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Date : 19990915


Dossier : T-2145-96

Entre :

     L"ASSOCIATION DES SENNEURS DU GOLF INC. ("l"Association")

     LA FÉDÉRATION RÉGIONALE ACADIENNE DES PÊCHEURS

     PROFESSIONNELS INC. ("FRAPP")

     FERNAND FRIOLET, ÉMILE GAUVIN, ROMÉO MICHON,

     CAMILIEN HACHÉ, LIBERT CHIASSON et

     ELDEGE CHIASSON ("les Senneurs")

     Requérants

     (Parties demanderesses)

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

     représentée par le ministre des Pêches et Océans (("le Ministre") et

     LE DIRECTEUR GÉNÉRAL ASSOCIÉ ("le Directeur")

     Région des Maritimes (Pêches du Golfe) du ministère des Pêches et Océans

     Intimés

     (Parties défenderesses)


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE NADON


[1]      Par leur demande de contrôle judiciaire, les demandeurs cherchent à obtenir une ordonnance:

     (a)      annulant les allocations de quotas pour la pêche du hareng en 1996 dans la zone 4TVn1 du sud du Golfe du St-Laurent, telles que publiées par le Directeur ou ses subalternes;
     (b)      annulant la ligne fictive qui détermine la zone de pêche désignée Baie des Chaleurs dans la zone 4TVn du sud du Golfe;
     (c)      annulant la décision du Ministre des Pêches et Océans ("le Ministre") de leur interdire le droit de vendre leur hareng à des boucannières;
     (d)      obligeant le Ministre à émettre un plan de gestion officiel pour la pêche du hareng dans le sud du Golfe, toute réduction du total des prises admissibles ("TPA") devant être imposée de façon égale aux pêcheurs côtiers et aux requérants dans cette zone;
     (e)      obligeant le Ministre ou le Directeur de leur accorder l"accès en tout temps à l"ensemble de la zone 4TVn, y inclus la Baie des Chaleurs.

Les Faits

[2]      Les faits pertinents peuvent se résumer comme suit. Les demandeurs principaux sont l"Association des Senneurs du Golfe Inc. et ses membres, soit six pêcheurs propriétaires et capitaines d"un bateau de pêche, qui font la pêche du hareng en utilisant une senne coulissante2.

[3]      Jusqu"en 1960, la pêche du hareng dans le sud du Golfe du St-Laurent était effectuée exclusivement par des pêcheurs côtiers. À partir de 1960, les senneurs ont commencé à pêcher le hareng et en 1967, ils ont capturé autant de hareng que les pêcheurs côtiers. En 1970, les senneurs ont capturés plus de 155 000 tonnes, alors que les pêcheurs côtiers ne capturaient que 19 600 tonnes.

[4]      En 1976, le Ministre a commencé à délivrer des permis à accès limité concernant la pêche à la senne-bourse et, aux fins de conservation, a réduit les contingents des senneurs dans la zone du sud du Golfe. En 1981, le Ministre a pris la décision d"allouer 80 % des contingents aux pêcheurs côtiers et 20 % aux senneurs. De plus, le ministre a réduit le total des prises admissibles ("TPA") pour le hareng.

[5]      L"allocation du TPA entre les senneurs et les côtiers, dans une proportion de 80 % et 20 %, est subdivisée comme suit: pour les pêcheurs côtiers, les zones de pêche sont les suivantes:

     (1)      16A - l"Ile Verte, au Québec;

     (2)      16B - Baie des Chaleurs;

     (3)      16C (Escuminac) - sud-est du Nouveau-Brunswick;

     (4)      16D - Iles de la Madeleine, au Québec;

     (5)      16E - ouest de l"Ile du Prince Edouard et au nord du détroit de

             Northumberland;

     (6)      16F - Pictou, à l"Ile du Prince Edouard; et

     (7)      16G (Fishermen"s Bank) - nord-est de l"Ile du Prince Edouard ainsi qu"à l"ouest du Cap Breton.

Quant aux senneurs, leur pêche est subdivisée entre la zone 4-T et la zone 4-VN. L"allocation de la zone 4-T est habituellement pêchée dans la Baie des Chaleurs et l"allocation de la zone 4-VN est habituellement pêchée au large du Cap Breton. La pêche des senneurs est consacrée exclusivement à l"approvisionnement du marché de la chair d"hareng, alors que celle des pêcheurs côtiers est dévouée exclusivement à l"approvisionnement du marché de la rave d"hareng (les oeufs). En ce qui concerne la Baie des Chaleurs, la pêche des côtiers est faite dans des lieux appelés frayères (endroits où se reproduit le hareng), alors que la pêche des senneurs est faite principalement à l"extérieur de ces lieux.

