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Date : 20060127

Dossier : IMM-10067-04

Référence : 2006 CF 87

Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

NAM KI JEON

CHAE HWA JEONG

JIN HYUCK JEON (représenté par son tuteur à l'instance)

demandeurs

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision d'une agente de l'immigration en date du 23 novembre 2004, qui refusait d'accorder aux demandeurs une exemption pour considérations humanitaires (CH) qui aurait permis le traitement au Canada de leur demande de résidence permanente.

[2]                Les demandeurs demandent que la décision de l'agente de l'immigration soit annulée et que l'affaire soit renvoyée pour réexamen devant un autre agent de l'immigration.

Le contexte

[3]                Le demandeur principal, Nam Ki Jeon, est un citoyen de la Corée du Sud. Il est arrivé au Canada en décembre 2000 accompagné de sa femme, Chae Hwa Jeong, et de son fils, Jin Hyuck Jeon, qui sont aussi citoyens de la Corée du Sud. Les demandeurs prétendaient avoir quitté la Corée du Sud parce qu'ils étaient menacés par des membres du crime organisé et que l'État était incapable de les protéger contre ces criminels.

[4]                Les demandeurs ont demandé l'asile au Canada, qui leur a été refusé. L'autorisation d'introduire l'instance en contrôle judiciaire a été accordée, et l'audition du contrôle judiciaire devant la Cour devait avoir lieu le 13 décembre 2005.

[5]                Les demandeurs ont ensuite présenté une demande CH le 21 mai 2002. Leur demande CH décrivait les raisons suivantes pour lesquelles les demandeurs devraient pouvoir présenter une demande de visa de résident permanent de l'intérieur du Canada :

            1.         Les demandeurs seraient en danger de mort aux mains des membres du crime organisé s'ils retournaient en Corée du Sud;

            2.         Les demandeurs se sont installés à Dorchester (Ontario) et ils participent activement aux activités de leur collectivité et de l'église;

            3.         Le demandeur principal et sa femme possèdent une blanchisserie à Dorchester, qui exige d'eux qu'ils travaillent six jours par semaine;

            4.         Le demandeur principal ne pourrait pas se trouver du travail en Corée du Sud;

            5.         Le fils du demandeur principal fréquente l'école à Dorchester, et une interruption de son éducation constituerait une difficulté injustifiée.

[6]                L'agent chargé de d'examiner la demande CH (agent de CH) a acheminé les allégations de risque des demandeurs à un agent d'examen des risques avant renvoi (ERAR). Le 29 septembre 2004, l'agent d'ERAR a conclu qu'il n'y aurait pas de menace à leur vie ou de risque à la sécurité de leurs personnes si les demandeurs retournaient en Corée du Sud. On a invité les demandeurs à déposer leurs commentaires sur d'éventuelles erreurs et omissions, ce qu'ils ont fait en présentant des documents supplémentaires. L'agent d'ERAR a examiné les nouvelles preuves des demandeurs et, le 29 octobre 2004, il a confirmé sa première décision.

[7]                Le 23 novembre 2004, l'agent de CH a rejeté la demande CH des demandeurs. La présente constitue un contrôle judiciaire de cette décision.

Les motifs de la décision de l'agente d'immigration

[8]                L'agente a affirmé qu'elle a examiné tous les arguments des demandeurs, ainsi que les nouveaux renseignements et documents qu'ils avaient présentés lors du processus d'ERAR.

[9]                L'agente a consigné les facteurs suivants dans les motifs de sa décision :

            1.         Jin Hyuck Jeon était menacé en Corée du Sud (selon l'exposé des faits du demandeur). Il fréquente l'école à Dorchester depuis septembre 2002 et il participe activement aux activités pour les jeunes et aux activités de la collectivité. Il n'y a aucune indication qu'il lui serait impossible de se procurer un permis d'étude pour pouvoir terminer ses études au Canada.

            2.         L'agent d'ERAR a conclu que les demandeurs ne seraient pas exposés à un risque s'ils retournaient en Corée du Sud.

            3.         Les demandeurs résident au Canada depuis décembre 2000 et il existe des indications qu'ils se sont établis dans la collectivité. Les demandeurs sont devenus propriétaires d'une blanchisserie à Dorchester en avril 2002, et ils ont fourni des documents portant sur leur entreprise, y compris des formules d'impôt, des factures et des relevés bancaires. Les demandeurs ont présenté des lettres d'appui de la part du pasteur de leur église, de membres de la collectivité et de certains clients. Ils ont aussi présenté des articles de journaux qui démontraient le succès de leur entreprise et leur participation active dans la collectivité.

