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                                                                                                                                  Date : 20060125

                                                                                                                       Dossier : IMM-2515-05

                                                                                                                       Référence : 2006 CF 40

ENTRE :

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                                              ABID ULLAH JAN

                                                             RIZWANA AFRIDI

                                                                   MISHA JAN

                                                                    LAIBA JAN

                                                                                                                                          défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PINARD

[1]         Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire déposée par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre), le 25 avril 2005, d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 26 avril 2004, dans laquelle la Commission a conclu que le défendeur principal, Abid Ullah Jan, et les membres de sa famille (les défendeurs) étaient des réfugiés au sens de la Convention en vertu de l'article 96 et des personnes à protéger telles que définies à l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). La Commission a aussi conclu que le défendeur principal n'était pas assujetti à l'exclusion telle que décrite à l'alinéa 1Fb) de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés (la Convention sur les réfugiés).

[2]         La demande des membres de la famille a été liée à celle du défendeur principal.

[3]         Abid Ullah Jan, sa femme et leurs deux enfants sont tous citoyens du Pakistan. M. Jan travaillait comme journaliste et analyste politique au Pakistan, et a dirigé un organisme de développement communautaire. Il a critiqué ouvertement le régime Moucharraf et a écrit des articles sur la corruption dans les projets de développement.

[4]         M. Jan est arrivé au Canada avec sa femme et ses deux enfants le 27 décembre 2002. Ils ont demandé l'asile le même jour, alléguant qu'ils craignaient d'être persécutés en raison de leurs convictions politiques et du groupe social auquel ils appartenaient. Le défendeur a prétendu qu'avant de quitter le Pakistan, il avait reçu des appels de menaces, qu'il avait dû se rendre à une base militaire pour subir une interrogation, au cours de laquelle il avait été attaché à une chaise, et qu'il avait par la suite été détenu pendant 50 à 52 heures, supposément par des agents des services secrets. Les défendeurs alléguaient qu'ils étaient des personnes à protéger parce que, s'ils retournaient au Pakistan, ils pourraient être en danger de mort ou pourraient être victimes de peines cruelles et inusitées ou de torture.

[5]         Cependant, lors de l'audience devant la Commission, une question a été soulevée portant sur la possibilité d'exclure M. Jan en vertu de l'alinéa 1Fb) de la Convention sur les réfugiés, qui énonce que la protection des réfugiés au sens de la Convention ne s'étend pas aux personnes qui ont commis un crime grave de droit commun. En 1992, M. Jan a été détenu à son arrivée aux États-Unis et a été accusé de trafic de drogues. Il a purgé une peine de 49 mois pour ce crime. Une autre question a aussi été soulevée devant la Commission, soit la possibilité que M. Jan ait commis un autre crime, le passage de clandestins.

[6]         Le défendeur prétend que le ministre ne pouvait pas déposer la présente demande de contrôle judiciaire, parce que la procédure a été engagée près d'un an après que la Commission eut rendu sa décision, ce que le défendeur qualifie de délai injuste. Je ne suis pas d'accord.

[7]         Le 26 avril 2004, la Commission a rendu sa décision oralement au sujet de l'exclusion, et plus tard la même journée, elle a rendu sa décision oralement au sujet de l'inclusion. Après avoir reçu l'avis de décision le 28 avril 2004, le demandeur a demandé quatre fois à la Commission de lui faire parvenir les motifs écrits, qu'il a finalement reçus le 14 avril 2005. Les demandes ont été faites aux dates suivantes : une demande écrite a été déposée le 29 avril 2004, le jour suivant la réception de l'avis de décision, deux autres demandes ont été faites par téléphone en septembre 2004 et une dernière demande écrite a été déposée le 14 mars 2005. Le 14 avril 2005, le demandeur a reçu les motifs écrits et, le 25 avril 2005, il a déposé une demande d'autorisation de contrôle judiciaire à la Cour.

[8]         Tant la Loi que les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les Règles), rendent évidentes que le délai de présentation d'une demande d'autorisation de contrôle judiciaire en l'espèce ne pouvait courir qu'à partir du moment où les deux partis, le ministre et les défendeurs, ont reçu les motifs écrits.