[6]      Au mois de mai 1995 fut publiée une évaluation scientifique du stock d"hareng dans le sud du Golfe St-Laurent qui indiquait que la biomasse du stock avait subi un déclin important d"environ 20 %. Cette information a été communiquée aux senneurs par le Ministre au début du mois de décembre 1995.

[7]      Puisque 50 % du total de la biomasse dans le sud du Golfe St-Laurent se retrouve dans la Baie des Chaleurs, le ministre décidait d"y limiter à 50 % les prises d"hareng pour l"année 1996.

[8]      Lors d"une rencontre avec le Ministre au mois de décembre 1995, les senneurs reconnaissaient la nécessité pour le Ministre de prendre des mesures de conservation du stock d"hareng. Cette reconnaissance incluait la nécessité pour le Ministre d"imposer une réduction additionnelle du contingent dans la Baie des Chaleurs. C"est pourquoi, le 27 décembre 1995, l"Association des Senneurs faisait parvenir une lettre au Ministre où elle indiquait:

A concern that has become an issue for 1996 is the Health of the Stock, and the Relationship the 87 year class has had on the Biomass Assessment. This Biomass concern is generated and fuelled at this time, not only because of the decline of the 87 year class, but, by the concentration of fishing effort on the spawning stocks within the Inner Bay of Chaleur.
Despite the fact that our TAC is 20% of the quota, and our historical catches have been about 52% of our TAC, we realize that conservation is the priority. Our proposal will outline our position that will enable the Purse Seine Fleet the time and flexibility needed to harvest our TAC, along with the conservation concerns addressed to ensure, as single licence holders, that we will still have a viable TAC to harvest in the future.

[9]      En annexe à la lettre se retrouvait la proposition de conservation de l"Association. Les points numéros 2 et 4 des principes et les points numéros 5 et 6 du plan de conservation proposé sont pertinents et se lisent comme suit:

     PRINCIPLES
2.      The fleet must be afforded the opportunity to catch their full herring quota available to them in 1996.
[...]
4.      As single licence holders, the fleet is committed to the proper management and conservation of the 4TVn herring stock to ensure the sustainability of the resource and is prepared to do its part to achieve this objective, fut feels it should not be expected to shoulder more than its fair share of the stock conservation burden.
     The 1996 Seiner Management Plan
5.      The purse seine fleet recognizes the concern over the level of concentrated effort on the herring stock components in the Bay of Chaleur area in the months of August and September, and is prepared to do its part to redue its effort providing in doing so, it is not precluded from taking its full quota.
     To address these concerns, the purse seine fleet will agree, in 1996, for a ligne to be drawn from the light in Miscou across to the light in Cap d"Espoir. This ligne would be in place for the first three weeks in August, during which time the purse seine fleet would not harvest herring inside these two points.
6.      In order for the purse seine fleet to agree with point #6 [sic], there must be assurances that if these restrictions result in the fleet not harvesting their TAC in 4T, any shortfall in their quota would be added to their 4VN quota.
     This would not only ensure the fleet be given a fair opportunity to harvest their full TAC, but it also allows more flexibility in harvesting fish outside the concerned area of the inner Bay of Chaleur. This point is consistent with past and current scientific advice, as it h as been accepted that the fish in the area of 4VN north is 4T stock.

[10]      Le 27 mars 1996, l"Association des Senneurs faisait parvenir au Ministre une proposition révisée. Je reproduit les points V et VI de cette proposition révisée:

V)      The Purse Seine Fleet recognizes the high level of harvest in the inner Bay of Chaleur by the Seine Fleet and the concentration on the roe fishery by the inshore fleet.
     To provide relief on the effort inside the Bay, the Purse Seine Fleet proposes that it will not fish the inner Bay for the months of July and August.
     The inner Bay will be defined by the ligne 1-2, 2-4 on DFO"S Map, the change would be on the ligne 2-4 where it would be intersected by a ligne from Cap Gaspé.
     Our harvest outside this ligne by the Purse Seine Fleet, three of which may be equiped with mid-water gear, will certainly take pressure off the inner Bay.
VI)      We do not propose a cap on the Purse Seine Fleet for the inner Bay when it moves back in September, October and November unless we have complete assurance of a transfer of quota from 4T to 4VN which will help ensure capture of our TAC.

