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Date : 20030402

Dossier : T-393-98

Référence : 2003 CFPI 294

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2003

En présence de : L'honorable juge Blais

ENTRE :

                               A. LASSONDE

                                                             demanderesse

                                    et

                         SUN PAC FOODS LIMITED

                                    

                                                             défenderesse

                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une requête de A. Lassonde Inc. [demanderesse] à l'encontre d'une ordonnance du protonotaire Richard Morneau [protonotaire] en date du 16 janvier 2002, rejetant la requête de la demanderesse pour permission d'amender sa déclaration en date du 26 novembre 2001 et accordant en partie la requête en radiation de Sun Pac Foods Limited [défenderesse] en date du 4 octobre 2001.

[2]                 Un sursis d'exécution de l'ordonnance du 16 janvier 2002 a été accordé le 4 février suivant, jusqu'à ce qu'intervienne le jugement sur la présente requête.


FAITS

[3]                 Le 10 mars 1998, la demanderesse a intenté une action contre la défenderesse en raison de l'utilisation par celle-ci de la marque RHAPSODIE FRUITÉE, [nos italiques] comme version française de sa marque FRUIT RHAPSODY, en association avec des breuvages aux fruits de la même nature que les produits de la demanderesse. Selon la demanderesse, cette utilisation serait susceptible de créer de la confusion avec la marque de commerce FRUITÉ lui appartenant.

[4]                 Le 14 février 2000, la demanderesse a présenté une requête afin que soient tranchées en sa faveur certaines objections formulées par les procureurs de la défenderesse lors de l'interrogatoire de sa représentante, Lisanne Oneschuk, tenu le 6 mai 1999. Lors de cet interrogatoire, la demanderesse a justifié la pertinence d'une question à laquelle la défenderesse s'objectait en raison de sa possibilité de réclamer des dommages punitifs. Le protonotaire a également fait référence aux dommages punitifs réclamés par la demanderesse au paragraphe 21 de sa décision en date du 22 février 2000.

[5]                 Par cette décision, il était permis à la demanderesse de déposer une déclaration amendée dont il était fait état au paragraphe 8 de son mémoire en date du 29 novembre 1999, soit celui ayant entraîné la décision du 22 février 2000.

[6]                 Le paragraphe 8 dudit mémoire était à l'effet d'une élection en faveur de la reddition des profits.

[7]                 Or, le 28 février 2000, la demanderesse amenda sa déclaration pour y inclure d'autres ajouts, essentiellement des paragraphes et conclusions touchant des dommages punitifs. Ces ajouts ont suscité de vives protestations de la part de la défenderesse qui ont culminé par la présentation d'une requête en date du 12 décembre 2001, en radiation de la déclaration amendée en date du 28 février 2000.

[8]                 À cette même date, soit le 12 décembre 2001, la demanderesse a également présenté une requête, celle-ci pour permission d'amender, afin qu'elle soit autorisée à produire la déclaration amendée dans l'hypothèse où la requête de la défenderesse précitée serait accordée.

[9]                 En date du 16 janvier 2002, le protonotaire a rendu une ordonnance rejetant la requête en amendements de la demanderesse et accueillant en partie la requête en radiation de la défenderesse.


[10]            Cette dernière ordonnance fait l'objet de la présente requête.

QUESTION EN LITIGE

[11]            Le protonotaire a-t-il commis une erreur de droit ou de faits justifiant l'intervention de cette Cour?

LÉGISLATION PERTINENTE

[12]            La règle 75 des Règles de la Cour fédérale (1998) [Règles], fait référence aux conditions d'autorisation de modification de documents:



75. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et de la règle 76, la Cour peut à tout moment, sur requête, autoriser une partie à modifier un document, aux conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties.

(2) L'autorisation visée au paragraphe (1) ne peut être accordée pendant ou après une audience que si, selon le cas:

a) l'objet de la modification est de faire concorder le document avec les questions en litige à l'audience;

b) une nouvelle audience est ordonnée;

c) les autres parties se voient accorder l'occasion de prendre les mesures préparatoires nécessaires pour donner suite aux prétentions nouvelles ou révisées.

75. (1) Subject to subsection (2) and rule 76, the Court may, on motion, at any time, allow a party to amend a document, on such terms as will protect the rights of all parties.

