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Date : 20060512

Dossier : T-283-03

Référence : 2006 CF 598

ENTRE :

FIELDTURF INC.

demanderesse

et

 

WINNIPEG ENTERPRISES CORPORATION

et

ROBERT J. JOHNSTON ARCHITECTURE

et

ASTROTURF SUFACES CANADA LTD.

 

défenderesses

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

[1]               En théorie, une affaire devrait être prête à être entendue avant le premier anniversaire du dépôt de la déclaration. En pratique, les choses sont un peu différentes. Dans la présente affaire, la déclaration a été déposée il y a plus de trois ans, mais les interrogatoires préalables n’ont pas encore eu lieu. Une bonne partie du délai est attribuable au retard qu’a mis la demanderesse à déposer un affidavit de documents. Le paragraphe 223(1) des Règles des Cours fédérales prévoit que chaque partie signifie un affidavit de documents aux autres parties dans les 30 jours suivant la clôture des actes de procédure. Toutefois, la déclaration originale a été modifiée au mois d’août l’année dernière. L’action fait l’objet d’une gestion de l’instance. Le protonotaire a fixé trois échéanciers pour faire progresser l’affaire, mais aucun ne semble avoir été respecté.

[2]               Le 1er mars cette année, le protonotaire Morneau a enjoint à la demanderesse de justifier le non-respect des délais, faute de quoi l’action serait rejetée pour cause de retard. Les explications données lui ayant paru satisfaisantes, il a autorisé la poursuite de l’instance en fixant un nouvel échéancier. Les défenderesses, qui étaient en train de rédiger leur propre requête visant à obtenir que l’action soit rejetée pour défaut de poursuite lorsque le protonotaire Morneau a fait sa mise en garde, ont interjeté appel de son ordonnance et ont joint l’appel à leur propre requête demandant à un juge de rejeter l’action pour défaut de poursuivre.

 

ANALYSE

[3]               L’ordonnance du protonotaire était de nature discrétionnaire. Le critère à satisfaire pour interjeter appel d’une telle ordonnance a été légèrement reformulé par le juge Décary de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Merck & Co., Inc., c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, [2004] 2 F.C.R. 459 :

Le juge MacGuigan, J.C.A. a énoncé la norme de contrôle applicable aux ordonnances discrétionnaires des protonotaires dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. : on ne doit pas toucher à l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire à moins qu'elle ne soit manifestement erronée parce qu'elle est fondée sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits ou qu'elle porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal, auquel cas le juge saisi du recours doit exercer son pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début. Le juge a ajouté que la question de savoir si une question est déterminante pour l'issue de l'affaire devait être tranchée sans égard à la réponse que le protonotaire y a donnée. L'utilisation des mots « porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal » plutôt que « a une influence déterminante sur l'issue du principal » met l'accent sur le sujet des ordonnances, et non sur leur effet. Pour éviter la confusion qui découle parfois du choix des termes utilisés par le juge MacGuigan, le critère devrait être légèrement reformulé comme suit : on ne doit pas toucher à l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire à moins a) qu'elle ne porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l'issue du principal ou b) qu'elle ne soit manifestement erronée parce qu'elle est fondée sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits.

 

[4]               Les appelantes/défenderesses soutiennent que j’ai le droit d’exercer mon pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début parce que la décision du protonotaire Morneau portait sur une question ayant une influence déterminante sur l'issue du principal et était manifestement erronée parce que la demanderesse a fait preuve d’une totale indifférence à l’égard des échéanciers fixés par la Cour. Je ne suis pas de cet avis.

 

[5]               Fieldturf est un fournisseur de gazon synthétique utilisé dans les stades sportifs. Elle allègue que les défenderesses ont contrefait un brevet. Les défenderesses réfutent cette allégation et rétorquent que, de toute façon, le brevet est invalide parce qu’il se heurte à une antériorité.

 

[6]               Fieldturf a intenté des actions en contrefaçon de brevet contre d’autres parties devant la Cour et ces actions sont toujours en instance. Dans l’une d’elles, la demanderesse a proposé que son président la représente à un interrogatoire préalable. La prestation du président semble avoir été si insatisfaisante que le protonotaire Morneau a ordonné qu’une autre personne associée à la demanderesse, Jean Prevost, le remplace. Dans cette affaire, Fieldturf a accepté que M. Prevost la représente.