[11]      Quant à la position adoptée par les pêcheurs côtiers, elle apparaît d"une lettre que leurs représentants adressaient à Pêches et Océans le 28 mars 1996. La lettre se lit, en partie, comme suit:

Suite à la réunion du comité consultatif sur la pêche du hareng d"automne, nous avons tenu 2 réunions avec nos pêcheurs-représentants concernés par le sujet. Voici en bref la position de n os membres.
Premièrement, nos pêcheurs, conscients des difficultés à capturer leur quota l"été dernier, sont de plus en plus convaincus que les stocks de la baie des Chaleurs ne sont pas en aussi bonne santé qu"ils étaient il y a quelques années. L"effort, dans la baie des Chaleurs se doit d"être diminué et ils sont d"accord avec l"avis scientifique qui recommande une certaine diminution pour 1996.
Pour nos membres pêchant avec les enfins fixes, cette diminution pourrait être assez significative puisqu"elle peut représenter deux semaines de moins de pêche. Actuellement, la pêche au hareng pour nos côtiers se limite à un mois et quelques semaines, dépendant du taux de capture.
De plus, le fait que nous soyons des pêcheurs non-mobiles nous forcent à attendre que le hareng vienne à la côte, pour pendre [sic] ses oeufs, avant que nous puissions commencer à pêcher.
Hors, si la baisse attribuable aux côtiers de la baie des Chaleurs est de l"ordre de 6000 tonnes métriques, comme nous laisse croire l"avis scientifique, nous croyons que notre contribution au rétablissement des stocks est très significative pour nous.
Nous comprenons aussi que les grands senneurs verront leur part diminuer proportionnellement. Toutefois, pour nous, le sacrifice fait par les nôtres se doit d"être aussi grand pour les senneurs. Hors, en 1995, alors que le MPO leur permettait d"aller pêcher dès le milieu d"août, ces derniers pêchèrent la totalité de leur contingent dans la baie, diminuant sérieusement les stocks de la baie des Chaleurs. Cette pratique est tout-à-fait inacceptable et si le même scénario se répète en 1996, les efforts des côtiers pour redresser les stocks, seront nuls. Afin de rétablir rapidement les stocks, nous demandons au MPO de ne permettre aux grands senneurs que de ne capturer que 40% de leur contingent dans la baie des Chaleurs, soit à l"intérieur des lignes 1, 2, 3, 4, tel que décrit par le MPO.
Deuxièmement, nous recommandons que les grands senneurs ne soient permit de pêcher que 40% de leur quota à l"intérieur de ces lignes. De plus, ce 40% ne peut être pêché qu"une fois que nous aurons capturé notre contingent.
Troisièmement, nous recommandons au ministère de remener [sic] la taille légale du hareng à 28 cm hors tout comme c"était le cas avant que le MPO change la taille légale à l"automne 1993 et cela dans le but de permettre au hareng de se reproduire une fois avant d"être capturé.
D"après les biologistes, la majorité du hareng se reproduit à l"âge de 4 ans, soit après qu"il ait atteint une taille minimale de 28 cm. Toutefois, certains gros individus qui n"ont que 3 ans peuvent se reproduire. Il faudrait ici préciser que ces individus sont assez matures et atteignent facilement la taille de 27.5 cm de langueur hors tout dès l"âge de 3 ans.
Quatrièmement, en ce qui concerne l"utilisation des chaluts pélagiques, nos pêcheurs craignent son utilisation puisque ce genre d"agrès est moins sélectif que la seine bourse et son utilisation n"aidera pas à rétablir les stocks de la baie des Chaleurs. Si le ministère décide de permettre un tel engin, nous voulons être assurés que ce genre d"engin ne sera pas utilisé dans la baie des Chaleurs et près des côtes de Miscou.

[12]      Le 3 avril 1996, le Ministre annonçait un plan de gestion provisoire pour la pêche de printemps pour la zone de pêche du hareng 16. Selon ce plan, les senneurs se voyaient allouer un contingent de printemps pour la zone 16 de 3 906 tonnes.

[13]      Au mois d"avril 1996, les évaluations scientifiques révèlent la nécessité de réduire les contingents pour la pêche d"automne 1996 dans un ordre de 34 % au lieu du 20 % anticipé suite aux analyse des 1995.

