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     Date: 20000209

     Dossier: T-72-99


Entre :

     MARCEL MORISSETTE

     3140 Route 108 est

     Lennoxville (Québec) J1M 2A2

     Demandeur

     - et -


     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

     Défendeur




     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE PINARD :

[1]      Cette demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue le 21 décembre 1998 par une arbitre désignée par la Commission des relations de travail dans la fonction publique, rejetant un grief déposé par le demandeur à l'encontre de la suspension sans solde qui lui a été imposée le 20 décembre 1995, suivie de son licenciement le 5 février 1996.

[2]      Le demandeur, Marcel Morissette, était à l'emploi d'Agriculture et agro-alimentaire Canada. En 1995, il occupait le poste de contremaître au sein de la section porcine. Il supervisait alors une équipe de cinq employés.

[3]      Le 19 octobre 1995, une employée subalterne, Madame X, a déposé une plainte de harcèlement sexuel contre lui. Le 26 octobre 1995, l'employeur a soumis la plainte à une firme privée, Le Groupe J.L., pour enquête. Le 11 décembre 1995, cette firme a fait rapport du bien-fondé de la plainte.

[4]      Le 20 décembre 1995, le demandeur a été suspendu de ses fonctions, sans solde. Cette suspension a été transformée en congédiement le 5 février 1996. D'où son grief que l'arbitre désignée a rejeté par la décision en cause du 21 décembre 1998.

[5]      Considérant que l'employeur s'était déchargé du fardeau d'établir que la suspension et le licenciement du demandeur étaient justifiés, l'arbitre, après une analyse détaillée de la preuve, a rejeté son grief. Selon l'arbitre, le demandeur s'est livré à du harcèlement sexuel et a contribué à empoisonner l'environnement de travail de Madame X. Plus précisément, l'arbitre a jugé que :

     -      le demandeur a soumis les employés à son humour à connotation sexuelle, et ce, de façon quasi quotidienne;
     -      le demandeur a établi des parallèles entre les porcs et les femmes, a parlé régulièrement à Madame X et à une autre employée de sa propre vie sexuelle et a démontré une propension à parler d'organes génitaux;
     -      le demandeur s'est permis des attouchements sur les femmes qui travaillaient sous sa surveillance, lesquelles n'appréciaient pas ce genre de familiarités;
     -      le demandeur s'exhibait régulièrement en caleçons devant ses employés, et ce, malgré leurs protestations.

[6]      En outre, l'arbitre n'a pas ajouté foi au témoignage du demandeur, et ce, pour les raisons suivantes :

     -      le demandeur a évoqué la crainte du suicide de Madame X seulement lors de l'audience devant la Commission;
     -      le demandeur s'est contredit en avouant qu'il n'a pas cru longtemps à la menace de suicide de Madame X au mois de mars 1995, et
     -      le demandeur a refusé d'assumer la responsabilité de ses comportements.

[7]      Par ailleurs, l'arbitre, considérant le témoignage de Madame X comme nuancé et candide, a conclu qu'elle était crédible. À la lumière de ce témoignage et de ceux de ses collègues, de la preuve circonstancielle et du rapport du docteur Guérin, l'arbitre a jugé non seulement que Madame X était malade au temps où elle a eu des relations sexuelles avec le demandeur, mais que celui-ci a profité de la faiblesse de cette femme alors qu'il savait qu'elle était déprimée, suicidaire et sous l'effet de médicaments. L'arbitre a notamment considéré que le demandeur ne s'était pas déchargé de son obligation d'assurer à Madame X un milieu de travail exempt de harcèlement sexuel.

[8]      Finalement, l'arbitre en est venu à la conclusion que le demandeur avait menacé les employés qui travaillaient sous son autorité dans le but de les amener à s'opposer à la plainte de Madame X et à les influencer dans leurs témoignages devant l'enquêteur, jugeant que le demandeur avait ainsi adopté une attitude équivalant à de l'abus d'autorité.

     * * * * * * * * * * * *

[9]      L'arbitrage du grief du demandeur et la décision de l'arbitre qui en est résultée sont régis par les dispositions de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (la Loi), notamment par les articles 92 à 97. La norme de contrôle judiciaire de semblable décision arbitrale est celle de la décision manifestement déraisonnable. À cet égard, je souscris entièrement aux propos suivants de mon collègue le juge MacKay dans l'arrêt Teeluck and Her Majesty the Queen in Right of Canada (Treasury Board) (6 octobre 1999), T-1825-98, où il a exprimé ce qui suit :

