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Date : 20000920


Dossier : T-1803-91



ENTRE :

     SAIRA PERVEZ, SAIMA PERVEZ, BOBBER PERVEZ,

     SAMRA PERVEZ, SOFIA PERVEZ, mineurs représentés par leur

     tuteur à l'instance, Durdana Pervez,

     DURDANA PERVEZ, en son propre nom, ET

     ARSHAD PERVEZ

     demandeurs

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE

     défenderesse




     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     (Prononcés à l'audience à Toronto (Ontario),

     le vendredi 15 septembre 2000)


LE JUGE HUGESSEN


[1]          Les demandeurs réclament des dommages-intérêts découlant de prétendus délits civils et manquements à la Charte commis par des préposés de la Couronne.

[2]          La défenderesse a présenté une requête visant à faire radier la déclaration et rejeter l'action au motif que celle-ci est frivole et vexatoire et qu'elle constitue un abus de procédure.

[3]          Une preuve par affidavit a été présentée à la Cour, mais les faits essentiels ne sont pas contestés, bien qu'un ou deux détails relativement mineurs aient été litigieux dans une certaine mesure.

[4]          Des agents en douane canadiens et des agents de la Gendarmerie royale du Canada ont aidé des agents en douane américains à mener une enquête sur de prétendues activités illégales du demandeur principal (le demandeur) relativement à une tentative d'exportation de certaines substances contrôlées au Pakistan.

[5]          Il existe un accord d'assistance mutuelle entre les gouvernements canadien et américain en matières douanières. Cet accord n'exige évidemment pas la double criminalité, comme l'exigerait un traité d'extradition. Cela, bien sûr, parce que les lois en matières douanières, comme les autres lois fiscales, diffèrent d'un pays à l'autre et que l'accord prévoit l'assistance mutuelle dans l'application des lois en matières douanières propres à chaque pays.

[6]          Le demandeur a été arrêté aux États-Unis pour une contravention présumée à la législation américaine en matières douanières. Il a été déclaré coupable dans ce pays, par un jury, devant la District Court des États-Unis, et condamné à un emprisonnement de cinq ans. En appel, la Third Circuit Court a conclu que la preuve justifiait la déclaration de culpabilité, mais s'est dite contrainte d'ordonner un nouveau procès en raison d'une décision récente de la Cour suprême des États-Unis sur la question de la provocation policière relativement à laquelle le demandeur avait soulevé une question devant la District Court.

[7]          Lors du nouveau procès, qui avait été ordonné, il y a eu négociation de plaidoyer et le demandeur s'est avoué coupable d'exportation d'une substance contrôlée, qui n'était pas la substance contrôlée qu'on le soupçonnait d'avoir tenté d'exporter du Canada, mais une autre substance contrôlée. J'ai dit qu'il s'était avoué coupable; en fait, il a renoncé à contester les faits à sa charge, mais à ce que je comprends du droit américain, ce n'est pas vraiment différent. À la suite de ce plaidoyer, il a été condamné à la peine d'emprisonnement qu'il avait purgée à la suite de sa première condamnation, qui correspondait à une période très longue, soit 32 mois.

[8]          Il a intenté des actions civiles aux États-Unis, contre le gouvernement américain et contre le plaignant initial. Ces actions ont été rejetées devant la District Court des États-Unis et un appel a été rejeté pour défaut de poursuivre.

[9]          Il a aussi intenté une action civile au Canada contre le plaignant et cette action a été rejetée sur présentation d'une requête préliminaire. Cette décision a été confirmée par la Cour d'appel de l'Ontario. La présente action est la seule action civile encore en instance.

[10]          Le principal argument invoqué par l'avocate du demandeur à l'audition de la requête aujourd'hui porte que le crime dont il a été déclaré coupable aux États-Unis ne constitue pas une infraction prévue par les lois de ce pays, parce que la substance visée par sa condamnation initiale de tentative d'exportation n'était pas une substance contrôlée. Subsidiairement, elle soutient que le gouvernement du Canada a engagé sa responsabilité délictuelle en engageant des poursuites abusives ou malveillantes au Canada, parce qu'une accusation a été déposée contre le demandeur, ici, immédiatement après son arrestation aux États-Unis. Il n'a jamais été donné suite à cette accusation, qui a finalement été retirée.

