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Date : 20040812

Dossier : IMM-5380-03

Référence :    2004 CF 1111

ENTRE :

                                GABRIELLA MARGARITA BONDIUK ANDREOLI

                                       EMANUEL ERNESTO PASCUAL BONDIUK

                                           ERNESTO FELIX PASCUAL MARTINO

                                                                             

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                           défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HARRINGTON

[1]                Gabriella Margarita Bondiuk Andreoli (la demanderesse), son mari et leur enfant de 4 ans sont originaires de l'Uruguay. Ils ne parlent ni français, ni anglais. La demanderesse prétend qu'elle a eu des menaces sérieuses en Uruguay et que son mari était battu. Ils sont venus au Canada le 13 juillet 2002 et ils ont revendiqué le statut de réfugié le même jour.

[2]                La demanderesse a pris un avocat de l'aide juridique et ils ont travaillé avec une interprète afin de rédiger le Formulaire de renseignements personnels ("FRP"). La demanderesse était avisée par l'interprète qu'elle devrait lui communiquer tous les changements d'adresse, s'il y a lieu.


[3]                Vers la fin de juillet 2002, n'ayant pas reçu de prévisions de dates d'audition, la demanderesse et sa famille se sont présentés au Tribunal. Le Tribunal a refusé de les recevoir, car le mari était sérieusement malade.

[4]                Au mois d'août 2002, la demanderesse et sa famille ont déménagé, et, suivant les conseils donnés par leur avocat et l'interprète, ils ont communiqué leur changement d'adresse a l'interprète dès qu'ils ont déménagé. L'interprète a alors informé la demanderesse qu'elle s'occuperait de tout et qu'elle va informer le Tribunal.

[5]                Quand la demanderesse a vu qu'elle n'avait toujours pas de nouvelle, elle a communiqué avec son avocat au début du mois de mai 2003. Elle a appris que le Tribunal avait convoqué une audience pour le 15 avril 2003 et une autre le 28 avril 2003, et que ni l'avocat ni le Tribunal n'avait réussi à communiquer avec elle. Alors, le Tribunal aurait rendu une ordonnance de désistement. C'est cette décision qui fait sujet d'un contrôle judiciaire devant cette Cour.

DÉCISION CONTESTÉE


[6]         Le Tribunal a expliqué que vu sa compétence limitée en cas de réouverture d'audiences, il ne pourrait accorder cette demande sauf s'il y a eu une violation des règles de justice naturelle. Le Tribunal a dit que les demandeurs ont toujours été dûment convoqués, et que les explications données par leur avocat afin de justifier leur absence lors des audiences ne peuvent être retenues, car la demanderesse a signé la déclaration dans son FRP et ledit FRP a été contresigné par l'interprète. Cette déclaration indique clairement que l'interprète a communiqué parfaitement avec la demanderesse et a pris la peine de bien expliquer le contenu de ce formulaire en entier à cette dernière. De plus, en ce a trait à la mention des coordonnés des demandeurs dans le FRP, il est explicitement indiqué que la demanderesse devait informer, sans délai, le Tribunal de tout changement d'adresse.

QUESTION EN LITIGE

[7]         Le Tribunal a-t-il erré en refusant la demande de réouverture d'audience ?

PRÉTENTIONS DES DEMANDEURS

[8]         La demandeurs rappellent qu'il est reconnu qu'une revendication de statut de réfugié est très importante pour les revendicateurs et encourt des droits fondamentaux, soit le droit à la vie et à la sécurité de la personne. Ainsi, ils soulignent que les demandes doivent être examinées attentivement. Ici, les demandeurs prétendent que le Tribunal a présumé avait à tort que l'interprète avait traduit tout le FRP, incluant le dispositif qui disait que le revendicateur devait aviser le Tribunal de tout changement d'adresse, ce qui n'a pas été le cas.

[9]                De plus, les demandeurs soulignent que la jurisprudence ainsi que l'article 69(4) de la Loi sur l'immigration (R.S.C. 1985, c. I-2) ( Loi) indique que tous les revendicatrices mineures doivent être assignés un représentant au moment où des procédures de désistement ont été envisagées. Le défaut du Tribunal de faire cela constitue une erreur qui a vicié la décision de refuser la demande.