[14]      Au mois de juin 1996, le Ministre annonçait certaines mesures ayant comme but de réduire la pêche dans la Baie des Chaleurs pour l"année 1996. Ces mesures prévoyaient:

a)      le tracé d"une ligne imaginaire à l"entrée de la Baie des Chaleurs; du 1er juillet au 3 août 1996, les senneurs pourront pêcher le hareng à l"extérieur de la ligne.
b)      la possibilité pour les senneurs de transférer leurs contingents non-capturés de la zone 16 à la zone de Sydney Bight (dans la zone 17), région où il y a une grande concentration du stock de hareng en hiver;
c)      le Ministre permettra l"utilisation du chalut pélagique par les senneurs au cours des mois de juillet et août à l"extérieur de la " Baie des Chaleurs" dans le sud du Golfe; et
d)      les senneurs pourront pêcher jusqu"à 50 pour cent (50%) de leur contingent d"automne à l"intérieur de la Baie des Chaleurs, le reste de leur contingent devant être pêché à l"extérieur.

[15]      Suite à des discussions entre le Ministre et des représentants des membres de l"industrie, le TPA de l"automne 1996 a été fixé à 57 000 tonnes, soit une diminution de 33 % par rapport au TPA de 1995, soit 84 997 tonnes. L"allocation des senneurs a été réduite de 37 %, soit de 20 630 tonnes à 12 845 tonnes, alors que celle des pêcheurs côtiers a été réduite de 31 %, soit de 64 637 tonnes à 44 158 tonnes.

[16]      En délimitant la Baie des Chaleurs comme il l"a fait, le Ministre a tenu compte du fait que les senneurs pouvaient pêcher ailleurs dans la zone 16 et qu"ils pourraient bénéficier de la possibilité de transférer leur contingent non capturé de la zone 16 à la zone 17.

[17]      En ce qui a trait à la répartition des contingents entre les senneurs et les côtiers, le Ministre en a déterminé l"allocation, compte tenu de plusieurs facteurs, notamment:

     (a)      la répartition de la ressource selon des principes d"équité;
     (b)      la proximité de la ressource;
     (c)      la dépendance relative des communautés côtières sur la ressource;
     (d)      la rentabilité du rendement économique; et
     (e)      la mobilité des pêcheurs.

[18]      Le Ministre ayant conclu à une plus grande mobilité de la part des senneurs, il a, conséquemment, permis aux côtiers de pêcher un contingent réduit à l"intérieur de la Baie des Chaleurs. En prenant cette décision, le Ministre a tenu compte du fait qu"il pouvait permettre aux senneurs de transférer leur allocation à des zones extérieures à la Baie des Chaleurs, vu leur plus grande mobilité.

[19]      Les mesures mises en place par le Ministre en 1996 ont eu comme conséquence de réduire les contingents de l"année 1996, en comparaison avec ceux de l"année 1995, comme suit: une réduction de 29% pour les côtiers et de 31% pour les senneurs. Le tableau3 suivant illustre ces données:

Flotille

Saison

Zone

     1995

     1996

Tonnes

%

Tonnes

     %

Côtiers

Printemps

16

16 800

12 954

Automne

16

64 640

44 158

Printemps

17

---

140

Automne

17

---

560

     Sous-total:

81 440

76,83

57 812

     77,53

Tonnes

%

Tonnes

     %

Senneurs

Printemps

16

4 200

3 906

Automne

16

16 160

8 645

Automne

17

4 200

4 200

     Sous-total:

24 560

23,17

16 751

     22,47

     TOTAL:

106 000

100

74 453

     100

[20]      Le 27 septembre 1996, les demandeurs déposaient le présent recours. La position des demandeurs apparaît clairement du paragraphe 1 de la section 1 de leur Mémoire, où l"on peut lire:

Les demandeurs soutiennent que les défenderesses, dans l"exercice du mandat qui leur est attribué en vertu de la Loi sur les pêcheries du Canada relativement à la gestion et l"exploitation des ressources halieutiques dans la région du Canada atlantique et plus particulièrement relativement à la gestion de la pêche commerciale du hareng en 1996, ont agi de façon arbitraire, discriminatoire et sans motif valablement reconnu par le droit et la Charte canadienne des droits et libertés en vue de priver indûment les demandeurs de l"accès à leur fonds de pêche traditionnel à l"intérieur de la Baie des Chaleurs aux périodes de pêches habituelles au profit d"un autre groupe de pêcheurs communément identifiés comment étant les pêcheurs côtiers. Ce faisant, les actions arbitraires et discriminatoires des défenderesses ont été telles que les demandeurs n"ont pu pêcher le quota qui leur était autrement disponible et ont ainsi subi des pertes économiques substantielles.

