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Date : 20040901

Dossier : IMM-7574-03

Référence : 2004 CF 1202

Toronto (Ontario), le 1er septembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                                                ASHAR ANWAR

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Dans la décision rendue le 3 septembre 2004, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés, a prononcé le désistement de M. Anwar de sa demande d'asile. La seule question qui se pose en l'espèce est de savoir si le demandeur ou son avocat ont reçu l'avis de l'audience sur le désistement qui a eu lieu le 31 juillet 2003. Pour les motifs ci-dessous, je ne suis pas suffisamment convaincu que la Commission a envoyé la convocation à l'audience et j'ai décidé que la question devait être renvoyée à un nouveau tribunal pour nouvel examen.

CONTEXTE

[2]                M. Anwar est un Pakistanais âgé de 21 ans. Il est arrivé au Canada en août 1999 comme visiteur puis il a demandé et obtenu un visa d'étudiant valide jusqu'en mars 2003. Le 24 avril 2003, il a soumis une demande d'asile qui a été jugée admissible et sa demande a été transmise à la Commission. Le même jour, le demandeur a reçu le Formulaire de renseignements personnels (FRP) qu'il devait remplir.

[3]                Le demandeur a retenu les services d'un avocat et il a envoyé à la Commission l'avis relatif à l'avocat, signé le 24 avril 2003, dans lequel étaient inscrits le nom, l'adresse et le numéro de téléphone de son avocat. Il a également fait parvenir à la Commission un avis de coordonnées signé le même jour dans lequel étaient inscrits son adresse à Mississauga, ainsi que son numéro de téléphone.

[4]                Le demandeur devait produire le FRP le 22 mai 2003, soit 28 jours après l'avoir reçu en mains propres. Il a produit le formulaire en retard et selon le timbre-dateur qui apparaît sur le FRP au dossier du tribunal, la Commission a reçu le formulaire à Toronto, le 27 mai 2003. Le formulaire avait été signé par le demandeur et par un interprète le 26 mai 2003.


[5]                Le demandeur a reçu un avis de comparaître à une audience sur le désistement, daté du 29 mai 2003, pour expliquer pourquoi il avait produit son FRP en retard. L'audience devait avoir lieu le 31 juillet 2003. L'avis a été envoyé à la dernière adresse connue du demandeur ainsi qu'à son avocat. Ni le demandeur, ni son avocat n'ont comparu à l'audience sur le désistement qui s'est déroulée le 31 juillet 2003 et ils disent qu'ils n'ont appris que l'audience avait eu lieu que quand la Commission a rendu sa décision et qu'elle leur en a envoyé une copie au mois de novembre.

Décision de la Commission

[6]                La Commission a rendu les motifs écrits de sa décision de prononcer le désistement de la demande d'asile de M. Anwar, le 18 novembre 2003. La Commission a dit que ni l'avocat ni le demandeur n'avait expliqué, par écrit, pourquoi le FRP avait été produit en retard ni pourquoi ils ne s'étaient pas présentés à l'audience sur le désistement.


[7]                La Commission a mentionné les paragraphes 6(1) et 6(2) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles SPR) qui disent que le formulaire de renseignements personnels rempli doit être reçu par la Commission au plus tard vingt-huit jours suivant la date à laquelle le demandeur d'asile reçoit le formulaire et que le demandeur qui ne peut respecter le délai peut demander une prorogation du délai. La Commission a mentionné que le demandeur n'avait pas demandé plus de temps pour remplir son FRP.

[8]                La Commission a dit que l'avis relatif à l'audience sur le désistement avait été envoyé à l'adresse fournie par le demandeur dans son FRP et la bonne adresse postale de l'avocat. Les avis n'ont pas été retournés à la Commission.

[9]                La Commission a également reconnu que le demandeur avait remis le FRP rempli avant l'audience sur le désistement. Toutefois, la Commission a décidé que l'omission de demander la prorogation du délai, le fait de ne pas se présenter à l'audience sur le désistement et le fait de présenter un FRP avec cinq jours de retard étaient « significatifs » et que faute d'explication sur la raison du retard, la Commission en arrivait à la conclusion que le demandeur et son avocat n'avaient pas fait preuve de la « diligence requise » . La Commission a donc décidé que le demandeur avait renoncé à présenter une demande d'asile.

QUESTION EN LITIGE


[10]            La Commission a-t-elle manqué à l'équité procédurale en déclarant que le demandeur avait renoncé à sa demande d'asile, en conformité avec l'article 168 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) et l'article 58 des Règles SPR, en omettant d'aviser régulièrement le demandeur de l'audience sur le désistement et en le privant de son droit d'être entendu?

