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                                                                                                                                            Date : 20020110

                                                                                                                                Dossier : IMM-1754-01

                                                                                                                 Référence neutre : 2002 CFPI 20

Entre :

                                                 ARTAK BUDAGHYAN

                                                 NARINE ZAKARYAN

                                                                                                                   Demandeurs

                                                               - et -

                                       MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                               ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                     Défendeur

                                           MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD :

[1]         La demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue le 12 mars 2001 par la Section du statut de réfugié statuant que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention, tel que défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

[2]         Le demandeur principal, M. Budaghyan, et son épouse, Mme Zakaryan, sont tous deux citoyens de l'Arménie. Madame Zakaryan base sa revendication sur celle de son époux qui allègue avoir été persécuté dans son pays en raison de son refus de faire son service militaire.

[3]         La Section du statut de réfugié a rejeté la demande du demandeur jugeant qu'il ne s'était pas déchargé de son fardeau de preuve d'établir qu'il est vraiment un objecteur de conscience.


[4]         Le demandeur soumet que la conclusion par la Section du statut de réfugié qu'aucune contrainte n'a été exercée sur lui est inexacte. Il s'agit là d'une conclusion de fait. À cet égard, l'expertise de la Section du statut de réfugié est bien reconnue. À moins que les inférences tirées par cette dernière ne soient erronées, tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle dispose, cette Cour ne doit pas intervenir dans sa décision (alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7). La Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Fletcher c. Sociétéd' assurance publique du Manitoba, [1990] 3 R.C.S. 191, sous la plume de madame le juge Wilson, a énoncé comme suit, à la page 204, le critère applicable à l'intervention judiciaire sur des conclusions de fait :

À mon sens, le critère applicable pour décider s'il convient que la cour d'appel s'écarte des conclusions de fait du juge de première instance ressort très nettement de ces arrêts : les cours d'appel ne doivent intervenir que si le juge de première instance a commis une « erreur manifeste et dominante qui a faussé son appréciation des faits » . L'organisation même de notre système judiciaire exige que l'on défère à la décision du juge des faits. . . .

[5]         Dans sa décision, avant de conclure que les éléments de preuve soumis ne sont pas suffisants pour établir une possibilité raisonnable de persécution en cas de retour en Arménie, la Section du statut souligne plusieurs éléments, notamment que le demandeur avait été exempté du service militaire à compter de 1990, qu'il est encore atteint de la maladie pour laquelle il avait été exempté en 1990 et 1998, qu'à la date de l'audition, il bénéficiait d'une exemption jusqu'en octobre 2001, qu'il possède un diplôme universitaire et qu'il est âgé de plus de 27 ans. À la lumière de la preuve au dossier, je suis donc d'avis que la conclusion de la Section du statut de réfugié est raisonnable.


[6]         Il est aussi bien établi que la Section du statut, à titre de tribunal spécialisé, a pleine compétence pour apprécier et analyser le contenu de la preuve documentaire. En outre, elle peut conclure qu'une partie de la preuve documentaire a une plus grande valeur qu'une autre ou que cette preuve a une valeur probante plus élevée que le témoignage d'un revendicateur (voir la décision de la Cour d'appel fédérale dans Zhou c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (18 juillet 1994), A-492-91).

[7]         Lorsque la Section du statut a demandé comment les déserteurs sont traités en Arménie, le demandeur a répondu ce qui suit :

... que des... des autorités arméniennes, ils pas toujours respectent la loi, mais des faits que j'ai décrits dans mon récit, des faits, des événements qui m'est arrivé... il m'est arrivé, c'est encore une autre preuve que des... des autorités... pas toujours qu'ils respectent la loi, ce que je... j'aurais pu vous dire.

[8]         Je suis d'avis que la détermination de la Section du statut à cet égard est raisonnable compte tenu de la preuve objective citée sur la question (document AMN31741.E, daté du 6 mai 1999) :

« . . . If the persons concerned were over the age of 27, had a university degree or were sole providers they were not obliged to do military service and so were of no concern to the military system. »

« The Committee emphasized that draft evaders and deserters who returned voluntarily to their military units were not punished, and pointed out that every year the Armenian Parliament adopted an amnesty law for them. »

« The Committee confirmed that the military authorities were not interested in people over the age of 27. . . . »

[9]         Par ailleurs, l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, établit que pour satisfaire à la définition de « réfugié au sens de la Convention » , un revendicateur du statut de réfugié doit démontrer, par une preuve claire et convaincante, que l'État dont il est le ressortissant est incapable de le protéger. Le juge La Forest confirme ce qui suit, à la page 726 :

Bref, je conclus que la complicité de l'État n'est pas un élément nécessaire de la persécution, que ce soit sous le volet « ne veut » ou sous le volet « ne peut » de la définition. Une crainte subjective de persécution conjuguée à l'incapacité de l'État de protéger le demandeur engendre la présomption que la crainte est justifiée. Le danger que cette présomption ait une application trop générale est atténué par l'exigence d'une preuve claire et convaincante de l'incapacité d'un État d'assurer la protection. . . .