 

[7]               Les défenderesses espèrent, anticipent même, que M. Prevost fournira des réponses à certaines questions factuelles qui appuieront leur position concernant l’antériorité. Malheureusement, M. Prevost a été accablé par des problèmes de santé ces derniers temps. Il a fait une crise cardiaque et on lui a ensuite diagnostiqué un cancer de la prostate pour lequel il a été opéré en février. Son médecin dit qu’il ne devrait pas se trouver dans une situation stressante, maintenant ou dans le futur. Cela veut dire que M. Prevost ne peut pas être soumis à un interrogatoire préalable, mais il serait disposé à répondre à des questions écrites.

 

[8]               Il y a plusieurs raisons pour lesquelles la décision du protonotaire Morneau n’a pas une influence déterminante sur l'issue du principal dans la présente affaire. Même si l’instance était rejetée pour défaut de poursuivre, une nouvelle action ne serait pas prescrite. Il s’agit d’une considération pertinente relevant de l’administration de la justice (Interbox Promotion Corp. c. 9073-0433 Québec Inc. ( Bar Café Goodfellas) (2004), 245 F.T.R. 80, 2004 CF 144).

 

[9]               Même si M. Prevost semble être un des véritables experts dans ce domaine, son interrogatoire préalable se limiterait aux faits. Si les défenderesses sont si certaines qu’il ferait des admissions qui leur seraient avantageuses, c’est qu’elles doivent avoir d’autres moyens de prouver les mêmes points. Il leur serait peut‑être nécessaire d’engager des frais additionnels si elles ne peuvent pas obtenir une admission, mais ces frais peuvent être compensés par les dépens.

 

[10]           Dans la décision Baroud c. Canada (1998), 160 F.T.R. 91, le juge Hugessen a posé deux questions. Quelles sont les raisons pour lesquelles l'affaire n'a pas avancé plus vite et justifient‑elles le retard qui a eu lieu? Quelles mesures le demandeur propose‑t‑il maintenant pour faire avancer l'affaire?

 

[11]           Il est trop tard maintenant pour se plaindre du retard à déposer l’affidavit. Le protonotaire Morneau était manifestement convaincu que les motifs fournis par la demanderesse pour expliquer le retard, notamment les problèmes de santé de M. Prevost, justifiaient que l’action ne soit pas rejetée. Il a donc lui-même fixé un nouvel échéancier, que la demanderesse ferait mieux de respecter à ses risques et périls. En fait, ce sont les défenderesses qui demandent maintenant que cet échéancier soit repoussé d’un mois en raison du temps perdu attribuable au présent appel.

 

[12]           Pour ces motifs, je suis convaincu qu’on ne doit pas modifier l'ordonnance du protonotaire Morneau, et je rejette donc l’appel de sa décision. Comme il a fixé un nouvel échéancier et que la demanderesse ne l’a pas enfreint, la requête en rejet de l’action pour défaut de poursuivre est rejetée parce qu’elle est prématurée.

 

[13]           L’ordonnance faisant l’objet de l’appel, datée du 7 avril, fixe un échéancier qui commence par l’interrogatoire par écrit de M. Prevost ou par un interrogatoire préalable verbal d’un autre représentant de Fieldturf au plus tard le 31 mai 2006. À la suite de la demande de prorogation formulée par les défenderesses en raison des délais attribuables au présent appel, et avec le consentement de Fieldturf, l’interrogatoire préalable devra maintenant avoir lieu le ou avant le 30 juin 2006. Tous les autres délais sont également prorogés d’un mois. Si une date devait tomber un samedi ou un dimanche, le délai sera reporté au lundi suivant.

 

[14]           Il y aura un seul mémoire de frais suivant l’issue de la cause.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 12 mai 2006.

 

Traduction certifiée conforme

Suzanne Bolduc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-283-03

 

INTITULÉ :                                       FIELDTURF INC.

c.

WINNIPEG ENTERPRISES CORPORATION et

ROBERT J. JOHNSTON ARCHITECTURE et

ASTROTURF SUFACES CANADA LTD.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 10 MAI 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 12 MAI 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

David Assor

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Éric Ouimet

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Spiegel Sohmer

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

BCF s.r.l.

Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LES DÉFENDERESSES


 

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