[21]      Au paragraphe 5 de la section IV de leur Mémoire, les demandeurs soumettent:

Les demandeurs soutiennent respectueusement que:
     les défenderesses sont assujetties dans l"exercice de leur pouvoir de gestion de l"exploitation des ressources halieutiques et de la gestion de la pêche commerciale du hareng d"agir équitablement et de s"assurer d"accorder une juste considération à l"ensemble des intervenants dans queque secteur de pêche commerciale que ce soit et plus particulièrement à l"ensemble de tous les intervenants, y inclus les demandeurs, dans les décisions de gestion prises à l"égard de l"exploitation de la pêche commerciale du hareng;
     en fait, les défenderesses sont assujetties à une obligation d"équité afin d"agir de façon convenable à l"égard de l"ensemble des intervenants et plus particulièrement à l"égard des demandeurs même si à l"occasion les intérêts des uns et des autres peuvent être apparemment divergents;
     la décision prise par les défenderesses à l"égard des demandeurs à l"époque pertinente constituait une conduite qui démontrait une discrétion n"ayant pas été exercée de bonne foi ni de façon objective et honnête sans une étude sérieuse de la position des demandeurs et sans tenir compte à leur égard des conséquences de leur décision dans l"établissement du plan de gestion de pêche commerciale du hareng dans la Baie des Chaleurs pendant l"année 1996; et
     les demandeurs soutiennent que les décisions prises par les défenderesses à leur égard étaient arbitraires, capricieuses, discriminatoires et abusives.

[22]      La partie V du Mémoire des demandeurs est intitulée ARGUMENTATIONS. Je les reproduis en partie:

6.      Le MPO est chargé de gérer la pêche du hareng dans le sud du Golfe, tant en ce qui concerne la pêche du hareng pratiquée par les senneurs que celle pratiquée par les pêcheurs côtiers.
7.      En 1996, la pêche du hareng dans le sud du Golfe a été marquée par les événements décrits ci-dessous:
(a)      le ministre n"a toujours pas émis un plan de gestion officiel pour la pêche du hareng dans le sud du Golfe;
(b)      le directeur (ou son délégué) a dressé une ligne imaginaire qui délimite une nouvelle zone de pêche désignée "Baie des Chaleurs". Cette zone renferme la presque totalité d"un des plus importants territoires traditionnels de pêche des senneurs dans le sud du Golfe;
(c)      le directeur (ou son délégué) a interdit aux senneurs l"accès à cette zone en juillet et en août 1996;
(d)      le directeur (ou son délégué) a limité les senneurs a 50% de leur quota dans la zone désignée "Baie des Chaleurs", et ce à compter du 1er septembre 1996;
(e)      le directeur (ou son délégué) a fixé des quotas pour la pêche des senneurs au printemps 1996 et il refuse maintenant de permettre aux senneurs de transférer ces quotas à la pêche de l"automne 1996, (ce qui représente environ 2000 tonnes d"hareng), nonobstant le fait que les senneurs ont payé la totalité des droits d"accès à leur quota en que le MPO a accepté ce paiment;
(f)      en autant qu"on puisse déterminer, les côtiers ont pu pêché [sic ] leur plein quota dans la zone désignée Baie des Chaleurs, ce qui n"est pas le cas pour les senneurs. Dans un tel contexte, les senneurs sont d"avis qu"ils ont fait l"objet d"un traitement inéquitable de la part du MPO.
8.      En raison de ces événements, et plus précisément l"inaction du ministre en ce qui a trait à la gestion de la pêche du hareng en 1996, les senneurs constatent un effritement systématique de leur droit d"accès à leur territoire traditionnel de pêche, ce qui résulte en une perte de marché pour leur produit (hareng de chair), ainsi qu"en une perte d"emploi pour les membres de leurs équipages et les travailleurs d"usines.
10.      Vu ce qui précède, le ministre:
(a)      n"a pas observé un principe de justice naturelle ou d"équité procédurale, ou toute autre procédure qu"il était légalement tenu de respecter;
(b)      a omis de rendre une décision ou une ordonnance, en l"occurrence un plan de gestion officiel pour la pêche du hareng dans la zone 4TVn du sud du Golfe;
(c)      a omis de rendre une décision ou une ordonnance qui permettrait aux senneurs de pouvoir faire la pêche du hareng jusqu"à concurrence de leur quota, soit 20% du quota total accordé pour la pêche du hareng dans la zone 4TVn pour l"année 1996; et
(d)      a agi de toute façon contraire à la loi et contraire aux droits des senneurs découlants des permis qu"ils ont dûment payés et obtenus de son ministère.
12.      Par ailleurs, les lparties demanderesses se fieront aux principes de justice naturelle évoqués dans Comeau"s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans) (1997], 1 S.C.R. 12.
17.      L"intérêt de la décision de la Cour Suprême du Canada porte sur le fait que les paramètres de l"exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre sont définis comme constituant des interdits de prendre une décision fondée sur l"arbitraire, une obligation d"agir de bonne foi et, finalement, l"obligation de fonder sa décision sur des considérations pertinentes. Quoique la cour a souligné que lorsque qu"un ministre est requis par la loi d"exercer son pouvoir discrétionnaire pour réagir à les préoccupations de politique immédiate et urgente, qu"on pouvait mutuellement considérer que le législateur a voulu que ce ministre soit responsable ultimement envers les autorités politiques, le fait demeure toutefois qu"il y a donc des contraintes à l"exercice et à l"usage de ce pouvoir discrétionnaire. Dans la présente instance, la preuve démontrera que le ministre n"a pas respecté ses contraintes dans l"exercice de son pouvoir discrétionnaire de telle sorte qu"il a agi de façon capricieuse, discriminatoire et arbitraire à l"encontre des demandeurs.

