Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040504

Dossier : IMM-3797-03

Référence : 2004 CF 657

ENTRE :

                                                           SHKELZIME ALIBALI

                                                                 IRIDA ALIBALI

                                                                   IRIS ALIBALI

                                                                                                                                     demanderesses

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE LAYDEN-STEVENSON


[1]                Shkelzime Alibali et ses deux filles sont originaires de Shkodër, en Albanie. Mme Alibali est la demanderesse principale et la représentante désignée de ses filles. Elle prétend être une réfugiée au sens de la Convention et avoir la qualité de personne à protéger en raison des convictions politiques qui lui sont imputées (les convictions politiques de son défunt époux) et également en raison de son appartenance à un groupe social, à savoir la famille (les membres de sa belle-famille lui ont fait des menaces de mort et tentent d'obtenir la garde de ses enfants). La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande. Par souci de commodité dans les présents motifs, je ferai référence à la demanderesse principale en la nommant la demanderesse.

LES FAITS

[2]                L'époux de la demanderesse était pharmacien et il était membre du parti du Mouvement pour la légalité. Mme Alibali était une ingénieure mécanique qui travaillait pour une usine locale. Elle prétend que son époux travaillait en tant que réserviste de la patrouille frontalière. Elle prétend qu'à deux reprises (en janvier 1998 et en mars 2000), il a arrêté des contrebandiers qui avaient des liens avec le gouvernement du parti au pouvoir (socialiste). Il a signalé l'incident aux policiers et il a informé son propre parti. Mme Alibali prétend qu'après ce premier signalement, il a été blessé par balle et qu'il a été hospitalisé pendant douze jours. À la suite du deuxième incident, il a été blessé par balle et hospitalisé. La pharmacie de son époux a été incendiée en avril 2000 après qu'il eut fait devant le Mouvement pour la légalité un discours dans lequel il faisait des liens entre le gouvernement et la mafia. Il est décédé le 2 mai 2000.


[3]                Mme Alibali prétend que le 15 avril 2000, alors qu'elle était seule à la maison, elle a été battue et agressée sexuellement par des hommes qui ont en outre menacé de tuer sa famille. Elle prétend être allée à l'hôpital et avoir signalé l'agression sexuelle aux policiers. Par conséquent, l'agression a été rendue publique et les membres de sa belle-famille ont cru qu'elle était coupable d'adultère. Lorsque son époux est décédé, ils ne lui ont pas permis de rester dans leur propriété et, en tant que croyants du Kanun de Lek, un code d'honneur traditionnel albanais, ils ont tenté d'obtenir la garde de ses enfants. Ils ont refusé de la laisser voir ses enfants après une tentative d'enlèvement en septembre 2000, tentative qu'ils ont organisée, selon ce que prétend Mme Alibali, dans le but de la discréditer.

[4]                Mme Alibali déclare qu'en octobre, avec l'aide d'un cousin, elle a réussi à reprendre ses enfants et à s'enfuir à Tirana. Ses amis ont organisé une rencontre avec un passeur de clandestins et elle a quitté l'Albanie avec ses enfants le 21 novembre 2000. Elle est entrée au Canada le 3 décembre et elle a présenté une demande d'asile deux jours plus tard. Depuis son arrivée au Canada, elle a entendu dire que les membres de sa belle-famille voulaient qu'elle meure afin qu'elle ne les couvre plus de honte.

[5]                La SPR a rejeté la demande au motif qu'il n'existait pas suffisamment d'éléments de preuve dignes de foi permettant de rendre une décision favorable. La SPR a conclu que la demanderesse n'était pas digne de foi en raison des nombreuses invraisemblances, omissions et contradictions de son témoignage. En particulier, la SPR a conclu ce qui suit :

-          son témoignage était hésitant à l'égard de la question de savoir si elle serait tuée par les membres de sa belle-famille si elle retournait en Albanie;

-          elle n'a pas déposé d'éléments de preuve pour corroborer sa prétention à l'égard de l'agression subie par son époux, bien qu'elle ait déclaré que l'incident avait été mentionné dans les journaux;

