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Date : 20060719

Dossier : ITA-11539-04

Référence : 2006 CF 895

Ottawa (Ontario), le 19 juillet 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BARNES

 

ENTRE :

GREGORINA ALESSANDRO

demanderesse

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Le présent différend entre les parties a pour source la contestation de la cotisation pour l’année 1997. L’Agence du revenu du Canada, l’ex-Agence des douanes et du revenu du Canada (l’Agence), demande que Gregorina Alessandro paye des arriérés d’impôt qui s’élèvent à 54 508,48 $. Dans le cadre de sa réclamation, l’Agence a enregistré un certificat de dette fiscale à la Cour en vertu de l’article 223 de la Loi de l’impôt sur le revenu, 1985, ch. 1 (5e suppl.) (la Loi). Elle a aussi enregistré deux Avis de sûreté visant des biens dont Mme Alessandro est propriétaire en Ontario. Ces mesures d’exécution ont été prises en novembre et en décembre 2004. Mme Alessandro concède que, à l’époque, sa dette fiscale était impayée et qu’elle pouvait faire l’objet de mesures d’exécution par l’Agence.

 

[2]               Par la suite, Mme Alessandro a formé un appel devant la Cour canadienne de l'impôt par lequel elle a contesté la réclamation de l’Agence au titre d’arriérés d’impôts. Cet appel a été interjeté  le 30 mars 2005, après que la Cour de l'impôt eut accordé une prolongation du délai d’appel par une ordonnance rendue le même jour. 

 

[3]               Mme Alessandro soutient que, vu la réception ultérieure de son appel par la Cour de l’impôt, l’Agence est tenue de retirer son certificat de dette fiscale de la Cour et les deux sûretés enregistrées grevant ses biens immobiliers. L’Agence a refusé d’accéder à ces demandes et Mme Alessandro demande maintenant à la Cour de rendre une ordonnance portant annulation du certificat et des sûretés. Elle prétend que les restrictions assortissant la procédure d’exécution énoncées dans l’article 225.1 de la Loi sont applicables, ex post facto, afin d’annuler rétrospectivement les mesures d’exécution qui ont été mises en œuvre légalement par l’Agence avant qu’elle interjette appel.

 

[4]               L’Agence concède que, vu l’article 225.1 de la Loi, elle ne peut pas prendre de nouvelles mesures de recouvrement contre Mme Alessandro et elle ne peut en aucune manière réaliser sa sûreté actuelle; cependant, elle affirme que la Loi ne l’oblige pas à revenir sur les mesures d’exécution qu’elle a légalement prises à l’époque. Conséquente avec elle-même, l’Agence a en effet retiré l’avis de saisie-arrêt qui était toujours en vigueur et qui avait été envoyé à la banque de Mme Alessandro; cependant, elle ne lui a rien accordé d’autre. 


La question en litige

La Cour est saisie de la question suivante : l’article 225.1 de la Loi oblige-t-il l’Agence à annuler rétrospectivement tous les actes d’exécution accomplis vu l’appel ultérieurement interjeté de la cotisation devant la Cour canadienne de l’impôt?

 

Analyse

[5]               Dans le cours normal des choses, l’article 225.1 de la Loi empêche, en effet, l’Agence de prendre quelque mesure d’exécution que ce soit contre le contribuable dans les quatre‑vingt-dix jours suivant l’envoi par la poste de l’avis de cotisation. Par la suite, le contribuable concerné peut empêcher l’Agence d’agir en déposant un avis d'opposition ou un avis d’appel à la Cour de l’impôt dans les délais légaux. Dans ces cas, l’article 225.1 de la Loi s’applique toujours. Tant que le contribuable agit dans les délais, l’article 225.1 de la Loi constitue un obstacle infranchissable à l’exécution des arriérés d’impôt jusqu’à la conclusion de l’appel instruit par la Cour de l’impôt. 

