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Date : 20040907

Dossiers : T-1481-02 et T-592-02

Référence : 2004 CF 1222

ENTRE :

                           MOUNTAIN PARKS WATERSHED ASSOCIATION

                                                                                                                        demanderesse

et

                               CHATEAU LAKE LOUISE CORPORATION ET

                                           L'HONORABLE SHEILA COPPS,

                                  MINISTRE DU PATRIMOINE CANADIEN

                                                                                                                        défenderesses

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                Il s'agit d'une demande visant à obtenir une ordonnance annulant la décision de Gaby Fortin, directeur général, Ouest du Canada, Agence Parcs Canada, datée du 12 août 2002, de délivrer un permis relatif au retrait des eaux à la défenderesse, Chateau Lake Louise Corporation.


[2]                Les faits ayant donné lieu à la présente demande peuvent être résumés de la manière suivante. La demanderesse, Mountain Parks Watershed Association, est un organisme sans but lucratif immatriculé en vertu des lois provinciales dont le principal objectif est de promouvoir les normes environnementales les plus élevées possible dans les bassins hydrographiques des parcs des montagnes Rocheuses du Canada.

[3]                La défenderesse, ministre du Patrimoine canadien, est nommée en sa qualité de personne ayant la responsabilité d'assurer la préservation des parcs pour l'agrément des générations futures et en sa qualité de personne ayant la responsabilité d'assurer l'intégrité écologique des parcs.

[4]                Le Chateau Lake Louise, appartenant à la société défenderesse et situé sur les rives du lac Louise dans le parc national Banff, a commencé à offrir des installations et des services d'hôtellerie sur une base saisonnière en 1890. En 1982, le Chateau a commencé à être exploité durant toute l'année. Pour tenir compte de ce changement dans son exploitation, il a installé une infrastructure pour le retrait, le traitement et la distribution de l'eau du lac Louise. L'eau que le Chateau retire et traite est également distribuée au Deer Lodge, un hôtel situé dans la zone supérieure du lac Louise, et aux toilettes publiques de l'Agence Parcs Canada au lac Louise. Les proportions relatives de l'eau utilisée par le Chateau, le Deer Lodge et Parcs Canada sont d'environ 92, 7 et 1 p. 100 respectivement.


[5]                Au début du mois de janvier 2001, le Chateau a présenté une demande de permis de remplacement relatif à l'utilisation des eaux mis à jour, conformément au paragraphe 18(1) du Règlement général sur les parcs nationaux et à la Loi sur les parcs nationaux du Canada. La demande proposait la continuation du retrait des eaux du lac Louise dans des quantités à peu près semblables ainsi que l'utilisation de l'infrastructure existante comme cela était autorisé en vertu du permis précédent. Plus particulièrement, le permis visait à retirer 525 653 mètres cubes d'eau, selon la moyenne de retrait des eaux au cours de la période de 1995 à 1998.

[6]                Par la suite, conformément à la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale (la LCEE), l'Agence Parcs Canada, en tant qu'autorité responsable, a délivré un mandat et exigé du Chateau qu'il effectue un examen environnemental préalable et qu'il produise un rapport quant à savoir si la délivrance d'un permis d'utilisation des eaux était susceptible de causer des effets environnementaux négatifs.

[7]                Le Chateau a retenu les services d'une entreprise de génie hydro-économique, Hydroconsult EN3 Services Ltd. (Hydroconsult). Entre janvier 2001 et mars 2002, Hydroconsult a effectué, sous l'autorité et la participation particulière de Parcs Canada, ainsi que conformément au mandat fourni par Parcs Canada, une évaluation des effets environnementaux du retrait des eaux proposé.


[8]                Par la suite, un projet de rapport de l'évaluation environnementale, daté du 5 juin 2001, a été préparé et soumis à Parcs Canada. Il a été suivi par des rapports révisés, datés d'août 2001 et de décembre 2001, pour aboutir au rapport d'examen environnemental préalable (le REEP) final, daté de janvier 2002 et intitulé Environmental Assessment for Chateau Lake Louise Water Permit. Chacun des projets du rapport a été examiné par James Fennell, un spécialiste, évaluation environnementale, à l'emploi de Parcs Canada et affecté au bureau local Lake Louise Yoho, Kootenay à Lake Louise. Il était chargé de réviser chaque projet et de faire part aux représentants du Chateau des renseignements et enquêtes additionnels nécessaires pour que le permis d'utilisation des eaux puisse être délivré.