[10]            Après avoir consigné les facteurs susmentionnés, l'agente a fait la déclaration suivante :

[TRADUCTION]

Cependant, je ferais remarquer aussi que les demandeurs ont entrepris ces démarches avant d'obtenir leur statut de résident permanent au Canada; il est donc raisonnable de s'attendre à ce que ces mesures ne les empêchent pas de possiblement devoir quitter le Canada.

[11]            L'agente a conclu qu'elle n'était pas convaincue que le degré d'établissement actuel des demandeurs ou le risque auquel ils pourraient faire face en Corée du Sud constitueraient des difficultés inhabituelles, injustifiées et excessives si on leur demandait d'obtenir leurs visas de résidents permanents de l'extérieur du Canada.

Les questions en litige

[12]            L'agente a-t-elle commis une erreur en rejetant la demande CH des demandeurs?

Les allégation des demandeurs

[13]            Les demandeurs allèguent que l'agente n'a pas tenu compte de l'intérêt supérieur du demandeur mineur, et qu'elle a commis une erreur en soutenant que le demandeur mineur pourrait poursuivre ses études au Canada avec un permis d'études. Les demandeurs prétendent que le demandeur mineur ferait face à des difficultés injustifiées si son éducation était interrompue ou s'il devait rester au Canada pour poursuivre ses études sans ses parents.

[14]            Les demandeurs soutiennent qu'il était déraisonnable de la part de l'agente de conclure que les demandeurs ont entrepris des démarches en vue de s'établir au Canada avant d'obtenir la résidence permanente au Canada. Les demandeurs prétendent que cette approche va à l'encontre des objectifs des demandes CH.

[15]            Les demandeurs allèguent qu'il était déraisonnable de la part de l'agente de s'en remettre aux conclusions de l'ERAR plutôt que de tirer ses propres conclusions au sujet du risque, ou de dire si elle souscrivait ou non aux conclusions de l'ERAR.

[16]            Les demandeurs soutiennent que l'agente a manqué à son obligation d'agir équitablement en retardant le traitement de la demande.

Les allégations du défendeur

[17]            Le défendeur allègue qu'un agent CH a la responsabilité d'apprécier la preuve, y compris le degré d'établissement, le risque au retour, l'intérêt supérieur de l'enfant, et tout autre facteur mentionné qui correspond à la prétention de difficultés inhabituelles, injustifiées et excessives. Le défendeur allègue que l'agente, en l'espèce, a examiné ces facteurs et que la décision était raisonnable. Le défendeur soutient qu'il ne revient pas à la Cour de faire une nouvelle appréciation des faits qui ont été présentés à l'agente (voir Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CAF 125, au paragraphe 11).

[18]            Le défendeur fait valoir que l'agente a respecté la procédure à suivre pour l'évaluation du risque dans une demande CH, en renvoyant les allégations de risque à un agent d'ERAR (voir Anaschenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1328, aux paragraphes 15 et 16). Le défendeur soutient qu'il est inscrit dans les motifs de la décision que l'agente a examiné les documents soumis et qu'elle s'est forgée sa propre opinion au sujet du risque de retour en Corée du Sud.

[19]            Le défendeur allègue que l'agente n'a pas commis une erreur en notant que les demandeurs avaient entrepris des démarches pour s'établir au Canada avant d'obtenir leur statut de résident permanent. Le défendeur soutient qu'il s'agissait d'une partie de l'analyse des difficultés injustifiées. Il n'est pas inhabituel pour une personne qui n'a pas le statut de résident permanent de risquer de perdre des biens acquis au Canada (voir Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2000), 10 Imm. L.R. (3d) 206 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 17).

[20]            Le défendeur soutient qu'il n'y a pas de preuve à l'appui de l'allégation des demandeurs selon laquelle l'agente aurait manqué à son obligation d'agir équitablement en retardant indûment le traitement de leur demande CH.

Les dispositions légales pertinentes

[21]            Une demande CH est permise en vertu de l'article 25 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, qui prévoit :

25. (1) Le ministre doit, sur demande d'un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger - compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché - ou l'intérêt public le justifient.

(2) Le statut ne peut toutefois être octroyé à l'étranger visé au paragraphe 9(1) qui ne répond pas aux critères de sélection de la province en cause qui lui sont applicables.

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister's own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

(2) The Minister may not grant permanent resident status to a foreign national referred to in subsection 9(1) if the foreign national does not meet the province's selection criteria applicable to that foreign national.

Analyse et décision

[22]            La norme de contrôle

            La norme de contrôle appropriée pour une décision d'un agent de l'immigration au sujet d'une demande CH est la décision raisonnable simpliciter (voir Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux pages 857 et 858).