[10]            Enfin, les demandeurs expliquent que les changements dans la nouvelle Loi ont engendré des difficultés d'application et d'ajustement indéniables. Ils soumettent qu'il serait raisonnable de leur donner le bénéfice du doute quant à leur allégation selon laquelle à aucun moment on leur a dit qu'il fallait donner leur changement d'adresse.                    

PRÉTENTIONS DU DÉFENDEUR

[11]       Le défendeur prétend que le Tribunal n'a pas compétence pour accepter d'ouvrir la demande qu'à condition qu'il y a eu violation des règles de justice naturelle. C'est le principe du fonctus officio qui est énoncé au paragraphe 55(4) des Règles de la Section de la protection des réfugiés.

[12]            En l'espèce, selon le défendeur, le Tribunal a estimé que toutes les mesures nécessaires ont été prises pour assurer que les demandeurs aient l'opportunité de se faire entendre. De plus, le défendeur soutient que cette Cour a déjà décidé qu'il revenait à un revendicateur de s'intéresser assez à son propre sort et de s'assurer, en optant pour une approche active, que des situations comme la présente ne se produisent pas. (Voir Luo c. Canada (M.C.I.) [1995] F.C.J. No. 160 et Forgacs c. Canada (M.C.I.) (2001) 202 F.T.R. 193.)


[13]            En ce qui concerne un représentant désigné pour l'enfant avant de conclure au désistement, le défendeur prétend que la Règle 15(2) des Règles de la Section de la protection des réfugiés prévoit expressément que le Tribunal ne peut nommer un représentant lorsque la revendication d'un mineur est jointe à celle d'un adulte, comme c'est le cas en l'espèce.

ANALYSE

Norme de contrôle judiciaire

[14]       Le juge Lemieux dans l'arrêt Ahamad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000) 3 C.F. 109 a écrit ceci :

Dans l'arrêt Baker, précité, le juge L'Heureux-Dubé a ajouté à l'arrêt que la Cour suprême avait rendu dans l'affaire Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982 [motifs modifiés [1998] 1 R.C.S. 1222]. Compte tenu de l'analyse qui a été faite dans ces deux arrêts, de l'absence d'une clause privative, de l'objet du contrôle judiciaire (question de droit par opposition à expertise d'enquête factuelle) et de l'objectif que vise la disposition, je conclus que la norme de contrôle qu'il convient d'appliquer à l'égard de la décision dans laquelle la SSR a conclu que le demandeur s'était désisté de sa revendication du statut de réfugié est celle de la décision raisonnable simpliciter.

Analyse

[15]       La question a se poser dans les circonstances est de savoir si, compte tenu de l'ensemble des circonstances et des facteurs pertinents, le comportement des demandeurs suggérait clairement un désir ou une intention de ne pas poursuivre sa revendication : Ahamad, supra.


[16]            Afin d'apprécier un cas comme le présent, il est absolument primordial d'opter pour une approche contextuelle et d'éviter de sombrer dans du dogmatisme procédural. Je tiens à reprendre les propos de l'honorable juge Pigeon dans l'affaire Hamel c. Brunelle, [1977] 1 R.C.S. 147, 156., où il écrivait fort justement que « la procédure doit être non la maîtresse mais la servante de la justice. »

[17]            En l'espèce, la preuve démontre que l'interprète a oublié d'aviser le Tribunal, et que c'est uniquement cette erreur qui a entraîné le rejet de la demande d'asile des demandeurs. Il ne faut également pas oublier que les demandeurs ne parlent ni français, ni anglais ce qui les rend particulièrement vulnérables et dépendants de leur interprète. Conclure qu'ils ont été les artisans de leur propre malheur équivaudrait à les punir pour l'inadvertance d'un tiers, ce qui non seulement est injuste sur le plan purement humain, mais fait également fi des objectif de la Loi . En effet, à l'article 3(2) de la Loi, on énonce :

3(2). S'agissant des réfugiés, la présente loi a pour objet :

a) de reconnaître que le programme pour les réfugiés vise avant tout à sauver des vies et à protéger les personnes de la persécution;

b) de remplir les obligations en droit international du Canada relatives aux réfugiés et aux personnes déplacées et d'affirmer la volonté du Canada de participer aux efforts de la communauté internationale pour venir en aide aux personnes qui doivent se réinstaller;