[9]                Après une évaluation et un examen indépendants de l'évaluation environnementale et après l'avoir publié dans le registre public et dans d'autres forums afin de permettre des consultations publiques additionnelles, l'Agence Parcs Canada a délivré un rapport d'examen préalable le 19 mars 2002, lequel comprenait la décision du directeur de l'unité de gestion selon laquelle le projet n'était pas susceptible de causer des effets environnementaux négatifs. Le 20 mars 2002, un permis d'utilisation des eaux a été délivré, conformément au paragraphe 18(1) du Règlement général sur les parcs nationaux et en vertu de la Loi sur les parcs nationaux du Canada.


[10]            La demande vise maintenant à annuler la décision de délivrer le permis d'utilisation des eaux aux motifs qu'elle contrevient au paragraphe 8(2) de la Loi sur les parcs nationaux du Canada et qu'elle est déraisonnable, manifestement déraisonnable ou autrement incorrecte à la lumière de ce que la demanderesse soutient être des renseignements accablants relativement aux effets négatifs importants qui seront causés par suite d'un retrait additionnel des eaux du lac Louise.

[11]            Comme cela devient de plus en plus fréquent dans les affaires en matière de droit administratif, les parties ont passé énormément de temps, tant lors de l'audience devant moi que dans leurs observations écrites, au sujet de la norme de contrôle appropriée à appliquer. Bien que les avocats aient accompli un travail admirable relativement à l'analyse de la jurisprudence dans le but d'exposer les nuances fines et souvent obscures entre les concepts de décision manifestement déraisonnable et de décision raisonnable simpliciter, il est évident que ce qui a été élaboré dans ce domaine du droit constitue un cadre lourd qui est inutilement complexe et difficile à appliquer.

[12]            À cet égard, j'adopte de tout coeur les commentaires suivants du juge LeBel dans l'arrêt Toronto (Ville) c. Syndicat canadien de la fonction publique (S.C.F.P.), section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77 (C.S.C.) :


La présente espèce et le pourvoi connexe Ontario c. S.E.E.F.P.O. soulèvent une question plus particulière, celle des préoccupations croissantes liées à la manière dont sont conçues et appliquées les normes de contrôle qu'offre actuellement l'analyse pragmatique et fonctionnelle. Des auteurs et avocats ont affirmé douter sérieusement que notre Cour ait exposé de manière suffisamment claire le fondement théorique de chacune des normes existantes. Une bonne partie de leurs critiques vise ce qu'ils ont qualifié de confusion « épistémologique » qui entourerait la relation entre le manifestement déraisonnable et le raisonnable simpliciter [...]. Les cours de justice chargées de contrôles ont parfois également exprimé de la frustration à l'égard de ce qu'elles perçoivent comme un manque apparent de clarté dans ce domaine, comme l'illustrent les propos du juge Barry dans Miller c. Workers' Compensation Commission (Nfld.) (1997), 154 Nfld. & P.E.I.R. 52 (C.S.T.-N. (1re inst.)), par. 27 :

[TRADUCTION] Tenter de comprendre les distinctions établies par la cour entre la décision « manifestement déraisonnable » , « raisonnable » ou « correcte » s'apparente parfois à observer un jongleur maniant trois objets transparents. Selon l'éclairage, à certains moments l'on croit apercevoir les objets. Mais à d'autres, l'on ne voit rien et l'on se demande en fait s'il y a vraiment trois objets distincts.

La Cour ne peut rester insensible aux préoccupations ou critiques constantes de la communauté juridique concernant l'état de la jurisprudence canadienne dans une partie importante du droit. [...] Étant donné leur vaste domaine d'application, les règles de droit qui régissent les normes de contrôle doivent être prévisibles, pratiques et cohérentes. [...]

[...]

L'absence d'une frontière suffisamment claire entre ces deux normes est attribuable au fait que celle du manifestement déraisonnable est apparue avant l'adoption de l'analyse pragmatique et fonctionnelle (voir S.C.F.P. c. Ontario, précité, par. 161) et, plus particulièrement, avant (et non en même temps que) la formulation de la norme de la décision raisonnable simpliciter dans Southam [...]. Puisque la norme de la décision manifestement déraisonnable, qui traduit une attitude de déférence judiciaire, avait été conçue par opposition uniquement à la norme de la décision correcte, il suffisait, pour en circonscrire la portée, que notre Cour mette l'accent sur l'idée que l'interprétation d'une loi ou le règlement d'un litige appelle souvent plus d'une interprétation correcte et que, dans certains cas, un tribunal administratif spécialisé peut être plus à même qu'une cour de justice de choisir entre les interprétations possibles. Le cas échéant, à condition que la décision puisse « rationnellement s'appuyer sur une interprétation qu'on peut raisonnablement considérer comme étayée par la législation pertinente » , la cour doit s'abstenir de la modifier [...].