         . . . In Canada (Attorney General) v. Cleary [[1998] F.C.J. No. 1920 (QL), Court No. T-1533-96, at para 2] Mr. Justice Rothstein, then of this court, held,
             The parties agree, as do I, that the standard of review from the decision of an adjudicator under the Public Service Staff Relations Act is patent unreasonableness. In other words, the error must be obvious. See Barry v. Canada (Treasury Board) (1997), 221 N.R. 237 at 239-240 (F.C.A.).
             That reflects the standard earlier enunciated for review of decisions of the Board when its statute contained a privative clause, by the Supreme Court of Canada in Canada (Attorney General) v. PSAC [[1993] 1 S.C.R. 941]. In that case, Mr. Justice Cory, speaking for the majority of the Court, said in part:
             ... Obviously, the patently unreasonable test sets a high standard of review. In the Shorter Oxford English Dictionary "patently", an adverb, is defined as "openly, evidently, clearly". "Unreasonable" is defined as "not having the faculty of reason, irrational, not acting in accordance with reason or good sense". Thus, based on the dictionary definition of the words "patently unreasonable", it is apparent that if the decision the Board reached, acting within its jurisdiction, is not clearly irrational, that is to say evidently not in accordance with reason, then it cannot be said that there was a loss of jurisdiction. This is clearly a very strict test.
             ...
             It is not enough that the decision of the Board is wrong in the eyes of the court; it must, in order to be patently unreasonable, be found by the court to be clearly irrational. [[1993] 1 S.C.R. 941 at 962-964.]
             The repeal of the privative clause formerly found in its enabling statute does not mean that decisions of the Public Service Staff Relations Board are now more readily set aside. As said by Mr. Justice Bastarache for the Supreme Court in Pushpanathan v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) [[1998] 1 S.C.R. 982 at para. 30],
             the absence of a privative clause does not imply a high standard of scrutiny, where other factors bespeak a low standard.
         As the decision of Rothstein J. finds, relying upon the Court of Appeal, this Court has clearly recognized the high standard of deference to be accorded to the Board's decisions on matters within its special expertise, as concerned the adjudicator in this case. The Court will not intervene unless it finds the decision patently unreasonable.


[10]      L'article 95.1 de la Loi prévoit qu'en ce qui concerne l'audition ou le règlement d'un grief, l'arbitre est investi des pouvoirs de la Commission prévus aux alinéas 25a) à e) de la Loi. Le paragraphe 25c) se lit comme suit :

25. The Board has, in relation to the hearing or determination of any proceeding before it, power

     [. . .]
     (c) to receive and accept such evidence and information on oath, affidavit or otherwise as in its discretion it sees fit, whether admissible in a court of law or not and, without limiting the generality of the foregoing, to refuse to accept any evidence that is not presented in the form and within the time prescribed;

25. En ce qui concerne l'audition ou le règlement de toute affaire dont elle est saisie, la Commission peut :

     [. . .]
     c) recevoir et accepter, sous serment, par affidavit ou sous toute autre forme, les éléments de preuve et les renseignements qu'elle juge appropriés, qu'ils soient admissibles ou non en justice, et notamment refuser tout élément de preuve qui n'est pas présenté dans la forme et au moment prévus par règlement;

[11]      Là encore, je partage sans réserve l'opinion de mon collègue le juge MacKay, dans Teeluck, supra, lorsqu'il parle de la grande latitude à accorder à l'arbitre pour accepter et entendre la preuve de faits pertinents à l'abri de toute procédure :

             Parliament has seen fit to give administrative tribunals, such as the adjudicator or the Board in this case considerable latitude to accept and hear evidence without getting tied up in objections and procedural wrangling. Such an arrangement is conducive to informal hearings where all relevant materials can be brought before the tribunal for expedited review.
             The special evidentiary provision of the Public Service Staff Relations Act is not unique. Every province, in fact, has enacted substantially similar provisions to give adjudicators in the labour and employment milieu wide latitude when considering disputes.
             In United Brotherhood of Carpenters and Joiners of America (CJA), Local 579 v. Bradco Construction Ltd. [[1993] 2 S.C.R. 316] the Supreme Court of Canada considered a provision of the Newfoundland Labour Relations Act, 1977 [S.N. 1977, c. 64, s. 84(1)], similar to paragraph 25(c) of the Act here in issue. Mr. Justice Sopinka, writing for the Court, commented as follows:
             Section 84(1) of The Labour Relations Act, 1977 provides that the arbitrator may receive and accept such evidence as he deems advisable whether or not it would be admissible in a court of law. ... While provisions such as these do not oust judicial review completely, they enable the arbitrator to relax the rules of evidence. This reflects the fact that arbitrators are often not trained in the law and are permitted to apply the rules in the same way as would be done by reasonable persons in the conduct of their business. Section 84(1) evinces a legislative intent to leave the these matters to the decision of the arbitrator. Accordingly, an arbitrator's decision in this regard is not reviewable unless it is shown to be patently unreasonable. ... [[1993] 2 S.C.R. 316 at 343-344.]
         That comment applies to paragraph 25(c) of the Public Service Staff Relations Act. The decisions of adjudicators on evidentiary matters are not generally reviewable unless they are found to be patently unreasonable, or irrational.


[12]      C'est avec tous ces principes bien présents à l'esprit que j'ai examiné le dossier et considéré les représentations des parties. Dans la large mesure où les soumissions du demandeur portent fondamentalement sur l'appréciation des faits, ce qui couvre pratiquement tout ce qu'il a qualifié d'erreur de droit, notamment en ce qui a trait à la peine du congédiement, le demandeur ne m'a même pas convaincu que la décision fort élaborée de l'arbitre est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait. On ne peut certes alors parler ici d'une décision manifestement déraisonnable, i.e. d'une décision qui soit clairement irrationnelle.

