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     Date: 20000824

     Dossier: IMM-3464-99


Entre :

     Aboudou Rassidou ADAM

     Partie demanderesse

     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION

     Partie défenderesse



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE PINARD :

[1]      La demande de contrôle judiciaire vise une décision rendue le 2 juin 1999 par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (le tribunal) statuant que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention, tel que défini au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi), et qu'il n'a pas fait la preuve d'un minimum de fondement à sa revendication aux termes du paragraphe 69.1(9.1) de cette même Loi.

[2]      Le demandeur, citoyen du Togo, allègue avoir une crainte bien fondée de persécution en raison de ses opinions politiques. Le tribunal a résumé les faits pertinents comme suit :

             Le revendicateur allègue être un représentant étudiant dans la préfecture où il habite. Il serait membre du Parti pour la démocratie et le renouveau (PDR) depuis juillet 1991. Selon son récit, il aurait distribué des tracts en février 1995 et il aurait pris le maquis. Le revendicateur a déposé en pièce une lettre originant du président de la section ASSOLI, informant sa famille qu'il est recherché et en danger. On prie de renseigner le revendicateur de cette situation. Il est et il demeure caché.
             Alors, le 21 juin 1998, le revendicateur rompt le silence à l'occasion des élections et il joue un rôle important. L'élection se déroule le 24 juin 1998. Le président sortant, monsieur Gnassinbé Eyadema est reporté au pouvoir avec 52% du suffrage exprimé. Selon le revendicateur, avant que le ministre de l'Intérieur prenne en charge le décompte, les quatre grandes villes du pays auraient appuyé le leader de l'opposition à 80%.
             Le 25 juin 1998, trois personnes se seraient présentées à sa résidence pour le chercher. Le revendicateur est absent. Il apprend par sa cousine que ces personnes étaient masquées et auraient proféré des menaces à son endroit. Le revendicateur se cache à nouveau pour une période de deux jours avant de quitter définitivement son pays, le 27 juin 1998, à destination du Bénin. Il traversera la Côte d'Ivoire, le Sénégal avant de gagner les États-Unis, où il séjournera quatre jours avant de franchir nos frontières le 11 juillet. Il revendiquera le statut de réfugié le même jour. [Renvois omis.]


[3]      Le tribunal reconnaît que le demandeur a une excellente connaissance de la politique au Togo et que son témoignage relativement à l'élection de juin 1998 ainsi qu'au dépouillement du scrutin est corroboré par la preuve documentaire.

[4]      Toutefois, le tribunal juge le demandeur non crédible pour les raisons suivantes :

-      il n'a pas prouvé qu'il était un militant actif dans la campagne électorale parce qu'il s'est tenu caché jusqu'au 21 juin;
-      aucune preuve n'a été déposée à l'effet que les personnes masquées qui sont venues à sa résidence, le lendemain de l'élection, étaient des agents de l'État;
-      il n'était pas une menace pour le gouvernement togolais car son parti n'a récolté que 3,02 pour cent des suffrages et est arrivé au quatrième rang aux élections présidentielles.

[5]      Le tribunal affirme aussi que depuis les élections, "[l]a poussière est tombée et l'animosité entre les différentes factions s'est sûrement estompée et la vie a repris son cours normal".

[6]      Enfin, le tribunal reproche au demandeur d'avoir transité par le Bénin, la Côte d'Ivoire, le Sénégal et les États-Unis sans y avoir revendiqué le statut de réfugié.

[7]      Il est bien établi qu'en matière de crédibilité et d'appréciation des faits, cette Cour ne doit pas intervenir à la légère, compte tenu notamment de la compétence spécialisée de ce tribunal (voir la décision de la Cour d'appel fédérale dans Aguebor c. M.E.I. (1993), 160 N.R. 315).

[8]      En l'espèce, le tribunal m'apparaît avoir commis plusieurs erreurs.

[9]      D'abord, la preuve établit clairement que c'est le 21 juin 1998 que les élections ont eu lieu, et non le 24 juin. Puis, relativement à la mention par le demandeur, dans son Formulaire de renseignements personnels, voulant qu'il ait "rompu avec le silence", le tribunal a eu tort de conclure que le demandeur avait affirmé "être sorti de l'ombre le 21 juin" et qu'en conséquence il n'était pas vraisemblable qu'il ait pu participer activement à la période électorale. En effet, la phrase où le demandeur indique avoir rompu avec le silence doit être lue en tenant compte du texte qui la précède et de celui qui la suit :

         Le dimanche 21 juin 1998 est la date prévue pour les élections. J'ai rompu avec le silence. Encore une fois, j'ai joué un rôle très important dans la campagne présidentielle. J'ai participé à des tournées de sensibilisation dans Bafilo et les villages environnants. Nous avons démontré la capacité de l'opposition d'avoir l'électorat. On vote le dimanche 21 juin 1998. . . .


[10]      En outre, le demandeur a expliqué lors de l'audience devant le tribunal qu'il avait pris part activement au déroulement de la campagne à partir du 6 mai1. Dans ce contexte, il m'apparaît tout à fait arbitraire pour le tribunal de conclure que le demandeur ne soit sorti de l'ombre que le 21 juin et qu'il n'ait pu participer à la campagne électorale.

[11]      Par ailleurs, la conclusion du tribunal selon laquelle il est invraisemblable que le gouvernement aurait persécuté un parti d'opposition qui a récolté seulement 3,02 pour cent des suffrages n'est pas davantage supportée par la preuve. L'explication du demandeur à la page 273 du Dossier du tribunal à l'effet que les partis d'opposition sont perçus comme un bloc est corroborée par la preuve documentaire à la page 70 du même dossier, laquelle indique que le PDR fait parti d'une coalition. De plus, la preuve documentaire indique que les organisateurs du PDR sont ciblés par le gouvernement. Selon l'article "Bombing Heightens Political Tension"2, daté du 25 août 1998 :

             A group of eight opposition parties charged in a communique issued last week that members of the security forces had attacked the residences of members of the UFC executive and destroyed the party's headquarters by fire.
             The district headquarters of the opposition Party for Renewal and Democracy (PDR) in the central town of Sokode was damaged by a bomb while the home of the party's representative in Bafilo, 50 kms from Sokode was reportedly destroyed in a bomb blast. In Lome, one of the houses of PDR leader Zarifou Ayeva suffered the same fate.


[12]      Ainsi, la conclusion du tribunal selon laquelle le PDR "n'est nullement une menace pour la stabilité du gouvernement, alors pourquoi s'en prendre au revendicateur, un organisateur local?" est, à mon avis, erronée.

[13]      Enfin, l'affirmation du tribunal que la vie au Togo a repris son cours normal n'est pas supportée par la preuve. L'article "Togo Holds Legislative Elections in March"3, daté du 22 janvier 1999, indique qu'il y a encore une "political impasse". Rien n'indique qu'au moment de l'audition, il y ait eu amélioration de la situation au Togo.

[14]      Toutes ces erreurs m'apparaissent suffisamment sérieuses pour vicier l'appréciation faite par le tribunal de la crédibilité du demandeur et pour miner l'ensemble de sa décision.

[15]      En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est maintenue et l'affaire, retournée devant la Section du statut de réfugié différemment constituée pour nouvelle considération.




                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 24 août 2000



__________________

1      Dossier du tribunal à la page 269.

2      Dossier du tribunal à la page 176.

3      Dossier du tribunal à la page 191.

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