[11]          L'avocate fait valoir que cette accusation au Canada visait également un acte qui ne constituait pas une infraction en droit canadien. Je ne retiens pas cet argument. Une preuve produite devant moi établit que la substance visée par les allégations d'exportation en cause était une substance contrôlée.

[12]          Selon moi, l'action n'a aucune chance d'être accueillie et doit être rejetée parce qu'elle constitue une poursuite abusive.

[13]          Le demandeur ne peut pas soutenir que sa première condamnation aux États-Unis visait un crime que les lois américaines ne reconnaissaient pas. Il a été déclaré coupable devant un tribunal compétent. La Cour d'appel, qui a conclu à la validité de cette condamnation, était nettement d'avis que l'infraction reprochée constituait un crime aux États-Unis. Notre Cour ne peut pas écarter les décisions rendues par les tribunaux américains sur l'état du droit américain et la conclusion de la Third Circuit Court of Appeal que la déclaration de culpabilité du demandeur était justifié par la preuve est une conclusion que notre Cour ne peut mettre en doute. C'est non seulement le bon sens, mais aussi la courtoisie judiciaire et les principes bien établis du droit international qui interdisent à notre Cour de mettre en doute la conclusion d'un tribunal étranger sur l'état du droit appliqué par cette instance étrangère.

[14]          Les actes accomplis par les autorités canadiennes pour aider les autorités américaines conformément aux accords intergouvernementaux et aux obligations qu'ils créent ne peuvent, à mon avis, fonder une action ici. La déclaration de culpabilité du demandeur aux États-Unis écarte toute question éventuelle quant à savoir s'il a commis un crime et écarte ex post facto tout argument selon lequel il n'existait pas de motif raisonnable et probable de croire qu'il avait commis un crime.

[15]          J'estime que la déclaration de culpabilité prononcée aux États-Unis et les conséquences qui en découlent écartent non seulement toute responsabilité éventuelle relative à un délit en common law, mais aussi toute demande fondée sur une atteinte à un droit garanti par la Charte. Ce qui est arrivé au demandeur a été jugé définitivement raisonnable et conforme aux principes de justice fondamentale.

[16]          J'ai déjà dit que je ne crois pas que l'accusation déposée ici, au Canada, visait un crime inexistant en droit canadien, or, même si ce crime existait, il n'a jamais été donné suite aux accusations canadiennes, qui ont été rejetées. Le demandeur n'a pas été arrêté et n'a jamais été privé de sa liberté en raison de ces accusations. Elles ne peuvent lui avoir causé aucun préjudice, la totalité du préjudice que le demandeur prétend avoir subi, et que ses codemandeurs auraient subi subsidiairement, résulte directement de son arrestation, de sa déclaration de culpabilité et de son emprisonnement légitimes aux États-Unis relativement à des accusations en vertu des lois de ce pays. Aucune action fondée sur ces faits ne saurait être accueillie au Canada.



[17]          En conséquence, je conclus que la requête sera accueillie et que l'action sera rejetée. Aucune ordonnance d'adjudication des dépens ne sera prononcée.





     « James K. Hugessen »

     Juge

Montréal (Québec)

20 septembre 2000

Traduction certifiée conforme



Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE



Date : 20000920

Dossier : T-1803-91

ENTRE :

SAIRA PERVEZ ET AUTRES


demandeurs

- et-


SA MAJESTÉ LA REINE

     défenderesse













MOTIFS DE L'ORDONNANCE





COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NUMÉRO DU GREFFE :          T-1803-91
INTITULÉ DE LA CAUSE :      SAIRA PERVEZ et autres

                     et

                     SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :          15 septembre 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE Hugessen

EN DATE DU :              20 septembre 2000


ONT COMPARU :

Me Margaret Cowtan              POUR LES DEMANDEURS

Me Charleen Brenzall              POUR LA DÉFENDERESSE



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Harvey Thompson                  POUR LES DEMANDEURS

Morris Rosenberg                  POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

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