[10]       Subséquemment, dans l'arrêt Kadenko et al. c. Canada (Solliciteur général) (1996), 206 N.R. 272, le juge Décary, pour la Cour d'appel fédérale, a exprimé ce qui suit, à la page 274 :

Lorsque l'État en cause est un état démocratique comme en l'espèce, le revendicateur doit aller plus loin que de simplement démontrer qu'il s'est adressé à certains membres du corps policier et que ses démarches ont été infructueuses. Le fardeau de preuve qui incombe au revendicateur est en quelque sorte directement proportionnel au degré de démocratie atteint chez l'État en cause : plus les institutions de l'État seront démocratiques, plus le revendicateur devra avoir cherché à épuiser les recours qui s'offrent à lui. . . .

[11]       La Section du statut de réfugié a conclu que le demandeur aurait pu s'adresser à la Cour militaire pour régler ses problèmes. Je suis d'accord avec cette affirmation. La transcription du témoignage du demandeur, aux pages 489 et 490 du dossier du tribunal, démontre clairement que le demandeur avait été requis de s'adresser à une autorité militaire, mais qu'il ne l'a pas fait pour la seule raison qu'il n'était « pas vraiment un soldat ou bien l'employédes... de l'armée » .

[12]       Je suis également d'avis qu'il n'était pas raisonnable de la part du demandeur de ne pas s'adresser à la Commission militaire après avoir reçu sa première convocation le 24 mai 2000, surtout qu'il avait été préalablement exempté du service militaire à trois reprises.

[13]       Le fait que ces recours existaient et que le demandeur ait refusé d'y recourir pour de simples raisons techniques confirme que ce dernier n'a pas épuisé les recours que lui offrait son pays.

[14]       En outre, il a été établi dans l'affaire Popov c. Canada (M.E.I.) (1994), 24 Imm.L.R. (2d) 242 (C.A.F.), que le service militaire obligatoire ne constitue pas de la persécution. Le demandeur explique aux pages 487 et 501 du dossier du tribunal que le service militaire va à l'encontre de ses principes. À ce sujet, j'ai déjà décidé, dans l'affaire Garcia c. Secrétaire d'État du Canada (4 février 1994), IMM-2521-93 :


. . . il m'apparaît que le tribunal a bien pris en considération l'effet de ces changements sur le fondement objectif de la crainte du requérant, notamment en regard de la source principale de sa crainte, soit son recrutement forcé par la FMLN ou l'armée lors de la guerre civile, étant bien reconnu que l'aversion du service militaire ou la peur du combat ne suffisent pas, en soi, pour justifier une crainte raisonnable de persécution au sens de la Convention.

[15]       Enfin, comme l'énonçait le juge MacGuigan dans l'affaire Zolfagharkhani c. Canada (M.E.I.), [1993] 3 C.F. 540 (C.A.F.) et le juge Joyal dans l'affaire Talman c. Canada (Solliciteur général), [1995] A.C.F. no 41 (1re inst.) (QL), il incombe au requérant de démontrer que la loi de portée générale est, de façon inhérente, persécutrice. En l'espèce, comme dans l'affaire Talman, supra, ce n'est pas le cas, puisqu'une possibilité d'exemption existe.

[16]       Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                         

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 10 janvier 2002


COUR FEDERALE DU CANADA SECTION DE PREMIERE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR : IMM-1754-01

INTITULE :ARTAK BUDAGHYAN NARINE ZAKARYAN c. MCI

LIEU DE L' AUDIENCE : Montreal (Quebec)

DATE DE L' AUDIENCE : 20 novembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE L'HONORABLE JUGE PINARD EN DATE DU 10 janvier 2002

COMPARUTIONS

Me Michel Le Brun POUR LES DEMANDEURS

Me Marie Nicole Moreau POUR LE DEFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Me Michel Le Brun POUR LES DEMANDEURS Montreal (Quebec)

M. Morris Rosenberg POUR LE DEFENDEUR Sous-procureur general du Canada

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