L'adoption de la norme du raisonnable simpliciter a cependant changé la donne, la validité d'interprétations multiples constituant également la prémisse de cette nouvelle variante du contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Considérons par exemple l'extrait suivant de Ryan, cité précédemment, sur la norme de la décision raisonnable simpliciter :

À la différence d'un examen selon la norme de la décision correcte, il y a souvent plus d'une seule bonne réponse aux questions examinées selon la norme de la décision raisonnable. [...] Même dans l'hypothèse où il y aurait une réponse meilleure que les autres, le rôle de la cour n'est pas de tenter de la découvrir lorsqu'elle doit décider si la décision est déraisonnable.

[...]

[...]


Suivant les normes actuelles du manifestement déraisonnable et du raisonnable simpliciter, le seul désaccord avec la décision du tribunal ne suffit pas pour justifier l'intervention de la cour [...]. Lorsqu'elle appliquera la norme de la décision manifestement déraisonnable, « la cour de justice fera preuve de retenue même si, à son avis, l'interprétation qu'a donnée le tribunal [...] n'est pas la "bonne" ni même la "meilleure" de deux interprétations possibles, pourvu qu'il s'agisse d'une interprétation que peut raisonnablement souffrir le texte de la convention » (Fraternité unie des charpentiers et menuisiers d'Amérique, section locale 579 c. Bradco Construction Ltd., [1993] 2 R.C.S. 316, p. 341). Au regard de la norme de la décision raisonnable simpliciter, « une décision peut satisfaire à la norme du raisonnable si elle est fondée sur une explication défendable, même si elle n'est pas convaincante aux yeux de la cour de révision » (Ryan, précité, par. 55). Il me paraît n'y avoir aucune différence qualitative réelle entre ces définitions d'une analyse axée sur la recherche d'un fondement rationnel; comment, par exemple, une décision non « fondée sur une explication raisonnable » (et donc « simplement » déraisonnable) se distingue-t-elle d'une décision qui ne peut « raisonnablement s'appuyer » sur la législation pertinente (et qui est donc manifestement déraisonnable)?

En fin de compte, la question essentielle demeure la même pour les deux normes : la décision du tribunal est-elle conforme à la raison? Si la réponse est négative du fait que, par exemple, les dispositions en cause ne peuvent rationnellement appuyer l'interprétation du tribunal, l'erreur entraîne l'invalidation de la décision, que la norme appliquée soit celle du raisonnable simpliciter ou du manifestement déraisonnable [...]. Puisque les deux variantes de la norme de la décision raisonnable possèdent le même fondement théorique, l'intervention de la cour de justice s'appuiera sur sa conclusion selon laquelle la décision du tribunal déborde des limites du raisonnable, et non sur de « subtiles nuances » entre le critère du manifestement déraisonnable et celui du raisonnable simpliciter [...].

L'existence de ces deux variantes de la norme de la décision raisonnable contraint la cour chargée du contrôle à continuer à affronter les grandes difficultés d'ordre pratique que comporte en soi l'établissement d'une distinction réelle entre les deux normes. Une distinction proposée sur le fondement de la gravité relative du défaut comporte non seulement des difficultés d'ordre pratique, mais soulève également des questions de principe, en ce qu'elle suppose que la norme du manifestement déraisonnable, en exigeant que la décision soit « clairement » , et non « simplement » , irrationnelle, offre une marge de manoeuvre dans l'appréciation des décisions qui ne sont pas conformes à la raison. À cet égard, je me permets de rappeler les propos de Mullan selon lesquels [TRADUCTION] « il y a lieu de s'inquiéter d'un régime de contrôle judiciaire qui permet le maintien d'une décision irrationnelle, même lorsque s'applique la norme commandant le degré le plus élevé de déférence » (Mullan, « Recent Developments in Standard of Review » , loc. cit., p. 25).