(2) No amendment shall be allowed under subsection (1) during or after a hearing unless

                   

(a) the purpose is to make the document accord with the issues at the hearing;

(b) a new hearing is ordered; or

(c) the other parties are given an opportunity for any preparation necessary to meet any new or amended allegations.


[13]            La règle 200 fait référence aux modifications de plein droit de documents:


200. Malgré les règles 75 et 76, une partie peut, sans autorisation, modifier l'un de ses actes de procédure à tout moment avant qu'une autre partie y ait répondu ou sur dépôt du consentement écrit des autres parties.

200. Notwithstanding rules 75 and 76, a party may, without leave, amend any of its pleadings at any time before another party has pleaded thereto or on the filing of the written consent of the other parties.


[14]            La règle 221 réfère à la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure:



221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

a) qu'il ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable;

b) qu'il n'est pas pertinent ou qu'il est redondant;

c) qu'il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

d) qu'il risque de nuire à l'instruction équitable de l'action ou de la retarder;

e) qu'il diverge d'un acte de procédure antérieur;

f) qu'il constitue autrement un abus de procédure.

Elle peut aussi ordonner que l'action soit rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence.

(2) Aucune preuve n'est admissible dans le cadre d'une requête invoquant le motif visé à l'alinéa (1)a).

221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

(b) is immaterial or redundant,

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

(2) No evidence shall be heard on a motion for an order under paragraph (1)(a).


[15]            La règle 385(1)a) fait référence à l'un des pouvoirs du juge ou du protonotaire responsable de la gestion de l'instance:


385. (1) Le juge responsable de la gestion de l'instance ou le protonotaire visé à l'alinéa 383c) tranche toutes les questions qui sont soulevées avant l'instruction de l'instance à gestion spéciale et peut :

a) donner toute directive nécessaire pour permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible;

[...]

385. (1) A case management judge or a prothonotary assigned under paragraph 383(c) shall deal with all matters that arise prior to the trial or hearing of a specially managed proceeding and may

(a) give any directions that are necessary for the just, most expeditious and least expensive determination of the proceeding on its merits;

...


[16]            Les paragraphes 400(1)(2) et (3) des Règles font référence à l'adjudication des dépens entre parties.

ANALYSE

Appel d'une ordonnance d'un protonotaire


[17]            Dans Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, le juge MacGuigan, J.C.A., a établi une norme de révision des décisions des protonotaires qui a depuis été confirmée à plusieurs reprises par cette Cour. Le passage pertinent de cette décision est le suivant:

[para. 64] [...] la norme de révision des ordonnances discrétionnaires des protonotaires de cette Cour doit être la même que celle qu'a instituée la décision Stoicevski pour les protonotaires de l'Ontario. J'estime que ces ordonnances ne doivent être révisées en appel que dans les deux cas suivants:

a) elles sont manifestement erronées, en ce sens que l'exercice du pouvoir discrétionnaire par le protonotaire a été fondé sur un mauvais principe ou sur une fausse appréciation des faits,

b) le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire sur une question ayant une influence déterminante sur la solution des questions en litige dans la cause.

[para. 65] Dans ces deux catégories de cas, le juge des requêtes ne sera pas lié par l'opinion du protonotaire; il reprendra l'affaire de novo et exercera son propre pouvoir discrétionnaire.

Demande à l'effet que l'affidavit de Philippe Leroux ne soit pas considérépar la Cour:

[18]            Après une fastidieuse opération de vérification de documents, la Cour a décidé sur le banc de maintenir l'affidavit de M. Philippe Leroux et ses annexes, à l'exception de l'annexe H qui a été retirée volontairement, bien qu'après coup elle fut trouvée conforme à l'amendement verbal obtenu le jour de l'audience. La procureure de la défenderesse étant présente à cette audience tenue en décembre 2001, savait ou aurait dû savoir que l'amendement avait été accordé par le protonotaire, alors qu'elle a plaidé le contraire.

[19]            Il apparaît utile de mentionner que les procureurs de la défenderesse, par leur négligence, ont contribué largement à retarder l'audition sur cette question, somme toute mineure, et la Cour a décidé de condamner la défenderesse à payer des dépens établis à $500 à la demanderesse, considérant les avis répétés au dossier, incitant les parties à mieux coopérer dans l'intérêt de la justice.

