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     Date : 19980417

     Dossier : IMM-2357-97


Ottawa (Ontario), le 17 avril 1998

En présence de M. le juge Pinard

Entre :

     SITHA SIVAGNANAM,

     GANDEEPAN SIVAGNANAM,

     PARDIPAN SIVAGNANAM,


     demandeurs,

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     O R D O N N A N C E

     La demande de contrôle judiciaire concernant la décision de la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en date du 7 mai 1997, dans laquelle elle a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la convention, est rejetée.

                             YVON PINARD

                     ___________________________________         

                         JUGE

Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, LL. L.





     Date : 19980417

     Dossier : IMM-2357-97


Entre :

     SITHA SIVAGNANAM,

     GANDEEPAN SIVAGNANAM,

     PARDIPAN SIVAGNANAM,


     demandeurs,

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE PINARD


[1]      Les demandeurs, Sitha Sivagnanam et ses deux fils mineurs Gandeepan Sivagnanam et Pardipan Sivagnanam, demandent le contrôle judiciaire d'une décision de la section du statut de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié au sens de la Convention (la Commission) en date du 7 mai 1997, dans laquelle Frederick G. Clark a conclu qu'ils n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention, selon la définition donnée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration. Le membre de la Commission a déterminé qu'il n'y avait pas de risque raisonnable que les demandeurs soient persécutés s'ils étaient forcés de retourner au Sri Lanka.

[2]      Il a conclu qu'il ne pouvait se fier à la preuve des demandeurs, et que [TRADUCTION] " d'après la prépondérance des probabilités, les demandeurs ne se trouvaient probablement même pas au Sri Lanka lors des événements qui se seraient produits après novembre 1987 et au sujet desquels la demanderesse principale et son fils aîné ont témoigné ". Le membre de la Commission s'est appuyé sur des communications électroniques qui lui ont été fournies par Immigration Canada et qui indiquent que les autorités allemandes ont un dossier attestant que le sujet est entré en Allemagne le 5 novembre 1987, qu'elle y a réclamé le statut de réfugié qui lui a été refusé le 24 mai 1990. Une note de service d'Immigration Canada laisse même supposer que son plus jeune fils serait né en Allemagne, étant donné que sa date de naissance se situe pendant la période au cours de laquelle la demanderesse se trouvait en Allemagne.

[3]      Il n'a pas accepté l'hypothèse de la demanderesse selon laquelle il doit s'agir d'une autre personne portant le même nom, ni le fait que les dates de naissance diffèrent (le 3 mars 1950 d'après les dossiers allemands et le 6 juin 19501 d'après la carte d'identité de la demanderesse), que l'orthographe du nom diffère (Seetha et Sitha), et que les dossiers allemands ne font aucune référence aux enfants. Il a jugé qu'il ne s'agissait pas de différences importantes, que celles-ci pouvaient être le fait d'erreurs administratives, d'erreurs de traduction, d'une transcription phonétique approximative et ainsi de suite. Pour ce qui a trait au fait que les enfants ne sont pas mentionnés, il a fait observer que cela venait probablement de ce que la réponse de l'Allemagne ne concernait que la demanderesse principale. Il a ajouté que d'autres recherches effectuées au moyen d'une demande de renseignements supplémentaires adressée aux autorités allemandes n'avait rien donné dans les deux mois qui ont suivi.

[4]      Compte tenu de ce qui précède, il a cru que le plus jeune des demandeurs était probablement né en Allemagne, mais comme il n'avait pas de preuve probante attestant que l'enfant est citoyen de ce pays, le membre de la Commission a supposé que tous les demandeurs avaient le droit de retourner au Sri Lanka.

[5]      Le membre de la Commission a concédé que les Tamouls sont généralement arrêtés et détenus pour des contrôles de sécurité ; toutefois il a noté que les détenus sont habituellement de jeunes hommes venant des territoires contrôlés par les LTTE qui ont de la difficulté à établir leur identité. En outre, 90 pour cent des personnes arrêtées et détenues par la police sont libérés dans les 48 heures. De plus, la demanderesse et ses fils n'éprouveraient probablement aucun problème, étant donné qu'elle a une carte d'identité nationale. Qui plus est, les autorités chargées de la sécurité au Sri Lanka ne les soupçonneraient vraisemblablement pas d'être associés au LTTE étant donné qu'ils ont été en dehors du pays pendant de nombreuses années.

[6]      Quant à savoir s'il est raisonnable de penser que les demandeurs puissent s'établir au Sri Lanka, son raisonnement est le suivant :

         [TRADUCTION]
         [...] Le Sri Lanka est un pays où les Tamouls éprouvent de nombreux problèmes, mais ils représentent une minorité importante de la population et les cas d'abus sont isolés et non systématiques [renvoi omis]. La preuve n'a pas établi qu'il serait déraisonnable pour les demandeurs de s'établir au sein de la population tamoule de Colombo parmi des gens qui parlent leur propre langue et qui ont les mêmes antécédents ethniques. Un examen minutieux de la preuve documentaire volumineuse au sujet des conditions dans lesquelles vivent les Tamouls dans cette ville permet de croire qu'ils pourraient s'y établir sans qu'il existe plus qu'une simple possibilité de persécution.