[13]      Quant à l'argument du demandeur voulant qu'il ait été victime d'iniquité procédurale parce que l'arbitre, d'une part, ne lui aurait pas permis d'obtenir les informations médicales demandées à Madame X par subpeona et, d'autre part, lui aurait refusé l'opportunité de présenter une preuve d'expert portant sur sa propre personnalité, je le trouve sans mérite.

[14]      En effet, en ce qui concerne les informations médicales demandées à Madame X, celle-ci, lors de la reprise des auditions devant l'arbitre en mai 1998, ne s'est pas présentée, étant malade. Cependant, Madame X, qui avait témoigné lors de son interrogatoire en chef, avait alors été longuement contre-interrogée par le demandeur. À ce moment, celui-ci avait eu tout le loisir d'interroger Madame X sur son état de santé. S'il ne l'a pas fait à sa satisfaction, il ne peut que s'en prendre qu'à lui-même. De plus, le demandeur avait le droit de faire examiner Madame X par un expert, ce qu'il n'a pas fait. Enfin, le docteur Marc Morin avait en mains le dossier médical de la plaignante au moment de son témoignage et son rapport d'expertise faisait état de ce dossier médical; personne, semble-t-il, n'a empêché le demandeur de l'interroger à cet égard. À mon sens, l'arbitre, dans les circonstances, était tout à fait justifiée de refuser la réassignation de Madame X.

[15]      En ce qui a trait à la présentation d'une preuve d'expert portant sur la personnalité du demandeur, ce qu'établit la prépondérance de la preuve pertinente disponible (soit les bordereaux de transmission adressés le 19 mai 1998 au procureur du défendeur et au secrétaire-adjoint de la Commission, l'affidavit du demandeur lui-même et celui du fonctionnaire Jean Sicotte) c'est tout simplement qu'à la reprise des auditions, au mois de mai 1998, la demande du demandeur de reporter le témoignage de son expert à une date ultérieure a été refusée par l'arbitre, celle-ci se disant, à ce moment-là, non satisfaite de la pertinence de cette preuve. Il est vrai que le demandeur avait plus tôt annoncé son intention de présenter une preuve d'expert portant sur sa personnalité, ce qu'il n'a pu faire à la reprise des auditions, en mai 1998, vu le décès relativement récent du spécialiste qu'il avait consulté. Toutefois, vu la longue durée des auditions et vu l'intention par ailleurs annoncée par le demandeur de faire entendre tous ses autres témoins et de témoigner lui-même lors de la reprise de mai 1998, il était alors tout à fait raisonnable pour l'arbitre de s'enquérir de la pertinence de la preuve d'expert en question. Le demandeur n'a pas voulu fournir d'indications à l'arbitre quant à la nature et à l'utilité de la preuve qu'il voulait faire concernant sa personnalité, lui qui pourtant avait alors en sa possession une ébauche du rapport de son premier expert décédé. Considérant que l'arbitre n'avait pas permis au docteur Guérin de témoigner sur la personnalité du demandeur, ce que confirme sa décision, je suis d'avis qu'il n'était pas déraisonnable pour elle, compte tenu de toutes ces circonstances, de refuser à ce moment-là la demande du demandeur.

[16]      Par ailleurs, l'absence d'une certaine dame Vanier que le demandeur voulait faire témoigner ayant empêché que l'audition prenne fin en mai 1998, l'arbitre a dû à nouveau en reporter la continuation, cette fois à l'automne 1998. Lors de cet ajournement, le représentant de l'employeur a indiqué à celle du demandeur qu'il serait souhaitable qu'elle lui fasse parvenir d'avance le rapport d'expertise de son expert si jamais elle décidait de faire témoigner ce dernier lors de la reprise de l'audition. Le demandeur n'a par la suite jamais manifesté l'intention de faire témoigner un expert devant l'arbitre. Pourtant, rien ne l'empêchait, entre l'ajournement de mai 1998 et la reprise d'audition d'octobre 1998, d'obtenir un rapport de son nouvel expert, ce qu'il avait indiqué pouvoir obtenir en août 1998, d'aviser la partie adverse en temps utile et de renouveler sa demande de présenter cette preuve en se montrant alors moins avare de commentaires sur sa pertinence. Nul n'a encore d'idée aujourd'hui de ce que le demandeur entendait démontrer, quant à sa personnalité, qui aurait pu justifier l'arbitre à décider autrement qu'elle ne l'a fait.

[17]      Enfin, la latitude extraordinaire qu'on doit accorder à un arbitre désigné en vertu de la Loi en matière de procédure, ce dont j'ai parlé plus haut, constitue un motif sérieux additionnel qui m'amène à juger non fondée l'allégation d'iniquité procédurale faite par le demandeur.

[18]      Le demandeur ne m'ayant pas convaincu que l'arbitre a commis quelque erreur de nature à justifier l'intervention de cette Cour, la demande de contrôle judiciaire est rejetée, avec dépens.




                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 9 février 2000




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