir des représailles, s'est installé chez un parent; pendant qu'il se trouvait là, des agents du BPS se sont rendus chez lui pour l'arrêter. Un avis de recherche en vue de son arrestation a été lancé. Pendant qu'il était caché, le demandeur a appris que son associé en affaires avait été arrêté à la demeure d'un de ses parents. Après son arrivée au Canada, le demandeur a appris que son associé en affaires avait été arrêté et condamné à une peine d'emprisonnement de trois ans.

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[6]      La Commission a rendu sa décision oralement le 7 avril 1999 et ses motifs écrits, le 17 mai 1999. La Commission a tranché la revendication du demandeur sur le fondement de la question de la protection de l'État et elle n'a pas exposé de motifs sur les questions ayant trait à l'identité et la crédibilité.

[7]      La Commission a conclu que les actes que le demandeur avait commis contre les agents corrompus du BPS pouvaient être perçus, voire qu'ils l'étaient déjà, comme étant l'expression d'une opinion contre le gouvernement par suite d'une opération de camouflage des agents corrompus qui extorquaient du poisson et des recettes de la pisciculture du demandeur. Cependant, la Commission a jugé que le demandeur n'a pas cherché à obtenir la protection de l'État contre les agents corrompus.

[8]      La Commission a fondé sa décision sur des éléments de preuve documentaire qui indiquaient que le gouvernement chinois déployait de grands efforts en vue de régler le problème de la corruption de certains fonctionnaires. La preuve documentaire a établi qu'il y a 3 700 [selon la décision orale], ou encore 37 000 [selon la décision écrite], bureaux de lutte contre la corruption en Chine, qui sont chargés de poursuivre les fonctionnaires du gouvernement corrompus. Une preuve établissant que des citoyens chinois victimes de corruption avaient intenté des poursuites à l'égard desquelles ils avaient obtenu gain de cause a également été produite.

[9]      La Commission a dit que la revendication devait être rejetée vu que le demandeur ne s'était pas adressé à l'un de ces bureaux de lutte contre la corruption, notamment compte tenu du fait qu'il en avait entendu parler.

[10]      La Commission a conclu que le demandeur aurait peut-être obtenu une telle protection s'il s'était adressé à l'un de ces bureaux, en Chine.

LA QUESTION LITIGIEUSE

[11]      La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle n'a pas tenu compte de l'avis du Bureau populaire des poursuites?

L'ANALYSE

[12]      À l'audition, l'avocate du demandeur a mentionné que le demandeur laissait tomber l'argument et s'en remettait à la décision des commissaires.

La Commission a-t-elle commis une erreur lorsqu'elle a omis de tenir compte de l'avis du Bureau populaire des poursuites?

[13]      Lorsque les agents de persécution sont des représentants de l'État corrompus, le revendicateur pourrait être tenu de chercher à obtenir la protection de son État d'origine s'il existe des éléments de preuve établissant que cet État offre une protection adéquate et raisonnable contre les abus que commettent ses représentants.

[14]      En l'espèce, la Commission pouvait accepter la preuve, en page 2 de sa décision, établissant que la République populaire de Chine ne tolérait pas la corruption de ses représentants et que l'État offrait une protection à ses citoyens par l'entremise des bureaux de lutte contre la corruption. Une preuve établissant que les gens se servaient du système juridique pour se protéger contre des fonctionnaires corrompus a également été produite.

[15]      Néanmoins, la protection qu'offre l'État doit être adéquate et raisonnable compte tenu de la situation particulière du demandeur.

[16]      Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur lorsqu'il a négligé de tenir compte de l'avis de la Cour populaire du district de Baiyun.

[17]      La Commission n'est pas tenue de mentionner chacun des documents dont elle dispose. Comme on l'a dit dans Cepeda-Gutierrez c.Canada (M.C.I) (1998), 157 F.T.R. 35 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 16 :

Par ailleurs, les motifs donnés par les organismes administratifs ne doivent pas être examinés à la loupe par le tribunal (Medina c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990) 12 Imm. L.R. (2d) 33 (C.A.F.)), et il ne faut pas non plus les obliger à faire référence à chaque élément de preuve dont ils sont saisis et qui sont contraires à leurs conclusions de fait, et à expliquer comment ils ont traité ces éléments de preuve (voir, par exemple, Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.)). Imposer une telle obligation aux décideurs administratifs, qui sont peut-être déjà aux prises avec une charge de travail imposante et des ressources inadéquates, constituerait un fardeau beaucoup trop lourd.

[18]      Cependant, dans certaines circonstances, l'omission de la Commission de mentionner des éléments de preuve constituera une erreur de droit.

