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Date: 19980202


Dossier : IMM-1432-97


OTTAWA (Ontario), ce lundi 2 février 1998.


EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE CAMPBELL


ENTRE :

     LEBNAN HAMMOUD,

     requérant,


     - et -


     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.


     ORDONNANCE


         Pour les motifs énoncés par écrit, la demande est rejetée.




Douglas R. Campbell

Juge




Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau





Date: 19980202


Dossier : IMM-1432-97


ENTRE :


     LEBNAN HAMMOUD,

     requérant,

     - et -



     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE CAMPBELL :



[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant une décision en date du 21 mars 1997, par laquelle la Section du statut de réfugié (SSR) a conclu que Lebnan Hammoud (le requérant) n'est pas un réfugié au sens de la Convention.

[2]      La demande de contrôle judiciaire est fondée sur les motifs suivants, exposés par le requérant dans sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire :

     1.      La SSR a commis une erreur de droit en ne fondant pas sa décision sur l'ensemble de la preuve versée au dossier;
     2.      La décision de la SSR est fondée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments du dossier;
     3.      La SSR a commis une erreur de droit en estimant que le requérant ne craignait pas avec raison d'être persécuté au Liban.
         Le requérant sollicite de la Cour une ordonnance annulant la décision de la SSR et prescrivant une nouvelle audition.

A.      Les faits


[3]      Le requérant est citoyen du Liban. Il est devenu membre actif du Parti communiste (PCL) en 1982, alors qu'il habitait son village de Kfarhamam, situé en zone d'occupation israélienne.

[4]      En 1986, le requérant s'enfuit de son village et rejoint la résistance regroupée au sein du Mouvement nationaliste libanais/résistance. Le requérant faisait partie du service de propagande et distribuait des tracts d'opposition aux Israéliens, appelant les citoyens à la résistance contre l'invasion israélienne.

[5]      Le Mouvement nationaliste libanais/résistance et le Hezbollah ont conclu une alliance. Au mois de mars 1986, en raison des conflits qui les opposent, les deux partis ont perdu un certain nombre de leurs meilleurs éléments.


[6]      En juillet 1986, le requérant est détenu pendant une semaine par le Hezbollah, qui fait peser sur lui des menaces de mort. Afin de se sauver, le requérant supplie le Hezbollah de lui permettre de se joindre à eux. On parvient à un accord et le requérant bénéficie d'un échange de prisonniers.

[7]      En octobre 1986, le requérant déménage à Beyrouth où, pendant les deux années qui suivent, il suit des cours à la Faculté des sciences de l'université libanaise. À l'université, le Hezbollah et le PCL continuent à s'opposer. Le requérant profite de la position qu'il occupe en tant que leader étudiant pour promouvoir la résistance au parti du Hezbollah et à l'occupation israélienne au Liban. À cette époque, il assure la formation idéologique des nouveaux membres du Parti communiste, et, en tant que bonne plume du journal édité à l'université, rédige des articles critiquant l'idéologie du Hezbollah et mène campagne contre les intégristes musulmans.

[8]      En février 1987, les membres du Hezbollah, reconnaissant le requérant au passage d'un point de contrôle, ouvrent le feu sur lui. Revenu à l'université, il continue à recevoir des menaces et à se trouver pris dans divers conflits. Le PCL l'aide à obtenir une bourse d'études universitaires à Moscou à partir du mois de septembre 1989.

[9]      En octobre 1988, le requérant termine ses études universitaires à Beyrouth, poursuivant son alliance et son action avec le PCL. À l'époque, et jusqu'au début de ses études universitaires à Moscou en septembre 1989, il ne restera jamais très longtemps à la même adresse.

[10]      Après son départ de l'université, le requérant apprend l'assassinat de H.H., un professeur considéré comme un des dirigeants du PCL. Selon le requérant, des étudiants de diverses facultés sont enlevés. En 1987, le Dr Sel T. est enlevé et l'on retrouve quelque temps après son corps, et le Dr H. est assasiné à son domicile sous les yeux de son épouse.

[11]      Vers le mois de janvier 1990, le requérant se rend 20 jours au Liban, son père étant très malade. Son père est tombé malade après avoir été détenu pendant huit mois, en 1989, par les Israéliens et l'Armée du Sud Liban (ASL). Le requérant pense que son père a été détenu en raison de son action, à lui, auprès du PCL. Il a habité chez sa soeur à Beyrouth, où sa mère est venue lui rendre visite. Le requérant a témoigné qu'il n'a pas pu retourner dans son village depuis 1986.

