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Date : 20060725

Dossier : IMM-3387-05

Référence : 2006 CF 910

Ottawa (Ontario), le 25 juillet 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE O’REILLY

 

 

ENTRE :

XIAN JIANG CHEN

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Xian Jiang Chen affirme qu’il a quitté la Chine parce que les autorités chinoises voulaient le stériliser contre son gré. Il a présenté une demande d’asile au Canada, mais un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté cette demande. En raison d’un certain nombre d’omissions et de divergences figurant dans son témoignage, la Commission a refusé de croire M. Chen.

 

[2]               M. Chen prétend que, pour deux raisons, la Commission n’aurait pas dû tenir compte de certaines déclarations qu’il a faites peu de temps après son arrivée au Canada. Premièrement, la Commission aurait dû exclure les déclarations qu’il a faites alors qu’il était en détention et qu’il n’avait pas accès à l’assistance d’un avocat. Deuxièmement, la Commission n’aurait pas dû comparer l’exposé écrit qu’il a produit par la suite avec la déclaration qu’il a faite au point d’entrée. Il prétend que le but visé par la tenue d’une entrevue au point d’entrée consiste tout simplement à décider si une personne peut être autorisée à entrer au Canada et non pas à statuer sur le bien‑fondé de sa demande d’asile.

 

[3]               M. Chen me demande d’infirmer la décision de la Commission et d’ordonner la tenue d’une nouvelle audience. Je souscris au premier argument de M. Chen et, par conséquent, j’accueillerai la présente demande de contrôle judiciaire. Il est inutile que j’examine le deuxième argument.

 

I.        Les questions en litige

 

      1.  M. Chen était‑il en détention et avait‑il par conséquent le droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat, et ce, en vertu de l’alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte)?

 

      2.  Dans l’affirmative, la Commission aurait‑elle‑dû écarter la déclaration que M. Chen a faite alors qu’il était en détention, et ce, en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte?

 

II.  L’analyse

 

A.  M. Chen était-il en détention et avait‑il par conséquent le droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat, et ce, en vertu de l’alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés?

 

a) Le contexte factuel

 

[4]               M. Chen est arrivé au Canada le 23 février 2004 et il a été mis en détention. Un agent d’immigration l’a interrogé plus tard cette même journée. L’agent l’a interrogé une autre fois, d’une façon plus élaborée, le 25 février 2004. M. Chen n’a pas eu la possibilité de consulter un avocat.

 

[5]               Au cours de sa première entrevue, M. Chen a affirmé qu’il n’était venu au Canada que pour y passer de brèves vacances. Il a prétendu être originaire de Taiwan. Au cours de sa deuxième entrevue, il a affirmé être originaire de la province de Fujian, en Chine. Il a prétendu qu’il demandait l’asile au Canada parce qu’il était incapable de payer une amende qui lui avait été imposée parce qu’il avait violé la politique chinoise d’« un enfant par couple ».

 

[6]               Dans les motifs de sa décision, la Commission a comparé les déclarations susmentionnées avec l’exposé écrit de M. Chen, lequel a été rédigé en mars 2004, ainsi qu’avec son témoignage oral. La Commission a conclu que M. Chen n’était pas crédible.

 

b) Les droits prévus à l’alinéa 10b) dans le contexte de l’immigration

 

[7]               L’alinéa 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés prévoit ce qui suit :

 

                        Chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention

 

                        [. . .]

 

b)  d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit.

 

[8]               Dans l’arrêt R. c. Therens, [1985] 1 R.C.S. 613, à la page 641, le mot « détention » a été défini comme étant « une entrave à la liberté autre qu'une arrestation par suite de laquelle une personne peut raisonnablement avoir besoin de l'assistance d'un avocat, mais pourrait, en l'absence de cette garantie constitutionnelle, être empêchée d’y avoir recours sans délai ».

 

[9]               Toutefois, dans la plupart des cas, une personne qui cherche à entrer au Canada et qui est interrogée à la frontière par des agents d’immigration n’est pas considérée comme étant en détention aux fins de l’alinéa 10b). Par exemple, une personne qui arrive au Canada sans documents de voyage et qui est renvoyée à un second examen par un autre agent d’immigration n’est pas en détention même si on la fait attendre pendant des heures : Dehghani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 R.C.S. 1053. Le juge Iacobucci a jugé que l’examen secondaire faisait partie du processus général de sélection des personnes qui cherchent à entrer au Canada et qu’il ne constituait pas une détention. Il a fait une distinction entre cette situation et la situation où une personne est soupçonnée d’importer des marchandises de contrebande et est soumise à une fouille à nu aux douanes : R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495.

 

[10]           Tout de même, une personne qui cherche à entrer au Canada jouit des droits mentionnés à l’alinéa 10b) si sa liberté est grandement restreinte. Dans la décision Huang, le juge Andrew MacKay a conclu qu’une demandeure d’asile avait été détenue alors qu’elle avait été mise en garde à vue, sous étroite surveillance, pendant trois jours au cours desquels elle avait  été interrogée à quatre reprises (Huang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2002 CFPI 149, [2002] A.C.F. no 182 (1re inst.) (QL)). De même, dans la décision Dragosin, le juge MacKay a conclu qu’une personne qui a passé deux jours dans un centre correctionnel était détenue aux fins de l’alinéa 10b) (Dragosin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2003 CFPI 81, [2003] A.C.F. no 110 (1re inst.) (QL)). Dans ces deux affaires, il a jugé que les personnes qui ont été détenues auraient dû bénéficier du droit à l’assistance d’un avocat.