ANALYSE

[11]            Le demandeur soutient que la Commission a violé un principe de justice naturelle parce qu'il n'a pas eu l'occasion d'expliquer à la Commission les raisons pour lesquelles elle ne devait pas prononcer le désistement de sa demande d'asile. Le demandeur soutient, dans l'affidavit déposé en l'espèce, que ni lui ni son avocat n'ont reçu l'avis de comparaître. Le demandeur fait valoir qu'il est clair que la Commission avait ses coordonnées et celles de son avocat, et que, par conséquent, conformément au paragraphe 58(2) des Règles SPR, lorsque la Commission possède ces renseignements, elle doit donner au demandeur d'asile la possibilité d'expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé.


[12]            Le demandeur dit qu'il y a eu, en l'espèce, une [traduction] « grave erreur bureaucratique » qui serait, selon lui, [traduction] « clairement et manifestement déraisonnable » . Le demandeur affirme que lorsqu'une telle erreur entraîne une décision aussi importante que le désistement d'une demande d'asile, il s'agit en fait d'une violation fondamentale de l'équité procédurale puisque le demandeur n'a pu participer à l'audience. Il se fonde notamment sur la décision Mussa c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 2047 (1re inst.)(QL), et il soutient que, puisqu'il n'a réellement pas reçu l'avis de comparaître à l'audience sur le désistement, sa situation est différente de celle du demandeur d'asile qui ne communique pas sa nouvelle adresse à la Commission ou qui a reçu un avis de comparaître et qui ne se présente pas. En outre, il avait fourni son adresse et ses coordonnés à la Commission.

[13]            Le défendeur ne s'est pas prononcé sur la demande d'autorisation en l'espèce et il a déposé son exposé des arguments quelques semaines seulement avant l'audience. Dans son exposé, le défendeur s'est objecté au fait que le demandeur n'avait déposé aucune preuve provenant du cabinet de son avocat concernant l'absence d'avis de l'audience sur le désistement.

[14]            L'avocat du demandeur a demandé une prorogation du délai afin de déposer un affidavit de son associée, Mme Karina Thompson, attestant que le cabinet n'avait reçu aucun avis. L'avocat du défendeur ne s'est pas objecté à ce que l'affidavit soit produit en preuve à cause de la communication tardive des arguments du défendeur et parce que l'affidavit avait été préparé par un avocat et officier de la cour.

[15]            J'ai accepté en preuve le nouvel affidavit tout en soulignant qu'il était fondé en partie sur des renseignements et opinions de l'avocat du demandeur ce qui amènerait ce dernier à défendre, du moins indirectement, son propre témoignage, contrairement à l'esprit de l'article 82 des Règles de la Cour fédérale : Reading & Bates Constr. Co. c. Baker Energy Resources Corp. (1986), 7 F.T.R. 117.


[16]            Dans son affidavit, Mme Thompson affirme que dans leur cabinet, pour veiller à ce que les avis de la Commission soient correctement enregistrés et inscrits dans un échéancier, on avait notamment mis en place plusieurs mesures de vérification permettant d'assurer que les avocats ou le personnel de soutien n'oublient pas les dates de comparution. Elle affirme qu'il n'y a aucune inscription relative à la réception de l'avis d'audience sur le désistement au cabinet de l'avocat et que tous les moyens ont été pris avant la réception de la décision de la Commission pour poursuivre la demande d'asile du demandeur avec diligence.

[17]            Le paragraphe 168(1) de la LIPR ainsi que l'article 58 des Règles SPR s'appliquent dans le présent contrôle judiciaire et ils établissent le pouvoir de la Commission de prononcer le désistement d'une demande d'asile :


168 (1) Chacune des sections peut prononcer le désistement dans l'affaire dont elle est saisie si elle estime que l'intéressé omet de poursuivre l'affaire, notamment par défaut de comparution, de fournir les renseignements qu'elle peut requérir ou de donner suite à ses demandes de communication.

_______________________

168 (1) A Division may determine that a proceeding before it has been abandoned if the Division is of the opinion that the applicant is in default in the proceedings, including by failing to appear for a hearing, to provide information required by the Division or to communication with the Division on being requested to do so.

_____________________

58. (1) La Section peut prononcer le désistement d'une demande d'asile sans donner au demandeur d'asile la possibilité d'expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé si, à la fois :

58. (1) A claim may be declared abandoned, without giving the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned, if

a) elle n'a reçu ni les coordonnées, ni le formulaire sur les renseignements personnels du demandeur d'asile dans les vingt-huit jours suivant la date à laquelle ce dernier a reçu le formulaire;

(a) the Division has not received the claimant's contact information and their Personal Information Form within 28 days after the claimant received the form; and


b) ni le ministre, ni le conseil du demandeur d'asile, le cas échéant, ne connaissent ces coordonnées.

