Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050118

Dossier : T-1409-04

Référence : 2005 CF 43

Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN                                

ENTRE :

ASTRAZENECA CANADA INC.

et AKTIEBOLAGET HASSLE

demanderesses

(intimées)

                                                                             et

                                                                  APOTEX INC.

                                                                                                                                      défenderesse

(requérante)

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'un appel interjeté, par Apotex Inc., de l'ordonnance de la protonotaire Milczynski, en date du 29 septembre 2004. Par cette ordonnance, la protonotaire a rejeté la requête d'Apotex sollicitant une ordonnance de radiation en tout ou en partie de la déclaration des demanderesses, ou subsidiairement, la production de détails complémentaires.


[2]                Les origines de cette procédure peuvent être exposées en quelques mots. En 1989, Astrazeneca a mis en marché l'oméprazole, médicament utilisé dans le traitement de certaines maladies de l'estomac dues à l'hyperacidité. Apotex, fabricant de produits pharmaceutiques génériques, essayait, depuis plus de 11 ans, de commercialiser au Canada une version générique des gélules d'oméprazole. En janvier 2004, le ministre de la Santé a délivré à Apotex un avis de conformité pour ses gélules d'oméprazole. Astrazeneca a tenté, sans succès, de soumettre la décision du ministre au contrôle judiciaire, et c'est alors qu'elle a entamé la présente action contre Apotex, dans le cadre de laquelle elle sollicite de la Cour un jugement déclarant qu'Apotex a contrefait deux de ses brevets portant sur l'oméprazole.

[3]                En réponse à cette action, Apotex a déposé une requête devant la protonotaire Milczynski, demandant :

1.          la radiation intégrale de la déclaration, au motif que l'argument invoquant la contrefaçon de brevet ne contient pas les éléments nécessaires de la cause d'action.

2.          la radiation des paragraphes 35 à 37, qui font état de renseignements confidentiels que les demanderesses ont obtenus à l'occasion d'ordonnances de non-divulgation rendues dans le cadre d'autres procédures;

3.          la radiation du paragraphe 34 au motif qu'il traite des éléments de preuve plutôt que des faits;

4.        la production, par les demanderesses, de détails complémentaires concernant l'allégation de contrefaçon et les manoeuvres trompeuses alléguées aux paragraphes 35 à 37.


[4]                La protonotaire a rejeté intégralement la requête.

LA NORME DE CONTRÔLE

[5]                  La norme de contrôle dans le cadre d'un appel interjeté de l'ordonnance d'un protonotaire est précisée dans le jugement La Reine c. Aqua-Gem Investments [1993] 2 C.F. 425. Cette norme fut ultérieurement modifiée au nom de la Cour d'appel fédérale par le juge Décary au paragraphe 19 de l'arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc., (2003), 315 N.R. 175 :

Le juge saisi de l'appel contre l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants :

a) l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal,

b) l'ordonnance est entachée d'erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits.

[6]                Il n'appartient donc pas à la Cour de revenir sur la décision du protonotaire du simple fait qu'elle serait elle-même parvenue à une conclusion différente. Si, cependant, la décision en cause est manifestement mauvaise, ou si les questions semblent déterminantes pour l'issue de la cause, la Cour devra se pencher sur ces questions de novo.


ANALYSE

Radiation de la déclaration

[7]                La protonotaire Milczynski a conclu qu'il n'y avait pas lieu d'ordonner la radiation de la déclaration étant donné que [traduction] « la demande, vue dans son ensemble, fait état des éléments et des faits importants fondant une cause d'action en contrefaçon de brevet » . La décision d'ordonner la radiation d'une demande étant une question qui revêt une importance déterminante pour l'issue de l'affaire, la Cour doit effectivement se livrer à un examen de novo de la question. Vogo Inc. c. Acme Window Hardware Ltd., [2004] C.F. 851, au paragraphe 57.