-          elle a continué à envoyer ses enfants chez les membres de sa belle-famille même après qu'elle eut soupçonné qu'ils étaient responsables de la tentative d'enlèvement;


-          elle était incapable d'expliquer les raisons pour lesquelles les membres de sa belle-famille auraient tenté d'enlever les enfants puisque le Kanun leur était favorable et elle était incapable d'expliquer les raisons pour lesquelles elle avait pu quitter l'Albanie avec ses enfants malgré que les membres de sa belle-famille contestaient le fait qu'elle en ait la garde;

-          son témoignage à l'égard du moment auquel elle avait décidé de s'enfuir d'Albanie était hésitant;

-          il était invraisemblable que son époux aurait consenti à travailler pour un organisme géré par les socialistes ou qu'on lui aurait permis de le faire;

-          le Formulaire sur les renseignements personnels (FRP), le témoignage et les dossiers au point d'entrée (PDE) étaient contradictoires à l'égard des fonctions de son époux en tant que [TRADUCTION] « réserviste » ;

-          elle ne savait pas pour quel ministère son époux avait travaillé;

-          elle a prétendu, bien que ce soit contraire à l'usage, qu'elle n'avait pas obtenu les services d'un interprète au PDE.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[6]                Il y a seulement deux questions en litige, à savoir :

(1)         La SPR aurait-elle commis une erreur dans ses conclusions quant à la crédibilité parce qu'elle se serait fondée sur des appréciations manifestement déficientes de la preuve?

(2)         La SPR aurait-elle commis une erreur par une omission d'avoir pris en compte les observations écrites, présentées en réponse, dont elle disposait?


ANALYSE

[7]                La demanderesse conteste presque toutes les conclusions précédemment mentionnées. Après avoir examiné le dossier, y compris la transcription de l'audience, je partage l'opinion selon laquelle la SPR a commis une erreur lorsqu'elle a conclu que Mme Alibali a continué à envoyer ses enfants chez les membres de sa belle-famille après l'enlèvement. Rien dans la preuve ne donne à penser que c'est ce qui s'est produit.

[8]                À l'égard de la conclusion selon laquelle il était contradictoire que les membres de sa belle-famille aient tenté d'enlever les enfants alors qu'ils avaient à leur endroit des droits bien établis suivant le Kanun, Mme Alibali a témoigné que les membres de sa belle-famille devaient démontrer, pour obtenir des documents suivant la procédure de la cour, qu'elle était une mère indigne et que s'il était établi qu'elle avait une bonne réputation les membres de sa belle-famille devraient également s'occuper d'elle. La SPR a mentionné le témoignage de la demanderesse, mais elle a conclu qu'il ne fournissait pas une explication raisonnable compte tenu de sa déclaration selon laquelle les membres de sa belle-famille avaient à l'endroit des enfants des droits bien établis suivant le Kanun. Mon examen de la transcription (dossier du tribunal, aux pages 289 à 291) m'amène à conclure que la conclusion de la SPR était une conclusion qu'elle pouvait tirer.


[9]                Mme Alibali prétend que la conclusion selon laquelle elle a rendu un témoignage contradictoire à l'égard du moment auquel elle avait décidé de quitter l'Albanie est également déraisonnable compte tenu du fait qu'elle répondait à différentes questions lorsqu'elle a donné des dates différentes. En outre, les questions posées étaient des questions se rapportant à des événements survenus avant qu'elle quitte l'Albanie. Une fois de plus, un examen de la transcription (dossier du tribunal, aux pages 294 et 297 à 309) révèle que le témoignage de la demanderesse était contradictoire à l'égard du moment auquel elle a pris des dispositions pour quitter l'Albanie et, par conséquent, la SPR n'a pas commis une erreur lorsqu'elle a tiré sa conclusion.