[Non souligné dans l'original.]


[13]            De toute façon, peu importe la norme de contrôle que j'applique en l'espèce, que ce soit celle de la décision manifestement déraisonnable ou celle de la décision raisonnable simpliciter, je suis convaincu qu'il n'y a rien dans la décision contestée de la ministre de délivrer le permis d'utilisation des eaux à la Chateau Lake Louise Corporation qui justifierait l'intervention de la Cour.

[14]            La demanderesse soutient que le permis d'utilisation des eaux compromet l'intégrité écologique du parc du fait du retrait par le Chateau d'énormes quantités d'eau sur une base annuelle et du fait de l'introduction de stress écologiques tels que le tarissement des cours supérieurs du ruisseau Louise, la diminution du débit naturel dans le ruisseau Louise, l'introduction de plus grandes quantités d'eaux usées traitées dans la rivière Bow et l'altération de la biocénose invertébrée aquatique. Le principal sujet de plainte pour la demanderesse concerne la quantité d'eau que le Chateau est autorisé à retirer du lac Louise. On soutient que les 525 653 mètres cubes d'eau autorisés par le permis, ainsi que l'utilisation de la moyenne annuelle de retrait des eaux au cours de la période de 1995 à 1998 pour arriver à ce chiffre, sont déraisonnables et ne sont pas conformes au paragraphe 8(2) de la Loi sur les parcs nationaux du Canada qui prévoit que la « préservation ou le rétablissement de l'intégrité écologique par la protection des ressources naturelles et des processus écologiques sont la première priorité de la ministre pour tous les aspects de la gestion des parcs » .


[15]            Toutefois, la vaste majorité des observations de la demanderesse constituent simplement une contestation des éléments de preuve dont disposait le décideur et du bien-fondé des conclusions tirées de ces éléments de preuve. Les très longs affidavits et les observations des parties en l'espèce reflètent une bataille de scientifiques entre les experts des parties. Comme l'a mentionné la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Alberta Wilderness Assn c. Express Pipelines Ltd., [1996] A.C.F. no 1016, bien que des personnes raisonnables puissent ne pas être du même avis au sujet du caractère suffisant et exhaustif des éléments de preuve, cela ne soulève pas nécessairement des questions de droit. À cet égard, la Cour a fait remarquer que :

[...] d'une manière générale, la grande majorité des moyens invoqués par les requérants ne soulèvent aucune question de droit ou de compétence. Ils constituent simplement une contestation de la qualité des éléments de preuve soumis à la commission et du bien-fondé des conclusions que la majorité a tirées de la preuve. Aucun élément d'information portant sur les effets futurs probables d'un projet ne saurait jamais être complet ou exclure toutes les conséquences possibles. C'est à juste titre au jugement de la commission qu'il convient de laisser le soin de décider si ces éléments de preuve sont suffisants. On peut en effet s'attendre à ce que la commission possède - comme la présente commission - une expertise poussée dans les questions environnementales. Qui plus est, le principal critère établi par la loi est l' « importance » des effets environnementaux du projet. Il ne s'agit pas là d'un critère entièrement fixe ou objectif; il fait largement appel au jugement et à l'opinion de la commission. Des personnes raisonnables peuvent ne pas être du même avis - et ne le sont effectivement pas - sur la question de savoir si des éléments de preuve qui prévoient certaines répercussions à venir sont suffisants et exhaustifs et sur l'importance de ces répercussions sans soulever par le fait même des questions de droit.

[16]            La Cour d'appel a dit clairement que dans des affaires de cette nature, la cour de révision devrait refuser de devenir une académie de science appelée à soupeser des déclarations contradictoires au sujet de la préservation ou du rétablissement de l'intégrité écologique dans le but de déterminer laquelle est correcte. Dans l'arrêt Bow Valley Naturalists Society c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), [2001] 37 C.E.L.R. (N.S.) 1, le juge Linden a déclaré :

[...] La Cour doit s'assurer que les étapes prévues à la Loi sont suivies, mais elle doit, quant au fond, s'en remettre aux autorités responsables lorsqu'elles définissent la portée du projet, l'importance de l'examen préalable et l'évaluation des effets cumulatifs au vu des facteurs d'atténuation proposés. Ce n'est pas aux juges de décider quels projets doivent être autorisés, mais bien aux autorités responsables, dans la mesure où elles suivent le processus prévu par la loi.