[8]                La jurisprudence la plus récente fixe, en matière de radiation d'une déclaration, des conditions très strictes. C'est en ces termes que la juge Layden-Stevenson s'exprime sur la question dans la décision Pharmaceutical Partners of Canada Inc. c. Faulding (Canada) Inc. [2002] A.C.F. no 1305, paragraphe 13 :


[...] Il en est résulté (de Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 95), bien qu'il soit souhaitable que les actes de procédure soient rédigés correctement, qu'une norme ou un critère a été établi pour la radiation d'un acte de procédure. Ce critère a été décrit récemment par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Bande indienne de Shubenacadie c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), 2002 CAF 255, [2002] A.C.F. no 882. Le juge Sexton, s'exprimant au nom de la Cour, a statué qu'un acte de procédure, bien qu'il soit très large et formulé en termes très généraux, ne devrait pas être radié dès lors qu'on peut trouver, à la lecture de la déclaration, une cause d'action, si ténue soit-elle. La charge qui incombe à la partie qui demande la radiation est très lourde : elle doit établir qu'il est indubitable que l'affaire n'a aucune chance de succès à l'instruction. De même, dans l'arrêt Sweet c. Canada (1999), 249 N.R. 17 (C.A.F.), le juge Décary, s'exprimant au nom de la Cour, a statué que, même s'il peut manquer des éléments et que certains autres peuvent être incomplets, dès lors que l'acte de procédure contient assez d'information pour permettre à la partie opposée de se faire une idée assez juste de la preuve à laquelle elle devra faire face, il ne sera pas radié. [...]

[9]                S'agissant de plaider une cause d'action en contrefaçon de brevet, les éléments essentiels ont été exposés dans Dow Chemical Co. c. Kayson Plastics & Chemicals Ltd. (1966), 47 C.P.R. 1 (C. de l'É.), à la page 11 :

[traduction]En règle générale, dans notre régime de procédure, la déclaration dans laquelle le demandeur affirme qu'on a porté atteinte à ses droits doit établir clairement :

a) les faits en vertu desquels le droit reconnaît au demandeur un droit déterminé;

b) les faits qui constituent une atteinte portée par le défendeur à ce droit déterminé du demandeur.

[10]            En l'espèce, la déclaration expose les deux brevets invoqués par les demanderesses et résume, assez longuement, les revendications des brevets en question. La déclaration, par contre, n'expose pas les faits importants qui tendraient à démontrer que la défenderesse aurait effectivement contrefait les brevets des demanderesses. À l'audience, les parties ont convenu que le paragraphe 38 de la déclaration pourrait être modifié afin de préciser la manière dont le médicament de la défenderesse contrefait les revendications contenues dans les brevets des demanderesses. J'accueillerai donc en partie cet appel, ordonnant que ces précisions soient rajoutées dans le cadre d'une modification de l'article 38 de la déclaration.

La radiation des paragraphes 35 à 37


[11]            Une requête en radiation d'un paragraphe d'une déclaration doit être soumise à un examen de novo si le retrait du paragraphe en question est concluant quant à l'issue de la cause. En l'espèce, j'estime que la radiation des paragraphes 35 à 37 de la déclaration ne déciderait pas de la cause d'action étant donné que ces paragraphes n'ont pas directement trait aux éléments constitutifs de la contrefaçon. (Les paragraphes en question concernent l'allégation voulant que ce soit par des moyens trompeurs que Apotex a obtenu son avis de conformité). En conséquence, la Cour ne s'immiscera dans la décision de la protonotaire que si celle-ci se fonde sur un principe erroné ou sur une méconnaissance des faits.

[12]            Devant la protonotaire, Apotex a fait valoir que les paragraphes 35 à 37 devraient être radiés étant donné qu'ils contiennent des renseignements que les demanderesses avaient obtenus, à l'occasion d'autres procédures, en vertu d'ordonnances de non-divulgation. La protonotaire Milczynski a considéré que les demanderesses n'avaient pas enfreint ces ordonnances de non-divulgation étant donné que l'information en question concernait [traduction] « les motifs et la décision du juge Kelen dans les dossiers T-261-04 et T-262-04, jugement publié le 20 septembre 2004 » . Apotex affirme que la protonotaire a commis en cela une erreur puisque mon jugement a été publié presque deux mois après le dépôt de la déclaration des demanderesses. Il ne peut ainsi pas être remédié, par la publication ultérieure d'une décision de justice, au mauvais usage que les demanderesses auraient fait de renseignements confidentiels.