(b) the Minister and the claimant's counsel, if any, do not have the claimant's contact information.

(2) Dans tout autre cas, la Section donne au demandeur d'asile la possibilité d'expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé. Elle lui donne cette possibilité :

(2) In every other case, the Division must give the claimant an opportunity to explain why the claim should not be declared abandoned. The Division must give this opportunity

a) sur-le-champ, dans le cas où il est présent à l'audience et où la Section juge qu'il est équitable de le faire;

(a) immediately, if the claimant is present at the hearing and the Division considers that it is fair to do so; or

b) dans le cas contraire, au cours d'une audience spéciale dont la Section l'a avisé par écrit.

(b) in any other case, by way of a special hearing after notifying the claimant in writing.

(3) Pour décider si elle prononce le désistement, la Section prend en considération les explications données par le demandeur d'asile à l'audience et tout autre élément pertinent, notamment le fait que le demandeur d'asile est prêt à commencer ou à poursuivre l'affaire.

(3) The Division must consider, in deciding if the claim should be declared abandoned, the explanations given by the claimant at the hearing and any other relevant information, including the fact that the claimant is ready to start or continue the proceedings.

(4) Si la Section décide de ne pas prononcer le désistement, elle commence ou poursuit l'affaire sans délai.

(4) If the Division decides not to declare the claim abandoned, it must start or continue the proceedings without delay.


[18]            Au paragraphe 7 de son affidavit, le demandeur dit :

[traduction]

Je n'ai jamais été avisé de la tenue de l'audience [de désistement]. Ni moi ni mon avocat n'avons reçu un avis concernant l'audience de désistement. Je n'ai pas pu me présenter à l'audience puisque j'ignorais qu'elle avait lieu.

[19]            Il faut apprécier cette preuve en tenant compte de la « déclaration de signification » qui se trouve à la page 94 du dossier du tribunal et qui a été signée par un employé de la Commission, le 29 mai 2003. Cette déclaration atteste que l'avis de comparaître a été signifié par courrier ordinaire affranchi au demandeur à l'adresse qu'il a donnée à la Commission ainsi qu'au cabinet de son avocat. Ces adresses, telles qu'indiquées dans la déclaration de signification, sont les mêmes que celles que le demandeur et son avocat ont fournies à la Commission.

[20]            Il faut interpréter le paragraphe 58(2) des Règles SPR en tenant compte des autres dispositions du texte législatif qui visent la manière dont le demandeur doit être avisé. L'article 22 des Règles SPR dit que la Commission « avise les parties par écrit des date, heure et lieu d'une procédure » . Aux termes de l'article premier des Règles SPR, une « procédure » s'entend notamment « d'une conférence, d'une demande, d'une audience ou d'une entrevue » . En outre, le paragraphe 35(2) prévoit que tout document envoyé par courrier ordinaire à une partie est considéré comme ayant été reçu sept jours après sa mise à la poste. Ces dispositions réglementaires révèlent que la Commission a l'obligation d'aviser le demandeur par écrit de la date, de l'heure et du lieu de l'audience sur le désistement. Habituellement, la livraison par courrier ordinaire suffit en l'absence d'une preuve contraire.

[21]            Il n'y a aucune preuve au dossier du tribunal que le demandeur ou son avocat ait réellement reçu l'avis de comparaître malgré l'enquête effectuée par l'ancien avocat du défendeur. En outre, il faut peut-être tenir compte du fait que le demandeur et son avocat ont réagi rapidement quand ils ont reçu les motifs de la Commission concernant le désistement de la demande.

[22]            D'après toute la preuve en l'espèce, je ne puis conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la Commission a rempli son obligation d'aviser le demandeur et, par conséquent, le contrôle judiciaire est accueilli.

[23]            Aucune question grave de portée générale n'a été proposée par les parties. Aucune question n'est certifiée.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la question soit renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Commission pour nouvel examen. Aucune question n'est certifiée.

                                                                         _ Richard G. Mosley _           

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL. B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                             IMM-7574-03

INTITULÉ :                            ASHAR ANWAR

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                           

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :    LE 31 AOÛT 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :            LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :           LE 1ER SEPTEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Robert Blanshay                                                POUR LE DEMANDEUR

Stephen Jarvis                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert Blanshay                                                POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


COUR FÉDÉRALE

Date : 20040901

Dossier : IMM-7574-03

ENTRE :

               ASHAR ANWAR

                                          demandeur

                             et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                                                            

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                            


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