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Gatso c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)

Jugements de la Cour fédérale du Canada

 

Cour fédérale du Canada - Section de première instance

Montréal, Québec

Le juge Teitelbaum

Entendu: le 2 décembre 1999.

Rendu: le 14 janvier 2000.

No du greffe IMM-6043-98

 

[2000] A.C.F. no 50 | [2000] F.C.J. No. 50 | 94 A.C.W.S. (3d) 545

Entre Vladimir Gatso, partie demanderesse, et Le ministre [de la Citoyenneté et de l'Immigration], partie défenderesse


(58 paras.)



Avocats

 

 


Alain Joffe, pour la partie demanderesse. Edith Savard, pour la partie défenderesse.

 

 


LE JUGE TEITELBAUM (Motifs de l'Ordonnance)


1 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (Loi), de la décision en date du 23 octobre 1998 dans laquelle un membre de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section du statut de réfugié) a jugé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.


2 Le demandeur sollicite une ordonnance portant renvoi de l'affaire à un tribunal autrement constitué de la Section du statut de réfugié afin qu'il procède à un nouvel examen de celle-ci.


FAITS


3 Le demandeur, un citoyen de l'Ukraine, est né à Donetsk le 3 juin 195 1.


4 Le grand-père du demandeur est arrivé à Donetsk avant le début de la révolution de 1917.


5 En 1931, le comité du peuple des Affaires intérieures a fusillé le grand-père du demandeur parce qu'il était un étranger.


6 Le père du demandeur et ses deux soeurs ont été placés dans des pensionnats différents et ne se voyaient pas. C'est là qu'est né le nom Gatso dans la famille du demandeur.


7 Le demandeur a étudié à Kiev de 1968 à 1972 et, après avoir enseigné, il a décidé d'ouvrir sa propre entreprise alimentaire. Celle-ci était prospère et le demandeur vivait à l'aise.


8 Les problèmes du demandeur ont commencé après l'assassinat du mari de sa cousine, Eugène Karmasin. Dans le cadre de son travail d'agent de douane, M. Karmasin a découvert que de hauts fonctionnaires commettaient des actes de fraude aux dépens de l'État; ceux-ci étaient propriétaires d'entreprises qui s'arrangeaient pour que des marchandises précieuses soient transportées hors du pays.


9 M. Karmasin a décidé de déclarer ces activités à la police, qui lui a alors dit qu'il serait convoqué.


10 Le 1er mai 1996, vers 22 h 50, M. Karmasin, qui semblait très nerveux, a donné un coup de fil au demandeur pour lui demander de venir le chercher au poste de police.


11 Pressentant que quelque chose de grave s'était passé, le demandeur s'est rendu en voiture au poste de police le plus rapidement possible.


12 À son arrivée au poste de police, les policiers, qui étaient ivres, ont dit au demandeur que M. Karmasin n'était pas là. Ils lui ont dit qu'il n'avait pas été arrêté et que son nom ne figurait pas dans le registre.


13 Pendant les trois jours qui ont suivi, le demandeur a recherché en vain M. Karmasin.


14 Le 4 mai 1996, les parents de M. Karmasin ont dit au demandeur que leur fils avait été assassiné vers 23 h 00 le 1er mai 1996.


15 Même s'il savait que ce ne serait pas une tâche facile, le demandeur a juré qu'il prouverait que c'était la police qui avait abattu M. Karmasin.


16 Le 15 septembre 1996, le demandeur s'est rendu chez le procureur de Donetsk, lui a confié ce qu'il savait et lui a remis tous les documents que M. Karmasin lui avait confié avant d'être assassiné.


17 Ces documents permettaient de prouver que de hauts fonctionnaires en Ukraine commettaient des actes frauduleux.


18 Ce soir-là, alors qu'il rentrait chez lui, le demandeur a été attaqué par trois inconnus qui l'ont battu et laissé sans connaissance sous des arbrisseaux se trouvant tout près. Quand il a repris connaissance, le demandeur est rentré chez lui.


19 Deux jours plus tard, le demandeur est allé se plaindre de l'incident au poste de police régional. Encore une fois, on l'a battu et accusé de se mêler à une "vilaine" affaire.


