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                                                                                                                                     IMM-2153-96

 

E n t r e :

 

                                                           SEWNARINE JOHN,

                                                                                                                                            requérant,

 

                                                                             et

 

                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                                                 intimé.

 

 

 

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

LE JUGE SUPPLÉANT HEALD

 

GENÈSE DE L'INSTANCE

 

            La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l'agent des visas Kenneth Hosely de l'ambassade du Canada à Guatemala (l'agent des visas) a, le 15 avril 1996, rejeté la demande parrainée présentée par le requérant en vue d'obtenir la résidence permanente. Le requérant a été apprécié comme machiniste général (52 points) et comme tourneur (35 points). Comme il faut obtenir 70 points pour pouvoir obtenir la résidence permanente au Canada, la demande du requérant a été rejetée.


LA DÉCISION DE L'AGENT DES VISAS

 

            Pour ce qui est de l'appréciation du requérant en fonction du métier de machiniste général, l'appréciation suggérée par l'avocat du requérant a été acceptée en grande partie. Toutefois, le requérant a obtenu quatre points, au lieu des six points suggérés au chapitre de l'expérience (troisième facteur). De plus, le requérant n'a recueilli aucun point pour les études (premier facteur), alors que son avocat suggérait qu'on lui en accorde dix. Par suite de ces deux modifications, le requérant s'est retrouvé avec un nombre de points d'appréciation insuffisant. Pour ce qui est du métier de tourneur, l'agent des visas a attribué 35 points d'appréciation. Il en a conclu que le requérant était une personne non admissible au sens du paragraphe 19(2) de la Loi et il a rejeté sa demande de visa d'immigrant. Il a par ailleurs conclu qu'il n'existait pas de motifs suffisants pour justifier une dispense pour des raisons d'ordre humanitaire.

 

LES FAITS

 

            En ce qui concerne la demande en tant que machiniste général, l'agent des visas a transmis pour évaluation au haut-commissariat canadien à Trinidad les certificats d'études soumis par le requérant. Il a reçu du haut‑commissariat des renseignements généraux sur les équivalences de scolarité avant de rendre sa décision défavorable au sujet de la demande du requérant.

 

QUESTIONS EN LITIGE

            Le requérant soulève trois points litigieux :

1.L'agent des visas a-t-il apprécié correctement les années de scolarité du requérant?

 

2.L'agent des visas a-t-il entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en imposant une norme d'équivalence de scolarité fixée par le haut-commissariat du Canada à Trinidad?

 

3.Le requérant s'est-il vu refuser l'équité procédurale, étant donné qu'on ne lui a pas permis de répondre aux préoccupations soulevées par l'agent des visas au sujet de ses années de scolarité?

 

ANALYSE

            À mon avis, l'agent des visas a commis une erreur justifiant le contrôle judiciaire de sa décision. Il a examiné les certificats d'études fournis. Il a ensuite prétendu appliquer les dispositions de l'alinéa 1a) du premier facteur que l'on trouve à l'annexe I du Règlement sur l'immigration de 1978. Cette disposition est ainsi libellée : « [...] des points d'appréciation sont attribués selon le barème suivant : a) lorsqu'un diplôme d'études secondaires n'a pas été obtenu, aucun point; ». À mon avis, l'agent des visas a entravé l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en laissant au haut-commissariat à Trinidad le soin de déterminer l'importance à accorder à des certificats d'études de Trinidad. Bien qu'il puisse incontestablement consulter des collègues compétents et informés à ce sujet, l'agent des visas était tenu, en raison de l'équité procédurale, d'accorder au requérant la possibilité de réfuter l'appréciation faite sur le fondement des conseils que l'agent des visas avait reçus de ses collègues. À tout le moins, l'agent des visas aurait dû accorder au requérant la possibilité de présenter des observations écrites sur la question avant de rendre sa décision. Le requérant cite la décision Yhap[1] à l'appui de son argument que le fait de s'en remettre à l'avis des fonctionnaires de l'immigration de Trinidad équivaut à une entrave à l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont l'agent des visas est investi. L'arrêt Muliadi de la Cour d'appel fédérale constitue un précédent encore plus convaincant[2]. Dans cette affaire, l'agent des visas avait, au commencement de son entretien avec le requérant, informé celui-ci que sa demande avait été rejetée parce que le gouvernement de l'Ontario avait évalué négativement sa proposition d'affaires. La Cour a statué que l'agent des visas était tenu d'informer le requérant de l'évaluation négative et de lui donner une possibilité raisonnable de faire valoir son point de vue devant l'agent des visas avant que celui-ci ne rende sa décision. Toujours dans cette affaire, la Cour a statué que le cadre légal ne donnait pas droit au requérant à une audition complète. Toutefois, l'obligation imposée à l'agent des visas d'agir avec équité l'obligeait à accorder au requérant la possibilité de répondre à l'évaluation négative avant qu'on y donne suite à son détriment. Dans l'arrêt Muliadi, la Cour a également jugé que la délégation du pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas aux autorités ontariennes constituait une erreur donnant ouverture à un contrôle judiciaire. À mon avis, la présente situation est très semblable à celle de l'affaire Muliadi. De plus, l'arrêt Shah c. M.E.I. de la Cour d'appel fédérale appuie la thèse du requérant. Dans l'arrêt Shah, le juge Hugessen a déclaré :