[12]      Au mois de février 1990, le requérant va rendre visite à une autre de ses soeurs, dans le secteur sud de Beyrouth. Peu de temps après qu'il a été reconnu par un ancien étudiant en quittant l'autobus, le Hezbollah tente de l'enlever, mais le requérant s'échappe malgré les coups de feu tirés sur lui. Il se cache chez un ami, et ne signale pas l'incident à la police, estimant inutile de le faire. Dans cette région, d'ailleurs, il n'y a aucun poste de police, ni aucun représentant de l'État. Le Hezbollah exerce un contrôle armé sur l'ensemble de la zone.

[13]      Le requérant rentre à Moscou et poursuit son activité politique pendant encore deux ans. En 1993, son activité prend fin, la chute du régime communiste ayant mis un terme aux réunions.

[14]      En 1994, le frère du requérant, M., qui habite à Kfarhamam, est " pris " par les Israéliens, comme l'avait été son père. M. vit maintenant à Sidon, mais continue à craindre le Hezbollah. M. ne fait pas partie du PCL, mais le requérant craint que le Hezbollah ne soupçonne M. de collaborer avec les Israéliens.

[15]      Au mois d'août 1995, le requérant retourne au Liban, son visa d'étudiant étant venu à expiration et ses études étant achevées. Il rentre au Liban car il veut aller voir son père et qu'il doit, de toute manière, y passer des examens d'équivalence. Il rend visite à son frère à Sidon, ainsi qu'à sa soeur à Hayamadi, se rend chez des amis et se met à la recherche d'un emploi à Sidon ainsi qu'à Beyrouth.

[16 ]      Alors qu'il se trouve chez sa soeur, quatre hommes se présentent à la porte, exigeant de le voir. Lorsque sa soeur leur répond qu'il n'est pas là, les hommes s'introduisent de force et le battent. On lui bande les yeux et on l'emmène vers un lieu inconnu. Là, on le torture deux fois par jour, on l'accuse d'être un infidèle qui, après avoir rejoint les communistes, s'en prend à l'Islam et on cherche à lui faire nommer d'autres partisans du Parti communiste. Craignant pour sa vie, le requérant collabore et on le libère.

[17]      Pendant 11 ou 12 jours, le requérant se cache chez un ami dans les faubourgs de l'ouest de Beyrouth. Le requérant fait en sorte de pouvoir reprendre ses études à Moscou, et il obtient un visa d'étudiant. Son beau-frère a soudoyé un garde de l'aéroport afin de permettre au requérant de s'envoler pour Moscou.

[18]      Alors qu'il se trouve à Moscou, le requérant obtient un visa de visiteur qui lui permet de se rendre au Canada, en novembre 1996, afin de rendre visite à ses frères et soeurs. Le 20 janvier 1996 (deux mois après son arrivée ici) le requérant revendique le statut de réfugié. Il a attendu aussi longtemps car il n'était pas au fait de la procédure.

[19]      Le requérant craint que, s'il rentre à Kfarhamam, ou dans la zone de sécurité, l'ASL ou les Israéliens le prendront de force et le condamneront à l'emprisonnement à perpétuité. Le requérant craint également le Hezbollah en dehors de la zone de sécurité, à cause de l'action qu'il a exercée au sein du PCL.

B.      La décision visée

[20]      La SSR a trouvé vraisemblable le fait que le requérant ait adhéré au PCL, qu'il ait suivi des cours à l'université libanaise pendant deux ans, qu'il ait étudié à l'université de Moscou du mois d'août 1989 au mois de janvier 1995, qu'il ne puisse pas retourner à Kfarhamam, dans le Sud du Liban, parce qu'il y est recherché par la police israélienne et par l'ALS, et que son père et son frère aient été détenus en raison de ses propres opinions politiques.

[21]      La SSR n'a, cependant, pas trouvé vraisemblable le fait que le Hezbollah ait persécuté le requérant à son retour de l'université de Moscou, en 1990 et en 1995, et le fait qu'il soit venu au Canada pour y chercher asile en raison de ces persécutions. La SSR n'a pas non plus jugé vraisemblable le fait que le requérant ait craint le Hezbollah dans d'autres régions du Liban étant donné que, selon la preuve documentaire versée au dossier, le Hezbollah et le PCL ont mis un bémol à leur hostilité réciproque. Sur ce point, la SSR a conclu que :

[Traduction]
Dans son examen de la preuve, le Tribunal privilégie la preuve documentaire par rapport au témoignage du requérant au sujet des conditions prévalant dans son pays, étant donné que la preuve documentaire est plus détaillée que le témoignage fourni par le requérant; qu'elle est plus objective, et qu'elle provient de plusieurs sources indépendantes, désintéressées en l'occurrence. (page 9)

[22]      La SSR ajoute alors que même si le récit du requérant est véridique, les membres du Tribunal estiment, en se fondant sur la preuve documentaire, que le gouvernement libanais serait en mesure de protéger le requérant contre le Hezbollah.

