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Date : 20060421

Dossier : IMM‑3370‑05

Référence : 2006 CF 506

Ottawa (Ontario), le 21 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

 

ENTRE :

INGRID YULIMA MURCIA ROMERO

(alias Ingrid Yulima Murcia)

IVONNE ANDREA MURCIA ROMERO

(alias Ivonne Andrea Murcia)

 

demanderesses

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]        Mme Ingrid Yulima Murcia Romero et sa fille, Ivonne Andrea Murcia Romero (collectivement appelées les demanderesses), sont des citoyennes de Colombie qui fondent leur demande d’asile sur la crainte des guérilleros révolutionnaires et des forces paramilitaires qui cherchent à s’en prendre à elles à cause des opinions politiques du père de Mme Ingrid Romero. Cette dernière étant mariée à un citoyen des États‑Unis, elle et sa fille détenaient des cartes de résidente permanente aux États‑Unis; ces cartes ont expiré en mars et en décembre 2002, respectivement. Mme Romero n’est pas divorcée de son mari, mais elle ne vit plus avec lui depuis un certain temps. Les demanderesses ont quitté les États‑Unis pour venir au Canada, où elles sont arrivées en juin 2002 et ont demandé l’asile.

 

[2]        Dans une décision datée du 22 avril 2005, un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a décidé que les demanderesses n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger. Les demandes ont été rejetées pour deux motifs :

 

  • les demanderesses n’ont pas réussi à convaincre la Commission qu’elles avaient perdu leur statut aux États‑Unis; en conséquence, elles ne pouvaient pas avoir la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger suivant l’article 98 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), car elles étaient visées à la section E de l’article premier de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention sur les réfugiés);

 

  • en raison de l’absence d’une crainte de persécution ayant un fondement objectif et des doutes qu’elle avait au sujet de la crédibilité, la Commission n’était pas convaincue qu’il existait une possibilité sérieuse que Mme Romero soit persécutée par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (Fuerzas Armadas Revolucionarias de Colombia ou FARC) ou les paramilitaires si elle retournait en Colombie, ou qu’elle serait exposée à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être torturée si elle retournait dans ce pays.

 

Les questions en litige

[3]        Les demanderesses ont soulevé deux questions dans leurs observations initiales :

 

  1. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demanderesses étaient exclues par la section 1E de la Convention sur les réfugiés?

 

  1. La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que Mme Romero n’était pas crédible ou n’avait pas fait la preuve que sa crainte de persécution était fondée?

 

Analyse

[4]        Chacune des deux questions examinées par la Commission permet de trancher la demande des demanderesses en l’espèce. Aussi, même si la Commission a commis une erreur à l’égard de l’une de ces questions, sa décision sera maintenue si elle n’a pas commis une erreur à l’égard de l’autre.

 

Question no 1 : La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les demanderesses étaient exclues par la section 1E de la Convention sur les réfugiés?

[5]        Comme je l’ai mentionné précédemment, la Commission a décidé que les demanderesses étaient exclues en application de la section 1E de la Convention sur les réfugiés et de l’article 98 de la LIPR. Ces dispositions prévoient ce qui suit :

Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés

 

 

United Nations Convention Relating to the Status of Refugees

 

Article 1E. Cette Convention ne sera pas applicable à une personne considérée par les autorités compétentes du pays dans lequel cette personne a établi sa résidence comme ayant les droits et les obligations attachés à la possession de la nationalité de ce pays.

 

 

Article 1E. This Convention shall not apply to a person who is recognized by the competent authorities of the country in which he has taken residence as having the rights and obligations which are attached to the possession of the nationality of that country.

 

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés

 

 

Immigration Refugee Protection Act

 

98. La personne visée aux sections E ou F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés ne peut avoir la qualité de réfugié ni de personne à protéger.

 

 

98. A person referred to in Section E or F of Article 1 of the Refugee Convention is not a Convention Refugee or a person in need of protection.

 

[6]        Je dois d’abord déterminer la norme de contrôle qui s’applique à la décision de la Commission sur la question de l’exclusion. Les demanderesses avaient le statut de résidente permanente, comme le montrent leurs cartes de résidente permanente. On a dit que ces cartes étaient « conditionnelles » parce qu’elles expiraient deux ans après leur délivrance, mais leur durée de validité pouvait être prolongée en vertu de l’article 216 de l’Immigration and Naturalization Act des États‑Unis. Aussi, pour rendre sa décision, la Commission devait notamment analyser et interpréter les dispositions pertinentes de cette loi. À mon avis, cet aspect particulier de la décision de la Commission est une question de droit à laquelle la norme applicable est la décision correcte. Cependant, si l’interprétation donnée par la Commission à cette loi est correcte, ses conclusions concernant la question de savoir si les demanderesses sont visées par l’article 98 de la LIPR seront examinées à la lumière de la décision manifestement déraisonnable (Hassanzadeh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1886, au paragraphe 18 (C.F.); Choezom c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1329, au paragraphe 8).