[17]            Par conséquent, le rôle de la Cour lors de l'examen de la décision du directeur général de délivrer le permis d'utilisation des eaux, c'est de s'assurer que la décision a été rendue conformément à la loi qui la régit et qu'il s'agit d'une décision raisonnable à la lumière des éléments de preuve et des renseignements dont disposait le décideur.

[18]            Le permis d'utilisation des eaux a été délivré conformément au paragraphe 18(1) du Règlement général sur les parcs nationaux, lequel prévoit ce qui suit :

18. (1) Le directeur général peut délivrer, pour une période maximale de 10 ans, un permis pour puiser de l'eau

a) d'une étendue d'eau,

b) d'un puits ou

c) d'un réseau d'approvisionnement en eau autre qu'un réseau de distribution d'eau pour emplacement de ville ou lotissement,

à des fins domestiques, commerciales ou pour chemins de fer.

[19]            Le règlement susmentionné a été pris en application de la Loi sur les parcs nationaux du Canada. Par conséquent, tout pouvoir exercé en vertu du règlement doit l'être en conformité avec la Loi. En vertu du paragraphe 8(1) de la Loi, les parcs sont placés sous l'autorité de la ministre. Le paragraphe 8(2) prévoit ce qui suit :

8. (2) La préservation ou le rétablissement de l'intégrité écologique par la protection des ressources naturelles et des processus écologiques sont la première priorité du ministre pour tous les aspects de la gestion des parcs.

[20]            Quant à l'intégrité écologique, elle est définie au paragraphe 2(1) de la Loi :

« intégrité écologique » L'état d'un parc jugé caractéristique de la région naturelle dont il fait partie et qui sera vraisemblablement maintenu, notamment les éléments abiotiques, la composition et l'abondance des espèces indigènes et des communautés biologiques ainsi que le rythme des changements et le maintien des processus écologiques.


[21]            Toutefois, la Loi exige un équilibre durable entre l'utilisation, l'agrément, le développement et la préservation de l'intégrité écologique. Le paragraphe 4(1) prévoit ce qui suit :

Les parcs sont créés à l'intention du peuple canadien pour son agrément et l'enrichissement de ses connaissances; ils doivent être entretenus et utilisés conformément à la présente loi et aux règlements de façon à rester intacts pour les générations futures.

[22]            Le parc national Banff occupe une position unique parmi les parcs nationaux du Canada. Pour cette raison, l'Agence Parcs Canada a procédé à un examen détaillé et approfondi de l'habitat écologique du parc et des relations entre cet habitat et l'activité humaine. Cet examen a débouché sur l'élaboration du Plan directeur du parc national Banff, lequel a été déposé à la Chambre des communes en mars 1997. Le principal objectif du plan consiste à trouver un équilibre durable entre l'activité humaine et la préservation de l'intégrité écologique. Le plan directeur est la méthode par laquelle la ministre a la responsabilité de gérer les activités humaines dans le parc national Banff de manière à préserver l'intégrité écologique du parc pour les générations futures.

[23]            Les dispositions de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale font également partie des outils dont dispose la ministre pour s'assurer que l'intégrité écologique du parc est préservée pour l'agrément des générations futures. Au même titre que la Loi sur les parcs nationaux du Canada, la LCEE vise à promouvoir un équilibre durable entre l'activité humaine et la protection environnementale. L'objet de la LCEE est énoncé à l'article 4 et comprend notamment :


b) d'inciter ces autorités à favoriser un développement durable propice à la salubrité de l'environnement et à la santé de l'économie;

[24]            Lorsqu'une évaluation environnementale est requise en vertu de la LCEE, comme c'est le cas pour la délivrance de permis d'utilisation des eaux, le processus pour procéder à l'évaluation est établi par les articles 14 à 17 de la Loi. Dans le but de satisfaire un vaste éventail de projets, le niveau de précision requis concernant une évaluation environnementale varie selon la nature et la taille du projet, ainsi que l'importance des effets prédits liés au projet proposé.