Requêtes en radiation de la défenderesse et pour permission d'amender de la demanderesse

[20]            Il est clair, à la lecture des Règles pertinentes, qu'une partie peut amender un acte de procédure à différentes conditions, soit avec l'autorisation de la Cour ou de plein droit.

[21]            Dans le présent cas, la demanderesse avait été expressément autorisée à amender sa déclaration par ordonnance en date du 22 février 2000 et ce, relativement à la reddition des profits. Ceci satisferait à la règle 75 des Règles.

[22]            Cependant, les ajouts de la demanderesse relativement aux dommages punitifs de sa déclaration amendée, ne satisfont ni aux conditions de modification par autorisation de la règle 75, non plus qu'à la modification de plein droit de la règle 200. Quant à la modification de plein droit, aucun consentement de la défenderesse n'avait été reçu par la demanderesse relativement à ces amendements. Ceci est bien sûr illustré par la présente requête.


[23]            Dans Canderel Ltée c. Canada, [1994] 1 C.F. 3, le juge Décary, J.C.A., établit les critères en matière de demande pour permission d'amender:

[para. 9] [...] même s'il est impossible d'énumérer tous les facteurs dont un juge doit tenir compte en décidant s'il est juste, dans une situation donnée, d'autoriser une modification, la règle générale est qu'une modification devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu'elle serve les intérêts de la justice [note omise].

[...]

[para. 12] Pour ce qui est des intérêts de la justice, on peut dire que les tribunaux et les parties sont en droit de s'attendre à ce qu'un procès aboutisse, et les retards et la tension et les inquiétudes que suscite chez toutes les parties concernées une modification tardive soulevant une nouvelle question, peuvent fort bien être considérés comme un obstacle aux fins de la justice [note omise]. À notre sens, ces principes ont été le mieux résumés par lord Griffiths, s'exprimant pour la majorité, dans l'arrêt Ketteman v. Hansel Properties Ltd [note omise]:

[...]

Il appartient au juge de première instance de décider s'il y a lieu d'autoriser une modification, et il doit se laisser guider dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, par sa perception de la justice. De nombreux et divers facteurs influeront sur l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Je ne crois pas possible ni sage de tenter de les énumérer tous. Mais la justice ne peut toujours se mesurer en fonction d'une somme d'argent, et à mon sens un juge est en droit de mettre dans la balance la tension que le procès impose aux plaideurs, particulièrement s'il s'agit de particuliers plutôt que de sociétés commerciales, l'inquiétude de faire face à de nouvelles questions litigieuses, les vains espoirs soulevés, et l'attente légitime que le procès réglera les questions dans un sens ou dans l'autre. De plus, autoriser une modification avant le début du procès est tout à fait différent de l'autoriser à la fin, pour donner à un défendeur qui ne semble pas avoir gain de cause la possibilité de reprendre la lutte avec une défense entièrement nouvelle.

Un autre facteur dont le juge doit tenir compte est la pression exercée sur les tribunaux par l'augmentation considérable des procès, et donc la nécessité que, dans l'intérêt public, les procédures soient conduites efficacement. Nous ne pouvons plus nous permettre de témoigner la même indulgence à l'égard de la conduite négligente des procès que celle peut-être possible à une époque moins fébrile. Dans certaines affaires, la justice sera mieux servie si les avocats doivent assumer les conséquences de leur incurie plutôt que d'être autorisés à faire une modification à une étape très tardive de la procédure. [C'est moi qui souligne.]

[...]


[para. 17] [...] Maître de ses procédures chez lui, le juge de première instance, qui avait pris la direction de l'affaire avant qu'elle ne soit entendue, et qui avait bénéficié d'une conférence aussi bien que de requêtes préalables au procès, n'a pas, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, commis d'erreur de droit qui nous justifierait d'intervenir.

[nos italiques]

[24]            Pour revenir au faits de la présente requête, lors de l'interrogatoire du 6 mai 1999, aux pages 182 et 183 des notes sténographiques, le procureur de la demanderesse avise la défenderesse que certaines questions concernent une potentielle réclamation pour dommages punitifs:

Q. Si Sun Pac est de bonne foi, pourquoi n'essayez-vous pas de régler le problème en inscrivant "Rhapsodie de fruits" sur votre étiquette?