 

[7]        En l’espèce, la décision de la Commission porte sur le droit des demanderesses d’obtenir de nouveau des cartes de résidente permanente, celles qu’elles détiennent étant expirées.

 

[8]        La jurisprudence récente sur cette question a établi le fardeau de preuve qui incombe à chaque partie lorsqu’il faut décider si la section 1E s’applique (Hassanzadeh, précitée; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Choovak, [2002] A.C.F. no 767 (1re inst.); Shahpari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 429 (1re inst.)). Selon ces décisions, le ministre doit d’abord démontrer que, à première vue, un demandeur peut retourner dans un pays où il jouit des droits des citoyens de ce pays. Le demandeur doit démontrer ensuite pourquoi, ayant laissé son statut de résident permanent expirer, il n’aurait pas pu demander et obtenir une nouvelle carte de résident permanent.

 

[9]        Le défendeur prétend qu’il a démontré que, à première vue, les demanderesses étaient exclues en présentant une preuve relative à la durée du mariage de Mme Romero, à ses visites aux États‑Unis et à l’obtention de son statut de résidente. Je ne suis pas convaincue que la thèse du défendeur soit juste ou raisonnable.

 

[10]      Tout d’abord, j’aimerais traiter des éléments dont la Commission disposait relativement à la disposition pertinente de la législation américaine. L’article 216 de l’Immigration and Naturalization Act a trait de manière générale au [traduction] « statut de résident permanent conditionnel de certains époux, épouses, fils et filles étrangers ». Le sous‑alinéa 216(a)(1) prévoit que, lorsqu’un [traduction] « époux étranger » et ses enfants acquièrent le statut de résident permanent la première fois, ce statut est [traduction] « conditionnel ». C’est ce qui s’est produit dans le cas des demanderesses : elles ont toutes deux obtenu une carte de résidente permanente conditionnelle. Suivant le sous‑alinéa 216(c)(1), pour que le statut de résident permanent ne soit plus conditionnel :

[traduction] il faut que l’époux étranger et l’époux requérant (s’il n’est pas décédé) présentent conjointement au procureur général [dans les 90 jours précédant le deuxième anniversaire de la délivrance de la carte de résident permanent conditionnel] une demande de suppression du caractère conditionnel […] [Non souligné dans l’original.]

 

[11]      À l’audience, Mme Romero a témoigné qu’elle était incapable de retrouver son mari duquel elle était séparée et que celui‑ci n’appuyait plus son statut de résidente, de sorte qu’elle ne pouvait pas renouveler sa carte de résidente. Elle a ajouté qu’un avocat aux États‑Unis lui avait dit qu’elle perdrait son statut. Les témoignages faits sous serment sont présumés véridiques (Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.)).

 

[12]      Il ressort de l’article 216 qu’il est possible de présenter sa demande en retard. Mme Romero aurait cependant dû démontrer [traduction] « les motifs valables et les circonstances particulières qui expliquent pourquoi la demande n’a pas été présentée dans le délai prescrit » (sous‑alinéa 216(2)(B)). Je dispose seulement du libellé de cette disposition car aucune preuve de la pratique ou de la politique du procureur général concernant son application n’a été produite.

 

[13]      À mon avis, la disposition du mari de Mme Romero est déterminante en ce qui concerne la prolongation ou une nouvelle obtention de son statut de résidente permanente. Il me semble en effet que la situation de Mme Romero est très délicate si elle ne dispose pas de la collaboration de son mari. Dans ses motifs, la Commission ne mentionne même pas le fait que le soutien de l’époux est nécessaire à la suppression du caractère conditionnel du statut. Elle a donc mal interprété le droit des États‑Unis régissant cette question ou a omis d’en tenir compte.