[7]      Les demandeurs prétendent que le membre de la Commission avait accepté au cours de l'audience que les renseignements contenus dans le message des autorités allemandes reçu par courrier électronique (le " document allemand ") étaient insuffisants, et que c'est la raison pour laquelle il a rempli une demande de renseignements supplémentaires. Les demandeurs soulignent que le membre de la Commission a fait les observations suivantes, qui se trouvent à la page 26 de la transcription, au cours de l'audience :

         [TRADUCTION]
         [...] Si des recherches permettent d'obtenir des renseignements qui pourraient prouver ou suggérer que vous devriez avoir la possibilité de fournir d'autres renseignements, Monsieur, cette possibilité vous sera donnée.
             Toutefois, si ces recherches ne donnent rien de plus que ce que nous avons à l'heure actuelle, il est certain que la déclaration contenue dans M-1 ne fait rien de plus que de semer le doute, comme je l'ai déjà dit, et la demanderesse a fait serment de dire la vérité, comme vous l'avez si bien fait remarquer précédemment.

Et de nouveau à la page 29 :


         [TRADUCTION]
             Donc, pour aujourd'hui, Mme Sivagnanam, nous avons à toutes fins pratiques terminé l'audition de votre cas, aucune autre question ne vous sera posée. M. McCuaig a reçu instruction, comme vous venez de l'entendre, de demander d'autres renseignements à l'Allemagne, ce qui, à mon avis, est nécessaire à cause des renseignements dont nous sommes saisis qui, pour être tout à fait équitable, ne sont pas très clairs. Vous m'avez entendu utiliser l'expression " semer le doute" au sujet de votre témoignage.
             Toutefois, je veux que vous compreniez que je suis tout à fait conscient, comme votre avocat l'a souligné, que vous vous êtes engagée sous serment à dire la vérité aujourd'hui, tout comme votre fils. Et nous sommes conscients de ce fait au moment où nous présentons cette demande.

[8]      Étant donné qu'aucun autre élément de preuve n'a été reçu avant que la Commission prenne sa décision, les demandeurs soutiennent qu'elle a manqué aux principes de justice fondamentale en fondant sa décision sur une preuve qu'elle avait déjà jugée " peu claire " et " insuffisante ".

[9]      À mon avis, les observations que la Cour d'appel a formulées dans Shairp c. M.R.N., [1989] 1 C.F. 562, aux pages 566 et 567, s'appliquent à l'espèce :

             Je préférerais aborder la question de savoir si le juge pouvait revenir dans le courant de l'après-midi sur la conclusion qu'il avait annoncée le matin en me fondant sur les propositions suivantes. Premièrement, il s'agit exclusivement d'une question de compétence. Deuxièmement, la seule raison possible pour laquelle le juge aurait pu n'avoir pas la compétence de modifier sa conclusion est que sa déclaration du matin l'avait dessaisi de l'affaire, de sorte que désormais ses liens avec celle-ci se limitaient à la correction des erreurs fortuites. Troisièmement, la déclaration faite le matin n'aurait pu dessaisir le juge que si, comme telle, elle avait eu pour effet de décider l'appel de façon finale.
             Si je crois que le juge de la Cour pouvait agir comme il l'a fait, c'est que je ne vois pas comment la déclaration qu'il a faite le matin pouvait être considérée comme ayant décidé de l'appel dont il était saisi. À mon avis, en l'absence de dispositions expresses lui permettant de rendre jugement oralement à l'audience publique, telle la Règle 337(1) des règles générales de cette Cour [renvoi omis], un juge d'une cour d'archives ne peut statuer de façon finale, au nom de la Cour, sur une affaire dont il est saisi qu'en déposant et en inscrivant une décision écrite. Il n'existe aucune disposition semblable à la disposition susmentionnée dans les règles de pratique de la Cour canadienne de l'impôt, et je doute même qu'une telle disposition pourrait être conforme à l'article 17 de sa loi habilitante cité plus haut, lequel, en envisageant seulement la possibilité de motifs oraux, semble exclure, en tout état de cause, les jugements oraux. Il s'ensuit, à mon sens, que tant que le jugement n'a pas été déposé, la déclaration d'un juge, même faite à l'audience publique et en présence du greffier, est simplement l'expression d'une opinion et une déclaration d'intention, qui n'ont en droit aucun effet décisif et restent par conséquent susceptibles d'être modifiées. On s'attendrait certainement à ce qu'un juge qui décide, à la fin d'une audience, de faire connaître publiquement son opinion motivée et de révéler la façon dont il entend statuer sur l'affaire dont il est saisi, ne rendra plus tard des motifs contraires et un jugement complètement différent que dans des circonstances extraordinaires. Mais sa compétence à agir de la sorte me semblerait entière s'il continuait d'être saisi de l'affaire, comme c'est évidemment le cas.