[...]

Mr. Clarizio: I direct the witness not to answer the question.

Mr. Barrette: Why?

Mr. Clarizio: It is not relevant.

Mr. Barrette: Why?

Mr. Clarizio: It is just not relevant, why somebody is settling or not settling. In fact, you shouldn't even be bringing it up.

Mr. Barrette: Ça peut être certainement pertinent.

[...]

Mr. Barrette: Surtout pour demander des dommages punitifs et exemplaires.

[...]

[25]            Dans le mémoire de la demanderesse daté du 29 novembre 1999, le paragraphe 14 fait référence aux dommages punitifs pour justifier la pertinence des questions auxquelles les procureurs de la défenderesse s'objectaient:

14. [...] Ces questions visent à connaître les raisons et les motifs qui soutiennent ce choix et non pas à obtenir son opinion sur la question de savoir ce qui constitue une juste traduction. D'ailleurs, c'est le vice-président de la défenderesse, M. Mc Ewan, qui avait soulevé ce point au début du litige. Qui plus est, les réponses à ces questions sont nécessaires afin de déterminer la bonne foi ou la mauvaise foi de la défenderesse et justifier l'octroi de dommages punitifs ou exemplaires;

[nos italiques]

[26]            Au paragraphe 21 de sa décision du 22 février 2000, le protonotaire énonce:

[21] Puisqu'elle réclame des dommages exemplaires, la demanderesse est en droit de savoir si le développement de cette marque de commerce « FRUIT RHAPSODY » et des mots « RHAPSODIE FRUITÉE » a fait l'objet d'un processus de création différent de celui adopté pour les autres marques de commerce de la défenderesse. Les questions 25 et 26 m'apparaissent donc pertinentes et elles devront recevoir réponse.

[nos italiques]

[27]            Cependant, au dernier paragraphe de cette décision, soit au paragraphe 34, le protonotaire est très clair par rapport à ce que la demanderesse est autorisée à modifier dans sa déclaration amendée:

[34] D'autre part, la demanderesse devra signifier et déposer le ou avant le 29 février 2000, sa déclaration amendée dont elle fait état au paragraphe 8 de son mémoire déposé le 29 novembre 1999.

[nos italiques]

[28]            Or, au paragraphe 8 de son mémoire, la demanderesse ne fait état que de la reddition des profits:

8. Tel que déjà indiqué aux procureurs de la défenderesse, la demanderesse optera pour la reddition des profits que la défenderesse a ou aura réalisés illégalement de par cette commercialisation. La demanderesse s'engage d'ailleurs par la présente à produire et signifier, dans les quinze (15) jours de la présentation de la présente requête, une déclaration amendée dans laquelle sera précisée cette option;

[nos italiques]


[29]            Il est intéressant de comparer le paragraphe 8 avec le paragraphe 14 du mémoire de la demanderesse. Lorsqu'elle fait référence à la reddition des profits, la demanderesse mentionne expressément qu'une déclaration amendée précisant cette option sera produite. Tandis que lorsqu'il est question des dommages punitifs, la demanderesse justifie la pertinence de certaines questions posées lors de l'interrogatoire du 6 mai 1999 afin de déterminer la bonne ou mauvaise foi de la défenderesse et justifier l'octroi de dommages punitifs.

[30]            La demanderesse aurait pu profiter de cette occasion pour demander l'autorisation d'amender sa déclaration, le cas échéant où des dommages punitifs s'avéraient justifiés, comme elle l'a fait pour l'option de la reddition des profits. Or, elle n'a pas jugé bon de le faire.

[31]            Il me semble donc qu'il est de la propre négligence de la demanderesse si les amendements relatifs aux dommages punitifs n'ont pas été autorisés par le protonotaire. Pourquoi aurait-elle procédé en fonction des Règles pour l'amendement relatif à la reddition des profits mais non pas pour l'amendement relatif aux dommages punitifs?