[10]            À l'égard de la conclusion selon laquelle il était invraisemblable qu'on aurait permis à un partisan du parti d'opposition de se porter volontaire pour la patrouille de la frontière, ou qu'il ait voulu le faire, alors que le gouvernement socialiste auquel il s'opposait était au pouvoir, la prétention de la demanderesse est que la conclusion est déraisonnable parce que la preuve établissait clairement que la patrouille frontalière était gérée par l'administration municipale et que cette administration n'était pas confiée au parti au pouvoir, mais au parti démocratique. Quant à la conclusion selon laquelle le FRP, le témoignage et les dossiers du PDE étaient contradictoires à l'égard des fonctions de son époux en tant que réserviste, et quant au fait qu'elle ne savait pas pour quel ministère son époux travaillait, Mme Alibali prétend que son témoignage était que son époux était un réserviste qui travaillait pour la ville, non pour la police, et qu'il travaillait selon les besoins. Au départ, il avait répondu en 1997 à une demande faite par le gouvernement temporaire aux intellectuels d'Albanie afin qu'ils s'occupent de la situation politique.

[11]            Une fois de plus, un examen de la transcription, du FRP et des notes au PDE révèle que le témoignage de la demanderesse était confus à cet égard. Bien que la participation initiale de son époux ait pu être expliquée, le témoignage de Mme Alibali n'était pas cohérent à l'égard des fonctions qu'il avait continué d'exercer. Elle a déclaré qu'il était devenu un employé de la ville, mais a hésité sur la question du moment auquel il avait passé des examens et auquel il était devenu un employé. Elle a mentionné que c'était aussi tôt qu'en 1997 ou en 1998, mais a par la suite déclaré que c'était peut-être en 2000. Bien qu'il y ait eu une certaine cohérence dans son témoignage de vive voix selon lequel il ne faisait pas partie de la police, elle l'a décrit comme un policier et un réserviste de la police dans les notes consignées au PDE, dans le FRP et d'une façon plus restreinte dans son témoignage de vive voix. À mon avis, la conclusion de la SPR à cet égard n'était pas déraisonnable.


[12]            Quant à son manque de connaissance à l'égard du ministère pour lequel son époux travaillait, la demanderesse prétend qu'elle décrivait un poste occasionnel de volontaire qui n'était pas le sien et que les Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié énoncent que les formations devraient se rappeler que les épouses peuvent ne pas toujours avoir une connaissance détaillée des activités de leur époux ou de la documentation qui se rapporte à eux. Le problème à l'égard de ce poste est que c'est Mme Alibali qui a déclaré que son époux était un volontaire, mais qu'il était également un employé. C'est la demanderesse qui a déclaré que les membres de sa belle-famille ne l'aimaient pas parce qu'elle occupait un emploi non traditionnel et que son mariage n'était pas traditionnel. Elle n'a donné aucune indication selon laquelle son époux lui cachait des renseignements. Dans ces circonstances, à mon avis, la SPR pouvait tirer la conclusion qu'elle a tirée.

[13]            Finalement, Mme Alibali conteste les commentaires de la SPR à l'égard de l'interprétation et du fait qu'il n'y avait pas d'interprète au PDE. Je partage l'opinion selon laquelle la SPR ne pouvait pas mentionner qu'il est « d'usage pour les responsables de l'Immigration aux points d'entrée de fournir des services d'interprétation aux demandeurs d'asile, soit en personne ou par téléphone, à moins que le demandeur indique qu'il ou elle n'en a pas besoin » sans en informer la demanderesse. Cependant, le contexte dans lequel cette question est soulevée se rapporte aux contradictions entre le FRP, les notes consignées au PDE et le témoignage de vive voix. Mme Alibali a tenté d'expliquer les contradictions au PDE en déclarant qu'il devait s'agir d'un malentendu parce qu'il n'y avait pas d'interprète. Lorsqu'on l'a questionnée quant à la question de savoir si elle avait demandé des services d'interprétation, elle ne pouvait pas se souvenir si elle l'avait fait. Il n'était pas déraisonnable pour la SPR de conclure que si Mme Alibali avait eu besoin de services d'interprétation, elle l'aurait demandé et la SPR pouvait mentionner les contradictions.