[25]            En l'espèce, le permis d'utilisation des eaux, qui se trouve à l'onglet 9 du recueil de documents certifiés, mentionne à l'attendu D que le directeur général a [traduction] « d'abord et avant tout » tenu compte de la [traduction] « préservation ou du rétablissement de l'intégrité écologique » dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de délivrer le permis. De plus, l'attendu mentionne que la défenderesse, Chateau Lake Louise Corporation, a présenté les renseignements qui suivent à l'appui de sa demande de permis, lesquels ont été examinés par le directeur général dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, comme l'exigent la Loi sur les parcs nationaux du Canada, la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale et le paragraphe 18(1) du Règlement général sur les parcs nationaux :

a) une déclaration exposant l'utilisation prévue de l'eau;

b) une description de la méthode de puisage;

c) une déclaration précisant l'endroit où sera installé l'équipement servant à puiser l'eau;

d) un document établissant les résultats d'un examen de la qualité de l'eau qui démontre que l'eau convient aux fins envisagées;


e) une description des dommages pouvant être causés aux ressources du parc par suite de l'installation de l'équipement utilisé pour puiser l'eau;

f) l'évaluation environnementale, y compris une description des mesures d'atténuation des effets environnementaux et la détermination.

[26]            Il ressort également du dossier que, parmi les documents dont disposait le directeur général, il y avait le Plan directeur du parc national Banff, le Plan communautaire de Lake Louise, le Plan global de conservation des eaux, ainsi que les conclusions du rapport d'examen environnemental préalable, lesquelles étaient en général étayées par un examen indépendant effectué par le McLeod Institute for Environmental Analysis. Ces documents démontrent clairement que la délivrance du permis d'utilisation des eaux est compatible avec la première priorité qui est la préservation ou le rétablissement de l'intégrité écologique. Bien que le Chateau Lake Louise ne soit pas autorisé à retirer plus d'eau que par le passé, des améliorations à l'installation de traitement des eaux de Lake Louise assurent, en fait, la diminution des déversements de phosphore provenant de l'usine, même si Lake Louise est complètement urbanisé comme l'envisage le Plan communautaire de Lake Louise.

[27]            En plus, le permis d'utilisation des eaux établit plusieurs conditions pour assurer davantage la préservation et le rétablissement de l'intégrité écologique en exigeant de la défenderesse, Chateau Lake Louise Corporation, qu'elle :

a) limite les volumes d'eau utilisés à un maximum de 525 653 mètres cubes par année, ce qui constitue la même quantité d'eau tirée historiquement par le Chateau, tel que cela a été établi par la surveillance de l'utilisation historique de l'eau pour la période de 1995 à 1998, et qu'elle ne permette aucune augmentation de la moyenne annuelle des retraits des eaux par rapport aux niveaux actuels;


b) limite les volumes d'eau utilisés à un maximum de 78 500 mètres cubes pour la période du 1er avril au 31 mai de chaque année;

c) limite les volumes d'eau utilisés à un maximum de 97 500 mètres cubes pour la période du 1er septembre au 31 octobre de chaque année;

d) fasse rapport à Parcs Canada des volumes d'eau retirés mensuellement;

e) mette en application le Plan de conservation de l'eau daté du 30 juin 1999;    

f) mette en application la surveillance et l'établissement de rapports relativement aux conditions hydrologiques et écologiques contenues dans le Cadre de surveillance pour assurer l'absence d'impacts nets sur l'environnement du Chateau Lake Louise et du centre de conférences daté du 14 septembre 2001.

[28]            La demanderesse conteste l'utilisation de la période de 1995 à 1998 pour déterminer l'utilisation historique de l'eau au Chateau. Toutefois, je suis convaincu que cela était approprié compte tenu du fait que ces années reflétaient les modèles d'utilisation des eaux récents, réels, ainsi qu'autorisés; que ce sont les premières années pour lesquelles on dispose de données d'utilisation des eaux complètes et exactes; que les données d'utilisation des eaux pour 2000 sont inexactes en raison principalement d'une valve non étanche qui a occasionné des relevés inexacts des instruments de mesure et que, en 1999 et en 2000, des mesures de conservation de l'eau ont été mises en application par la défenderesse, Chateau Lake Louise Corporation.


[29]            Je ne suis pas non plus d'accord avec la prétention de la demanderesse selon laquelle il y a une différence entre le volume annuel total de retrait des eaux autorisé par le permis d'utilisation des eaux et le retrait des eaux historique basé sur la période de 1995 à 1998. Le tableau 24 de l'évaluation environnementale, invoqué par la demanderesse à l'appui de son argument, expose les volumes de consommation d'eau, c'est-à-dire la quantité d'eau réellement mesurée dans les installations, et non les volumes de production, lesquels représentent la quantité d'eau réellement retirée du lac Louise. Ce sont l'illustration 5 et l'annexe B de l'évaluation environnementale qui exposent les enregistrements réels de production et de consommation d'eau et, pour les années 1995 à 1998, ils démontrent que le retrait des eaux moyen effectué par la défenderesse, Chateau Lake Louise Corporation, à partir du lac est de 525 653 mètres cubes, c'est-à-dire la quantité autorisée par le permis d'utilisation des eaux, et non la quantité moindre alléguée par la demanderesse.