[32]            Dès sa lecture de l'ordonnance du 22 février 2000 l'autorisant à déposer sa déclaration amendée dont elle faisait état au paragraphe 8 de son mémoire déposé le 29 novembre 1999, la demanderesse aurait dû prendre les mesures nécessaires afin d'obtenir soit l'autorisation du protonotaire ou le consentement de la défenderesse lui permettant ainsi d'amender sa déclaration pour y inclure une réclamation en dommages punitifs conformément aux Règles. Elle ne l'a pas fait.


[33]            Bien que le paragraphe 21 de la décision du protonotaire du 22 février 2000 fasse référence à une réclamation de dommages exemplaires, force est de conclure que ladite « réclamation » ne s'est pas matérialisée suivant les Règles prévues à cet effet.

[34]            Je suis d'avis que le protonotaire, maître de sa procédure et responsable de la gestion de l'instance, n'a pas, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, commis d'erreur de droit qui nous justifierait d'intervenir.

Clôture des plaidoiries écrites

[35]            La règle 385(1)a) est claire, le juge responsable de la gestion de l'instance ou le protonotaire visé à l'alinéa 383c) tranche toutes les questions qui sont soulevées avant l'instruction de l'instance à gestion spéciale et peut donner toute directive nécessaire pour permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible.

[36]            La demanderesse a déposé sa déclaration le 10 mars 1998. Nous sommes aujourd'hui en 2003. Après plus de 5 ans, l'échange de requêtes entre les procureurs des parties se poursuit.


[37]            En émettant une directive à l'effet de geler les procédures écrites, le protonotaire avait comme objectif d'éviter d'autres débats entre les parties. Une partie de l'ordonnance du 16 janvier 2002 illustre cet objectif:

[4] Il en résulte qu'après bientôt quatre années depuis le dépôt de la déclaration d'action, on est toujours à se pencher sur le texte des plaidoiries écrites et à régler - ce qui semble être la prochaine étape dans le futur - le sort d'engagements ou d'objections soulevées lors d'interrogatoires au préalable tenus en mai et novembre 1999. Une fois ces difficultés réglées, les parties se proposent d'entreprendre une seconde joute d'interrogatoires au préalable!

[38]            Dans cette ordonnance, le protonotaire cite un passage de l'arrêt Bande de Sawridge c. Canada (C.A.), [2002] 2 C.F. 346, où le juge Rothstein, J.C.A., énonce:

[para. 11] Nous tenons à profiter de l'occasion pour énoncer la position prise par la Cour dans les cas où une ordonnance rendue par le juge responsable de la gestion d'une instance a été portée en appel. Il faut donner au juge responsable une certaine latitude aux fins de la gestion de l'instance. La Cour n'intervient que dans les cas où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé. Cette approche a été énoncée d'une façon juste par la Cour d'appel de l'Alberta dans l'arrêt Korte c. Deloitte, Haskins and Sells (1995), 36 Alta. L.R. (3d) 56, au paragraphe 3; elle s'applique en l'espèce. Nous adoptons les remarques ci-après énoncées:


[TRADUCTION] Il s'agit d'un litige fort compliqué. L'instance est gérée, et ce, depuis 1993. Les ordonnances qui ont ici été rendues sont discrétionnaires. Nous avons déjà dit et nous tenons à répéter qu'il faut donner une certaine "marge de manoeuvre" au juge responsable de la gestion de l'instance dans une affaire complexe lorsqu'il s'agit de régler des questions interlocutoires interminables et de faire avancer l'affaire jusqu'à l'étape du procès. Dans certains cas, le juge responsable de la gestion de l'instance doit faire preuve d'ingéniosité de façon à éviter que l'on s'embourbe dans un tas de questions procédurales. La Cour n'intervient que dans les cas où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé. Les ordonnances minutieusement libellées que le juge responsable de la gestion de l'instance a rendues en l'espèce démontrent une bonne connaissance des règles et de la jurisprudence pertinente. En particulier, l'ordonnance dispose que les parties peuvent à leur gré demander au juge responsable de la gestion de l'instance d'être libérées d'une obligation trop lourde imposée par l'ordonnance. Il n'a pas été démontré qu'une erreur ait clairement été commise; nous refusons d'intervenir. La chose cause peut-être un inconvénient à certaines parties, mais cela ne veut pas pour autant dire qu'une erreur susceptible de révision a été commise. Il n'incombe pas à la Cour de fignoler les ordonnances rendues [page 355] dans des procédures interlocutoires, en particulier dans un cas comme celui-ci.

