Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

        


Date : 19990308


Dossier : IMM-1662-98

Entre :

     MAMADOU YAYA SOW

     Demandeur

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     Défendeur

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER :

[1]      Il s"agit d"une demande de contrôle judiciaire à l"encontre d"une décision de la Section du statut selon laquelle le demandeur n"est pas un réfugié au sens de la Convention.

LES FAITS

[2]      Le demandeur est citoyen de la Guinée. Il prétend avoir une crainte bien-fondée de persécution en Guinée, au Sénégal et en Mauritanie, et ce, à cause de ses opinions politiques. Il a fait toutes ses études au Sénégal. Il soutient être un membre très actif du Parti du Renouveau et du Progrès (PRP), le parti d"opposition en Guinée et de l"association des étudiants guinéens à Dakar, Sénégal. Il fut arrêté à deux reprises : la première fois en Guinée lors d"une pré-campagne électorale en 1993 et par la suite en Mauritanie en 1996. Il est arrivé au Canada le 30 août 1996 et il a revendiqué le statut de réfugié le 9 septembre 1996.

[3]      Le demandeur allègue avoir perdu son passeport lors de son premier soir au Canada. Lorsqu"il s"est présenté au C.I.C. pour demander de l"assistance et se déclarer réfugié (quelques jours plus tard), il fut détenu et interrogé du 10 septembre au 13 septembre 1996. Il n"a pas été avisé de son droit à l"avocat pendant cette période. Les agents d"immigration lui ont posé des questions et ont pris des notes lesquelles étaient en preuve devant le premier tribunal (le 6 janvier 1998). La procureure du demandeur s"était objecté à leur utilisation. Suite à l"objection, un deuxième tribunal (le 17 mars 1998) a procédé à l"audition de la revendication. Néanmoins, le demandeur prétend que ce dernier aurait aussi considéré les notes des agents d"immigration.

[4]      Le tribunal a rejeté la revendication pour un manque de crédibilité. Le demandeur demande le contrôle judiciaire à l"encontre de cette décision, contestant la légalité du dépôt des notes des agents d"immigration qui aurait entaché l"audition et brimé son droit à une audition impartiale. En l"espèce, le tribunal a reçu les notes des agents mais décidait de ne pas en tenir compte pour rendre sa décision.

[5]      Les pouvoirs accordés par le paragraphe 68(3) de la Loi sur l'immigration1 (la Loi) quant à la recevabilité sont larges puisque le tribunal peut recevoir tous les éléments de preuve qu"il juge crédibles ou dignes de foi et qu"il n"est pas lié par les règles légales de présentation de la preuve. Ce qui importe avant tout c"est de s"assurer que la procédure suivie respecte l"équité et les règles de justice naturelle.

[6]      C"est à bon droit que le tribunal se prononçait sur la recevabilité des notes des agents d"immigration. Il est important de rappeler qu"il n"avait à se prononcer ni sur la légalité de la détention ni sur le droit à l"avocat mais uniquement sur le fondement de la revendication. À mon avis, il faisait preuve de diligence en refusant de tenir compte des notes vu la façon douteuse dont elles avaient été obtenues.

[7]      En l"espèce, je ne peux conclure au déni de justice naturelle puisqu"il est clair de la transcription des notes sténographiques que le fondement de la décision du tribunal repose sur le témoignage du demandeur et les renseignements contenus dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et non pas sur les notes des agents d"immigration.

[8]      Le tribunal n"avait pas a se récuser pour avoir pris connaissance de ces notes. Comme l"indiquait mon collègue Rothstein dans De Leon2 :

             Les demandeurs font valoir que le tribunal aurait dû se récuser parce qu"il a pris connaissance de ces lettres. Toutefois, comme l"a souligné le juge Reed dans l"affaire Johnpillai c. Canada (Secrétaire d"État), les juges et les tribunaux se prononcent systématiquement sur la recevabilité des éléments de preuve, et ne voient pas la nécessité de se récuser. En l"espèce, le tribunal n"était pas tenu de se récuser parce qu"il avait pris connaissance des lettres anonymes qui étaient préjudiciables aux demandeurs.             

[9]      Le tribunal a jugé que le témoignage du demandeur n"était pas crédible. En effet les invraisemblances contenues dans son témoignage sont suffisamment importantes pour supporter la conclusion que celui-ci n"était pas crédible.