[23]      En concluant que le requérant n'était pas objectivement fondé à dire qu'il craignait avec raison d'être persécuté par le Hezbollah, la SSR déclare, au sujet du requérant :
[Traduction]
Il reconnaît qu'il ne court pas, du fait du Hezbollah, un des risques énumérés. Il peut reprocher au Hezbollah d'enfreindre la liberté de parole, mais le Tribunal estime qu'au Liban, aujourd'hui, le requérant dispose d'un certain nombre de recours au cas où cela lui arriverait. (page 10)
[24]      En ce qui concerne la crainte subjective d'être persécuté, la SSR conclut que :
[Traduction]
...le fait que le requérant soit rentré dans son pays alors qu'il prétend craindre avec raison d'être persécuté n'est pas compatible avec la crainte d'être persécuté.
...
...le Tribunal estime que, compte tenu de la documentation versée au dossier, sa crainte n'est pas fondée. Il ne risque rien auprès du Hezbollah. Bien qu'il ait témoigné de son intention de poursuivre son action au sein du PCL, le Tribunal estime que, compte tenu de la position actuelle du PCL, le requérant n'attirerait pas, en faisant cela, l'attention du Hezbollah. (page 11)

C.      La position du requérant

[25]      Le requérant soutien que c'est à tort qu'on a écarté son témoignage, non contredit, quant aux mesures prises contre lui par le Hezbollah. Il soutient également que, à la rubrique des preuves pertinentes de leurs motifs de décision, les membres de la SSR ont accepté comme crédibles des preuves importantes qu'ils ont cependant décidé d'écarter, en même temps que d'autres preuves importantes, pour conclure que le requérant n'était pas objectivement fondé à craindre d'être persécuté et qu'il n'existait aucune " possibilité sérieuse " qu'il soit persécuté s'il rentrait au Liban. D'après le requérant, cela constitue une erreur de droit.

D.      La position de l'intimé

[26]      L'intimé soutien, pour sa part, que la SSR peut très bien privilégier la preuve documentaire par rapport au témoignage du requérant, si elle estime que la première est plus fiable. L'intimé fait également valoir que la SSR a tenu compte de l'ensemble des preuves versées au dossier, décidant cependant d'accorder davantage de poids à la preuve documentaire étant donné que celle-ci était plus détaillée, plus objective, et qu'elle provenait de plusieurs sources indépendantes.

[27]      L'intimé soutien que la SSR pouvait raisonnablement parvenir aux conclusions et inférences qu'elle a tirées dans cette affaire et que celles-ci ne devraient, par conséquent, pas être infirmées.

[28]      En ce qui concerne la thèse défendue par le requérant, et selon laquelle la SSR a tiré une conclusion de fait erronée, l'intimé fait valoir que la preuve documentaire versée au dossier étaye la conclusion tirée par la SSR selon laquelle le requérant ne craignait pas avec raison d'être persécuté ailleurs au Liban.

E.      Les questions en litige

[29]      Les questions qui se posent en l'espèce sont les suivantes :

     1.      La SSR a-t-elle omis de tenir compte de l'intégralité de la preuve versée au dossier?
     2.      La SSR a-t-elle fondée sa décision sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

F.      Analyse

[30]      Je conviens avec l'intimé que la SSR a effectivement considéré le témoignage du requérant. Le fait que la SSR ait indiqué qu'il s'agissait, pour elle, d'évaluer la crédibilité du requérant, est assez trompeur, mais si l'on prend l'ensemble de sa décision, on s'aperçoit que c'est après avoir considéré l'ensemble de la preuve documentaire que la SSR a décidé de ne pas accorder de poids au témoignage du requérant.

[31]      Je conviens avec l'intimé que la SSR peut à juste titre se livrer à cette sorte d'évaluation et parvenir à la conclusion qui est la sienne.

[32]      La SSR n'a peut-être pas fait état de toute la preuve documentaire sur laquelle elle s'est fondée, mais j'estime que l'analyse attentive et détaillée dont il est fait état dans sa décision est effectivement fondée sur l'ensemble de la preuve versée au dossier. Je ne relève aucune conclusion de fait erronée.

[33]      Par conséquent, je ne relève en l'espèce aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire et la demande est donc rejetée.

     Douglas R. Campbell

     Juge




Traduction certifiée conforme


Laurier Parenteau

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER



NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-1432-97
INTITULÉ :                  LEBNAN HAMMOUD c.
                         MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE
                         L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :          CALGARY (Alberta)
DATE DE L'AUDIENCE :          le 27 janvier 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE M. LE JUGE CAMPBELL

DATE :                      le 2 février 1998


ONT COMPARU :


Me Donald D. Lowe              POUR LE REQUÉRANT

Me Brad Hardstaff              POUR L'INTIMÉ


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :


O'Neil, Dunn and Lowe          POUR LE REQUÉRANT

Calgary (Alberta)


George Thompson              POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général

du Canada

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