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     Date : 19981022

     Dossier : IMM-14-98

Ottawa (Ontario), le jeudi 22 octobre 1998

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE ROULEAU

Entre :

     ISAAC ARHIN,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question ne sera certifiée.

                         " P. ROULEAU "

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     Date : 19971121

     Dossier : IMM-14-98

Ottawa (Ontario), le jeudi 22 octobre 1998

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE ROULEAU

Entre :

     ISAAC ARHIN,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision prise par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) le 17 décembre 1997, dans laquelle il a été déterminé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention du fait de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social particulier.

[2]      Le demandeur, qui est un citoyen du Ghana, est né le 12 octobre 1967 à Kumasi. Il a suivi un cours de mécanicien d'automobile de 1984 à 1988 et a par la suite travaillé comme chauffeur de taxi. En 1992, M. Ofori Attah, secrétaire adjoint de la circonscription de Tafo du NPP à Kumasi, a rencontré le demandeur et celui-ci a par la suite adhéré à ce parti qui s'opposait au gouvernement en place.

[3]      Il est devenu le conducteur en chef des représentants du parti à Tafo, c'est-à-dire qu'il conduisait les représentants officiels aux rassemblements politiques, qu'il distribuait des affiches et le matériel du parti aux membres ; il faisait également l'entretien et les réparations sur les véhicules du parti.

[4]      Après les élections présidentielles de novembre 1992, le demandeur prétend que trois soldats ont confisqué la fourgonnette du parti qu'il conduisait pour transporter les supporters du parti à des manifestations. Les soldats ont fait feu sur la fourgonnette, et il s'est enfui. Pendant les deux semaines qui ont suivi, les soldats l'ont recherché, mais il se cachait chez un ami. Selon le demandeur, il n'a pu retourner chez lui qu'après l'intervention du secrétaire du parti. À cause de cet incident, le demandeur a gardé un profil très bas pendant les trois années qui ont suivi.

[5]      En décembre 1996, à l'approche des élections présidentielles, les membres et partisans du NPP et du PCP (la Grande Alliance) ont tenu un grand rassemblement à Tafo pour stimuler le moral des électeurs indécis afin de les encourager à voter pour l'Alliance. Le jour du rassemblement, le demandeur était chargé de transporter sur les lieux les boissons, la nourriture et d'autres objets appartenant au parti. Toutefois, au cours de l'un de ses voyages, cinq " robustes fanatiques " du NDC appelés " machos", et formés par le gouvernement à terroriser et harceler les opposants politiques, ont arrêté le demandeur et lui ont ordonné de transporter les objets qu'il avait dans sa fourgonnette jusqu'à leur bureau.

[6]      L'un d'eux a frappé le demandeur au nez ; dans une réaction spontanée, le demandeur a embrayé et s'est enfui à grande vitesse. Il a évité de justesse un des hommes et le NDC a réagi en le poursuivant ; néanmoins, il a réussi à s'échapper.

[7]      Quelques heures après cet incident, les fanatiques du NDC ont attaqué les partisans du NPP au rassemblement. Le demandeur a vu les hommes qui l'avaient attaqué quelques heures auparavant ; l'un d'eux l'a assommé ; un autre s'est servi de sa botte d'acier pour exercer une forte pression sur son scrotum et a ordonné à son acolyte de poignarder le demandeur. Certains des partisans du NPP sont venus à son secours et l'ont amené à l'hôpital. Pendant son séjour à l'hôpital, le demandeur prétend qu'un " macho ", soit un partisan du NDC, déguisé en membre du NPP, a essayé de lui rendre visite. Toutefois, le visiteur a été fouillé par un garde qui a découvert un couteau dans sa poche ; il a été remis aux autorités ; aucun chef d'accusation n'a été porté contre cette personne.

[8]      Après deux jours à l'hôpital, le demandeur s'est caché chez un cousin. Les hommes du NDC se sont rendus chez lui où ils ont battu sa femme et lui ont dit qu'ils chercheraient et tueraient son mari parce que celui-ci avait prétendument essayé de frapper l'un d'eux avec la fourgonnette du parti. Le 14 février 1997, après avoir vainement cherché à obtenir la protection de la police, le demandeur a quitté le pays pour venir au Canada.