[10]      Le demandeur prétend dans son FRP qu"il craint la persécution au Sénégal et en Mauritanie ainsi qu"en Guinée. Au Sénégal, il prétend qu"après avoir été condamné en contumace, " les autorités sénégalaises sont venues lui prier de cesser ses activités politiques à l"intérieur de leur pays, faute de quoi, il pourrait être extradé pour la Guinée ". En Mauritanie, il prétend avoir été arrêté par la police pour trois chefs d"inculpation: " séjour illégale, utilisation du territoire Mauritanien pour servir comme arrière-garde pour perturber la stabilité de la Guinée et enfin atteinte à l"ordre public ".

[11]      Cependant, pendant la période de scolarité au Sénégal, le demandeur a passé un mois chaque année en Guinée chez ses parents qui habitent à la frontière entre la Guinée et le Sénégal. La facilité et la fréquence avec lesquelles il a traversé les frontières entre les deux pays ne correspondent pas à quelqu"un qui avait une crainte bien-fondée de la persécution de la part de l"État.

[12]      Le tribunal retient son incapacité d"établir une distinction idéologique entre le parti PRP et le parti RPG qui sont deux partis de l"opposition guinéenne. Une lecture des notes sténographiques révèle qu"il ne peut répondre à cette question. Hors, dans son FRP il prétend être " chargé avec quelques compagnons de représenter le parti au sein de la diaspora estudiantine Guinéenne en qualité de responsable chargé du traitement automatique de l"information et de la communication " et que ses " activités politiques intenses commençaient à déranger le régime guinéen à tel point que l"ambassadeur de la Guinée au Sénégal à l"époque ... n"hésite pas à [le] dénoncer aux autorités guinéennes en [le] qualifiant de < rebelle, fauteur de trouble, agitateur et élément dangereux et subversif pour la stabilité du pays > ".

[13]      Le demandeur est incapable de décrire le parti PRP, ni de le différencier du parti RPG, et ce malgré le fait que sa prétendue persécution est basée sur son appartenance au parti PRP et en dépit de son témoignage sur ses " activités politiques intenses ". Pourtant, ce point était central à sa revendication.

[14]      Le tribunal a retenu également son témoignage à l"effet qu"il a été détenu puis libéré sous condition, soit la condition de ne plus faire de politique et de ne pas quitter son pays, mais il n"a aucun document là-dessus.

[15]      De plus, il témoignage avoir reçu une lettre du 2 décembre 1997 du PRP, mais cette lettre ne mentionne aucunement le fait qu"il a été condamné. Sûrement comme le mentionne le tribunal que les membres du parti auraient mentionné au moins ce fait important.

[16]      Enfin, le tribunal retient que lorsqu"il a demandé un visa canadien, il a déclaré qu"il était marié, alors qu"à l"audition il témoigne qu"il était célibataire et qu"il est encore célibataire. Une autre contradiction dans son témoignage.

[17]      Comme je l"ai dit plus haut, ces éléments de preuve provenaient de son FRP et de son témoignage. Rien dans les motifs de la décision ne laisse croire que la Section du statut a fondé sa décision sur les notes des agents.

[18]      En conséquence, je suis d"avis que la conduite du tribunal ne soulève pas une appréhension raisonnable de partialité.

[19]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[20]      La procureure du demandeur demande la certification de la question suivante :

     Un tribunal administratif non tenu par la loi de la Preuve, peut-il recevoir des preuves même si ces preuves ont été obtenues en violation des principes de la Charte Canadienne des droits de l"homme et de la Déclaration Canadienne :         
     soit qu"elle les juge crédibles ou dignes de foi en l"occurrence et fond sur elles sa décision, et sinon         
     respecter le droit à une audience équitable et qui respecte les règles de justice naturelle.         
     Qu"elle est la sanction pour un manquement à une audience équitable qui ne respecte pas les principes de la justice naturelle.         

[21]      La question proposée ne soulève pas une question générale et les faits au dossier ne donnent pas ouverture à cette question. Il n"y aura donc aucune question certifiée.

    

                                     JUGE

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

Le 8 mars 1999.

__________________

1      L.R.C. 1985, ch. I-2.

     De Leon c. Canada (M.C.I.), (le 23 octobre 1998) IMM-5124-97 (C.F. 1ère inst.).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.