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     Date : 19980313

     Dossier : IMM-1613-97

OTTAWA (Ontario) le 13 mars 1998.

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE MacKAY

ENTRE

     NAQEEB-UR-REHMAN SYED,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     VU la demande du requérant visant à obtenir le contrôle judiciaire et une ordonnance portant annulation de la décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Section du statut de réfugié), en date du 1er avril 1997 dans laquelle il a été jugé que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention; et

     APRÈS avoir entendu les avocats des parties à Toronto le 5 mars 1998, lorsqu'il a été sursis au prononcé de la décision, et après avoir examiné les arguments qui ont été présentés;

     ORDONNANCE

     LA COUR ORDONNE le rejet de la demande.

                             W. Andrew MacKay
                                     Juge

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

     Date : 19980313

     Dossier : IMM-1613-97

ENTRE

     NAQEEB-UR-REHMAN SYED,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]      Il s'agit d'une demande visant à obtenir le contrôle judiciaire et une ordonnance portant annulation de la décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié en date du 1er avril 1997 par laquelle il a été jugé que le requérant n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Les avocats des parties ont été entendus à Toronto le 5 mars 1998 et il a été sursis au prononcé de la décision. Les présents motifs d'ordonnance qui sont maintenant prononcés portent rejet de la demande.

Le contexte

[2]      Le requérant est originaire du Pakistan et est citoyen de ce pays. Il est né en 1945 à Jhelum dans une famille ahmadie pratiquante. Il a grandi et sa famille et lui ont fait l'objet de harcèlement et de discrimination de la part de la majorité musulmane sunnite contre le groupe minoritaire Ahmadi et c'est pour cette raison que la famille a quitté Jhelum.

[3]      En 1980, le requérant a mis sur pied un commerce de tissus à Jhelum. En 1984, son fils et lui ont été attaqués par des musulmans intégristes parce qu'ils étaient ahmadis et son fils âgé de six ans a été blessé au cours de l'attaque. En 1989, sa maison a été attaquée et lapidée et même s'il a porté plainte à la police, celle-ci a refusé d'intervenir. En 1992, des chefs religieux intégristes ont averti ses clients de ne pas faire affaire avec lui et il a perdu presque la moitié de sa clientèle.

[4]      Lors de la fête de l'indépendance du Pakistan en août 1995, pendant qu'il regardait une parade, il a été enlevé par un groupe de Sunnites dirigé par l'un de leurs chefs religieux. On lui a appliqué du cirage à chaussures dans la figure, il a été placé sur un âne et mené à travers la foule qui lui lançait des ordures. Il est tombé de l'âne et a été battu. Il a été libéré lorsqu'il s'est engagé à se présenter à la mosquée sunnite et à annoncer qu'il avait quitté la religion ahmadie et qu'il était désormais un musulman.

[5]      Après cet incident, le requérant et sa famille se sont enfuis dans un autre village distant d'environ 45 milles, dans la maison d'un médecin qui était le cousin de l'épouse du requérant. Le médecin était un musulman sunnite. La famille du requérant et des amis l'ont aidés à quitter cet endroit pour prendre un vol vers le Canada et il a quitté le Pakistan le 11 septembre 1995. Le lendemain, les musulmans sunnites du village natal du requérant, furieux parce qu'il ne s'était pas présenté à la mosquée pour dénoncer sa foi ahmadie l'ont retracé et l'ont suivi jusqu'à la maison du médecin. Ils ont persuadé le médecin par la ruse d'aller voir un patient fictif, l'ont enlevé, et lorsqu'il leur a dit que le requérant avait quitté le Pakistan, ils l'ont battu et finalement tiré sur lui et l'ont tué.

[6]      La demande du requérant est fondée sur sa crainte de persécution en raison de sa religion, car selon lui il ne serait en sécurité nulle part au Pakistan, que tous ceux qui ne sont pas Ahmadis lui en voudraient et qu'il serait tué à cause de sa religion.

[7]      La formation de la SSR était d'avis, selon la balance des probabilités, que le témoignage du requérant au sujet de l'incident survenu en août 1995 et des événements subséquents en septembre n'était ni vrai ni crédible, puisque selon la formation il ne paraissait pas plausible. La revendication du requérant était fondée sur ses événements. Ces éléments de preuve relatifs aux incidents précédents ne permettaient pas d'étayer une revendication fondée sur la persécution pour des motifs religieux en raison de son propre témoignage, car, lorsqu'il a été interrogé à ce sujet à l'audience, il ressort des notes de la décision de la formation qu'[TRADUCTION] " il a résumé les problèmes qu'il a eus avec les sunnites avant août 1995 comme des incidents mineurs comportant notamment le fait d'avoir été forcé de faire une déclaration sous serment dans les rues ".