 

c) Les droits de M. Chen en vertu de l’alinéa 10b)

 

[11]           D’après les faits qui me sont soumis, il semble clair que M. Chen a été détenu pendant au moins deux jours après son arrivée au Canada. Sa détention a commencé après sa première entrevue mais on ne sait pas exactement combien de temps elle a duré. Quoiqu’il en soit, il n’a pas eu accès à l’assistance d’un avocat durant ce temps et rien n’indique qu’il a été informé de son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat. Il était en détention dans des circonstances où il aurait pu raisonnablement bénéficier de l’assistance d’un avocat, mais cela lui a été refusé : Therens, susmentionné. Sa deuxième entrevue a manifestement eu lieu pendant qu’il était en détention. Je suis d’accord avec le juge MacKay que ces circonstances équivalent à une violation de l’alinéa 10b).

 

B. Dans l’affirmative, la Commission aurait‑elle dû écarter la déclaration que M. Chen a faite pendant qu’il était en détention, et ce, en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte?

 

[12]           Dans Huang, susmentionné, le juge MacKay a conclu que la « réparation accordée en bout de ligne » quant à la violation de l’alinéa 10b) dans le contexte de l’immigration « consiste à écarter de la preuve toutes les déclarations faites pendant cette période qui constituent un fondement important de la décision de la [Commission] » (par. 31). Compte tenu des circonstances dont il était saisi, le juge MacKay a refusé d’accorder cette réparation parce que la Commission ne s’était pas vraiment fondée sur les déclarations que le demandeur avait faites pendant qu’il était en détention.

 

[13]           M. Chen prétend que la Commission s’est bel et bien fondée sur la déclaration qu’il a faite pendant qu’il était en détention et m’a demandé d’ordonner que la Commission examine de nouveau sa demande d’asile sans tenir compte de cette déclaration. En revanche, le défendeur prétend que la décision de la Commission serait sans doute la même compte tenu qu’elle a invoqué divers motifs pour mettre en doute le témoignage de M. Chen. Il donne donc à penser que je devrais refuser d’accorder la réparation demandée par M. Chen.

 

[14]           Une violation de l’alinéa 10b) entraînera d’ordinaire l’exclusion des témoignages recueillis. Il en est ainsi à cause de l’importance primordiale accordée dans notre système juridique au droit à l’assistance d’un avocat ainsi qu’à cause des conséquences sur les procédures. Il arrive souvent qu’une violation du droit à l’assistance d’un avocat aura une incidence sur le caractère équitable des procédures qui suivront. Cela est particulièrement vrai dans les instances pénales où une violation de l’alinéa 10b) peut fournir une preuve auto‑incriminante dans les circonstances où l’accusé a le droit de garder le silence : R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265. Manifestement, une personne cherchant à entrer au Canada se trouve dans une position différente. Le droit de garder le silence n’est pas en cause.

 

[15]           Toutefois, je crois qu’il est injuste que la Commission se fie à une déclaration faite par un demandeur qui a été recueillie alors qu’il était en détention et dans des circonstances où l’alinéa 10b) a été violé. La personne ne sera pas au courant de sa position à l’égard de la loi et, notamment, elle ne sera pas au courant des conséquences juridiques de cette déclaration (c’est‑à‑dire qu’elle peut être invoquée lorsque l’on se prononce sur la crédibilité du demandeur). Par conséquent, dans les circonstances de l’espèce, je suis convaincu que l’équité des procédures mettant en cause M. Chen a été compromise lorsque la Commission s’est fiée à une déclaration obtenue alors qu’il était en détention, avant qu’on ne lui donne l’occasion de demander conseil à un avocat, pour tirer une conclusion défavorable à son égard. De plus, la violation de l’alinéa 10b) était importante car elle se rapportait à un droit très important prévu dans la Charte et elle allait manifestement à l’encontre de la jurisprudence de la Cour. Dans les circonstances, je ne crois pas que l’exclusion de la déclaration de M. Chen aurait pour effet de discréditer l’administration de la justice. Par conséquent, compte tenu des facteurs énoncés dans Collins, susmentionné, la Commission n’aurait pas dû tenir compte de la déclaration, et ce, en conformité avec le paragraphe 24(2) de la Charte.

 

[16]           Compte tenu de la preuve au dossier ainsi que des motifs de la Commission, il m’est impossible de conclure que la décision de la Commission aurait été la même si elle n’avait pas tenu compte de la déclaration que M. Chen a faite alors qu’il était en détention. Par conséquent, je dois ordonner la tenue d’une nouvelle audience devant un tribunal différemment constitué de la Commission. Comme il est nécessaire de tenir une nouvelle audience, je n’ai pas à décider si la Commission a accordé une importance exagérée à la première déclaration faite par M. Chen au point d’entrée. Le tribunal devra apprécier la preuve qui lui sera soumise à la nouvelle audience.

 

[17]           Les avocats ont demandé qu’on leur donne la possibilité de formuler des observations concernant une question certifiée. J'étudierai les observations déposées dans les 10 jours suivant les présents motifs.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

 

1.                  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et une nouvelle audience sera tenue devant un tribunal différemment constitué;

2.                  La Cour étudiera les observations concernant une question certifiée qui seront déposées dans les 10 jours suivant les présents motifs.

 

 

« James W. O’Reilly »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

 

 

Claude Leclerc, LL.B., trad.a.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3387-05

 

INTITULÉ :                                       CHEN c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 19 JANVIER 2006

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 25 JUILLET 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shelley Levine

POUR LE DEMANDEUR

 

Michael Butterfield

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

SOLICITORS OF RECORD:

 

Levine Associates

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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