 

[14]      Le défendeur s’appuie sur plusieurs décisions pour étayer sa thèse. Il est cependant possible de faire une distinction entre ces décisions et l’affaire dont je suis saisie. Par exemple, dans Hassanzadeh, précitée, les demandeurs prétendaient que leur statut de résident avait expiré. Il s’agit cependant de la seule similitude entre cette affaire et l’espèce. Dans Hassanzadeh, la demanderesse iranienne était séparée de son mari, un citoyen allemand naturalisé d’origine iranienne. L’enfant du couple était un citoyen allemand de naissance. Le « droit absolu à la résidence » de la demanderesse était expiré et l’on se demandait si elle avait renoncé à son statut de résidente par suite de son séjour prolongé à l’extérieur de l’Allemagne. Le reste de la preuve démontrait clairement cependant qu’[traduction] « [a]u cas où Mme Hassanzadeh déciderait de vivre à nouveau en Allemagne, la Loi l’autoriserait à le faire » (au paragraphe 13) et qu’[traduction] « il n’y aurait vraisemblablement aucun problème pour le renouvellement du statut de résidente de la demanderesse en Allemagne, particulièrement en raison de son fils » (au paragraphe 15).

 

[15]      L’affaire Hadissi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 436 (1re inst.), avait trait à une situation similaire à certains égards, mais différente à d’autres. Dans cette affaire, la demanderesse alléguait que son statut de résidente permanente aux États‑Unis était conditionnel et avait été révoqué. Il ressortait cependant de la preuve que la demanderesse avait inventé le caractère conditionnel de son statut. Le juge en chef adjoint Jerome a déclaré au paragraphe 14 :

[I]l ressort du témoignage concluant des deux agents d’immigration américain et canadien que Mme Hadissi a toujours la qualité de résidente permanente. Donc, au contraire de ce qui se passait dans l’affaire Mahdi, il n’y a en l’espèce aucune preuve établissant de façon sérieuse la possibilité que les autorités américaines ne reconnaissent plus son statut de résidente permanente et lui dénient le droit de revenir aux États‑Unis.

 

[16]      Ayant examiné avec soin le dossier et les prétentions des parties, j’arrive à la conclusion que le ministre n’a pas fait la preuve prima facie de ses prétentions et que la décision de la Commission concernant la question de l’exclusion est erronée. Une telle conclusion ne règle pas nécessairement l’affaire. En effet, si la décision de la Commission sur la question de l’« inclusion » est correcte, la décision sera maintenue peu importe les erreurs commises relativement à la question de l’« exclusion ».

 

Question no 2 : La Commission a‑t‑elle commis une erreur en concluant que Mme Romero n’était pas crédible ou n’avait pas fait la preuve que sa crainte de persécution était fondée?

[17]      Les demanderesses contestent trois éléments de la décision de la Commission. Leurs prétentions peuvent être résumées comme suit :

 

·        la Commission a commis une erreur en considérant qu’elle ne disposait d’aucune preuve permettant d’établir un lien entre l’expulsion du père de Mme Romero de sa ferme par les guérilleros des FARC et la persécution qui était peut‑être exercée par les FARC à Bogotá. Elle n’a pas tenu compte des éléments de preuve qui établissaient un lien entre les menaces et le fait que le père était un officier de police à la retraite et un activiste connu pour son franc‑parler. Elle a aussi commis une erreur en jugeant que la preuve était insuffisante pour conclure que les guérilleros des FARC étaient les agents de persécution. Il y avait un lien avec l’expulsion du père de sa ferme par les FARC, les activités communautaires de celui‑ci et la persécution que les FARC exerçaient contre les activistes communautaires et qui était bien connue;

 

  • la Commission a eu tort de tirer une conclusion défavorable concernant la crédibilité de l’identification, par Mme Romero, des personnes ayant effectué les appels de menaces et des agents de persécution. Mme Romero a dit qu’elle n’était pas tout à fait certaine de l’identité des personnes qui la persécutaient, mais qu’elle pouvait déduire leur identité des liens suffisants qui existaient avec les activités de son père. La Commission a aussi commis une erreur en considérant que Mme Romero avait identifié les paramilitaires comme étant les agents de persécution. Selon elle, Mme Romero l’avait fait pour établir un lien entre sa demande et les atrocités commises par ces paramilitaires (le meurtre de 60 activistes communautaires en 2001, dont faisait état un article de journal). Mme Romero n’avait trouvé que récemment l’article traitant des activités des paramilitaires, mais il y avait d’autres raisons qui pouvaient objectivement permettre à la demanderesse et à la Commission de conclure que les paramilitaires étaient les agents de persécution, notamment le fait que ceux‑ci étaient actifs au sein de la collectivité où vivait le père de la demanderesse et le fait que ce dernier était un activiste communautaire;

 

  • il était déraisonnable que la Commission s’appuie sur la preuve selon laquelle il n’avait été fait aucun mal aux membres de la famille des demanderesses. La demanderesse adulte a déclaré dans son témoignage que ses frères et sœurs ne vivaient pas avec son père, que toute la famille déménageait régulièrement et que son père était armé et en mesure de se protéger. La Commission a commis une erreur en interprétant la preuve comme si les agents de persécution menaçaient toute la famille de la demanderesse, alors qu’il était évident que seules Mme Romero et sa fille étaient visées par les menaces, lesquelles avaient pour but d’exercer une pression sur son père.

