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Date : 20060608

Dossier : IMM-6636-05

Référence : 2006 CF 719

Ottawa (Ontario), le 8 juin 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

ENTRE :

AFTAB HUSSAIN, ISHRAT HUSSAIN

HETSHAM HUSSAIN, SHREEN HUSSAIN

HALLA HUSSAIN, AROOG HUSSAIN, USAMA HUSSAIN

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Bien que la cause ait été plaidée en français, l’avocat des demandeurs a demandé que je rende les présents motifs de l’ordonnance et ordonnance en anglais. 

 

[2]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par les membres de la famille Hussain (les demandeurs), tous citoyens du Pakistan, qui contestent la décision rendue le 23 octobre 2005 par l’agente d’immigration Linda Parker rejetant leur demande présentée au Canada pour l’obtention de visas de résident permanent pour circonstances d’ordre humanitaire en application de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi). 

 

[3]               La famille Hussain est composée d’Aftab Hussain, de sa femme Ishrat et de leurs cinq enfants nés au Pakistan et âgés de 15, 14, 13, 9 et 8 ans respectivement, auxquels s’ajoute Almas, une enfant née au Canada le 19 avril 2004.      

 

[4]               La famille Hussain est entrée au Canada par les États‑Unis le 15 décembre 2000 et a demandé l’asile à Lacolle, Québec. Leur demande a été rejetée le 8 avril 2003 et un juge de la Cour a rejeté leur demande d’autorisation d’appel le 8 août 2003.   

 

[5]               Les demandeurs ont alors demandé un examen des risques avant renvoi (ERAR) à la suite duquel Linda Parker, agissant à titre d’agente d’ERAR, a rendu une décision défavorable le 25 août 2005. Aucune demande d’autorisation visant cette décision n’a été déposée. 

 

[6]               Les demandeurs ont ensuite déposé leur demande visant à obtenir des visas de résident permanent pour circonstances d’ordre humanitaire (demande CH), le rejet de cette demande faisant l’objet de leur demande devant la Cour. 

 

[7]               Les principaux arguments soulevés par l’avocat des demandeurs étaient :

1.    Le tribunal, dans son analyse de la preuve concernant les enfants demandeurs ainsi qu’Almas, n’a pas pris en compte l’intérêt supérieur des enfants comme l’a prescrit la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, selon lequel, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire de délivrer un visa de résident permanent demandé au Canada, l’agent d’immigration doit accorder un poids considérable au facteur important que constitue l’intérêt supérieur des enfants et doit être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt.     

 

2.    Relativement au premier argument, l’avocat des demandeurs a soutenu que le tribunal n’avait pas pris en compte la preuve concernant le manque de possibilités en matière d’éducation dans les campagnes pakistanaises et le peu de services de santé dont peuvent bénéficier les enfants dans ce pays. À cet argument se rattachait la conclusion du tribunal selon laquelle le demandeur principal, le seul soutien de famille, trouverait du travail au Pakistan. Les demandeurs affirment que cette conclusion n’était qu’une affirmation sans justesse non fondée sur la preuve et l’avocat m’a renvoyé à certaines parties du contre‑interrogatoire de l’agente sur son affidavit. 

 

3.    À l’audience, l’avocat des demandeurs a abandonné son troisième argument qui portait sur ce qui arriverait à Almas si ses parents étaient expulsés vers les États‑Unis et y étaient incarcérés. L’avocat a reconnu n’avoir aucune preuve au dossier précisant dans quels cas les autorités américaines emprisonneraient des demandeurs d’asile déboutés au Canada qu’elles peuvent renvoyer dans un pays tiers.   

 

 

[8]          Les principales critiques des demandeurs visant la décision de l’agente d’immigration portent sur les paragraphes suivants de sa décision :

[traduction]

Le demandeur a déclaré dans sa demande qu’il devra faire face à des difficultés économiques, car il sera sans emploi, et que sa famille subira un préjudice psychologique s’ils doivent tous retourner au Pakistan. Cependant, la preuve soumise et les informations au dossier du demandeur ne me convainquent pas que le demandeur a tissé avec le Canada des liens tels que, s’ils étaient rompus, la présentation d’une demande de résidence permanente à l’extérieur du Canada poserait des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives. Rien ne me porte à croire que le demandeur et sa famille devront faire face à de telles difficultés s’ils quittent le Canada. Même si une période d’ajustement sera nécessaire pour la réintégration et la recherche d’emploi, aucune preuve dans le dossier n’appuie la prétention selon laquelle le demandeur sera incapable de se réinstaller au Pakistan et d’y trouver du travail. Le demandeur et sa famille sont entrés au Canada sans statut juridique; ils savaient depuis leur arrivée que leur situation au Canada était incertaine. Même s’ils ont créé certains liens avec la société québécoise et canadienne, ceux‑ci ne suffisent pas pour exempter le demandeur d’avoir à présenter sa demande de résidence permanente à l’extérieur du Canada.    

