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Date: 20000512


Dossier : IMM-2810-99

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2000

EN PRÉSENCE DE :      MONSIEUR LE JUGE DENAULT

ENTRE :


BILLAL HOSSAIN


demandeur


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur



ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire est accueillie; la décision que la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rendue le 17 mai 1999 est annulée et l'affaire est déférée à une formation différente pour examen.

                     PIERRE DENAULT

                 __________________________

                     JUGE

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.




Date: 20000512


Dossier : IMM-2810-99


ENTRE :



BILLAL HOSSAIN


demandeur


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DENAULT


[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, le 5 mai 1999, que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention.

Les faits

[2]      Le demandeur, qui a trente-trois (33) ans, est citoyen du Bangladesh. Au mois de décembre 1989, il a adhéré au parti Jatiya (le JP) à Damodya. En 1990, deux amis et lui ont été attaqués par des partisans du Parti nationaliste du Bangladesh (le BNP).

[3]      Au mois de janvier 1991, le demandeur a participé aux élections parlementaires. Le 13 juin 1991, il a été blessé au cours d'une manifestation qui avait eu lieu à la suite de l'arrestation du général Ershad. Au mois de janvier 1992, le demandeur a été élu au Groupe de la direction du JP. Il a par la suite été attaqué par des partisans de la Ligue Awami (l'AL) et du BNP.

[4]      Au mois de mai 1994, le demandeur est devenu secrétaire responsable de la publicité de son unité politique. Au mois d'août 1994, il a été arrêté avec d'autres membres exécutifs du JP et il a été grièvement battu. Il a en outre été détenu pendant un mois. Au mois de janvier 1995, la conjointe et le fils du demandeur ont été victimes d'une tentative d'enlèvement de la part de l'AL. Deux jours plus tard, des partisans armés du BNP ont tiré des coups de feu sur la résidence du demandeur. Au mois de février 1995, la police a cherché le demandeur à la suite d'une campagne antigouvernementale organisée par le groupe chargé de la publicité du JP.

[5]      Le demandeur s'est enfui en Inde le 13 février 1995. Il a quitté l'Inde pour venir au Canada le même jour; il est arrivé à Vancouver en passant par la Tchécoslovaquie le 16 février 1995; il a alors revendiqué le statut de réfugié.

La décision de la Commission

[6]      Dans sa décision écrite, la Commission a dit qu'il n'y avait pas lieu de douter du fait que le demandeur était membre du JP, mais elle a conclu que le demandeur n'avait pas fourni de preuve crédible ou digne de foi au sujet des éléments cruciaux de sa revendication. La Commission est arrivée à cette conclusion principalement parce que, à son avis, le demandeur n'avait pas fourni d'éléments de preuve crédibles au sujet de la question de savoir s'il était déjà allé en Allemagne. Il importe de noter la façon dont la Commission a examiné cette question :

     [TRADUCTION]
         L'intéressé s'est enfui en Inde le 13 février 1995. Il a quitté l'Inde pour venir au Canada le même jour, et est arrivé à Vancouver (Colombie-Britannique) le 16 février 1995; il a alors revendiqué le statut de réfugié.
     Déclaration ministérielle
         Comme il en est fait mention dans le dossier, l'agent chargé de la revendication (l'ACR) a communiqué avec la Direction générale de l'exécution de la loi de l'Immigration canadienne le 6 mai 1997, étant donné que les documents qui lui avaient été transmis de Vancouver laissaient entendre que l'intéressé était arrivé à Vancouver avec quatre autres réfugiés et qu'il y avait lieu de croire qu'ils avaient tous fait un séjour de deux ans en Allemagne avant d'arriver au Canada. La formation a ensuite demandé à l'agent préposé au cas de communiquer avec le représentant du ministre pour qu'il participe à l'examen de ce dossier.
         Le 29 juillet 1997, on a reçu une réponse disant que le représentant du ministre ne pouvait pas assister à l'audience suivante, qui devait avoir lieu le 13 mars 1997, et en outre qu'il n'y avait pas de renseignements additionnels au sujet de l'intéressé. La formation a donc décidé de poursuivre l'audience, tel qu'il était prévu, en l'absence du représentant du ministre. Au mois de mars 1999, le représentant du ministre n'avait toujours pas obtenu d'informations des autorités allemandes.
         Une bonne partie des questions que l'ACR a posées à l'intéressé se rapportaient à ses allées et venues entre les années 1993 et 1995 et à la question de savoir s'il avait été en Allemagne. L'intéressé a nié être déjà allé en Allemagne. Lorsqu'on lui a demandé s'il connaissait les quatre autres personnes venant du Bangladesh qui étaient arrivées à Vancouver en même temps que lui, l'intéressé a témoigné qu'il n'avait parlé à aucune d'elles dans l'avion. Il a déclaré avoir vu l'une de ces personnes faire la queue à l'aéroport de Vancouver. Il a tout d'abord nié connaître cet homme. Il a ensuite dit qu'il le connaissait. Il a ensuite affirmé qu'il l'avait rencontré pour la première fois au marché Jean Talon à Montréal. À ce moment-là, ils se sont présentés l'un à l'autre et ont échangé leurs adresses. Les circonstances dans lesquelles l'intéressé a connu cette personne avaient clairement quelque chose à voir avec la question de savoir s'il avait revendiqué le statut de réfugié à cet endroit.
         La formation ne croit pas que l'intéressé ait fourni des éléments de preuve crédibles ou dignes de foi sur ce point.