[23]      Pour les motifs qui suivent, je suis d"avis que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[24]      L"article 7 de la Loi sur les pêches , L.R.C. 1985, ch. F-14, confère au Ministre une discrétion absolue relativement à l"émission de baux et permis de pêche ainsi que de licences d"exploitation de pêcheries.

[25]      Puisqu"il n"existe aucune restriction dans la Loi sur les pêches ou les Règlements concernant l"objet en fonction duquel le Ministre doit exercer ses pouvoirs, il ne peut faire de doute, à mon avis, que le Ministre possède le pouvoir de gérer la pêche, compte tenu de considérations sociales, économiques ou autres. À mon avis, rien n"empêche le Ministre de favoriser un groupe de pêcheurs au détriment d"un autre. Dans Gulf Trollers Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans) , [1987] 2 C.F. 93, le juge Marceau, pour la Cour d"appel fédérale, s"exprimait comme suit à la page 106, concernant la compétence du Parlement fédéral sous le paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867 :

La compétence conférée au Parlement en vertu du paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867 ne fait, selon mon interprétation, l"objet d"aucune restriction qui lui fixe la poursuite de certains objectifs particuliers à l"exclusion des autres. Le Parlement peut tenir compte de considérations sociales, économiques ou autres dans la gestion des pêcheries soit en les associant à ses mesures visant la conservation, la protection et l"exploitation des ressources, soit simplement en les alliant à la poursuite d"objectifs et à la mise en application de politiques de nature sociale, culturelle ou économique. En fait, selon mon opinion, à moins que et jusqu"à ce que la partie qui attaque un texte législatif en s"appuyant sur la répartition des compétences fasse état d"une atteinte possible à une compétence législative expressément attribuée à un autre niveau de gouvernement, l"objet visé lors de l"adoption du texte ne peut aucunement intéresser les tribunaux.

[26]      Le droit applicable à la présente affaire n"est pas contestée. Récemment, dans Carpenter Fishing Corp. c. Canada (C.A.) , [1998] 2 C.F. 548 (C.A.), la Cour fédérale d"appel, sous la plume du juge Décary, énonçait aux pages 561 et 562, les principes applicables:

La mise en oeuvre d"une politique en matière de quotas (par opposition à la délivrance d"un permis particulier) est une décision discrétionnaire qui tient de la mesure législative ou stratégique. Les lignes directrices stratégiques qui exposent les conditions générales rattachées à la délivrance d"un permis ne sont pas des règlements; elles n"ont pas force de loi non plus. Il découle de la décision Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada , [1982] 2 R.C.S. 2 de la Cour suprême du Canada et de la décision Assoc. Canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 247 (C.A.) de cette Cour que le ministre est libre d"indiquer le genre de considérations qui, de façon générale, le guideront pour attribuer les quotas, à condition de ne pas entraver l"exercice de son pouvoir discrétionnaire de délivrer un permis en tenant les lignes directrices pour obligatoires. Ces lignes directrices discrétionnaires ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire, sauf en ce qui a trait aux trois exceptions mentionnées dans l"arrêt Maple Lodge Farms , à savoir la mauvaise foi, le non-respect des principes de justice naturelle dont l"application est exigée par la loi et la prise en compte de considérations inappropriées ou étrangères à l"objet de la loi.
Une fois que le ministre, par l"entremise de son Ministère, a défini des lignes directrices stratégiques, il doit, pour délivrer un permis, concentrer son attention sur le requérant et acquérir la conviction que ces lignes directrices peuvent être appliquées équitablement à ce dernier. Dans la mesure où le ministre élabore la politique dans l"exercice des pouvoirs généraux que lui confère la Loi sur les pêches et dans la mesure où il n"applique pas cette politique aveuglément dans l"exercice de son pouvoir discrétionnaire de délivrer un permis particulier, la mesure consistant à délivrer le permis, bien que de nature administrative et par ailleurs susceptible de contrôle judiciaire, ne peut être contesté en vertu des règles générales applicables aux mesures administratives pour ce qui touche à son élément stratégique, c"est-à-dire la mise en oeuvre de la politique en matière de quotas par le ministre. Les cours de révision saisies de la contestation d"une mesure administrative, soit la délivrance d"un permis, dont un élément est une mesure législative, soit l"élaboration d"une politique en matière de quotas, devraient prendre soin de ne pas appliquer à l"élément législatif la norme de contrôle applicable aux fonctions administratives. La distinction est peut-être ténue, mais chaque fois qu"une personne conteste indirectement une politique en matière de quotas en contestant directement la délivrance d"un permis, les tribunaux devraient isoler la contestation indirecte et l"assujettir aux normes applicables au contrôle d"une mesure législative qui ont été définies dans l"arrêt Maple Lodge Farms .

[27]      Dans Comeau"s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [1997) 1 S.C.R. 12, la Cour suprême du Canada établissait clairement que le régime administratif résultant de la Loi sur les pêches en était un fondé sur le pouvoir discrétionnaire du Ministre. Aux pages 25 et 26, le juge Major, pour la Cour, écrivait ce qui suit:

Je suis d"avis que le pouvoir discrétionnaire d"autoriser la délivrance de permis, qui est conféré au Ministre par l"art. 7, est, à l"instar de son pouvoir discrétionnaire de délivrer des permis, restreint seulement par l"exigence de justice naturelle, étant donné qu"il n"y a actuellement aucun règlement applicable. Le Ministre doit fonder sa décision sur des considérations pertinentes, éviter l"arbitraire et agir de bonne foi. Il en résulte un régime administratif fondé principalement sur le pouvoir discrétionnaire du Ministre: voir Thomson c. Ministre des Pëches et Océans , 1re inst., no T-113-84, 29 février 1984.
Cette interprétation de la portée du pouvoir discrétionnaire du Ministre est conforme à la politique globale de la Loi sur les pêches. Les ressources halieutiques du Canada sont un bien commun qui appartient à tous les Canadiens. En vertu de la Loi sur les pêches, le Ministre a l"obligation de gérer, conserver et développer les pêches au nom des Canadiens et dans l"intérêt public (art. 43). Les permis sont un outil dans l"arsenal de pouvoirs que la Loi sur les pêches confère au Ministre pour gérer les pêches. Ils permettent de restreindre l"accès à la pêche commerciale, de limiter le nombre de pêcheurs et de navires et d"imposer des restrictions quant aux engins de pêches utilisés et à d"autres aspects de la pêche commerciale.

[28]      Je m"empresse d"ajouter ici que les demandeurs reconnaissent que le Ministre n"a pas agi de mauvaise foi. Par conséquent, pour réussir les demandeurs doivent démontrer qu"il y a eu non respect des principes de justice naturelle, que le Ministre a exercé ses pouvoirs de façon discriminatoire, abusive ou capricieuse, ou qu"il a fondé sa décision sur des considérations inappropriées ou étrangères à l"objet de la loi.

[29]      Je vais maintenant m"adresser aux allégations spécifiques faites par les demandeurs.