[13]            Les demanderesses font valoir pour leur part que les renseignements, qui figurent aux paragraphes 34 à 37, avaient été rendus publics bien avant ma décision du 20 septembre 2004. Sur ce point, ils invoquent la décision du juge Russell dans l'affaire AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social), [2004] A.C.F. no 455, aux paragraphes 24 à 28 ainsi qu'à un certain nombre d'autres documents publics, y compris un affidavit (l'affidavit Kang).

[14]            En premier lieu, je ne suis pas convaincu que les demanderesses se soient fondées sur les renseignements obtenus en vertu d'une ordonnance de non-divulgation. En deuxième lieu, et quoi qu'il en soit, je ne suis pas persuadé que, dans sa conclusion, la protonotaire se soit si manifestement trompée que, sur ce point, la Cour devrait accueillir l'appel.

Détails complémentaires

[15]            La protonotaire a rejeté la demande subsidiaire par laquelle Apotex sollicitait des précisions quant aux tromperies alléguées aux paragraphes 35 à 37. La protonotaire a en effet conclu que :

[traduction]


En ce qui concerne la requête de la défenderesse en vue de la production de détails complémentaires concernant les paragraphes 35, 36 et 37, ainsi que l'allégation de « renseignements trompeurs » , j'admets les propos de la demanderesse, lorsqu'elle affirme ne pas vouloir réclamer le versement de dommages-intérêts dans le cadre d'une action en responsabilité civile, faisant valoir que les paragraphes contestés sont plaidés à l'appui de la demande de dommages-intérêts punitifs et de l'adjudication des dépens avocat-client puisqu'elle reproche à la défenderesse une contrefaçon de ses brevets. Quoi qu'il en soit, j'estime que les paragraphes 35 et 36 contiennent suffisamment de précisions pour que la défenderesse puisse effectivement plaider les faits substantiels concernant la composition des gélules d'Apo-oméprazole fabriquées par la défenderesse, et les renseignements fournis au ministre par la défenderesse [...]

[16]            Apotex fait valoir qu'en parvenant à cette conclusion, la protonotaire a appliqué le mauvais critère juridique. D'après la requérante, le critère qu'il convenait d'appliquer en l'occurrence reposait sur la question de savoir si les détails en question étaient nécessaires afin d'informer la partie adverse des arguments auxquels elle serait appelée à répondre, et de lui permettre de répondre intelligemment à la déclaration.

[17]            Les demanderesses estiment pour leur part que le critère juridique appliqué par la protonotaire était le bon, et qu'Apotex n'a aucunement besoin de précisions supplémentaires pour répondre de manière satisfaisante à la déclaration. Elles rappellent que les parties sont en litige à l'égard de ces mêmes brevets depuis 1993, et qu'Apotex connaît fort bien l'objet de l'action engagée. Elles ajoutent qu'Apotex n'a jamais auparavant sollicité officiellement de détails complémentaires.


[18]            Aux termes de la règle 181 des Règles de la Cour fédérale (1998), l'acte de procédure doit contenir des précisions concernant toute allégation de fausse déclaration ou de fraude. Le paragraphe 36 de la déclaration cite trois cas précis de tromperie ou de déclaration trompeuse. Le paragraphe 36 ne se limite pas cependant à ces trois exemples puisqu'il utilise à son début le mot « comprend » (includes), ce qui laisse Apotex dans le doute quant aux autres allégations précises pouvant être invoquées par les demanderesses. Une telle indétermination n'a pas sa place dans un acte de procédure. Toutefois, les parties reconnaissent que les demanderesses pourront, lors de la communication préalable, explorer les autres types de renseignements fournis au ministre de la Santé par Apotex et, au procès, faire valoir leur caractère trompeur afin de justifier la demande de dommages-intérêts formulée par les demanderesses. J'estime, pour cela, que le paragraphe 36 fournit, à l'appui de la demande, des précisions suffisantes et que la présence du mot « comprend » dans ce paragraphe n'a guère d'importance. Je considère, en conséquence, que sur ce point la protonotaire n'a commis aucune erreur manifeste.