[14]            Bien que la SPR ait commis des erreurs à certains égards, je ne suis pas d'avis que ces erreurs aient été déterminantes dans sa décision. La majorité des conclusions qui sont contestées par Mme Alibali sont des conclusions que la SPR pouvait tirer. Bien que la demanderesse ait proposé d'autres conclusions qui auraient pu être tirées par la SPR, ce n'est pas le critère applicable. Il appartient à la demanderesse de démontrer que les conclusions de fait tirées par la SPR sont manifestement déraisonnables. Elle n'a pas réussi à le faire.

[15]            Je remarque que Mme Alibali n'a pas contesté la conclusion selon laquelle son témoignage à l'égard de la question de savoir si elle serait tuée si elle retournait en Albanie était hésitant et celle selon laquelle elle n'avait pas fourni d'éléments de preuve pour corroborer sa prétention à l'égard des circonstances du décès de son époux, même si ce décès avait soi-disant été mentionné dans les journaux. De plus, Mme Alibali ne mentionne pas la déclaration suivante faite par la SPR :

Le présumé profil politique de son défunt mari constitue le point crucial de ces demandes. En me basant sur l'ensemble de la preuve et des observations, je ne suis pas convaincu de la crédibilité des faits allégués voulant que l'ex-mari ait le profil politique présumé ou ait joué un rôle en tant que patrouilleur frontalier ou réserviste.

[16]            Cette conclusion n'a pas été contestée. Étant donné que toutes les prétentions de Mme Alibali sont fondées sur les prétendues activités de son époux, il m'apparaît qu'il lui appartenait de contester au moins cette conclusion. Elle ne l'a pas fait. Ce que la demanderesse tente d'obtenir c'est une nouvelle évaluation et une nouvelle appréciation de la preuve par la Cour. Ce n'est pas la fonction de la Cour. La SPR a conclu que le témoignage de Mme Alibali était contradictoire, incohérent et invraisemblable. Elle peut rendre une décision défavorable quant à la crédibilité en se fondant sur des contradictions et des incohérences contenues dans le récit et elle peut se fonder sur des critères comme la vraisemblance, la rationalité et le sens commun pour ce faire.


[17]            Mme Alibali prétend en outre qu'il est significatif que dans ses motifs la SPR ait mentionné les observations des avocats et celles de l'agent de la protection des réfugiés, mais qu'elle ait omis de mentionner les observations présentées en réponse par l'avocat. Elle prétend que la SPR n'aurait pas pu rendre la décision qu'elle a rendue si elle avait pris en compte toutes les observations contenues dans la réponse. Par conséquent, Mme Alibali prétend qu'on lui a refusé le droit d'être représentée par avocat.

[18]            Les observations des avocats ne peuvent pas servir de fondement de preuve. La décision de la SPR doit en fin de compte être fondée sur la preuve. Les motifs mentionnent effectivement que les observations présentées par les avocats après l'audience ont été examinées. Je ne déduis pas, comme le fait Mme Alibali, que l'omission de mentionner expressément la [TRADUCTION] « réponse » signifie nécessairement que la réponse n'a pas été prise en compte par la SPR. En outre, pour réussir dans sa demande, la demanderesse doit encore démontrer qu'il y a eu une erreur à l'égard des conclusions qui sont fondamentales dans la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n'était pas digne de foi. Comme il a été mentionné, elle n'a pas réussi à cet égard. On n'a pas refusé à Mme Alibali le droit d'être représentée par avocat.

[19]            Les avocats n'ont pas proposé une question aux fins de la certification. Aucune question n'est certifiée.


                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE PAR LA PRÉSENTE QUE la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

« Caroline Layden-Stevenson »

Juge

Fredericton (Nouveau-Brunswick)

Le 4 mai 2004

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-3797-03

INTITULÉ :                                        SHKELZIME ALIBALI ET AL         

                                                                                     demanderesses

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 22 AVRIL 2004   

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                                                                    LA JUGE LAYDEN-STEVENSON    

DATE DES MOTIFS :                       LE 4 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Jeffrey Goldman                                                POUR LES DEMANDERESSES

                       

Rhonda Marquis                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jeffrey Goldman

Avocat

Toronto (Ontario)                                              POUR LES DEMANDERESSES

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE DÉFENDEUR


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.