 

[9]          Dans son examen de l’intérêt supérieur des enfants, l’agente d’immigration a écrit :

 

[traduction]

Les cinq enfants nés au Pakistan sont âgés de 8 à 15 ans. Selon sa demande, le demandeur parle, écrit et lit l’anglais et sa langue maternelle est le punjabi. La langue maternelle des enfants est aussi le punjabi. Ces langues sont toutes deux parlées au Pakistan; les enfants seront donc capables de retourner au Pakistan et de vivre en employant ces langues. Les enfants sont tous d’âge scolaire et ont créé au Canada les liens que des enfants allant à l’école au Canada créeraient normalement. Le Pakistan possède aussi un système scolaire et les enfants pourront y poursuivre leur éducation à leur retour. En ce qui concerne l’enfant née au Canada, elle est très jeune, dix‑sept mois, et, à cet âge, elle n’a pas encore établi de liens importants avec le Canada. Ses liens sont avec sa famille et la cellule familiale demeurera intacte.

 

Les enfants devront passer par une période d’ajustement, mais ils ont montré qu’ils pouvaient s’adapter. Ils se sont adaptés à la vie au Canada et se sont intégrés au système d’éducation public francophone du Québec. Rien ne prouve que les enfants subiront des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’ils doivent retourner au Pakistan et se réadapter aux conditions de vie ou à l’école au Pakistan. Je suis d’avis que l’intérêt supérieur des enfants ne sera pas compromis s’ils retournent au Pakistan. Ils n’auront pas à faire face à un danger personnel comme l’a montré l’analyse ci‑dessus; ils connaissent les langues employées au Pakistan et il y existe des systèmes de santé et d’éducation. En outre, les enfants ont aussi de la famille au Pakistan et bénéficieront de ces liens familiaux.    

 

 

[10]      Il est clair qu’il incombe au demandeur d’établir les faits sur lesquels se fonde sa demande CH. Comme l’a souligné le juge Evans, au nom de la Cour d’appel fédérale, dans Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 158, « c’est à ses risques et périls qu’il omet des renseignements pertinents dans ses observations écrites ». Le juge Evans a affirmé qu’un agent d’immigration, lorsqu’il examine une demande CH, doit être « “réceptif, attentif et sensible” à l’intérêt supérieur des enfants, sur lesquels l’expulsion du père ou de la mère peut avoir des conséquences préjudiciables, et il ne doit pas “minimiser” cet intérêt ». Il a ajouté : « Toutefois, l'obligation n'existe que lorsqu'il apparaît suffisamment clairement des documents qui ont été soumis au décideur, qu'une demande repose, du moins en partie, sur ce facteur. De surcroît, le demandeur a le fardeau de prouver toute allégation sur laquelle il fonde sa demande pour des raisons humanitaires. Par voie de conséquence, si un demandeur ne soumet aucune preuve à l'appui de son allégation, l'agent est en droit de conclure qu'elle n'est pas fondée. »            

 

[11]      Le juge Evans a conclu, dans l’arrêt Owusu, précité, de la manière suivante :

La moitié de phrase de la page quatre de la lettre de sept pages citée plus haut (au paragraphe [6]) qui dit uniquement que M. Owusu ne serait pas en mesure de faire vivre sa famille s'il était expulsé est trop indirecte, succincte et obscure pour imposer une obligation positive à l'agente de s'enquérir davantage sur l'intérêt supérieur des enfants. La lettre ne mentionnait pas que M. Owusu faisait vivre ses enfants avec l'argent qu'il gagnait au Canada et que ces enfants dépendaient financièrement de lui et seraient privés de cet appui s'il était expulsé. De plus, l'agente n'a été saisie d'aucune preuve de l'un ou l'autre de ces faits.

 

L'avocat a fait valoir que l'agente aurait dû comprendre, en lisant la lettre, que les enfants de M. Owusu seraient privés du soutien économique dont ils dépendaient si leur père était expulsé. Dans les circonstances en cause, on ne peut reprocher à l'agente de ne pas avoir tiré cette conclusion. Ainsi, l'agente n'a commis aucune erreur en rejetant la demande pour des raisons d'ordre humanitaire sans avoir analysé les répercussions probables de sa décision sur les enfants de M. Owusu.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[12]      Également, un principe bien reconnu veut qu’il ne suffise pas de simplement faire référence aux conditions dans le pays en général sans lier ces conditions à la situation personnelle du demandeur (voir, par exemple, Dreta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1239, et Nazaire c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 416). 

 

[13]      Il faut aussi rappeler que la norme de contrôle applicable à la décision d’un agent d’immigration rejetant une demande de résidence permanente fondée sur des circonstances d’ordre humanitaire est la décision raisonnable (voir Baker, précité). 

