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Date : 20050518

Dossier : IMM-9132-04

Référence : 2005 CF 717

Montréal (Québec), le 18 mai 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

SHEIKH ASHFAQ AHMAD, AZRA AHMAD

BAKHTAWAR AHMAD, BINIAMEEN AHMAD,

SAIRA AHMAD, MOMNA AHMAD

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l'égard d'une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), par laquelle la Commission a statué que le demandeur principal n'était pas un réfugié au sens de la Convention ou une personne à protéger en vertu, respectivement, des articles 96 et 97 de la Loi.

[2]                Sheikh Ashfaq Ahmad, demandeur principal, est un citoyen pakistanais qui fonde sa demande d'asile sur sa crainte d'être persécuté du fait de ses croyances religieuses. Il demande aussi l'asile parce qu'il est exposé à une menace à sa vie, au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d'être soumis à la torture. Sa conjointe et leurs quatre enfants d'âge mineur demandent aussi le statut de réfugié.

[3]                Le demandeur est né dans le district de Sambrial, Pendjab, au Pakistan, où ses parents habitent encore. Il a fait les cinq premières années du cours primaire; dans son pays, il était propriétaire d'un magasin général. Il a épousé la codemanderesse en 1993. Le demandeur est un musulman chiite d'une famille respectée de marchands.

[4]                Il appuie sa revendication sur les faits suivants.


[5]                Au Pakistan, au début de 1999, la famille du demandeur a subi périodiquement des agressions d'un groupe musulman sunnite radical, le Sipah-e-Sahaba (SSP). Leur maison a été attaquée et l'épouse du demandeur a été battue. Ils ont déménagé, puis sont retournés chez eux en 2002. Le demandeur réunissait des fonds pour une école de filles. Il soutient avoir été attaqué par le SSP pour cette raison le 12 septembre 2002. Par suite de cette agression, il a été hospitalisé. Cependant, il a continué à travailler pour cette cause. Le 29 novembre 2002, le demandeur a été agressé une autre fois; il a signalé l'agression à la police, mais rien n'a été fait.

[6]                Le 11 décembre 2002, le demandeur, en compagnie de son père et du président de la section locale du mouvement Anjuman, est allé au poste de police du district. Une plainte officielle a été déposée. Le 15 décembre 2002, le SSP a attaqué encore une fois la maison du demandeur. Le demandeur a réussi à s'enfuir, mais sa soeur a été atteinte d'une balle, ce qui a entraîné l'amputation d'une partie de sa jambe.

[7]                Le demandeur a déménagé à Gujranwala. Des arrangements ont été pris afin qu'il puisse se rendre aux États-Unis avec sa famille le 29 décembre 2002. Le demandeur et les codemandeurs sont arrivés au Canada le 21 janvier 2003.

[8]                La Commission a refusé d'accorder le statut de réfugié aux demandeurs, motivant principalement son refus par le manque de crédibilité du demandeur, particulièrement en ce qui concerne les allégations sur les événements survenus au moment où la famille vivait au Pakistan en 2002.

[9]                La norme qui s'applique à la décision visée par le présent contrôle judiciaire est celle de la décision manifestement déraisonnable (N'Sungani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] A.C.F. n ° 2142 (C.F.) (QL)). La décision de la Commission s'appuie sur sa détermination de la crédibilité et les conclusions de fait connexes, qu'elle peut évaluer grâce à sa position privilégiée (Muthuthevar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. n ° 207 (1re inst.) (QL)). Pour avoir gain de cause, les demandeurs doivent démontrer que la Commission a commis des erreurs tellement iniques ou arbitraires « [...] qu'aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de maintenir [la décision] » : Barreau du Nouveau-Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, par. 52.

[10]            J'estime que cette norme a été respectée en l'espèce.

[11]            Premièrement, la Commission a affirmé que le demandeur et son épouse avaient fait des déclarations contradictoires ou incohérentes au point d'entrée. Or, ce n'était pas le cas. Selon les déclarations faites au point d'entrée, les deux réponses à la même question - qui craignez-vous si vous retournez dans votre pays? - ont été tout à fait les mêmes : les deux ont mentionné le SSP; le demandeur a déclaré que [traduction] « les seepa saherba sont des sunnites et ce sont eux qui me feront du mal » , alors que son épouse a déclaré « les sheepa saherba » . C'est en réponse à une autre question - que craignez-vous si vous retournez dans votre pays? - que son épouse a répondu [traduction] « l'entreprise a été attaquée » . Cependant, voici sa réponse complète : [traduction] « nous craignons de perdre la vie, l'entreprise a été attaquée et brûlée et mon mari a été battu » ; cet énoncé correspond tout à fait à la réponse du demandeur à cette question, car il a déclaré [traduction] « craindre de subir des sévices physiques » .

