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     Date : 19990106

     IMM-226-98

Ottawa (Ontario), le 6 janvier 1999

En présence de Monsieur le juge Pinard

E n t r e :

     LAZARO CARTAGENA PAZ,

     demandeur,

     - et -

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

     La demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 27 novembre 1997 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la revendication du statut de réfugié du demandeur en vertu de l'article 1F de la clause d'exclusion est rejetée.

                                                                  JUGE

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

     Date : 19990106

     IMM-226-98

E n t r e :

     LAZARO CARTAGENA PAZ,

     demandeur,

     - et -

     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]      La Cour statue sur une demande de contrôle judiciaire de la décision en date du 27 novembre 1997 par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la revendication du statut de réfugié du demandeur en vertu de l'article 1F de la clause d'exclusion.

[2]      Les commissaires ont rejeté la revendication du statut de réfugié du demandeur parce qu'il y avait des raisons sérieuses de penser : 1) soit qu'il avait commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité au sens de l'alinéa 1Fa); 2) soit qu'il s'était rendu coupable d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies (alinéa 1Fc) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés).

[3]      La définition du " réfugié " énoncée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration , L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), est ainsi libellée :

2. (1) In this Act,

"Convention refugee" means any person who

[ . . . ]

but does not include any person to whom the Convention does not apply pursuant to section E or F of Article 1 thereof, which sections are set out in the schedule to this Act;

2. (1) Les dispositions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

" réfugié au sens de la Convention " Toute personne :

[ . . . ]

Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'article premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.


[4]      Les alinéas a), b) et c) de l'article 1F de la Convention disposent :

F. The provisions of this Convention shall not apply to any person with respect to whom there are serious reasons for considering that :

(a) he has committed a crime against peace, a war crime, or a crime against humanity, as defined in the international instruments drawn up to make provision in respect of such crimes;

(b) he has committed a serious non-political crime outside the country of refuge prior to his admission to that country as a refugee;

(c) he has been guilty of acts contrary to the purposes and principles of the United Nations.


F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas applicables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser :

a) Qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes;

b) Qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiés;

c) Qu'elles se sont rendues coupables d'agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies.


[5]      Voici la définition du " crime contre l'humanité "1 :

         [...] l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation, et tout autre acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux ou religieux lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils ont été perpétrés, ont été commis à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal, ou en liaison avec ce crime.                 

[6]      L'avocat du demandeur soutient tout d'abord que la Commission a commis une erreur en déclarant que les événements en question s'étaient produits entre février et juin alors qu'en fait, ils sont survenus entre juin et septembre. À la page 1 de sa décision, la Commission précise que le demandeur était posté à Virginia Lempira de juin à septembre 1992 et elle poursuit en relatant les événements qui se sont produits au cours de cette période. C'est à la page 2 de sa décision qu'elle déclare : [TRADUCTION] " Le tribunal a examiné le témoignage du revendicateur en ce qui concerne les événements qui sont survenus à Virginia Lempira entre février et juin 1992 ". Il ressort toutefois à l'évidence du récit des événements que l'on trouve à la page 1 que la Commission fait allusion à des événements survenus à compter du moment où le demandeur était posté à Virginia Lempira en juin 1992. Je suis donc d'accord avec le défendeur pour dire que le simple fait que la Commission se soit par inadvertance trompée sur les dates ne change rien au fait qu'il ressort à l'évidence des motifs de sa décision que la Commission a tenu compte des événements survenus entre juin et septembre 1992. En outre, la jurisprudence exige qu'il y ait un risque véritable que l'erreur ait une incidence sur le résultat de la décision (voir, par exemple, les décisions Schaaf c. M.E.I. , [1984] 2 C.F. 334 et Association canadienne de télévision par câble c. American College Sports Collective, (1991), 129 N.R. 296 (C.A.F.)). Or, en l'espèce, tel n'est pas le cas.

[7]      L'avocat du demandeur ajoute que, lorsque le demandeur a répondu " oui" à la question [TRADUCTION] " Les hommes qui étaient sous vos ordres ont-ils abattu ou tabassé des Salvadoriens ? ", il ne répondait qu'à la partie relative au tabassage et non à la partie concernant l'exécution. La question qui se pose est par conséquent celle de savoir s'il était manifestement déraisonnable de la part de la Commission de conclure que la réponse affirmative spontanée du demandeur portait à la fois sur le tabassage et sur l'exécution de civils. Compte tenu du fait qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'une révision en appel, et faute d'élément de preuve contraire hormis l'argument que le demandeur fait valoir à ce moment-ci pour désavouer sa déclaration antérieure, je suis d'avis qu'il n'était pas déraisonnable de la part de la Commission de présumer que le demandeur aurait clarifié sa réponse si celle-ci avait porté sur l'un ou l'autre volet. À mon avis, il n'était pas déraisonnable de la part de la Commission de conclure que la réponse du demandeur englobait les deux questions.