[19]      Dans l'affaire Yu c. Canada (MCI), 15 juillet 1998(IMM-3696-97), [1998] A.C.F. no 1043, (C.F. 1re inst.), la Commission avait omis de mentionner l'élément de preuve selon lequel le revendicateur, un citoyen de Chine, était recherché par le BSP en déterminant si le revendicateur appartenait à une église clandestine. La Cour a conclu :

Le deuxième argument du demandeur est que la Section du statut de réfugié a commis une erreur en ne mentionnant pas la citation à comparaître dans sa décision. Dans la décision Gourenko c. Le solliciteur général du Canada (1995), 93 F.T.R. 264, le juge Simpson dit à la page 264 :
Toutefois, la question se pose de savoir quand un document est si important qu'on doit le mentionner expressément dans la décision. Ou, autrement dit, quand l'omission de mentionner un document sera-t-elle considérée comme une erreur susceptible de contrôle?
À mon avis, un document doit seulement être mentionné dans une décision si, en premier lieu, il est pertinent, en ce sens qu'il porte sur la période en cause. En second lieu, il doit être rédigé par un auteur indépendant de bonne réputation qui soit la source de renseignements la plus fiable. En troisième lieu, il me semble que le sujet abordé dans le document doit se rapporter directement à la revendication d'un requérant. [...] En outre, si un document se rapporte directement aux faits allégués par un requérant, on s'attendrait à ce que ce document soit abordé dans les motifs de la Commission.
Je suis convaincu que la Section du statut de réfugié a commis une erreur en ne mentionnant pas la citation à comparaître dans sa décision. Pour reprendre les termes de la décision Gourenko, précitée, ce document était pertinent, sa fiabilité n'a pas été contestée, il a un rapport direct avec la revendication du demandeur et les faits que ce dernier a allégués. À mon avis, ce document devrait avoir une certaine influence sur la décision de la Section du statut de réfugié; or, on ne sait pas si elle en a tenu compte, ni quelle importance elle lui donnerait.

[20]      Dans la décision Cepeda-Gutierrez, précitée, le juge Evans a conclu, au paragraphe 27 :

À mon avis, la preuve était si importante pour la cause du demandeur que l'on peut inférer de l'omission de la section du statut de la mentionner dans ses motifs que la conclusion de fait a été tirée sans tenir compte de cet élément. Il est d'autant plus facile de tirer cette inférence parce que la Commission a traité dans ses motifs d'autres éléments de preuve indiquant que le retour à Mexico ne constituerait pas un préjudice indu. L'affirmation "passe-partout" selon laquelle la Commission a examiné l'ensemble de la preuve dont elle était saisie n'est pas suffisante pour empêcher de tirer cette inférence, compte tenu de l'importance de cette preuve pour la revendication du demandeur.

[21]      Compte tenu de ces décisions, j'estime que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a omis de mentionner l'avis du Bureau populaire des poursuites. L'avis a été envoyé à l'associé en affaires du demandeur, mais il est forcément lié à la situation de corruption dans laquelle ils se trouvaient tous les deux. J'estime que l'avis est tout à fait pertinent en ce qui concerne la revendication du demandeur et que la Commission aurait dû tenir compte de l'incidence de cette preuve à l'égard de la disponibilité d'une protection adéquate de la part de l'État contre l'arrestation et la persécution par des fonctionnaires corrompus. Comme on l'a dit dans la décision Yu, précité, on ignore si la Commission a tenu compte de cet élément de preuve particulier et, dans le cas où elle l'aurait fait, quel poids elle y aurait accordé.

[22]      L'argument qui suit n'a pas été soulevé par l'une ou l'autre partie, mais la preuve sur laquelle la Commission s'est fondée pour déterminer que les bureaux de lutte contre la corruption fourniraient une protection étatique adéquate au demandeur mentionne également que les bureaux ne peuvent offrir qu'une aide limitée.

[23]      La pièce R-3, intitulée Response to Information Request, Number: CHN 299937.E, dit :

     [TRADUCTION] Malgré ces mesures gouvernementales de lutte contre la corruption, le China Daily mentionne que le système de supervision du pays est toujours insuffisant et trop faible pour enrayer la corruption (5 août 1998.) Un éditorial du China Business Times demande la création d'un « système de supervision public et indépendant » pour enrayer la corruption (ibid.). Dans An Introduction to the Legal System of the People's Republic of China, l'auteur Albert H.Y. Chen soutient que quatre raisons expliquent pourquoi l'indépendance des bureaux des poursuites est menacée en pratique : l'influence que peuvent exercer le comité local du Parti et le gouvernement populaire local en ce qui concerne la nomination, la promotion et le renvoi des membres du personnel de ces bureaux; le fait que le statut de ces derniers est inférieur à celui que la Constitution leur confère; le fait que leur supervision à l'égard d'organismes publics de sécurité est limitée étant donné qu'ils n'ont pas le pouvoir nécessaire pour mettre en oeuvre leurs recommandations et imposer des peines; et le fait que les procureurs de la poursuite n'ont pas assez de formation juridique (1993, 126-17).

[24]      Cette preuve souligne l'importance de traiter de l'avis du Bureau populaire des poursuites en analysant la question de la protection de l'État. En conséquence, je ne puis conclure que la déclaration de la Commission qu'elle a tenu compte de l'ensemble de la preuve dont elle disposait est suffisante pour empêcher l'inférence selon laquelle elle a tiré la conclusion de fait sans tenir compte de la preuve.

[25]      La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et le dossier est renvoyé à une autre formation pour qu'elle l'examine à son tour.


[26]      Ni l'une ni l'autre avocate n'a proposé de question à certifier.


                         Pierre Blais

                         juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 4 octobre 2000











Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :              IMM-2883-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          BO CHAI CHO c. MCI



LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          LE MARDI 26 SEPTEMBRE 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MONSIEUR LE JUGE BLAIS

EN DATE DU :              4 OCTOBRE 2000



ONT COMPARU :         

Mme Maureen Silcoff                      POUR LE DEMANDEUR

Mme Lori Hendriks                          POUR LE DÉFENDEUR



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :     

LEWIS & ASSOCIATES                      POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                  POUR LE DÉFENDEUR

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