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Date : 20030825

Dossier : T-660-02

Référence : 2003 CF 981

Toronto (Ontario), le 25 août 2003

En présence de Madame le juge Layden-Stevenson           

ENTRE :

                                                    ASTRAZENECA CANADA INC.

demanderesse

                                                                                   et

APOTEX INC., TAKEDA CHEMICAL INDUSTRIES, LTD.

et le MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                                     défendeurs

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 La Cour est saisie d'une requête présentée par la défenderesse Apotex Inc. (Apotex) en vue d'obtenir l'annulation de l'ordonnance en date du 8 juillet 2003 par laquelle un protonotaire l'a déboutée de sa requête en radiation du paragraphe 47 du mémoire des faits et du droit de la demanderesse et des onglets 24 et 26 des annexes A et B du mémoire des faits et du droit de la demanderesse. Voici les motifs pour lesquels je rejette la présente requête.

[2]                 Dans la demande principale, AstraZeneca Canada Inc. (AstraZeneca) sollicite, en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Apotex au sujet des comprimés d'Apo-Oméprazole (10, 20, 40 mg) tant que le brevet canadien no 1338377 (le brevet 377) ne sera pas expiré. Ramené à sa plus simple expression, le litige porte sur la question de savoir si le médicament d'Apotex contient un agent stabilisant de sel minéral sélectionné à partir de sels de potassium, de sodium et d'aluminium.

[3]                 Le débat porte notamment sur la mention par AstraZeneca de deux ouvrages précis dans la partie des annexes de son mémoire intitulé « références » et sur le fait qu'elle cite ces deux ouvrages à l'appui des allégations articulées au paragraphe 47 de son mémoire :

[traduction]

Plus précisément, les comprimés d'Apotex contiennent du carboxymethycellulose sodique et de la croscarmellose sodique, qui sont des sels de sodium.

[4]                 Les passages contestés sont tirés de la page 308 duMerck Index, An Encyclopedia of Chemicals, Drugs and Biologicals, 13e éd. (onglet 24) et de la page 160 du Handbook of Pharmaceutical Excipients, 3e éd. (onglet 26).


[5]                 Lors de l'instruction de la requête soumise au protonotaire et de celle de la présente requête, Apotex a soutenu que AstraZeneca voulait mettre en preuve les ouvrages mentionnés aux onglets 24 et 26 et que, pour ce faire, il lui fallait obtenir l'autorisation de la Cour pour produire ces « éléments de preuve » . Le protonotaire a conclu que l'intervention de la Cour, à cette étape de l'instance, n'était pas nécessaire et que la question devait être débattue devant le juge qui statuera sur le fond de l'affaire.

[6]                 Le juge saisi de l'appel d'une ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire ne doit intervenir que si l'ordonnance est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits ou si l'ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal (Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.F.). Apotex ne prétend pas que la requête porte sur des questions qui ont une influence déterminante sur l'issue du principal. Il lui faut donc établir que le protonotaire a commis une erreur flagrante.


[7]                 Il ressort à l'évidence du premier paragraphe du dispositif de son ordonnance que le protonotaire a procédé à une appréciation complète des faits. Apotex soutient que le protonotaire a commis une erreur en n'abordant pas la question essentielle soulevée par la requête, en l'occurrence celle de savoir si les ouvrages cités constituaient des éléments de preuve ou de simples références. Alors qu'Apotex soutient que les ouvrages cités aux onglets 24 et 26 constituent des éléments de preuve, AstraZeneca maintient qu'ils sont des ouvrages de référence scientifiques qui font autorité dans le domaine de la chimie et de la pharmacologie et qu'ils s'apparentent à des dictionnaires et que, pour cette raison, le juge saisi de la requête devrait en prendre connaissance d'office. Bien que AstraZeneca n'ait cité aucune décision de notre Cour à l'appui de cet argument, elle a mentionné des décisions rendues par des tribunaux administratifs compétents en matière de marques de commerce et de brevets ainsi qu'une décision (R. c. Marushka, (1981), 20 C.R. (3d) 168) dans laquelle la Cour supérieure du Québec a considéré le Merck Index comme un ouvrage de référence dont l'autorité était suffisamment reconnue en chimie pour que la Cour prenne connaissance d'office de son contenu. Se fondant sur l'arrêt R. c. Chiouotti, (1950), 96 C.C.C. 177 (C.A.C.-B.), elle a signalé que la Cour y avait reconnu un ouvrage de référence en pharmacologie analogue au Handbook of Pharmaceutical Excipients. C'est dans ce contexte que le protonotaire a conclu que le litige devait être tranché par le juge des requêtes.

[8]                 Voici la définition que Sopinka et Lederman donnent de la « connaissance d'office » dans leur ouvrage The Law of Evidence in Canada, 2e éd. (Toronto, Butterworths, 1999), à la page 1055 : [TRADUCTION] « Acceptation par le tribunal, tant en matière civile qu'en matière pénale, de la véracité d'un fait ou d'une situation sans avoir besoin d'une preuve formelle » . Les extraits suivants sont instructifs :

[traduction]

Le tribunal peut admettre d'office et sans qu'il soit besoin qu'une partie en fasse la preuve tout fait a) dont la notoriété en rend l'existence raisonnablement incontestable; b) dont il est possible d'établir facilement l'exactitude en recourant à des sources facilement accessibles dont la fiabilité ne saurait être remise en question (à la page 1055).