[7]      En résumé, cette note que l'agent chargé de la revendication1 a rédigée le 6 mai 1997 était fondée sur un document protégé, daté du 14 mars 19952, concernant un autre revendicateur du statut de réfugié au sens de la Convention, Mohammed Abu Sayed, dans lequel il était allégué ce qui suit :

     [TRADUCTION]
     - avant d'arriver au Canada le 16 février 1995, l'intéressé [Sayed] était resté en Allemagne pendant deux ans et avait fait « beaucoup d'argent » ;
     - les quatre autres revendicateurs du statut de réfugié du Bangladesh qui sont arrivés à l'AIV avec lui avaient également séjourné en Allemagne.
     Les faits susmentionnés montrent qu'il se peut que des revendications du statut de réfugié soient en cours en Allemagne en ce qui concerne l'intéressé et les quatre autres personnes en cause. On devrait donc tenter de vérifier la chose auprès de Bonn et on devrait demander à la GRC d'effectuer des recherches d'empreintes digitales en Allemagne.

Il va sans dire que le dossier montre que cette allégation n'a jamais été établie et que la Commission a finalement reconnu qu'[TRADUCTION] « au mois de mars 1999, le représentant du ministre n'avait toujours pas obtenu d'informations des autorités allemandes » .

[8]      Toutefois, pendant toute la durée des quatre audiences qui ont eu lieu en l'espèce entre le 3 juin 1997 et le 3 mars 1999, la Commission avait des soupçons au sujet des allées et venues de l'intéressé entre les années 1993 et 1995 et de la question de savoir s'il avait fait un séjour en Allemagne. Le dossier montre que l'intéressé a produit des photographies qui avaient été prises au mariage de sa belle-soeur, auquel il avait assisté au mois de décembre 1994 -- il avait même signé le contrat de mariage comme témoin le 12 décembre 19943 -- des documents du parti Jatiya attestant que, le 5 mai 1994, il avait été élu membre exécutif et secrétaire responsable de la publicité4 ainsi qu'un document de son avocat attestant qu'il avait été arrêté le 4 août 19945. Cependant, au lieu de dire « [...] en termes clairs et explicites [...] » 6 que l'intéressé n'était pas crédible sur ce point, la Commission a trouvé une façon d'apaiser ses soupçons en donnant des précisions au sujet des circonstances dans lesquelles il avait « rencontré » , à Montréal, une personne qu'il avait d'abord « vue » à son arrivée à Vancouver.

[9]      Dans la mesure où il n'y a pas de contradiction dans le témoignage de l'intéressé et puisque celui-ci a démontré d'une façon satisfaisante qu'il avait vécu au Bangladesh entre 1993 et 1995, la Commission a eu tort de ne pas croire l'intéressé sur ce point.

[10]      En outre, j'ai examiné la preuve documentaire en entier et j'ai lu la transcription des quatre audiences qui ont été tenues dans ce cas-ci; je suis convaincu qu'au moins une autre conclusion justifie l'intervention de la Cour. Comme il en a déjà fait mention, l'intéressé a produit sous la cote C-57 une lettre de son avocat à Damodya. À l'audience qui a eu lieu le 25 novembre 1998, l'intéressé a nié que son avocat lui ait rendu visite pendant la période de détention d'un mois qui a commencé le 4 août 19948. La Commission n'a accordé aucune valeur probante à la pièce C-5; voici ce qu'elle a dit :

     [TRADUCTION]
     [...] En outre, si conformément à la pièce C-5 et au témoignage que l'intéressé a présenté sous serment, un avocat a été en cause lors de sa détention, la formation conclut qu'il n'est pas raisonnable que l'avocat n'ait pas rendu visite à l'intéressé pendant que ce dernier était détenu et qu'il n'est pas raisonnable que l'avocat n'ait rien fait au sujet de la détention. La formation n'accorde donc aucune valeur probante à la pièce C-5.

[11]      Cette conclusion constitue clairement une mauvaise interprétation de la preuve compte tenu du Dossier d'information de 1996 sur le Bangladesh portant sur les pratiques en matière de droits de la personne, dans lequel il est déclaré que [TRADUCTION] « les personnes qui sont détenues peuvent consulter des avocats, quoiqu'elles ne puissent habituellement le faire qu'une fois qu'une accusation a été portée » 9. L'intéressé a témoigné qu'aucune accusation n'avait été portée contre lui10, comme le confirme son avocat dans la pièce C-5.

[12]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l'affaire est déférée à une formation différente pour examen.


                 PIERRE DENAULT

                     Juge

Ottawa (Ontario)

le 12 mai 2000

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :      IMM-2810-99

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      BILLAL HOSSAIN

     c.

     MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :      MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 4 MAI 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Denault en date du 12 mai 2000


ONT COMPARU :

PIA ZAMBELLI          POUR LE DEMANDEUR

JOCELYNE MURPHY          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

PIA ZAMBELLI          POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada         

__________________

1      Dossier du tribunal, p. 39.

2      Dossier du tribunal, p. 41.

3      Dossier du tribunal, p. 98-99.

4      Dossier du tribunal, p. 58.

5      Dossier du tribunal, p. 60.

6      Hilo c. Canada (MEI), (C.A.F.) [1991] 130 N.R. 236.

7      Voir note 5.

8      Dossier du tribunal, p. 381 à 386.

9      Dossier du tribunal, p. 156.

10      Dossier du tribunal, p. 387.

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