                     [Non souligné dans l'original]


[10]      Je suis d'avis qu'en l'espèce le membre de la Commission n'a rien fait de plus qu'exprimer une opinion, et qu'il avait le droit de changer d'avis après avoir examiné entièrement la preuve. En outre, le membre de la Commission n'a pas exprimé une intention claire, étant donné qu'il a fait plus d'une fois remarquer que le document allemand " semait le doute " quant à la crédibilité de la demanderesse principale.

[11]      À mon avis, les demandeurs ne peuvent s'appuyer sur l'arrêt de la Cour d'appel dans Velauthar c. Canada (M.E.I.) (1992), 141 N.R. 239, qui affirme le principe selon lequel il y a violation de la justice naturelle dans les cas où on refuse aux demandeurs la possibilité d'être informés de la preuve réunie contre eux et d'y répondre. En l'espèce, l'avocat des demandeurs a reçu une copie du document allemand avant l'audience et a eu toute la possibilité de présenter des observations à l'égard de cette preuve à l'audience, ce qu'il a d'ailleurs fait. Les demandeurs ont donc été informés de la preuve réunie contre eux et ils ont eu la possibilité d'y répondre, et le membre de la Commission n'a pas violé les principes de justice naturelle quand il a changé d'idée après que la totalité de la preuve et des témoignages eurent été présentés.

[12]      Je ne peux pas non plus accepter que la conclusion du membre de la Commission selon laquelle la personne identifiée dans le document allemand et la demanderesse principale sont une seule et même personne devrait être modifiée, étant donné qu'elle ne me semble pas une conclusion tout à fait déraisonnable. Il faut se rappeler que la norme de contrôle relativement à la crédibilité est rigoureuse, même lorsque la question de la crédibilité apparaît à la " face même du dossier ", comme l'a indiqué la Cour d'appel dans l'arrêt Aguebor c. Canada (M.C.I.) , (1993), 160 N.R. 315, à la page 316 :

             Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent ? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ces conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la cour n'a fait que constaté que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce, ne s'est pas déchargé de ce fardeau.

[13]      Pour ce qui a trait à la prétention de la demanderesse principale selon laquelle le membre de la Commission n'avait pas d'éléments de preuve sur lesquels il pouvait appuyer sa conclusion que son plus jeune fils avait le droit de retourner au Sri Lanka, j'accepte l'argument du défendeur selon lequel la demanderesse principale ne peut pas à la fois prétendre que son fils n'est pas né en Allemagne (donc qu'il est de nationalité sri-lankaise) et qu'il ne peut pas retourner au Sri Lanka (parce qu'il n'a pas la citoyenneté sri-lankaise).

[14]      Quant au fait que le membre de la Commission s'est appuyé sur la preuve documentaire pour conclure que les demandeurs pouvaient retourner au Sri Lanka [TRADUCTION] " sans qu'il existe plus qu'une simple possibilité de persécution ", on a souvent dit que la Commission a le droit de préférer la preuve documentaire (voir : Canada (M.E.I.) c. Zhou (18 juillet 1994), A-492-91; Victorov c. Canada (M.C.I.) (14 juin 1995), IMM-5170-94; et Andrade et al. c. Canada (M.C.I.) (5 mai 1997), IMM-2361-96). En l'espèce, il était loisible au membre de la Commission de conclure que les demandeurs ne risquaient pas d'être persécutés, puisque les autorités sri-lankaises ne les soupçonneraient pas d'être membres des LTTE, étant donné qu'ils ont été absents du pays pendant plus de dix ans.

[15]      De plus, le membre de la Commission n'a pas jugé les demandeurs dignes de foi, étant donné qu'il a conclu qu'ils avaient déjà quitté le Sri Lanka en novembre 1987. Par conséquent, le membre de la Commission n'était saisi d'aucun élément de preuve digne de foi permettant d'établir des circonstances personnelles attestant les persécutions passées ou de laisser supposer qu'il y a un risque de persécution pour l'avenir.

[16]      Par les motifs précités, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. L'affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.

                             YVON PINARD

                     ___________________________________         

                         JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

le 17 avril 1998


Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau, LL. L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :              IMM-2357-97


INTITULÉ DE LA CAUSE :      SITHA SIVAGNANAM ET AL c. M.C.I.


LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)


DATE DE L'AUDIENCE :      le 8 avril 1998


MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE PINARD


DATE :                  le 17 avril 1998



ONT COMPARU :


Michael F. Battista                      POUR LES DEMANDEURS


Neeta Logsetty                      POUR LE DÉFENDEUR



PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :


Wiseman & Associates

Toronto (Ontario)                      POUR LES DEMANDEURS


George Thomson

Sous-procureur général du Canada              POUR LE DÉFENDEUR

__________________

1      En fait, la carte d'identité de la demanderesse et la traduction, de même que son FRP (dossier certifié, page 14), indiquent qu'elle est née le 3 juin 1950 (dossier certifié, pages 71 et 72).

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