 

[18]      Les conclusions défavorables relatives à la crédibilité et la conclusion selon laquelle il n’a pas été établi que la crainte de persécution est fondée sont des questions de fait. C’est donc la décision manifestement déraisonnable qui s’y applique comme norme de contrôle. Aussi, la Cour doit faire montre de déférence à l’égard de l’expertise de la Commission et intervenir seulement si celle‑ci a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait.

 

[19]      À mon avis, les demanderesses contestent simplement la manière dont la Commission a interprété et apprécié la preuve relative aux deux aspects de la question. Les demanderesses ont proposé d’autres explications et d’autres interprétations de la preuve devant la Commission. Or, lorsque la norme de contrôle applicable est, comme en l’espèce, la décision manifestement déraisonnable, il ne suffit pas de présenter un autre raisonnement. Il faut que les demanderesses démontrent que la conclusion de la Commission n’est pas du tout étayée par la preuve (Sinan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2004] A.C.F. no 188, au paragraphe 11 (C.F.)). Les demanderesses n’ont pas établi que les conclusions de la Commission étaient manifestement déraisonnables ou n’étaient pas étayées par la preuve.

 

[20]      En particulier, il n’était pas déraisonnable que la Commission prenne note du fait qu’aucun membre de la famille, y compris les demanderesses, n’avait jamais été attaqué par les FARC ou les paramilitaires. Il s’agit d’un élément de preuve pertinent lorsqu’on évalue la validité d’une menace. Par ailleurs, je ne suis pas d’accord avec les demanderesses lorsqu’elles disent que la preuve qu’elles ont présentée porte seulement sur les menaces qui ont été proférées contre elles et non sur des menaces contre d’autres membres de leur famille. Il était raisonnable que la Commission évalue les menaces comme si celles‑ci avaient été proférées contre l’ensemble de la famille de la demanderesse étant donné que la cible principale des prétendus agents de persécution était le père. La Commission s’est aussi fondée sur la brève période de temps pendant laquelle les menaces ont été proférées, soit d’octobre à décembre 2001, pour conclure que les agents de persécution ne s’intéressaient plus à la famille des demanderesses. De plus, elle a mentionné des éléments de preuve qui étayaient sa conclusion, fondée sur le perfectionnement et l’efficacité des activités terroristes des FARC.

 

[21]      En résumé, les conclusions de la Commission étaient raisonnables et étayées par la preuve, et les motifs de sa décision étaient pertinents. La Commission n’a pas commis d’erreur relativement à cette question.

 

Une question additionnelle

[22]      Dans leur mémoire des arguments complémentaire déposé après que la Cour a rendu sa décision dans Thamotharem c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 16, les demanderesses ont soulevé une troisième question : la Commission a‑t‑elle commis une erreur en appliquant les Directives no 7 du président de la CISR, lesquelles, selon Thamotharem, précitée, entravent le pouvoir discrétionnaire des commissaires? Les demanderesses reconnaissent qu’elles n’ont pas soulevé la question des Directives no 7 à l’audience devant la Commission. Elles admettent également que cette audience ne semble pas avoir été menée de manière inéquitable.

 

[23]      À la suite de Thamotharem, précitée, un certain nombre de dossiers de la Cour, dont le dossier IMM‑9766‑04 constituait le dossier principal, ont été joints pour être entendus ensemble et pour que la Cour se prononce sur les Directives no 7 (ordonnance datée du 20 février 2006). L’audience a eu lieu devant le juge Mosley les 7 et 8 mars 2006 (l’audience commune). La question soulevée par les faits en l’espèce consiste à déterminer si, en ne s’opposant pas à l’utilisation des Directives no 7 à l’audience, les demanderesses ont renoncé à leur droit de soumettre cette question à la Cour lors du contrôle judiciaire. La Cour n’a pas examiné cette question dans Thamotharem, mais elle en était saisie lors de l’audience commune, de sorte que les parties ont accepté d’être liées par la décision du juge Mosley, y compris en ce qui concerne la certification possible d’une question.