20 Il a été menacé d'être tué s'il continuait à chercher à connaître les circonstances de la mort de M. Karmasin.


21 En octobre 1996, le demandeur s'est confié à un ami qui lui a suggéré de dénoncer publiquement les activités criminelles des fonctionnaires et de la police. Le demandeur a suivi ce conseil et il a dit que la police constituait un groupe lié à de grandes organisations qui volaient le pays. En outre, il a raconté ses soupçons quant à la mort de M. Karmasin.


22 Le lendemain, soit le 17 octobre 1996, le demandeur rentrait chez lui en voiture quand un camion a heurté son véhicule. Le demandeur s'est enfui rapidement après la collision et il a été conduit à l'hôpital où on lui a sauvé la vie.


23 Le demandeur affirme que, de retour chez lui, il craignait pour sa vie et qu'il s'est donc abstenu de sortir et a débranché son téléphone.


24 Au printemps 1997, le demandeur s'est rendu à Kiev pour faire part de ses craintes aux autorités, a été arrêté en plein centre de la ville et a été emmené en voiture dans un garage où on l'a attaché et battu. On a uriné sur lui et on l'a torturé en lui donnant des décharges électriques. On lui a alors demandé s'il avait d'autres documents compromettants.


25 Durant les trois derniers jours de sa détention, le demandeur a été oublié. Le huitième jour, alors qu'on pensait qu'il était mourant, le demandeur a pris la fuite.


26 Le demandeur a décidé de quitter son pays le plus rapidement possible. En attendant qu'on lui délivre un visa, il est resté chez des amis. Le 16 juillet 1997, le demandeur a obtenu un visa américain.


27 Le 30 novembre 1997, le demandeur a quitté son pays après s'être tenu caché dans le village de Borovenki situé dans la région de Lougansk.


28 Le demandeur est arrivé au Canada le 1er décembre 1997 et a immédiatement revendiqué le statut de réfugié.


LA DÉCISION DE LA COMMISSION


29 Les paragraphes essentiels de la décision de la Commission se lisent comme suit :

Après une évaluation détaillée de la preuve, nous concluons qu'elle n'est pas suffisante pour établir que le revendicateur a une crainte bien fondée de persécution en raison de sa nationalité ou de son appartenance à un groupe social. Il n'y a pas, selon notre appréciation de toute la preuve, une "possibilité raisonnable" que le revendicateur soit persécuté advenant son retour dans son pays de nationalité, et ce, pour les raisons suivantes :

Le tribunal ne croit pas en les allégations du revendicateur.

Le revendicateur aurait voulu découvrir les circonstances de la mort du mari d'une cousine qui lui aurait confié des documents compromettants par des gens liés à de grandes firmes et à la police.

Le revendicateur aurait reçu un appel téléphonique de ce dernier qui se disait être à un poste de police. C'est tout ce que le revendicateur sait. Il n'a aucune preuve pour confirmer ses allégations que plusieurs policiers nient; une parole contre plusieurs.

Si le revendicateur a eu entre les mains des documents compromettants, il les aurait remis au procureur.

Il est invraisemblable que le revendicateur parle publiquement de ses soupçons et accuse la police où on l'aurait déjà battu et torturé quand c'était sa parole contre celle de plusieurs policiers.

Au printemps 1997, il serait allé à Kiev pour s'adresser aux autorités supérieures. On l'aurait arrêté en pleine rue, enlevé et torturé pour savoir s'il avait d'autres documents, ce qui est invraisemblable aux yeux du tribunal, pour lui qui aurait été se confier au procureur de Donetsk et lui remettre les documents. Il sait peu de choses pour mériter une telle attention.

[...] Le revendicateur a reçu son visa américain le 17 juillet 1997 et n'a quitté son pays que le 30 novembre 1997. Un délai qui mine sa crainte subjective et sa crédibilité.

L'histoire du revendicateur n'étant pas crédible, le tribunal conclut qu'il ne s'est pas déchargé du fardeau de prouver qu'il a une crainte bien fondée de persécution en Ukraine de fait de l'un ou l'autre des motifs de la définition de "réfugié au sens de la Convention".


LES QUESTIONS LITIGIEUSES


30 Les questions litigieuses en l'espèce sont les suivantes :

  • (1) La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que le demandeur n'était pas suffisamment crédible?

  • (2) Était-il raisonnable pour la Commission de conclure que le demandeur ne s'était pas déchargé de son fardeau d'établir une crainte fondée de persécution?