 

 

Il est bien établi que la teneur de l'obligation d'agir équitablement varie selon les circonstances. En l'espèce, nous sommes tous d'avis que la teneur de cette obligation était minimale. La décision visée (dont la contestation a été rejetée par le jugement dont appel) a été rendue par une agente d'immigration chargée de faire une recommandation au gouverneur en conseil quant à l'exercice du pouvoir discrétionnaire de ce dernier d'accorder au requérant une dispense de l'application du paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration pour des raisons d'ordre humanitaire. C'est le paragraphe 114(2) de la Loi qui lui confère le pouvoir d'accorder une dispense de cette nature. Cette décision relève entièrement de son jugement et de son pouvoir discrétionnaire et la Loi ne confère aucun droit au requérant en ce qui a trait au dispositif de cette décision. Il s'agit donc d'une décision différente de bien d'autres, par exemple, de celle d'un agent des visas saisi d'une demande parrainée du droit d'établissement, qui est tenu d'appliquer certains critères qui sont établis par la Loi et qui confèrent certains droits au requérant qui y satisfait.

 

En l'espèce, le requérant ne doit pas répondre à des allégations dont il faut lui donner avis; c'est plutôt à lui de convaincre la personne investie d'un pouvoir discrétionnaire qu'il doit recevoir un traitement exceptionnel et obtenir une dispense de l'application de la Loi. La tenue d'une audition et l'énoncé des motifs de la décision ne sont pas obligatoires. L'agente n'a pas l'obligation d'exposer au requérant les conclusions éventuelles qu'elle est susceptible de tirer des éléments dont elle dispose, ni même les éléments en apparence contradictoires qui sèment le doute dans son esprit. Si elle entend se fonder sur des éléments de preuve extrinsèques qui ne lui sont pas fournis par le requérant, elle doit bien sûr lui donner l'occasion d'y répondre.

(Non souligné dans l'original.)

 

            Comme le requérant n'a pas eu l'occasion de répondre aux éléments de preuve extrinsèques sur lesquels l'agent des visas s'est fondée, il s'ensuit, à mon avis, que la décision de l'agent des visas ne peut être confirmée.

 

CERTIFICATION

            L'avocate de l'intimé demande à la Cour de certifier l'existence de deux questions graves de portée générale en vertu des dispositions de l'article 83 de la Loi sur l'immigration. Voici ces deux questions :

 

1.L'obligation d'agir avec équité oblige-t-elle l'agent des visas qui rend la décision relative aux certificats d'études soumis par le requérant (dans les cas où l'agent a obtenu l'aide d'un autre agent des visas) à informer le requérant qu'il a obtenu les renseignements en question et à donner au requérant l'occasion de répondre à ces renseignements avant que l'agent des visas ne rende sa décision sur le fondement de ces renseignements?

 

2.Dans le contexte de la détermination de l'obligation de l'agent des visas d'agir avec équité envers la personne qui demande un visa, peut-on à bon droit considérer comme des éléments de preuve extrinsèques les renseignements concernant l'évaluation de certificats d'études qui sont fournis par d'autres ambassades canadiennes possédant des connaissances spécialisées dans ce type d'évaluation?

 

            À mon avis, ni l'une ni l'autre de ces questions ne soulève de question grave de portée générale. Les questions centrales sont, comme nous l'avons déjà mentionné, celles qui ont trait à l'entrave à l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'agent des visas.

 

            En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de l'agent des visas est annulée et l'affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour qu'il procède à une nouvelle audition et qu'il rende une nouvelle décision.

 

                                                                                                                            « Darrel V. Heald »             

Juge suppléant

 

 

 

Toronto (Ontario)

Le 17 janvier 1997

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                                                                                                                                                 

 

    François Blais, LL.L.


                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                           AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

No DU GREFFE :IMM-2153-96

 

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :SEWNARINE JOHN

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :15 JANVIER 1997

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :TORONTO (ONTARIO)

 

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge suppléant Heald le 17 janvier 1997

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

Me Irvin H. Sherman, c.r.pour le requérant

 

 

Me Bridget O'Learypour l'intimé

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Rekai & Johnson

Avocats et procureurs

130, rue Bloor Ouest, bureau 604

Toronto (Ontario)

M5S 1N5pour le requérant

 

 

Ministère de la Justice

2, First Canadian Place

Bureau 3400, Exhange Tower, C.P. 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6

 

 

George Thomson

Sous-procureur général

  du Canadapour l'intimé


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

 

 

 

 

No du greffe : IMM-2153-96

 

 

 

E n t r e :

 

 

SEWNARINE JOHN,

 

                                                                                                                                            requérant,

 

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION,

 

                                                                                                                                                 intimé.

 

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE



    [1](1989), 9 Imm. L.R. (2d) 243.

    [2][1986] 2 C.F. 205.

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