 

[6]               La présente affaire est inhabituelle : l’appel interjeté par Mme Alessandro devant la Cour de l’impôt a été formé bien après l’expiration du délai normal de quatre-vingt-dix jours, et pendant ce temps, l’Agence a légalement entamé les procédures d’exécution en déposant un certificat de dette fiscale et en enregistrant ses sûretés. 

 

[7]               Mme Alessandro concède que la Loi n’oblige pas expressément l’Agence à annuler rétrospectivement les mesures de recouvrement déjà prises lorsqu’un appel a été formé ultérieurement; cependant, elle prétend que le refus de l’Agence de retirer le certificat et d’annuler ses sûretés est contraire à l’esprit et à l’objet de cette disposition visant la protection du contribuable.

 

[8]               Le paragraphe 225.1(3) de la Loi est clair : il est interdit au ministre d’effectuer des actes d’exécution contre le contribuable lorsqu’un appel a été interjeté devant la Cour de l’impôt. Cette disposition énumère les actions qui lui sont fermées :

a) entamer une poursuite devant un tribunal;

 

(a) commence legal proceedings in a court,

 

b) attester le montant, conformément à l’article 223;

 

(b) certify the amount under section 223,

 

c) obliger une personne à faire un paiement, conformément au paragraphe 224(1);

 

(c) require a person to make a payment under subsection 224(1),

 

d) obliger une institution ou une personne visée au paragraphe 224(1.1) à faire un paiement, conformément à ce paragraphe;

 

(d) require an institution or a person to make a payment under subsection 224(1.1),

 

e) exiger la retenue du montant par déduction ou compensation, conformément à l’article 224.1;

 

(e) require the retention of the amount by way of deduction or set-off under section 224.1,

 

f) obliger une personne à remettre des fonds, conformément au paragraphe 224.3(1);

 

(f) require a person to turn over moneys under subsection 224.3(1), or

 

g) donner un avis, délivrer un certificat ou donner un ordre, conformément au paragraphe 225(1).

 

(g) give a notice, issue a certificate or make a direction under subsection 225(1).

 

 

[9]               Le fait que la Loi est muette sur le problème qui se pose en l’espèce ne veut pas forcément dire que les agissements de l’Agence ont porté atteinte à l’esprit ou à l’objet sous-jacent de ce régime de protection du contribuable. Si l’intention du législateur avait été d’obliger l’Agence à prendre des mesures afin d’annuler rétrospectivement les mesures d’exécution légalement prises auparavant, il lui aurait été facile de s’exprimer en ce sens. En effet, il y a d’autres dispositions dans la Loi qui obligent expressément l’Agence à faire des remboursements ou à remettre des garanties en cas de contestation de la part d’un contribuable (voir l’article 164).

 

[10]           Il est aussi utile de signaler que Mme Alessandro a déjà beaucoup profité des restrictions au processus d’exécution imposées par ces dispositions. Il est interdit à l’Agence de poursuivre le processus d’exécution relatif aux sommes qui, selon elle, lui sont dues. Le certificat de dette fiscale et les sûretés ne constituent que des garanties passives au profit de l’Agence. Si ces sûretés entravent la capacité de Mme Alessandro d’effectuer ses transactions immobilières, elle a des solutions de rechange ou elle peut négocier d’autres arrangements raisonnables avec l’Agence.

 

[11]           Les faits de l’affaire Topol c. Canada (Minister of National Revenue - M.N.R.) [2003] A.C.F. no 858, 2003 CFPI 658, étaient quelque peu différents de ceux de la présente espèce; cependant, je suis d’avis que la juge Carolyn Layden-Stevenson a correctement exposé la portée de l’article 225.1 de la Loi :