LES ARGUMENTS DES PARTIES


Les arguments du demandeur


31 Le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur de droit en concluant qu'il n'était pas suffisamment crédible parce que rien dans la preuve contredit son témoignage. À l'appui de la proposition selon laquelle, en l'absence de preuve contraire, la Commission doit accepter le témoignage du demandeur comme étant vrai, le demandeur se réfère à l'arrêt Maldonado c. M.E.I.,
(1980) 2 C.F. 302 (C.A.F.) de la Cour d'appel fédérale.


32 Deuxièmement, le demandeur soutient que la conclusion de la Commission que le témoignage du demandeur n'était pas crédible est purement spéculative et ne se fonde sur aucun motif concret.


33 Il est allégué que la Commission a imposé un fardeau de la preuve beaucoup plus strict que celui qu'exige la Cour et qu'elle s'est référée à la décision Chichmanov Yordan Angeulov c. M.E.I
[1992] A.C.F. 832.


Les arguments du défendeur


34 Le défendeur prétend que la Commission est la mieux placée pour évaluer la crédibilité et que, dans la présente affaire, il n'y a aucune erreur susceptible de révision qui justifierait l'intervention de la Cour.


35 Le défendeur soutient que la Commission agissait bien dans le cadre du pouvoir que lui confère la loi en mettant en doute la vraisemblance du témoignage du demandeur pour des motifs de bon sens et de raison et en tirant ensuite des conclusions sur la base de ces évaluations.


36 Deuxièmement, le défendeur allègue que la Commission fait mention de plusieurs contradictions précises dans la preuve, qui l'ont amenée à conclure que le demandeur n'était pas suffisamment crédible. Il incombe donc au demandeur de réfuter les conclusions de la Commission pour que la Cour annule la décision.


37 Enfin, le défendeur prétend que la Commission a, à juste titre, appliqué le critère établi à l'article 69.1 de la Loi et conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve pour établir une crainte fondée de persécution.


L'ANALYSE


Le fardeau de la preuve


38 Dès le départ, le demandeur prétend que la Commission a commis une erreur de droit en imposant au demandeur un fardeau de la preuve trop strict. À la page 3 de ses motifs, la Commission affirme que le demandeur n'a pas établi qu'il y avait une possibilité raisonnable qu'il soit persécuté s'il retournait dans son pays.


39 La Commission avait raison de conclure que le demandeur doit prouver, suivant la prépondérance des probabilités, qu'il existe plus qu'une possibilité minimale ou qu'une simple possibilité qu'il soit persécuté. La Cour a exprimé clairement cette exigence dans l'arrêt Ponniah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 13 Imm. L.R. 241, 245 (C.A.F.).


40 En conséquence, je ne suis pas d'accord avec le premier argument du demandeur, suivant lequel la Commission lui a imposé un fardeau de la preuve plus strict que celui qui a été établi dans la jurisprudence de la Cour. La Commission a énoncé et appliqué la bonne norme de preuve, soit celle de la possibilité raisonnable.


La crédibilité


41 La crédibilité constitue la question centrale en l'espèce. Après un examen approfondi de la preuve, la Commission a décidé que le témoignage du demandeur n'était pas suffisamment crédible et s'est référée à plusieurs invraisemblances précises avant de conclure que sa demande n'avait aucun fondement crédible.


42 Premièrement, le demandeur allègue que la police a assassiné le mari de sa cousine, M. Karmasin, parce qu'il a reçu un coup de fil de M. Karmasin qui lui a dit qu'il était au poste de police, et qu'il a pressenti que quelque chose de très grave s'était passé.


43 À part cela, le demandeur n'avait aucun autre motif de croire que M. Karmasin avait été tué par la police. Dans ses motifs, la Commission souligne que plusieurs policiers ont affirmé que la police n'était pas responsable de la mort de M. Karmasin, et que c'était donc la parole du demandeur contre celle de la police, même si cette dernière n'est pas pertinente.


44 Deuxièmement, la Commission affirme à la page 4 de ses motifs qu'il est invraisemblable que le demandeur déclare publiquement qu'il soupçonne la police, qui l'aurait déjà battu et torturé, d'être responsable de la mort de M. Karmasin.