(2) The objectives of this Act with respect to refugees are

(a) to recognize that the refugee program is in the first instance about saving lives and offering protection to the displaced and persecuted;

(b) to fulfil Canada's international legal obligations with respect to refugees and affirm Canada's commitment to international efforts to provide assistance to those in need of resettlement;

c) de faire bénéficier ceux qui fuient la persécution d'une procédure équitable reflétant les idéaux humanitaires du Canada;           

(c) to grant, as a fundamental expression of Canada's humanitarian ideals, fair consideration to those who come to Canada claiming persecution;


d) d'offrir l'asile à ceux qui craignent avec raison d'être persécutés du fait de leur race, leur religion, leur nationalité, leurs opinions politiques, leur appartenance à un groupe social en particulier, ainsi qu'à ceux qui risquent la torture ou des traitements ou peines cruels et inusités;

e) de mettre en place une procédure équitable et efficace qui soit respectueuse, d'une part, de l'intégrité du processus canadien d'asile et, d'autre part, des droits et des libertés fondamentales reconnus à tout être humain;

(d) to offer safe haven to persons with a well-founded fear of persecution based on race, religion, nationality, political opinion or membership in a particular social group, as well as those at risk of torture or cruel and unusual treatment or punishment;

(e) to establish fair and efficient procedures that will maintain the integrity of the Canadian refugee protection system, while upholding Canada's respect for the human rights and fundamental freedoms of all human beings;

[18]            Dans l'affaire Aslam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et le l'Immigration), [2004] A.C.F. no. 620, j'ai dit:

M. Aslam est peut-être, ou non, un réfugié ayant droit à une protection internationale. C'est là une question non résolue tant que la Commission n'aura pas rendu une décision finale. Jusque là, il a le droit de prétendre qu'il est un réfugié au sens de la Convention, ou une personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. Allons-nous renvoyer M. Aslam dans son pays alors qu'il pourrait bien avoir une crainte fondée de persécution et risquer la torture, une peine cruelle ou inusitée ou encore la mort, simplement parce que son conseiller en immigration l'a laissé en plan et parce que son nouvel avocat avait déjà un engagement?

[19]            Le même raisonnement s'applique en l'espèce. On peut aussi se demander quel peut bien être le préjudice pour le défendeur à ce que une audition sur le fond de la demande d'asile ait lieu.


[20]            Je suis bien conscient de la jurisprudence abondante de cette Cour à l'effet que le demandeur est responsable de son dossier et ne peut invoquer sa propre turpitude pour justifier des omissions fatales, ne seraient-ce que procédurales. Mais il faut bien comprendre qu'en l'espèce, les demandeurs n'ont pas été négligents et se sont tout simplement fiés à leur interprète, sur qui repose l'entièreté du manquement procédural.

[21]            À mon avis refuser la présente requête illustrerait une mégarde pour les principes de justice naturelle.

[22]            Je rend la présente ordonnance, en ayant en tête les propos de Lord Denning dans Doyle v. Olby (Ironmongers) Ltd. (1969) 2 All E.R. 119, qui à la page 121 énonçait :

We never allow a client to suffer for the mistake of his counsel if we can possibly help it. We will always seek to rectify it as far as we can. We will correct it whenever we are able to do so without injustice to the other side. Sometimes the error has seriously affected the course of the evidence, in which case we can at best order a new trial.

[23]            Il ne s'agit pas en l'espèce d'un cas où l'avocat a mal plaidé sa cause sur le fond. Il s'agit plutôt d'une affaire qui n'a jamais été entendue à cause d'une erreur administrative qui s'est produite au bureau de l'avocat.

« Sean Harrington »

                                                                                                     Juge                       

Ottawa (Ontario)

le 12 août 2004


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                                                     IMM-5380-03

INTITULÉ :                                                    GABRIELLA MARGARITA BONDIUK ANDREOLI,

EMANUEL ERNESTO PASCUAL BONDIUK, ERNESTO FELIX PASCUAL MARTINO

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 20 JUILLET 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE JUGE HARRINGTON

DATE DES MOTIFS :                                               LE 12 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

Marie José L'Ecuyer                                         POUR LES DEMANDEURS

Evan Liosis                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Marie José L'Ecuyer                                         POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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