[8]      Bien que le requérant eût gardé contact avec son épouse après son arrivée au Canada, il n'a présenté aucun élément de preuve autre que son propre témoignage et une description écrite à l'appui de sa revendication. Par exemple, aucune coupure de journal, ni même une lettre de son épouse, n'ont été produites pour faire état du meurtre du docteur, ou du harcèlement dont ont fait l'objet son épouse et sa famille après son départ pour le Canada. La formation a souligné qu'il ressort de documents généraux que les Ahmadis sont aux prises avec de graves problèmes de discrimination au Pakistan, mais a conclu qu'il n'y avait aucun élément de preuve crédible permettant de conclure à l'existence d'un risque raisonnable ou d'une possibilité sérieuse que le requérant soit persécuté au Pakistan pour des motifs religieux s'il devait y retourner.

Les questions en litige

[9]      La question essentielle qui a été soulevée est de savoir si la décision de la formation, fondée sur des invraisemblances dans le témoignage du requérant peut être décrite comme déraisonnable et justifiant l'intervention de la Cour. Une question préliminaire subsidiaire est de savoir si le témoignage incontesté et fait sous serment par le requérant, appuyé par des éléments de preuve documentaires d'ordre général sur les circonstances qui prévalent dans son pays d'origine, ce qui n'a pas été remis en question par l'agent chargé de la revendication à l'audience, peut néanmoins être jugé invraisemblable par la formation et insuffisant pour étayer la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention.


Analyse

[10]      Quand un requérant jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu'elles le sont, à moins qu'il n'existe des raisons d'en douter (Maldonado c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1980] 2 C.F. 302 (C.A.F.), le juge Heald à la p. 305). Lorsque la formation est d'avis que le témoignage est invraisemblable, il est possible de remettre en question la sincérité d'un témoignage fait sous serment. Dans l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 aux pp. 316 et 317, Monsieur le juge Décary écrit :

         Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ces conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire...         

À mon avis, la question préliminaire qui a été soulevée a été tranchée par la jurisprudence. J'examine la question essentielle, de savoir si les conclusions de la formation sont déraisonnables compte tenu des éléments de preuve qui lui ont été présentés.

[11]      Il est bien établi en droit que les conclusions à l'égard de la crédibilité ne permettent pas l'intervention de la Cour en matière de contrôle judiciaire à moins qu'il n'ait été jugé que la conclusion du tribunal est fondée sur une erreur de droit ou ne peut être étayée par des éléments de preuve. Lorsque les conclusions sont fondées sur des invraisemblances, et non simplement sur des incohérences internes dans les éléments de preuve présentés, bien que la Cour puisse se prononcer sur les invraisemblances contenues dans les éléments de preuve elle n'interviendra que si elle juge que les invraisemblances sont déraisonnables dans les circonstances de l'affaire.

[12]      La formation a conclu qu'il était vraisemblable que les sunnites puissent avoir humilié le requérant comme il l'a décrit dans l'incident survenu en août 1995 mais [TRADUCTION] " il est manifestement invraisemblable que les sunnites auraient agi de cette manière pour obtenir la conversion du requérant ". Bien que je partage l'opinion de l'avocat du requérant selon laquelle la description du témoignage comme " manifestement invraisemblable " est peut-être exagérée et inutile, la conclusion selon laquelle les éléments de preuve sont invraisemblables est expliquée par la décision qui renvoie à un certain nombre de facteurs, dont l'absence d'explication à l'égard de l'objectif des sunnites qui a été décrit à cette occasion. Il n'a pas été établi que leur action a été provoqué par le requérant; il n'était pas une personne en vue dans la communauté ahmadie, du moins il n'occupait aucune position officielle de direction dans cette communauté, et il ne savait pas que les chefs religieux de cette communauté avaient été traités comme il l'était. Le tribunal était d'avis qu'il était invraisemblable dans ces circonstances qu'il soit visé par une attaque simplement pour le convertir et qu'il soit par la suite poursuivi à 45 milles de cet endroit et qu'une personne importante ne faisant pas partie des Ahmadis soit tuée pour lui avoir porté assistance.

[13]      Malgré les arguments de l'avocat du requérant à ce sujet, je ne suis pas convaincu que les conclusions du tribunal à l'égard de l'invraisemblance soient si déraisonnables qu'elles justifient l'intervention de la Cour.

