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Date : 20060428

Dossier : IMM‑4375‑05

Référence : 2006 CF 533

Ottawa (Ontario), le 28 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PHELAN

 

 

ENTRE :

ELIE ABDO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Aperçu général

[1]               Le demandeur, de citoyenneté libanaise, a demandé un visa de résident permanent en 1999. Le visa lui a été accordé en 2003. Il sortait alors avec celle qui allait devenir son épouse et il s’est donc informé par lettre auprès de l’ambassade du Canada à Damas des formalités qu’il devrait accomplir pour que son épouse l’accompagne au Canada. Ils se sont mariés le 16 août 2003, mais le demandeur est entré au Canada seul le 20 septembre 2003 et a obtenu le droit d’établissement en tant que personne célibataire sans personnes à charge. Ce qui fut dit (ou non dit) au point d’entrée est capital pour l’issue de la présente affaire.

 

II.         Les faits

[2]               En octobre 2003, ayant obtenu le droit d’établissement en tant que nouveau venu sans personnes à charge, le demandeur a présenté une demande de parrainage de son épouse en tant que membre de la catégorie du regroupement familial. À la suite de cette demande, il a été convoqué pour un entretien qui permettrait de dire s’il avait bien rapporté les faits et s’il devait être autorisé à rester au Canada.

 

[3]               En juin 2004, il fut informé qu’il serait autorisé à rester au Canada. Toutefois, une semaine plus tard, le demandeur était informé que sa demande de parrainage avait été rejetée en application de l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement). Cette disposition exclut comme membre de la catégorie une personne parrainée qui, à l’époque où [la demande de résidence permanente] a été faite par le répondant, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle aux fins d’une admission au Canada.

 

L’alinéa 117(9)d) du Règlement est ainsi rédigé :

117 (9) Ne sont pas considérées comme appartenant à la catégorie du regroupement familial du fait de leur relation avec le répondant les personnes suivantes :

117 (9) A foreign national shall not be considered a member of the family class by virtue of their relationship to a sponsor if

[…]

d) sous réserve du paragraphe (10), dans le cas où le répondant est devenu résident permanent à la suite d’une demande à cet effet, l’étranger qui, à l’époque où cette demande a été faite, était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier et n’a pas fait l’objet d’un contrôle.

(d) subject to subsection (10), the sponsor previously made an application for permanent residence and became a permanent resident and, at the time of that application, the foreign national was a non-accompanying family member of the sponsor and was not examined.

 

 

[4]               Le demandeur a fait appel de cette décision à la Section d’appel de l’immigration (SAI), qui, après avoir tenu audience, a rejeté l’appel. Le demandeur avait présenté à la SAI un témoignage selon lequel, à la suite de la lettre qu’il avait adressée à l’ambassade afin de s’enquérir des formalités à accomplir pour être accompagné de son épouse, il n’avait reçu aucune réponse de l’ambassade. Le défendeur a dit qu’une lettre avait été envoyée au demandeur l’invitant à rendre son visa au motif qu’il n’était plus admissible parce que sa demande de visa indiquait qu’il n’était pas marié. Le demandeur a dit n’avoir jamais reçu cette lettre. À ce jour, le défendeur n’a pas encore produit la prétendue lettre.

 

[5]               Le 20 septembre 2003, le demandeur est arrivé au Canada. Il a témoigné devant la SAI qu’il avait informé un agent canadien d’immigration, au point d’entrée, qu’il était marié. Selon son témoignage, le représentant lui a dit qu’il pouvait retourner dans son pays et demander à partir de là un visa pour son épouse, ou bien entrer au Canada maintenant et tenter de régler la question ici. Il est entré au Canada sur le fondement d’une déclaration selon laquelle il était célibataire.