[30]            Pour tous ces motifs, je conclus que la décision de délivrer le permis d'utilisation des eaux a été rendue conformément à la loi qui la régit et qu'il s'agissait d'une décision raisonnable à la lumière des éléments de preuve et des renseignements dont disposait le directeur général.

[31]            J'aborde maintenant le deuxième argument de la demanderesse selon lequel la période de consultation publique n'avait pas été suffisante en l'espèce et qu'on avait pas donné à la demanderesse la possibilité de formuler des observations concernant la délivrance du permis d'utilisation des eaux. Cet argument n'est tout simplement pas fondé.

[32]            Le paragraphe 18(3) de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale permet à l'autorité responsable de pourvoir à la participation du public, si elle juge qu'une telle participation est indiquée. Ce paragraphe se lit ainsi :

18. (3) Avant de prendre sa décision aux termes de l'article 20, l'autorité responsable, dans les cas où elle estime que la participation du public à l'examen préalable est indiquée ou dans le cas où les règlements l'exigent, avise celui-ci et lui donne la possibilité d'examiner le rapport d'examen préalable et les documents consignés au registre public établi aux termes de l'article 55 et de faire ses observations à leur égard.


[33]            Aucun règlement ne prévoit qu'une consultation publique doit avoir lieu dans un cas comme celui-ci, ni quelle longueur doit avoir le préavis, ni quel laps de temps doit être accordé pour examiner le rapport d'examen préalable. La décision de déterminer la durée et la forme de la participation du public relève du pouvoir discrétionnaire de l'autorité responsable.

[34]            Je suis convaincu que les faits démontrent que l'Agence Parcs Canada a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable en accordant une période de deux semaines pour formuler des commentaires, ce qui constitue la période standard utilisée par Parcs Canada pour les décisions relatives à la LCEE. Premièrement, le Plan directeur du parc national Banff et celui de Lake Louise envisageaient l'expansion du Chateau Lake Louise et ont fait l'objet d'une grande consultation publique. Deuxièmement, le Chateau Lake Louise retire de l'eau du Lake Louise depuis 1982 et la délivrance du permis d'utilisation des eaux en cause n'a simplement autorisé que la continuation d'une situation qui existait déjà, plutôt qu'une nouvelle utilisation importante des ressources du parc. Le Chateau ne retire pas plus d'eau que la quantité d'eau moyenne qu'il a retirée du Lake Louise au cours des années 1995 à 1998. Enfin, pendant la période de deux semaines de consultation publique, qui a débuté le 11 février 2002 pour se terminer le 27 février, la demanderesse a déposé trois réponses au rapport d'examen environnemental préalable que l'Agence Parcs Canada lui avait fourni.


[35]            Pour tous les motifs qui précèdent, les demandes de contrôle judiciaire de la demanderesse dans les deux dossiers, T-1481-02 et T-592-02, sont rejetées. Les dépens sont adjugés aux défenderesses.

« P. Rouleau »

         Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 7 septembre 2004

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                       

DOSSIERS :                                                            T-1481-02 et T-592-02

INTITULÉ :                                                             MOUNTAIN PARKS WATERSHED ASSOCIATION

c.

CHATEAU LAKE LOUISE CORP. ET AL

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                                     LE 21 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                        LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                                           LE 7 SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Richard C. Secord                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Christine A. Ashcroft                                                  POUR LA DÉFENDERESSE (Ministre du Patrimoine canadien)

Judson E. Virtue                                                         POUR LA DÉFENDERESSE (Chateau Lake Louise Corporation)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ACKROYD, PIASTA, ROTH & DAY                     POUR LA DEMANDERESSE

Edmonton (Alberta)

Morris Rosenberg                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada                             (Ministre du Patrimoine canadien)

Ottawa (Ontario)

MacLEOD DIXON LLP                                           POUR LA DÉFENDERESSE

Calgary (Alberta)                                                       (Chateau Lake Louise Corporation)


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