[nos italiques]

[39]            En l'occurrence, je suis d'avis qu'un pouvoir discrétionnaire judiciaire n'a pas été manifestement mal exercé par le protonotaire.

Dépens

[40]            Toujours dans sa décision du 22 février 2000, le protonotaire fait référence à la conduite des procureurs des parties. Il énonce:

[29] Les procureurs des parties - et spécialement celui de la demanderesse à l'égard de sa vis-à-vis pour la défenderesse - verront à améliorer leur coopération mutuelle dans l'intérêt de leur client respectif et de l'avancement harmonieux du présent dossier. Si cela ne se matérialise pas, il n'est pas dit que toute partie fautive ne sera pas sanctionnée de dépens dans le futur.

[41]            Or, le paragraphe 400(3) des Règles est clair: dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour peut tenir compte de divers facteurs pour déterminer le montant des dépens.

[42]            Il semble évident que le protonotaire, en condamnant la demanderesse aux dépens, réprouvait sa conduite. Il écrit, dans l'ordonnance du 16 janvier 2002:


[20] La requête en radiation de la défenderesse sera donc accueillie en partie tel que stipulé plus avant et la requête en amendements de la demanderesse sera rejetée, le tout avec un jeu de dépens pour ces deux requêtes; dépens que je fixe à la somme de 3000$ payable immédiatement à la défenderesse vu que la demanderesse est à l'origine des deux requêtes présentes qui ont eu comme résultat de retarder encore l'avancement du dossier. Une somme substantielle de dépens est donc ici de mise.

[nos italiques]

[43]            L'adjudication de dépens sur une base avocat-client peut être accordée lorsque l'inconduite est reliée au litige. Le passage suivant de l'arrêt Apotex c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (2000) 265 N.R. 90, [2000] A.C.F. n ° 1919, prononcé par le juge Malone, est susceptible de nous éclairer:

[para. 8] De même, en 1986, la Cour d'appel fédérale a adopté une règle apparentée dans la décision Amway Corporation c. La Reine [Voir Note 12 ci-dessous], où le juge Mahoney a dit ce qui suit :

Note 12: [1986] 2 C.T.C. 339 (C.A.F.), aux pp. 340 et 341.

Les frais entre le procureur et son client sont exceptionnels et ne doivent généralement être accordés qu'en raison d'une faute reliée au litige.

[nos italiques]

[44]            De plus, dans King c. Canada (Procureur général), (2000) 261 N.R. 93, [2000] A.C.F. n ° 1558, le juge Malone énonce:

[para. 3] En l'espèce, le juge des requêtes a alloué les dépens sur une base avocat-client en raison de la conduite du Tribunal des anciens combattants, qui n'observait pas une ordonnance antérieure de la Cour. [...]

[nos italiques]


[45]            En l'espèce, c'est également ce que la demanderesse a fait, i.e. ne pas observer l'ordonnance du 22 février 2000 émise par le protonotaire, l'autorisant à amender sa déclaration relativement à la reddition des profits et non pas relativement à la réclamation de dommages punitifs.

[46]            En conséquence, le protonotaire n'a commis aucune erreur justifiant l'intervention de cette Cour.

                                                               O R D O N N A N C E

La requête est donc rejetée avec dépens en faveur de la défenderesse. La défenderesse devra, de son côté, payer à la demanderesse des dépens établis à $500 quant à sa requête préliminaire.

                 « Pierre Blais »                 

                      J.C.F.C.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                   

DOSSIER :                                           T-393-98

INTITULÉ :                                        A. LASSONDE INC.

                                                                                                                                               Demanderesse

                                                                                   et

SUN PAC FOODS LIMITED

                                                                                                                                                   Défenderesse

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :              6 mars 2003

MOTIFS :                                            L'honorable juge Blais

DATE :                                                  Le 2 avril 2003

DATE DES MOTIFS :                     

COMPARUTIONS :

Me Bruno Barrette                                                                         POUR LE DEMANDEUR

Me Pascal Lauzon

Me Stéphane Chong                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

Me Keri Johnston

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Brouillette Charpentier Fortin                 POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)


Johnston Avisar                                                                              POUR LE DÉFENDEUR

Toronto (Ontario)

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