[23]            Les demandeurs ont prétendu que la décision de l'agente était déraisonnable parce que l'analyse de l'agente au sujet de leur établissement au Canada était erronée. De plus, les demandeurs ont soutenu que l'agente n'a pas tenu compte de l'intérêt supérieur de l'enfant et qu'elle n'a pas effectué l'évaluation du risque appropriée. Je vais examiner ces allégations une à une.

[24]            L'établissement au Canada

            J'ai examiné la décision de l'agente quant à la partie qui porte sur l'établissement des demandeurs au Canada. L'agente a noté que les demandeurs avaient entrepris des démarches afin de s'établir au Canada, mais a ajouté que le degré d'établissement au pays était insuffisant pour leur causer des difficultés injustifiées et inhabituelles s'ils devaient faire leur demande de l'extérieur du Canada. L'agente a noté que les demandeurs étaient devenus propriétaires d'une entreprise avant d'avoir obtenu leur statut de résident permanent au Canada. Les demandeurs ont soutenu qu'il s'agissait d'une erreur d'analyse parce qu'ils avaient entrepris ces démarches afin de s'établir au Canada.

[25]            Dans Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (2000), 10 Imm. L.R. (3d) 206 (C.F. 1re inst.), le juge Pelletier a énoncé au paragraphe 17 :

On s'est également opposé au fait que l'agente qui a examiné la demande fondée sur des raisons d'ordre humanitaire a noté que les demandeurs avaient acheté une maison, mais qu'ils l'avaient fait en sachant qu'ils étaient frappés d'une mesure d'interdiction de séjour. L'avocat des demandeurs a soutenu que toute personne qui exerce un recours en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sait qu'elle sera peut-être obligée de partir. Si cela devenait un motif justifiant le rejet de la demande, il ne serait fait droit à aucune demande, a-t-il soutenu. De fait, l'avocat a dans une certaine mesure raison : le risque que court une personne de perdre des biens acquis pendant qu'elle est au Canada est un risque que courent toutes les personnes qui sont au Canada sans avoir le statut de résident permanent. Cette possibilité n'est donc pas inhabituelle. La question de savoir si pareille perte est injustifiée peut bien dépendre des circonstances, mais en général, on pourrait supposer que, si une personne assume un risque, la possibilité que l'événement donnant lieu au risque survienne n'occasionnera pas une difficulté injustifiée. La difficulté est fonction du risque assumé.

[26]            Ces commentaires s'appliquent à la situation en l'espèce. Je suis d'avis que l'agente n'a pas commis d'erreur dans sa conclusion au sujet de l'établissement au Canada.

[27]            L'intérêt supérieur de l'enfant

            Un examen de la décision de l'agente permet d'établir que l'agente a analysé de façon suffisante l'intérêt supérieur du demandeur mineur. L'agente a noté que l'enfant fréquentait l'école à Dorchester (Ontario), et que l'exposé des faits soutenait que l'enfant était menacé (en Corée du Sud). Elle a aussi noté que l'enfant pourrait probablement obtenir un permis d'études afin de terminer ses études au Canada.

[28]            L'évaluation du risque

            Les demandeurs ont prétendu que l'agente n'avait pas correctement évalué le risque auquel les demandeurs feraient face s'ils retournaient en Corée du Sud. L'agente a demandé l'opinion de l'unité d'ERAR, qu'elle a obtenue. L'agente a examiné tous les renseignements soumis par les demandeurs, y compris les renseignements que les demandeurs avaient présentés au cours du processus d'ERAR, et elle a tiré, entre autres, la conclusion suivante :

[TRADUCTION]

[...] Je ne suis pas convaincue que le degré actuel d'établissement des demandeurs, ni le risque que pourrait poser, au dire des demandeurs, leur retour en Corée du Sud, constitueraient des difficultés inhabituelles, injustifiées et excessives [...]

Je suis d'avis que l'évaluation du risque effectuée par l'agente était raisonnable.

[29]            À mon avis, la décision de l'agente de rejeter la demande CH n'était pas fautive. La demande de contrôle judiciaire sera par conséquent rejetée.

[30]            Ni l'une ni l'autre partie n'a souhaité soumettre à mon examen une question grave de portée générale pour qu'elle soit certifiée.


ORDONNANCE

[31]            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« John A. O'Keefe »

JUGE

Ottawa (Ontario)

Le 27 janvier 2006

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-10067-04

INTITULÉ :                                        NAM KI JEON

                                                            CHAE HWA JEONG

                                                            JIN HYUCK JEON (représenté par son tuteur à l'instance)

                                                            - et -

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 24 novembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE O'KEEFE

DATE DE L'ORDONNANCE :       Le 27 janvier 2006

COMPARUTIONS:

Jegan N. Mohan

POUR LES DEMANDEURS

Janet Chisholm

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mohan & Mohan

Scarborough (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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