DÉCISION DE LA COMMISSION

[9]      Le 17 décembre 1997, après trois séances distinctes, la Commission a statué que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. En arrivant à cette décision, la Commission a déclaré ce qui suit :

         [TRADUCTION]                 
         " [...] la division conclut d'après la prépondérance des probabilités que le demandeur n'a pas été attaqué du fait de ses opinions politiques en tant que partisan du NPP, ni en tant que fils du chef Paul ARHIN, membre du NPP. La preuve en l'espèce démontre que les partisans de la base du NPP au Ghana ne sont pas victimes de représailles graves équivalant à de la persécution. Plus précisément, la division conclut que le demandeur n'était pas membre du NPP. "                 

La Commission a jugé que le demandeur n'était pas crédible. En particulier, elle a noté qu'il connaissait peu de choses sur l'idéologie, l'histoire, la structure et les hauts dirigeants du NPP. À cet égard, la Commission déclare ce qui suit :

         [TRADUCTION]                 
         Bien qu'on ne s'attende pas à ce qu'un chauffeur ait une connaissance approfondie de l'idéologie du parti, un partisan convaincu, ce que prétend être le demandeur, devrait être en mesure d'expliquer l'intérêt qu'il porte au parti d'une façon plus substantielle que ce que le demandeur a fait, s'il veut être cru. On peut certainement s'attendre à ce qu'il connaisse ou à tout le moins reconnaisse le nom du candidat au poste de président.                 

[10]      La Commission a également noté qu'il y avait certaines invraisemblances dans le témoignage du demandeur.

[11]      La Commission n'a pas non plus attribué de valeur probante à un fac-similé d'une présumée lettre du NPP confirmant le récit du demandeur parce qu'elle ne l'a pas cru.

[12]      En outre, la Commission n'a trouvé aucun lien entre les incidents allégués impliquant le père du demandeur et les incidents qui, d'après le demandeur, se sont produits en 1992 et 1996. La Commission a conclu que tout cela n'était qu'une tentative d'embellir un faux récit de persécution.

[13]      La Commission a également estimé que l'incident de 1992 était fabriqué de toutes pièces. À cet égard, elle déclare ceci :

         [TRADUCTION]                 
         [...] le témoignage du demandeur indiquant que les soldats sont partis après avoir mis le feu au véhicule n'est pas compatible avec sa prétention voulant qu'ils l'ont cherché pendant deux semaines par la suite. En outre, la formation ne croit pas qu'il soit plausible que les soldats aient abandonné le véhicule et son conducteur, et qu'ensuite ils aient recherché ce conducteur pendant deux semaines.                 

[14]      En ce qui concerne le séjour à l'hôpital du demandeur, la Commission a encore une fois jugé qu'il s'agissait d'une histoire fabriquée pour appuyer une fausse revendication. En particulier, la formation a noté que le demandeur n'était pas en mesure de donner le nom de son agresseur même si celui-ci avait été remis aux autorités policières. La Commission n'a pas accepté le témoignage du demandeur dans lequel il a déclaré que ces " personnes " n'étaient connues que par leurs surnoms.

[15]      En ce qui a trait au témoignage de l'expert Kwatwo Appiaggyei, avocat de profession, sur les conditions et la situation qui régnaient au Ghana, la Commission a noté ce qui suit :

         [TRADUCTION]                 
         La formation a limité l'opinion du témoin expert à la revendication elle-même étant donné que l'expert n'a rencontré le demandeur qu'après que son avocat eut communiqué avec lui aux fins de l'audience. Nous croyons qu'un expert qui témoigne sur la situation dans un pays devrait dire ce qu'il connaît de cette situation et ne pas faire de commentaires sur une revendication précise qu'il ne connaît pas bien.                 

[16]      À partir de ce témoignage d'expert, la formation a noté qu'elle ne croyait pas que le demandeur tombait dans une catégorie de personnes susceptibles d'être ciblées.