 

[24]      Le juge Mosley a fait connaître sa décision le 10 avril 2006 (Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461). Il a rejeté toutes les demandes de contrôle judiciaire reposant sur l’objection à l’application des Directives no 7. La conclusion suivante, qui figure au paragraphe 237 de sa décision, est particulièrement pertinente en l’espèce :

Le principe de common law relatif à la renonciation exige qu’un demandeur soulève une allégation de partialité ou un manquement à la justice naturelle devant le tribunal à la première occasion raisonnable. Si les avocats sont d’avis que l’application des Directives no 7 dans un cas particulier entraînerait pour leurs clients un déni du droit à une audience équitable, la première occasion de soulever une objection et de demander une exception à l’ordre normalisé des interrogatoires se présentera avant chaque audience mise au rôle conformément aux Règles 43 et 44, ou de vive voix au cours de l’audience. Le fait de ne pas formuler d’objection au cours de l’audience doit être considéré comme une renonciation implicite à toute crainte d’iniquité résultant de l’application des Directives elles‑mêmes.

 

[25]      Sur ce point, je fais miens le raisonnement et la conclusion du juge Mosley. Le fait que les demanderesses n’ont pas soulevé la question des Directives no 7 à l’audience devant la Commission doit être considéré comme une renonciation implicite à toute allégation d’une crainte d’iniquité résultant de l’application de ces directives.

 

Conclusion

[26]      J’estime que la conclusion de la Commission concernant l’« exclusion » fondée sur la section 1E de la Convention sur les réfugiés est erronée, mais non sa décision relative à l’« inclusion ». En ce qui concerne l’applicabilité des conclusions tirées par la Cour dans Thamotharem, précitée, je suis d’avis que la Commission n’a pas commis d’erreur en appliquant les Directives no 7.

 

[27]      Ni l’une ni l’autre partie ne m’a demandé de certifier une question concernant l’une ou l’autre des deux premières questions en litige. Des questions ont été certifiées dans Thamotharem, précitée, et lors de l’audience commune. Ces questions sont tout à fait pertinentes en l’espèce et seront certifiées dans le cadre du présent contrôle judiciaire. J’adopte donc les questions certifiées par le juge Mosley dans Benitez, précitée, et je les certifie en l’espèce.

 

ORDONNANCE

 

            la cour ordonne que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée et que les questions suivantes soient certifiées car il s’agit de questions graves de portée générale :

 

1.    Les Directives no 7, prises en vertu du pouvoir du président de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, contreviennent‑elles aux principes de justice fondamentale consacrés par l’article 7 de la Charte des droits et libertés en limitant indûment le droit d’un demandeur d’asile d’être entendu et son droit à un procureur?

 

2.    L’application des paragraphes 19 et 23 des Directives no 7 prises par le président contrevient‑elle aux principes de justice naturelle?

 

3.    L’application des Directives no 7 constitue‑t‑elle une entrave à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés?

 

4.    Une conclusion selon laquelle les Directives no 7 entravent l’exercice du pouvoir discrétionnaire des commissaires de la Section de la protection des réfugiés signifie‑t‑elle nécessairement que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie, sans qu’il soit tenu compte du fait que l’équité procédurale a autrement été assurée au demandeur dans ce cas particulier ou qu’il y a un autre fondement permettant de rejeter la revendication?

 

5.    Le rôle des commissaires de la Section de la protection des réfugiés au cours de l’interrogatoire des demandeurs d’asile, tel que prévu par les Directives no 7, donne‑t‑il lieu à une crainte raisonnable de partialité?

 

6.    Les Directives no 7 sont‑elles illégales parce qu’elles sont ultra vires du pouvoir du président de donner des directives en vertu de l’alinéa 159(1)h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés?

 

7.    Quand un demandeur doit‑il soulever une objection à l’application des Directives no 7 pour être en mesure de la plaider dans le cadre d’un contrôle judiciaire?

 

 

 

« Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                        IMM‑3370‑05

 

 

INTITULÉ :                                                       INGRID YULIMA MURCIA ROMERO

                                                                            ET AL.

                                                                            c.

                                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                               LE 6 MARS 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :                                     LE 21 AVRIL 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Loebach                                                 POUR LES DEMANDERESSES

 

Robert Bafaro                                                      POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Loebach                                                 POUR LES DEMANDERESSES

Avocat

London (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

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