 

[6]               La SAI n’a pas accepté cette preuve, jugeant « invraisemblable » qu’un agent canadien d’immigration ait pu donner un conseil aussi manifestement erroné. La SAI s’est également fondée sur la déclaration signée d’admission pour conclure que le demandeur avait délibérément choisi de ne pas révéler son mariage à l’agent d’immigration lorsqu’il avait obtenu son droit d’établissement. Finalement, la SAI a constaté que la section des visas de l’ambassade avait envoyé au demandeur un message télécopié qui indiquait les conditions à remplir pour l’admission de son épouse. La SAI ne s’est pas prononcée sur la question de savoir si le message avait été reçu, mais a utilisé ce fait pour dire que le demandeur avait délibérément trompé les agents d’immigration.

 

III.       Points litigieux

[7]               Ce contrôle judiciaire soulève deux questions principales :

1.         La SAI a‑t‑elle commis une erreur en excluant Mme Abdo de la résidence permanente sur la foi de l’alinéa 117(9)d) du Règlement?

2.         La SAI a‑t‑elle commis une erreur en concluant que le témoignage du demandeur n’était pas crédible?

 

IV.       Analyse

[8]               Puisque deux questions distinctes sont posées, la Cour doit déterminer quelle norme de contrôle il convient d’appliquer pour chacune d’elles.

 

[9]               Toutefois, s’agissant de l’alinéa 117(9)d), il y a deux éléments. Le premier est le sens de l’expression « à l’époque où cette demande a été faite », qui à mon avis est la question juridique fondamentale dont dépend l’application de la disposition, une question pour laquelle la norme à appliquer est la décision correcte. L’autre élément est l’application de la norme juridique aux faits, et, pour cet élément, c’est la norme de la décision raisonnable simpliciter qui est habituellement appliquée. Je ne vois aucune raison de m’écarter de cette norme.

 

[10]           S’agissant de la conclusion relative à la crédibilité du demandeur, et surtout lorsqu’une audience a été tenue et que des témoignages ont été entendus, le décideur est mieux placé que la Cour pour juger de la crédibilité. La SAI jouit d’ailleurs d’une spécialisation dans ce domaine. Par conséquent, la norme devrait être la décision manifestement déraisonnable.

 

[11]           S’agissant de l’interprétation de l’expression « à l’époque où cette demande a été faite », la Cour a exprimé divers points de vue (voir Dave c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 510; [2005] A.C.F. no 686 (QL), et dela Fuente c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 992; [2005] A.C.F. no 1219 (QL)). Toutefois, malgré les vues divergentes exprimées, aucune n’entérine le principe selon lequel le demandeur a le droit de faire sciemment de fausses déclarations. Dans des précédents tels que la décision dela Fuente, précitée, et Tauseef c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1209; [2005] A.C.F. no 1516 (QL), l’absence de fausses déclarations faites sciemment constituait un facteur important.

 

[12]           En l’espèce, vu la décision que j’ai rendue dans l’affaire Tauseef, précitée, j’arriverais à la même conclusion, en disant que Mme Abdo n’était pas inhabile à obtenir la résidence permanente du seul fait que, à l’époque où M. Abdo a présenté sa demande de visa de résident permanent, elle était un membre de la famille du répondant n’accompagnant pas ce dernier. L’« époque où [la] demande a été faite » était la date à laquelle la demande avait été déposée à l’ambassade du Canada à Damas.

 

[13]           Cependant, à mon avis, la présente affaire tient davantage aux conclusions relatives à la crédibilité des propos échangés au point d’entrée. Pour annuler la décision de la SAI, la Cour doit conclure que la décision est manifestement déraisonnable, et c’est ce que je ferai, pour les motifs suivants.

 

[14]           La raison principale pour laquelle la SAI n’a pas admis le témoignage du demandeur se rapportant aux déclarations faites au point d’entrée était la conviction de la SAI qu’un fonctionnaire ne ferait jamais le commentaire que lui a imputé le demandeur, car les renseignements donnés par le fonctionnaire étaient par trop erronés.

 

[15]           Il est sans doute difficile d’imaginer qu’un fonctionnaire puisse conseiller à quelqu’un d’entrer dans le pays et de tenter de régler les choses ici, mais aucune preuve directe ne permet de réfuter les dires du demandeur. Il y a d’ailleurs une preuve circonstancielle suffisante montrant qu’il a été honnête et franc sur ses intentions et qu’il l’avait donc probablement été au point d’entrée.