La radiation du paragraphe 34

[19]            Le paragraphe 34 de la déclaration est libellé en ces termes :

[traduction]

Apotex a indiqué que chaque gélule d'Apo-oméprazole contient de l'oméprazole, de l'eudragit, de la gélatine, de l'hydrate de magnésium, du mannitol, de la povidone, du dioxyde de fer rouge, du dioxyde de titane et du citrate de triéthyle.


[20]            Apotex récuse ce paragraphe, estimant qu'en employant le mot « indiqué » , les demanderesses font état de moyens de preuve et non de faits, ce qui est interdit par la règle 174 des Règles de la Cour fédérale (1998). Cela étant, je ne saurais conclure que la protonotaire s'est manifestement trompée en décidant de ne pas ordonner la radiation du paragraphe 34. Apotex affirme qu'on peut faire une différence très nette entre l'exposé de moyens de preuve et l'exposé de faits mais, à mon avis, la ligne de démarcation entre les faits et les moyens de preuve n'est pas toujours nette. Comme le dit le juge Reed dans la décision Liebmann c. Canada (1993), 69 F.T.R. 81, au paragraphe 20, quant à la différence entre des faits et des éléments de preuve :

[traduction] Lorsqu'il subsiste le moindre doute, les alinéas des plaidoiries doivent être conservés.

[21]            En conséquence, la Cour ne s'immiscera pas dans la décision de la protonotaire à cet égard.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          L'appel interjeté de l'ordonnance de la protonotaire Milczynski en date du 29 septembre 2004 est accueilli en partie, la déclaration n'exposant effectivement pas les faits substantiels susceptibles d'étayer l'allégation voulant qu'Apotex ait contrefait les brevets des demanderesses;

2.          Les demanderesses modifieront le paragraphe 38 de leur déclaration, en y précisant la manière dont le médicament fabriqué par les défenderesses contrefait effectivement les revendications des brevets des demanderesses;


3.          En ce qui concerne une éventuelle violation de certaines ordonnances de non-divulgation, et le fait de ne pas avoir fourni de précisions concernant les allégations de tromperie ou de déclaration trompeuse, l'ordonnance de la protonotaire ne contient aucune erreur manifeste et l'appel interjeté sur ce point est donc rejeté;

4.          La décision de la protonotaire de ne pas ordonner la radiation du paragraphe 34 de la déclaration ne contient aucune erreur manifeste, et l'appel interjeté sur ce point est rejeté;

5.          Les dépens du présent appel suivront l'issue de la cause.

                                                                                                                            « Michael A. Kelen »             

                        Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                                          T-1409-04

INTITULÉ :                                                           ASTRAZENECA CANADA INC. ET AUTRE

c.

APOTEX INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                     TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                   LE LUNDI 10 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                           LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                                           LE MARDI 18 JANVIER 2005

COMPARUTIONS                                               

John Morrissey                                                        POUR LES DEMANDERESSES

Heather Tonner

Julie Rosenthal                                                           POUR LA DÉFENDERESSE

                                                                                                                                                           

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Smart & Biggar                                                         POUR LES DEMANDERESSES

Avocats

Toronto (Ontario)

Goodmans LLP                                                         POUR LA DÉFENDERESSE

Avocats

Toronto (Ontario)


                         COUR FÉDÉRALE

                                                      Date : 20050118

                                               Dossier : T-1409-04

ENTRE :

ASTRAZENECA CANADA INC. ET AL.

demanderesses

et

APOTEX INC.

                                                          défenderesse

                                                           

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                           

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.