45 Troisièmement, la Commission a conclu qu'il était invraisemblable que le demandeur se rende à Kiev au printemps 1997 pour soumettre ses craintes aux autorités, qu'on l'arrête en pleine rue et qu'ensuite, on le torture pour déterminer s'il avait d'autres documents compromettants en sa possession.


46 La Commission a jugé qu'il était invraisemblable que le demandeur, qui s'était ouvert au procureur de Donetsk et lui avait donné les documents que M. Karmasin lui avait confié, subirait une telle arrestation et de telles violences. La Commission a affirmé que le demandeur ne savait pas assez de choses compromettantes pour mériter autant d'attention.


47 La Commission s'est ensuite penchée sur le retour volontaire du demandeur à Donetsk, où il allègue avoir été persécuté, et sur sa reponse à la question 18 de son FRP, selon laquelle il exploitait son commerce en juin 1997.


48 Enfin, la Commission se réfère au fait que le demandeur a obtenu son visa américain le 18 juillet 1997 et qu'il n'a quitté son pays que le 30 novembre 1997. Ce retard a créé un doute quant à sa crainte subjective de persécution et a amené la Commission à remettre davantage en question sa crédibilité.


49 À cet égard, le demandeur affirme qu'il n'a pas pu quitter l'Ukraine immédiatement après avoir obtenu son visa américain parce que la discrimination se poursuivait, ce qui l'a empêché de s'enfuir avant le 30 novembre 1997. Il déclare qu'en attendant, il s'est caché dans le village de Borovenki chez des parents éloignés.


50 Il s'agit de déterminer si la Commission a rendu une décision erronée en droit parce qu'elle a mal interprété la preuve ou qu'elle a tiré des conclusions de façon abusive ou arbitraire.


51 Le demandeur soutient que plusieurs des conclusions de la Commission sont spéculatives et fondées sur une appréciation insuffisante de la preuve. Cette question a été examinée dans Oduro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1995] A.C.F. 515, où le juge Richard, au paragraphe 3 de ses motifs, analyse comme suit la nature spéculative des conclusions de la Commission :

Un examen minutieux de la preuve dont disposait la Section du statut laisse voir que plusieurs des contradictions ou invraisemblances relevées étaient spéculatives, mais la Cour est d'avis que la Section du statut pouvait tirer la conclusion qu'elle a tirée et qu'elle n'a commis aucune erreur révisable qui justifierait son intervention. [...] La Cour pourrait ne pas partager certaines des raisons données, mais elle n'est pas persuadée que lesdites raisons justifient l'intervention de la Cour.


52 Après avoir appliqué ce raisonnement à la décision de la Commission et effectué un examen approfondi des éléments de preuve qui ont été soumis à l'audience, je suis convaincu que les conclusions de la Commission étaient raisonnables même si ma décision aurait peut-être été différente de celle de la Commission.


53 Juridiquement, la Commission avait suffisamment d'éléments de preuve pour appuyer les conclusions de fait sur lesquelles elle fonde sa conclusion que la revendication du demandeur n'a pas de minimum de fondement. En outre, la Commission analyse expressément les parties du témoignage du demandeur qu'elle a jugées invraisemblables.


54 Vu le principe bien établi selon lequel la Section du statut de réfugié est la mieux placée pour évaluer la crédibilité d'un demandeur, et compte tenu de sa compétence pour déterminer si le demandeur a établi une crainte fondée de persécution, je ne vois aucun motif justifiant l'intervention de la Cour.


55 Comme l'a clairement exprimé la Cour d'appel dans l'arrêt Aguebor c. M.E.I. (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), la Cour ne doit intervenir que lorsque la décision de la Commission est déraisonnable, c'est à dire, abusive.


56 Plus récemment, ce principe a été réaffirmé dans la décision Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] A.C.F. 317, où le juge Evans a affirmé au paragraphe 22 de ses motifs :

L'intervention judiciaire n'est donc justifiable que dans les cas les plus manifestes. En outre, un tribunal n'est pas tenu de renvoyer à chaque élément de preuve pour remplir l'obligation qui lui incombe en vertu de la loi de fournir les motifs de ses décisions.

(Non souligné dans l'original.)


57 Il n'y a aucune erreur de droit importante dans la décision de la Section du statut de réfugié; la demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.


58 Les parties n'ont pas soumis de question aux fins de certification.


LE JUGE TEITELBAUM

 


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