 

[16]           La SAI semble avoir cru que, même avant que le demandeur parte pour le Canada, il avait été informé, par lettre « télécopiée », qu’il était non admissible en raison de son mariage. Il n’existe aucune preuve de l’existence d’une lettre télécopiée, et la seule preuve de l’existence d’une lettre est d’ailleurs la mention qui en est faite dans les notes du SSOBL. La lettre n’a jamais été produite malgré les tentatives de l’obtenir. Non seulement son existence est‑elle suspecte, mais il n’est pas non plus établi qu’elle a été envoyée ou, si elle l’a été, qu’elle a été reçue ou qu’elle a même été envoyée par télécopieur.

 

[17]           La seule preuve de ce qui est survenu au point d’entrée est le témoignage du demandeur – qui à première vue doit être tenu pour avéré. Le défendeur n’a produit aucun témoignage, et encore moins un témoignage direct, du fonctionnaire du point d’entrée pour réfuter les dires du demandeur. On n’a pas même établi pourquoi cette preuve directe ne pouvait pas être obtenue, ni ce qu’était la pratique dont on aurait pu prétendre qu’elle réfutait indirectement les dires du demandeur.

 

[18]           La preuve circonstancielle est que le demandeur avait été franc et direct sur ses intentions de se marier et d’obtenir que son épouse le rejoigne au Canada. On n’a jamais expliqué pourquoi il avait dû mentir au point d’entrée alors qu’il avait déjà révélé sa situation matrimoniale à l’ambassade du Canada à Damas.

 

[19]           Par ailleurs, s’agissant des déclarations prétendument fausses du demandeur, le défendeur lui avait dit qu’il pouvait rester au Canada alors que la sanction habituellement imposée pour avoir fait une fausse présentation sur un fait important est l’expulsion. Le défendeur n’a jamais conclu que le demandeur avait en réalité fait une fausse déclaration. Les circonstances de la décision du défendeur d’autoriser le demandeur à rester au Canada n’ont pas été prises en considération par la SAI, bien qu’elles fussent très pertinentes.

 

[20]           Les conséquences de la conclusion de la SAI sont très préjudiciables, à la fois pour le demandeur et pour son épouse. Sa conclusion empêche absolument l’épouse d’être parrainée. Une décision si lourde de conséquence doit être rendue sur la foi de preuves solides. Les déductions faites par la SAI étaient de simples conjectures, qui allaient à rebours de la preuve directe comme de la preuve indirecte, qui étaient incompatibles avec la résolution implicite du défendeur de ne pas faire expulser le demandeur et qui ne tenaient pas compte de cette preuve elle‑même.

 

[21]           Pour ces motifs, je suis d’avis que la décision de la SAI concernant la crédibilité du demandeur était manifestement déraisonnable.

 

[22]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la SAI annulée, et l’affaire renvoyée à d’autres commissaires pour nouvelle décision.

 

[23]           La présente décision repose surtout sur les conclusions de la SAI en matière de crédibilité, mais la question de l’alinéa 117(9)d) du Règlement entre manifestement en jeu. En toute justice pour le défendeur, il convient de faire droit à la demande du défendeur, qui voudrait que je certifie la même question que celle qui avait été certifiée dans la décision Tauseef.

 

 


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE :

 

(1)        La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SAI annulée et l’affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

 

(2)               La question suivante est certifiée :

                        [traduction] « L’expression “à l’époque où cette demande a été faite”, dans l’alinéa 117(9)d) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, signifie‑t‑elle la date à laquelle la demande du répondant en vue d’obtenir un visa de résident permanent a été déposée? »

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM‑4375‑05

 

 

INTITULÉ :                                                   ELIE ABDO

                                                                        c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 20 AVRIL 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :              LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 28 AVRIL 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mario Bellissimo

 

POUR LE DEMANDEUR

Anshumala Juyal

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ormston, Bellissimo, Younan

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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