Il y a des faits qui, même s'ils n'entrent pas dans la connaissance immédiate du juge, sont incontestables et dont l'existence peut être vérifiée en recourant à des sources que le juge peut légitimement consulter. Parmi ces sources, mentionnons les traités, les dictionnaires, les almanachs et les autres ouvrages de référence, les recueils de jurisprudence, les certificats établis par des fonctionnaires, les déclarations de fonctionnaires et les dépositions des témoins au procès (à la page 1058).

La jurisprudence est cependant contradictoire sur la possibilité pour le tribunal de prendre connaissance d'office des faits naturels et des faits scientifiques dont l'existence peut être établie en recourant à des sources fiables (à la page 1059).

Avant d'admettre un fait d'office, le juge devrait accorder aux avocats la possibilité de présenter des éléments de preuve ou de faire valoir des arguments sur l'opportunité d'admettre d'office le fait en question (à la page 1067).

[9]                 Toutes les demandes, y compris celles qui relèvent du champ d'application du Règlement, doivent être instruites rapidement et les requêtes interlocutoires telles que les requêtes en radiation sont incompatibles avec l'objet des règles qui régissent les demandes (Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1995), 58 C.P.R. (3d) 209 (C.A.F.). C'est au juge statuant sur le fond de la demande qu'il appartient de se prononcer sur la pertinence, la valeur et l'admissibilité de tout élément présenté par les parties : Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1995), 58 C.P.R. (3d) 245 (C.F. 1re inst.); Hoffmann-LaRoche Ltd. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1996), 70 C.P.R. (3d) 26 (C.F. 1re inst.); AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1998), 16 C.P.R. (3d) 12 (C.F. 1re inst.).

[10]            À mon avis, l'arrêt Canadian Tire Corp. c. P.S. Part Source Inc., (2001), 11 C.P.R. (4th) 386 (C.A.F.) et le jugement AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., no du greffe T-2311-01, jugement manuscrit daté du 13 juillet 2003 (C.F. 1re inst.) ne sont pas déterminants, contrairement à ce que prétend Apotex, parce qu'ils portent sur des circonstances dans lesquelles le tribunal avait affaire à des éléments qui constituaient incontestablement des éléments de preuve. La doctrine de la connaissance d'office ne soulevait aucun débat entre les parties.

[11]            Une décision sera prise tôt ou tard au sujet de la question de savoir si c'est à bon droit ou non qu'AstraZeneca a inclus dans ses annexes les ouvrages mentionnés aux onglets 24 et 26 de ses « références » . À mon sens, la question à laquelle je dois répondre est celle de savoir qui doit prendre cette décision : le protonotaire, le juge saisi de la requête ou le juge chargé d'examiner l'affaire au fond? À mon avis, il serait présomptueux de ma part, en tant que juge saisi de la requête, de prendre cette décision. L'interprétation que je fais de l'ordonnance du protonotaire m'amène à conclure que ce dernier était du même avis.

[12]            La conclusion que le protonotaire a tirée au sujet des ouvrages mentionnés aux onglets 24 et 26 n'est entachée d'aucune erreur flagrante. Pour ce qui est du paragraphe 47 du mémoire d'AstraZeneca, le passage contesté est en débat. Certes, Apotex peut légitimement demander au juge de ne pas en tenir compte, mais elle ne peut en obtenir la radiation à cette étape-ci de l'instance.

[13]            La requête est rejetée avec dépens. Apotex a sept jours à compter du prononcé de la présente ordonnance pour déposer et signifier son mémoire des faits et du droit.


                                            ORDONNANCE

LA COUR :

REJETTE la requête avec dépens;

ACCORDE à la défenderesse Apotex sept jours à compter du prononcé de la présente ordonnance pour déposer et signifier son mémoire des faits et du droit.

       « Carolyn Layden-Stevenson »

ligne

                                                                                                                Juge                          

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.                          


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-660-02

INTITULÉ :                                           ASTRAZENECA CANADA INC.

demanderesse

et

APOTEX INC., TAKEDA CHEMICAL INDUSTRIES, LTD. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                     défendeurs

LIEU DE L'AUDIENCE :                   TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                 11 AOÛT 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         LE JUGE LAYDEN-STEVENSON

DATE DES MOTIFS :                        25 AOÛT 2003

COMPARUTIONS :              Me Gunars Gaikus

Pour la demanderesse

Me Andrew Brodkin

Pour les défendeurs

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Goodmans s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les défendeurs


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                       Date : 20030825

                          Dossier : T-660-02

ENTRE :

ASTRAZENECA CANADA INC.

                                       demanderesse

et             

APOTEX INC., TAKEDA CHEMICAL INDUSTRIES, LTD. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                          défendeurs

                                                                                             

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                                         


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