22      De plus, soutient Topol, l’argument selon lequel le bref a été obtenu de façon licite est incompatible avec l’objet de la disposition législative. Citant à nouveau l’article 225.1, il fait valoir que le ministre ne peut prendre de mesures visant à recouvrer les impôts contestés pendant la durée du litige, c’est-à-dire depuis l’établissement de la cotisation jusqu’au dépôt de l’avis d’opposition et l’appel devant la Cour canadienne de l’impôt. Topol ajoute cependant que l’article 225.1 comporte une lacune, parce qu’il ne traite pas de la situation où un contribuable engage la procédure d’opposition ou d’appel en dehors des délais qui y sont prescrits. Il est nécessaire d’interpréter les dispositions législatives de façon libérale de manière à donner effet à leur objet, afin de protéger les contribuables lorsque la procédure d’opposition ou d’appel est engagée en dehors des délais prescrits. De l’avis de Topol, s’il en était autrement, cela signifierait que le contribuable qui est incapable de respecter les délais prescrits pour des raisons indépendantes de sa volonté, qui fait l’objet d’une saisie-arrêt de la part du ministre et qui obtient subséquemment l’autorisation de déposer un avis d’opposition ne pourra obtenir le remboursement des sommes saisies. Ce contribuable aura payé les impôts contestés avant la fin d’une audience impartiale. Étant donné qu’il a été autorisé à déposer un avis d’opposition à l’égard des années d’imposition 1996 et 1998 le 24 septembre 2001, plus de 90 jours après les avis de cotisation concernés, Topol soutient que, si le bref n’est pas annulé, il aura, à toutes fins utiles, payé les impôts contestés avant l’issue d’une audience impartiale. Ce résultat est incompatible avec l’objet de l’article 225.1 et du paragraphe 164(1.1) de la Loi et ne devrait pas être autorisé en l’absence d’une disposition explicite en ce sens dans la Loi.

 

[…]

 

29     Je prends note de l’argument hypothétique de Topol selon lequel le contribuable qui, pour des raisons indépendantes de sa volonté, omet de déposer un avis d’opposition dans les délais prescrits et qui obtient subséquemment l’autorisation de déposer un avis d’opposition pourrait être lésé et perdre l’avantage du paragraphe 164(1.1) si le sens que j’ai donné au mot « garantie » était retenu. Je souligne deux observations à ce sujet. D’abord, aucun élément du dossier n’indique que Topol n’était pas en mesure de déposer ses avis d’opposition en temps opportun pour des raisons indépendantes de sa volonté. En ce sens, il y a lieu de dire qu’il est l’auteur de son propre malheur. En second lieu, s’il existe effectivement une lacune dans le texte législatif, il appartient au Parlement de la combler et non à la Cour. Ni la loi non plus que la disposition en cause n’appuient le sens que Topol veut donner au mot « garantie ». J’en arrive donc à la conclusion que la décision du ministre était non seulement raisonnable, mais bien fondée. Cependant, cela ne signifie pas et ne devrait pas signifier que le ministre peut exécuter le bref pendant que les oppositions relatives aux années d’imposition 1996 et 1998 demeurent en vigueur.

 

 

[12]           En l’espèce, nulle base juridique ne justifie d’imposer à l’Agence de retirer le certificat de dette fiscale déposé à la Cour ou de renoncer à ses sûretés grevant les biens immeubles de Mme Alessandro. 

 

[13]           La présente demande est donc rejetée avec dépens en faveur de la défenderesse pour un montant de 1 250 $ qui comprend les débours.

 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :  La présente demande est rejetée avec dépens en faveur de la défenderesse pour un montant de 1 250 $ qui comprend les débours.

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, LL.B., B.C.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                           ITA-11539-04

 

INTITULÉ :                                          GREGORINA ALESSANDRO

                                                               c.

           SA MAJESTÉ LA REINE

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :                    TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L'AUDIENCE :                  LE 26 JUIN 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 ET ORDONNANCE :                         LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :                         LE 19 JUILLET 2006

 

COMPARUTIONS :                                                            

 

Howard Alpert                                                                         POUR LA DEMANDERESSE

 

                                                                              Kevin Dias POUR LA DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                             

 

Alpert Law Firm

Avocats

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                           POUR  LA DÉFENDERESSE

 

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