[30]      En premier lieu, les demandeurs se plaignent de la répartition du contingent dans la Baie des Chaleurs. À la lumière de la preuve, il appert que la décision du Ministre a été prise compte tenu des facteurs suivants, à savoir, la plus grande mobilité des senneurs, et sa décision de permettre aux senneurs de capturer leur contingent à l"extérieur de la Baie des Chaleurs. Vu la preuve et compte tenu des représentations faites par les senneurs dans leur lettre du 27 décembre 1995 et celle du 27 mars 1996, je ne peux conclure que la décision du Ministre fut prise de façon arbitraire ou discriminatoire, ou qu"il a fondé sa décision sur des considérations inappropriées ou étrangères à l"objet de la loi.

[31]      En deuxième lieu, les senneurs prétendent que l"absence d"un plan de gestion officiel en 1996 a eu des répercussions négatives sur l"ensemble de l"industrie de la pêche du hareng et sur eux en particulier. La preuve démontre clairement que le Ministre n"a pas publié un plan de gestion officiel pour 1996 parce que les questions relatives à la réduction des contingents et du transfert de ceux-ci furent discutées et débatues jusqu"à l"automne 1996. Par conséquent, la publication d"un plan de gestion aurait été futile. De toute façon, compte tenu du pouvoir discrétionnaire conféré au Ministre sous l"article 7 de la Loi sur la pêche , je suis d"avis que le Ministre n"avait aucune obligation d"adopter ou d"émettre un plan de gestion officiel pour l"année 1996.

[32]      En troisième lieu, les demandeurs demandent à cette Cour d"annuler la décision du Ministre leur interdisant le droit de vendre leur hareng à des boucannières. Au paragraphe 66 de leur Mémoire, les défendeurs répondent à la prétention des demandeurs comme suit:

66. En ce qui concerne les limitations aux Senneurs sur la vente de hareng du printemps, le ministre a avisé les Senneurs de son intention de prendre des mesures, pour des raisons socio-économiques pour que les côtiers puissent écouler leurs prises dans leurs marchés traditionnels. Les intimés soutiennent qu"il s"agit d"un objet socio-économique valable et que la décision ainsi prise ne constitue pas un acte discriminatoire ou de mauvaise foi.

Je suis entièrement d"accord avec la prétention des défendeurs.

[33]      En quatrième lieu, les senneurs demandent d"avoir accès en tout temps à l"ensemble de la zone 4TVn, y inclus la Baie des Chaleurs. À mon avis, cette demande ne peut qu"être rejetée. Vu la discrétion absolue conférée au Ministre sous l"article 7 de la Loi, je ne peux comprendre comment je pourrais acquiescer à la demande des senneurs. De toute façon, il me semble évident que d"accorder aux senneurs le droit d"avoir accès en tout temps à l"ensemble de la zone 4TVn serait préjudiciable aux mesures de conservation prises par le Ministre.

[34]      En cinquième lieu, les senneurs soutiennent que le Ministre a refusé de leur permettre de transférer leurs quotas du printemps 1996 à la pêche de l"automne 1996. À mon avis, le Ministre n"avait aucune obligation de permettre le transfert demandé par les senneurs.

[35]      En conclusion, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Pour les motifs exposés dans leur Mémoire, les demandeurs ne sont pas satisfaits de la décision du Ministre de réduire les contingents et de sa décision relative aux modalités de répartition des contingents entre leur flotille et celle des côtiers. Malheureusement pour eux, j"en suis venu à la conclusion que le Ministre n"avait ni exercé ses pouvoirs de façon discriminatoire, abusive ou capricieuse, ni fondé sa décision sur des considérations inappropriées. Bien que je sois sensible à l"égard de certains arguments avancés par les senneurs, il n"est pas de mon ressort de prendre les décisions que seul le Ministre pouvait prendre.

[36]      Pour ces motifs, la demande sera rejetée, le tout sans frais.


     Marc Nadon

     JUGE


OTTAWA, Ontario

le 15 septembre 1999

__________________

1      La zone 4T est une autre façon de désigner les zones 16A à 16G. Cette zone comprend la Baie des Chaleurs. Quant à la zone 4Vn, c"est une autre façon de désigner la zone 17, qui se trouve près de l"île du Cap Breton.

2      Définition: "Seine" n.f. - var. "senne" - Filets disposés en nappe et formant un demi-cercle. (Selon Le Nouveau Robert , Montréal, Dicorobert Inc., 1993)

3      Ce tableau apparaît comme la pièce D de l"affidavit de Laurent Paulin, assermenté le 3 octobre 1996.

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