[14]      La formation a également jugé qu'il était invraisemblable que les attaquants sunnites aient poursuivi le requérant jusqu'à la maison du médecin, aient organisé le meurtre du médecin et en même temps aient épargné l'épouse et les enfants du requérant à ce moment-là. Il est possible que le tribunal ait mal cité le témoignage à ce sujet, car le requérant a indiqué que son épouse et sa famille avaient été attaquées après l'agression contre le médecin et après son départ du Pakistan. Toutefois, même si la formation avait commis une erreur lorsqu'elle a examiné le témoignage à cet égard, ou si l'on pouvait conclure que la déclaration des vraisemblances par la formation à ce sujet était déraisonnable, cette conclusion n'est pas essentielle à l'évaluation qu'elle a faite du témoignage du requérant et cette erreur par elle-même ne justifierait pas l'intervention de la Cour.

[15]      Le tribunal a également indiqué qu'il n'était pas convaincu de l'explication donnée par le requérant pour expliquer qu'il n'avait produit aucun élément de preuve documentaire, de journaux locaux au Pakistan ou de lettres de son épouse avec laquelle il avait maintenu le contact après son arrivée au Canada, particulièrement à l'égard du meurtre du médecin ou à l'égard du harcèlement dont sa famille a été victime après son départ pour le Canada. Le requérant avait apparemment cherché à retrouver les articles de journaux sur le meurtre ou sur le procès de ceux qui selon lui avaient été arrêtés, mais la formation a jugé qu'il lui aurait été raisonnable de demander à son épouse de lui faire parvenir ces coupures de journaux. Il n'en a présenté aucune. Bien qu'il eût prétendu avoir reçu quelques lettres de son épouse, il les a jetées. L'absence de tout document corroborant la version du requérant de l'agression contre le médecin et le meurtre de celui-ci ou de tout intérêt que continuait à lui porter les sunnites après son départ du Pakistan constituaient des facteurs sur lesquels le tribunal s'est fondé en partie pour conclure que le témoignage du requérant n'était pas crédible en ce qui concerne l'incident principal qui aurait entraîné son départ du Pakistan.

[16]      De plus, il a été conclu qu'il n'était pas convaincant que ce que le requérant avait prétendu au sujet du harcèlement dont il avait été victime en raison de son appartenance à la communauté ahmadie constituait des actions graves, répétées et généralisées équivalant à de la persécution.

[17]      Il est soutenu que le défaut de fournir des articles de journaux provenant du Pakistan et concernant le meurtre du médecin qui a aidé le requérant, permettent de présumer, sans autre élément de preuve, de l'existence de journaux locaux et du fait qu'ils auraient pu faire état d'un tel événement. En soi, il est possible que la formation ait tort d'adopter une telle position, mais si l'on ajoute l'absence en preuve de toute lettre corroborante de l'épouse du requérant, bien qu'il eût reçu au moins une de ces lettres, à mon avis, le tribunal n'avait aucun élément de preuve corroborant le décès du médecin ou l'incident important qui a donné lieu à la revendication du requérant. Les invraisemblances que le tribunal a relevées à l'égard de l'incident central dans la revendication n'ont pas été écartées.



Conclusion

[18]      Je ne suis pas convaincu du caractère déraisonnable des invraisemblances principales relevées par le tribunal qui l'ont amené à conclure que les témoignages du requérant n'étaient pas crédibles, compte tenu des circonstances et des éléments de preuve présentés en l'espèce. Je ne suis nullement convaincu qu'il a commis une erreur lorsqu'il a conclu que, d'après la preuve, on ne lui avait pas démontré qu'il y avait un risque raisonnable ou une possibilité sérieuse que le requérant soit persécuté en raison de sa religion s'il devait retourner au Pakistan.

[19]      Par conséquent, la Cour refuse d'intervenir. La demande visant à obtenir le contrôle judiciaire et une ordonnance portant annulation de la décision du tribunal est rejetée.

[20]      À la conclusion de l'audience, l'avocat du requérant a proposé une question à des fins de certification en vertu du par. 83(1) de la Loi sur l'immigration. La question portait sur le pouvoir de la formation de prendre une décision contraire au témoignage non contesté fait sous serment par le requérant, lequel témoignage est appuyé par la preuve documentaire générale déposée devant la formation. Comme je l'ai indiqué dans les présents motifs, je suis d'avis que cette question a été tranchée par la jurisprudence (voir Maldonado et Aguebor,


précité). Aucune autre question n'a été proposée et aucune n'est certifiée à des fins d'examen par la Cour d'appel.

                             W. Andrew MacKay
                                     Juge

OTTAWA (ONTARIO)

13 mars 1998

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              IMM-1613-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      NAQEEB-UR-REHMAN SYED c. MCI
LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          5 mars 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR M. LE JUGE MacKAY

EN DATE DU :              13 mars 1998

ONT COMPARU

M. Douglas Barker              POUR LE REQUÉRANT
Mme Marissa Bielski              POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

Raymond & Honsberger          POUR LE REQUÉRANT

Toronto (Ontario)

M. George Thomson              POUR L'INTIMÉ

Sous-procureur général

du Canada

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