[17]      Finalement, la Commission n'a pas non plus accepté la preuve du demandeur selon laquelle il n'a pas eu à payer un parfait étranger, un contrebandier américain, qui l'a aidé à s'enfuir. Aux yeux de la formation, il n'est pas possible qu'un contrebandier offre ce genre de services sans se faire rémunérer. Elle a donc déclaré qu'il s'agissait encore une fois d'une histoire inventée par le demandeur. Pour ces raisons, la Commission a conclu que le demandeur avait fabriqué une fausse histoire de persécution afin de présenter une revendication non fondée du statut de réfugié et elle a rejeté sa revendication.

QUESTIONS EN LITIGE

[18]      L'avocat du demandeur prétend qu'il n'y a pas de fondement qui puisse justifier la décision négative concernant la crédibilité ; il prétend que les décisions de la formation sont absurdes, arbitraires et qu'elles ne tiennent pas compte de la preuve.

[19]      Le demandeur reconnaît qu'il n'a pas été en mesure d'expliquer l'idéologie du NPP ; cependant la Commission a noté qu'il était seulement un chauffeur et qu'il ne fallait pas s'attendre à ce qu'il ait une connaissance approfondie de cette idéologie.

[20]      Quant aux conclusions de la formation concernant le père du demandeur, elles démontrent que la formation a fait preuve de mauvaise foi ; le demandeur essayait simplement d'établir que la persécution contre sa famille était continue.

[21]      Le demandeur prétend que son témoin expert n'a pas été autorisé à exprimer son opinion sur le bien-fondé de sa cause, qu'un témoin expert devrait être autorisé à fournir son opinion sur les faits d'une cause. Par conséquent, en refusant à son expert la possibilité d'agir ainsi, le tribunal a fait preuve d'un manque d'impartialité.

[22]      Le demandeur prétend que la Commission a fait preuve d'une attitude généralement partiale à son endroit. En particulier, la Commission a adopté une attitude extrêmement négative non seulement envers le témoignage du témoin expert, mais aussi envers le demandeur.

[23]      Le défendeur soutient que, dans ses motifs, la Commission a indiqué clairement et sans équivoque les éléments de preuve à partir desquels elle a conclu que le demandeur n'était pas crédible et qui l'ont amenée à douter de la véracité de son récit.

[24]      Le défendeur soutient que la Cour n'a pas à intervenir sur des questions de crédibilité à moins que le demandeur puisse établir que la décision de la Commission n'est pas appuyée par la preuve.

[25]      En ce qui a trait aux allégations du demandeur concernant l'attaque en 1996 qui l'a mené à l'hôpital, la Commission a eu l'avantage de voir et d'entendre la manière dont le demandeur a témoigné et a jugé ses allégations douteuses et incohérentes. Par conséquent, le demandeur n'a soulevé aucun doute raisonnable pouvant justifier l'intervention de la Cour.

[26]      En ce qui a trait à la preuve documentaire, la Commission l'a examinée et en a pondéré l'importance. La Commission n'avait aucunement l'obligation de rejeter expressément la preuve documentaire et il y a une présomption que la Commission a examiné la totalité de la preuve qui a été produite à l'audience.

[27]      La Cour a eu la possibilité de lire la totalité de la transcription de la preuve et je n'ai détecté aucune erreur de droit ou mauvaise interprétation des faits suffisante pour appuyer les prétentions du demandeur.

[28]      Si le demandeur estimait qu'il y a eu pendant l'audience une attitude partiale, il aurait dû soulever cette question avant d'en traiter dans son argumentation dans la présente procédure de contrôle judiciaire. Il a eu amplement le temps de le faire puisque l'audition de sa cause devant la Commission du statut de réfugié s'est échelonnée sur plusieurs semaines.

[29]      Quant à la question de la crédibilité, les conclusions de la Commission sont appuyées par la preuve. Nous sommes en présence d'une personne qui se considère comme un pilier du parti d'opposition au gouvernement, mais qui n'assiste qu'à deux rassemblements sur une période de trois ans et qui s'attend à ce que la Commission accepte qu'on le recherche afin de le persécuter dans son pays d'origine ; qui s'est caché pendant deux semaines après un séjour à l'hôpital et qui a trouvé un contrebandier américain charitable qui l'a aidé à s'enfuir du Ghana ; cela est impossible à croire.