[12]            Que la Commission utilise ces déclarations de façon assez sélective pour élaborer une contradiction puis, ensuite, mettre en doute la crédibilité des demandeurs est à mon avis manifestement déraisonnable.

[13]            De la même façon, la Commission a soutenu que les demandeurs n'avaient pas réussi à fournir la preuve que les enfants étaient bien nés au Pakistan, c'est-à-dire une formule d'enregistrement des membres de la famille ou « formule B » . Cependant, la copie certifiée du dossier soumis à la Commission contient justement cette formule. De plus, le conseil des demandeurs à l'audience devant la Commission a précisément attiré l'attention de cette dernière sur l'existence de ce document. La conclusion de la Commission à cet égard était donc complètement fausse.

[14]            Il est vrai, comme le souligne le défendeur, que la preuve documentaire annexée à l'affidavit du demandeur visant à attester l'authenticité de la « formule B » ne peut être prise en compte dans le contexte du présent contrôle judiciaire. Mais cela ne change rien au fait que la Commission a commis une erreur manifeste en déclarant que la « formule B » n'avait pas été soumise en preuve. L'examen du dossier certifié révèle qu'elle l'a été.

[15]            De plus, j'estime que la Commission a omis d'examiner correctement les motifs pour lesquels les demandeurs soutenaient craindre avec raison d'être persécutés.

[16]            La Commission a conclu explicitement que l'absence de preuve crédible ou digne de foi concernant les événements prétendument survenus en 2002, qui ont amené les demandeurs à fuir le Pakistan, a joué un rôle essentiel dans sa décision. Mais pour étayer cette conclusion, la Commission s'est d'abord concentrée sur le manque de données détaillées relatives à l'arrivée des demandeurs aux États-Unis. S'il n'existait pas d'autres éléments de preuve à l'appui de la revendication des demandeurs, ces lacunes auraient peut-être suffi à mettre en doute la véracité de la version des faits donnée par les demandeurs et à fonder le rejet de leur demande d'asile. Mais, compte tenu des autres éléments de preuve démontrant que les demandeurs ont été persécutés par le SSP au Pakistan à l'automne 2002, les lacunes concernant la preuve sur le déplacement des demandeurs aux États-Unis ne peuvent a priori entraîner le rejet de la demande.

[17]            Cependant, la preuve concernant les événements qui se sont déroulés au Pakistan - la preuve qui est au centre de la demande d'asile des demandeurs - n'a été abordée que de façon minimale ou a été complètement laissée de côté.

[18]            Par exemple, le demandeur a fourni une explication raisonnable du fait que les certificats de naissance des enfants étaient tous datés de l'année 2002 et des raisons pour lesquelles les rapports de police étaient datés de l'année suivant les incidents en question : le demandeur n'avait pas besoin des certificats de naissance avant d'avoir une raison de fuir le pays et il n'a entendu parler du mandat d'arrestation qu'après son arrivée au Canada.

[19]            À mon avis, la Commission n'a tout simplement pas abordé le témoignage du demandeur avec l'état d'esprit approprié, soit considérer, jusqu'à preuve du contraire, que ce témoignage était véridique. Si la Commission doute de la véracité du témoignage d'un demandeur, elle a l'obligation de donner des motifs « en termes clairs et explicites » : Hilo c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 130 N.R. 236 (C.A.F.). À mon avis, on ne retrouve pas ces termes en l'espèce.

[20]            Fait encore plus grave, la Commission n'a pas du tout examiné les rapports médicaux soumis par le demandeur, rapports qui démontrent l'existence des agressions physiques dont il a été victime. Ces rapports ont été établis à l'époque où les agressions auraient eu lieu, soit le 29 novembre 2002 et le 15 décembre 2002. Ces rapports auraient peut-être été jugés peu dignes de foi, mais il incombait à la Commission, étant donné leur importance à l'égard de la demande d'asile, de les examiner : voir, par exemple, Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (1re inst.).

[21]            Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée pour qu'un tribunal différemment constitué statue de nouveau sur l'affaire.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE

[22]            La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[23]            L'affaire est renvoyée pour qu'un tribunal différemment constitué statue de nouveau sur l'affaire.

       « Danièle Tremblay-Lamer »      

Juge

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-9132-04

INTITULÉ :                                        SHEIKH ASHFAQ AHMAD, AZRA AHMAD

BAKHTAWAR AHMAD, BINIAMEEN AHMAD,

SAIRA AHMAD, MOMNA AHMAD

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                  MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 17 MAI 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LA JUGE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                       LE 18 MAI 2005

COMPARUTIONS :

Michael Dorey                                                                           POUR LES DEMANDEURS

Daniel Latulippe                                                                         POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Dorey & Associates                                                     POUR LES DEMANDEURS

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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