 

[14]      Il est utile de rappeler l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 4 C.F. 358, sur la question de la signification des circonstances d’ordre humanitaire et de la prise en compte de l’intérêt supérieur des enfants. Les conclusions suivantes ont été tirées quant à l’effet de l’arrêt Baker, précité :

 

1.  La pondération des facteurs pertinents demeure l’apanage d’un agent d’immigration;

 

2.  L’intérêt des enfants est un facteur que l’agent d’immigration doit examiner avec beaucoup d’attention et, quand l’agent a bien mis en évidence et défini ce facteur, il appartient à l’agent de déterminer quel poids lui attribuer dans les circonstances;

 

3.  La présence d’enfants n’entraîne pas un certain résultat.

 

[15]      À mon avis, la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée pour les motifs suivants. Premièrement, l’avocat des demandeurs a soutenu, en ce qui concerne l’enfant née au Canada et âgée de huit mois au moment de la demande CH, que l’agente d’immigration avait commis une erreur en prenant en compte un facteur non pertinent, c’est‑à‑dire que l’enfant n’avaient pas de liens importants avec le Canada. L’avocat avance qu’un citoyen canadien n’a pas à établir de liens avec le Canada – ce critère ne s’applique qu’aux non‑citoyens.         

 

[16]      À mon sens, l’avocat du demandeur déplace l’affirmation du contexte dans lequel elle a été écrite. L’agente d’immigration examinait l’intérêt supérieur de l’enfant née au Canada. L’évaluation de l’agente d’immigration à cet égard était raisonnable. Les liens de la petite Almas, à son âge, sont avec sa famille, particulièrement compte tenu que la famille Hussain n’a aucun proche parent au Canada, tous les liens familiaux se trouvant au Pakistan (voir Baker, précité, aux paragraphes 68 et 72, au sujet de l’importance des liens familiaux).   

 

[17]      Deuxièmement, comme je l’ai souligné, l’avocat du demandeur soutient que l’agente d’immigration n’a pas pris en considération la preuve au sujet des lacunes du système d’éducation et de santé ainsi que du manque de perspectives d’emploi au Pakistan pour la famille Hussain. Il attire l’attention sur les conditions au Pakistan. Il souligne également certains passages du contre‑interrogatoire de l’agente d’immigration. Selon moi, cet argument est sans fondement. Les demandeurs n’ont pas présenté de telle allégation dans leurs demandes. Dans les circonstances, comme indiqué dans l’arrêt Owusu, précité, l’information fournie à l’agente d’immigration était trop indirecte, succincte et obscure pour imposer à l’agente une obligation positive de s’enquérir davantage sur l’intérêt supérieur des enfants nés au Pakistan.     

 

[18]      Troisièmement, les demandeurs n’ont pas présenté de faits démontrant que les conditions dans le pays qu’ils ont mentionnées s’appliquaient à eux personnellement. La preuve va dans le sens contraire. Le plus vieux des enfants Hussain a fréquenté l’école au Pakistan avant que la famille ne vienne au Canada et aucun exemple illustrant le manque de soins de santé n’a été soumis à l’agente d’immigration.    

 

[19]      Quatrièmement, l’avocat du demandeur soutient que l’agente d’immigration n’a pas pris en considération les lettres des enfants à l’appui de leur demande de résidence permanente. Cet argument est sans fondement. En particulier, à la page 47 du dossier du tribunal, l’agente d’immigration affirme que [traduction] « les enfants ont fait savoir dans leurs lettres écrites en anglais qu’ils aimeraient rester au Canada avec leur sœur née au Canada, qu’ils se sont fait beaucoup d’amis et qu’ils veulent rester avec eux et poursuivre leur éducation au Canada ».   

 

[20]      Cinquièmement, le dossier d’emploi de M. Hussain au Pakistan était bien rempli. L’agente d’immigration avait devant elle un élément de preuve pour soutenir sa conclusion selon laquelle M. Hussain serait en mesure de se réinstaller au Pakistan. En contre‑interrogatoire, l’agente d’immigration a souligné les facteurs sur lesquels elle s’était fondée pour tirer cette conclusion.   

 

[21]     Finalement, je dois mentionner que les demandeurs ont soulevé une question de partialité ou de crainte de partialité parce que la même agente d’immigration a jugé la demande d’ERAR et la demande CH. L’avocat n’a pas soutenu cet argument dans sa plaidoirie devant la Cour et, de toute façon, les demandeurs n’ont produit aucune preuve de partialité institutionnelle.  

 

[22]      En conclusion, je conclus que la décision de l’agente d’immigration est soutenue par la preuve, bien motivée et défendable compte tenu de la preuve, et que ses motifs résistent à un examen assez poussé (voir Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247).      

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée.   

 

« Francois Lemieux »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


                                                       COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-6636-05

 

INTITULÉ :                                                   AFTAB HUSSAIN ET AL.

                                                                        c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 29 MAI 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 8 JUIN 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lucrèce M. Joseph                                           POUR LES DEMANDEURS

 

 

Thi My Dung Tran                                            POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Lucrèce M. Joseph                                           POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

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