[30]      En ce qui a trait à la question du témoin expert : il ne fait aucun doute que celui-ci a été autorisé à exprimer son opinion sur les conditions qui existaient au Ghana ; mais, comme la Commission l'a signalé, comment aurait-il pu exprimer son opinion sur la situation du demandeur qu'il venait à peine de rencontrer ? Les risques que couraient le demandeur sont des questions de fait et c'est à la Commission qu'il revient de se prononcer sur ces questions.

[31]      La conclusion sur la crédibilité est une question de fait1. La formation de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié qui entend une revendication du statut de réfugié est dans une position idéale pour évaluer la crédibilité du demandeur ; les conclusions de fait fondées sur des contradictions internes, des incohérences et des déclarations évasives constituent " l'essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits "2. Il y a donc lieu de faire preuve de beaucoup de retenue dans une procédure de contrôle judiciaire à l'égard des conclusions ayant trait à la crédibilité, et celles-ci ne peuvent être infirmées à moins qu'elles aient été tirées de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont disposait la Commission3.

[32]      Comme l'a déclaré le juge Noël dans la décision Oduro c. M.E.I.4 :

         Toutefois, il ne m'appartient pas de substituer mon pouvoir discrétionnaire à celui de la Commission. Je dois décider si la Commission pouvait, à partir de la preuve devant elle, conclure comme elle l'a fait. [...] le fait que j'aurais pu envisager la question différemment ne me permet pas d'intervenir en l'absence d'une erreur manifeste.                 

De même, dans la décision Aguebor c. M.E.I.5, la Cour a statué ce qui suit :

         Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent ? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.                 

[33]      La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[34]      À la fin de l'audience, l'avocat du demandeur était d'avis que deux questions devaient être proposées aux fins de la certification aux termes de l'article 88 de la Loi sur l'immigration :

         " Est-il approprié en droit qu'un tribunal limite les questions posées au témoin expert et qu'il n'autorise pas de questions portant sur le cas en l'espèce concernant la plausibilité ? "                 
         " Le tribunal a-t-il le droit de refuser d'entendre l'opinion du témoin expert sur les faits de la cause ? "                 

[35]      Je suis convaincu qu'aucune de ces questions ne peut être certifiée ; il s'agissait d'une cause qui a été décidée d'après les faits et la crédibilité. L'opinion d'un expert est fournie pour aider la Cour dans des cas où il lui est impossible d'arriver à une décision dans des domaines qui ne relèvent pas de son champ d'expertise ou de son expérience. La Cour a accepté l'opinion de l'expert sur la situation qui régnait dans le pays, mais elle a refusé d'entendre son opinion sur la manière précise dont la situation du demandeur pouvait être reliée à la situation au Ghana. C'est à la Commission qu'il appartenait de se prononcer sur les faits.

[36]      Les règles de droit concernant le témoignage d'expert ont été suffisamment examinées et définies, et il n'est pas nécessaire d'y apporter d'autres raffinements applicables aux revendicateurs du statut de réfugié.

                         " P. ROULEAU "

                                     Juge

Ottawa (Ontario)

le 22 octobre 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :              IMM-14-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      ISAAC ARHIN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :          MONTRÉAL

DATE DE L'AUDIENCE :          LE 15 SEPTEMBRE 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE ROULEAU

DATE :                  LE 22 OCTOBRE 1998

ONT COMPARU :

STEWART ISTVANFFY                      POUR LE DEMANDEUR

CHRISTINE BERNARD                      POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

STEWART ISTVANFFY                      POUR LE DEMANDEUR

MONTRÉAL

MORRIS ROSENBERG                      POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

__________________

     1      White c. R., [1947] R.C.S. 268.

     2      Dan-Ash c. M.E.I. (1988), 93 N.R. 33 (C.A.F.) ; Giron c. Canada (M.E.I.) (1992), 143 N.R. 238.

     3      Rajaratnam c. Canada (M.E.I.) (1991), 135 N.R. 300 (C.A.F.).

     4      (1993), A.C.F. nE 56 (C.F. 1re inst.).

     5      (1994), 160 N.R. 315 (C.A.F.).

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