[8]      L'avocat du demandeur soutient également que la Commission a commis une erreur en affirmant que la quantité de munitions constituait une [TRADUCTION] " preuve irrésistible " que des civils avaient été abattus. Voici en quels termes la Commission s'est exprimée sur ce point dans sa décision :

         [...] À cet égard, il a reconnu que ses hommes, qui étaient armés de fusils automatiques M-16 et d'autres armes, utilisaient des cartouches contenant 30 balles. Chaque semaine, chaque homme utilisait en moyenne deux cartouches ou 60 balles. En d'autres termes, 1 920 balles étaient tirées chaque semaine [...] Le revendicateur a estimé à 60 le nombre de personnes qui se présentaient à la frontière chaque jour. En conséquence, environ 6 000 personnes ont tenté de franchir la frontière au cours de la période de commandement de trois mois du revendicateur. À la lumière du témoignage précité, il n'est ni raisonnable ni logique de penser que les hommes du revendicateur n'ont fait feu sur aucun des Salvadoriens qui franchissaient la frontière.                 
             Compte tenu de l'affirmation spontanée du demandeur suivant laquelle des civils ont été abattus à la frontière pendant qu'il était à la tête de son unité et de la preuve irrésistible révélée par le nombre de balles qui ont été tirées, le tribunal est forcé de conclure que la formation qui était sous les ordres du revendicateur a exécuté des civils alors qu'il était à la tête de cette unité [...]                 
                         (Non souligné dans l'original.)                 

[9]      À première vue, le fait que la Commission a considéré le nombre de balles tirées comme une " preuve irrésistible " semble quelque peu exagéré. J'estime toutefois que, si on la replace dans le contexte de l'ensemble de la décision, cette " qualification inexacte " n'est pas fatale pour ce qui est de la décision prise dans son ensemble.

[10]      Quant à l'argument du demandeur suivant lequel la Commission a commis une erreur en concluant que le demandeur poursuivait les mêmes objectifs que les auteurs des atrocités commises par les soldats qui étaient sous ses ordres à la frontière du Honduras, j'aimerais d'abord répéter que la charge de la preuve dont le ministre doit s'acquitter pour démontrer que la Convention ne s'applique pas à un individu déterminé est moins onéreuse que celle de la prépondérance des probabilités (voir les arrêts Ramirez c. M.E.I., (1992), 135 N.R. 390; 89 D.L.R. (4th) 173 (C.A.F.); Moreno et Sanchez c. M.E.I., (1993), 159 N.R. 210 (C.A.F.) et Sivakumar c. M.E.I., (1993), 163 N.R. 197 (C.A.F.)). En outre, pour ce qui est de la complicité, il est de jurisprudence constante qu'elle repose essentiellement sur l'existence d'un objectif commun partagé et sur la connaissance de cet objectif par tous les intéressés (voir l'arrêt Ramirez, précité). Ainsi que la Cour d'appel fédérale l'a ultérieurement déclaré dans l'arrêt Bazargan c. M.E.I., (1996), 205 N.R. 282, à la page 287 : " [C]eci étant dit, tout devient une question de fait ".

[11]      Si l'on applique la jurisprudence susmentionnée à la situation de fait qui existe en l'espèce, je suis d'avis que le défendeur a réussi à se décharger du fardeau qui lui incombait de démontrer qu'il y a des raisons sérieuses de penser que le demandeur a commis un des crimes définis à l'alinéa 1Fa) de la Convention. Qui plus est, le demandeur n'a pas réussi à me convaincre que les inférences tirées par la Commission, qui est un tribunal administratif spécialisé, au sujet de sa complicité, n'étaient pas raisonnables (voir l'arrêt Aguebor c. Canada (M.E.I.), (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)). Comme l'exclusion prévue à l'alinéa 1Fa) de la Convention constitue en soi une raison suffisante de rejeter la revendication du statut de réfugié du demandeur, il n'est donc pas nécessaire d'examiner les autres moyens invoqués par le demandeur au sujet de l'alinéa 1Fc) de la Convention.

[12]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.



[13]      La présente affaire ne soulève aucune question de portée générale qui justifierait une certification.

                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 6 janvier 1999.

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-226-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :      LAZARO CARTAGENA PAZ c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE :      3 décembre 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Pinard le 6 janvier 1999

ONT COMPARU :

Me William Sloan              pour le demandeur
Me Christine Bernard          pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me William Sloan              pour le demandeur

Montréal (Québec)

Me Morris Rosenberg          pour le défendeur

Sous-procureur général

du Canada

__________________

     1      Guide du HCNUR, Genève, 1978, à la page 78, art. 6.

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