[9]         Le paragraphe 61(3) des Règles impose à la Commission l'obligation de présenter des motifs écrits lorsqu'elle accueille une demande d'asile après avoir conclu que la section F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés ne s'applique pas. Le paragraphe 61(3) se lit comme suit :

   61. (3) Dans le cas où elle indique dans les motifs de sa décision qu'elle accueille la demande d'asile après avoir conclu que les sections E ou F de l'article premier de la Convention sur les réfugiés ne s'appliquent pas, la Section transmet au demandeur d'asile et au ministre, avec l'avis de décision, les motifs écrits de la décision.

   61. (3) If the reasons of the Division indicate that it has allowed a claim for refugee protection after determining that sections E or F of Article 1 of the Refugee Convention do not apply, the Division must provide the notice of decision and written reasons for the decision to the claimant and the Minister.

[10]       De plus, la première demande écrite pour obtenir les motifs écrits a été déposée par le représentant du ministre le jour suivant la réception de l'avis de décision, soit dans les temps prescrits à l'article 62 des Règles. L'article 62 des Règles se lit comme suit :

   62. La demande que peuvent faire le demandeur d'asile ou le ministre en vue d'obtenir les motifs écrits de la décision accueillant une demande d'asile est faite par écrit. La demande doit être reçue par la Section au plus tard dix jours suivant la date à laquelle le demandeur d'asile ou le ministre, selon le cas, reçoit l'avis de décision.

   62. A request made by a claimant or the Minister, for written reasons for a decision allowing a claim must be in writing. The request must be received by the Division no later than 10 days after the claimant or the Minister, as the case may be, received the notice of decision.

[11]       La demande a été accordée le 21 mars 2005 et, le 14 avril 2005, le demandeur a reçu une copie des motifs écrits.

[12]       L'alinéa 72(2)b) de la Loi prévoit que, sous réserve de l'alinéa 169f) de ladite Loi, la demande d'autorisation de contrôle judiciaire de la décision du tribunal doit être signifiée à l'autre partie puis déposée au greffe « dans les quinze [...] jours suivant [...] la date où le demandeur en est avisé ou en a eu connaissance » .

[13]       L'alinéa 169f) de la Loi prévoit aussi que « les délais de contrôle judiciaire courent à compter du dernier en date des faits suivants : notification de la décision et transmission des motifs écrits » :

   169. Les dispositions qui suivent s'appliquent aux décisions, autres qu'interlocutoires, des sections :

[. . .]

f) les délais de contrôle judiciaire courent à compter du dernier en date des faits suivants : notification de la décision et transmission des motifs écrits.

   169. In the case of a decision of a Division, other than an interlocutory decision:

[. . .]

(f) the period in which to apply for judicial review with respect to a decision of the Board is calculated from the giving of notice of the decision or from the sending of written reasons, whichever is later.

[14]       Le 25 avril 2005, le demandeur a déposé sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire et l'a signifiée aux défendeurs le lendemain. Par conséquent, le demandeur a déposé sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire en temps opportun.

[15]       Ensuite, en ce qui a trait à l'analyse de la Commission au sujet du trafic de personnes, le demandeur allègue que la Commission a commis une erreur en appliquant la mauvaise norme de preuve à ce sujet, et qu'en raison de cette seule erreur, la Cour devrait infirmer la décision. Je suis d'accord.

[16]       La norme de preuve en l'espèce au sujet du trafic de personnes est la suivante : y a-t-il « des raisons sérieuses de penser » que le défendeur principal a commis un tel crime? Il est bien établi que cette norme est moins exigeante que celle applicable en droit civil ou en droit criminel (voir par exemple Lai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 584 (C.A.) (QL), Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 3 C.F. 761 (C.A.), Ramirez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 2 C.F. 306 (C.A.), Moreno c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 298 (C.A.), Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 (C.A.), Sumaida c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] 3 C.F. 66 (C.A.), et Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Muto, [2002] A.C.F. no 318 (1re inst.) (QL)).

[17]       En l'espèce, il semble, au vu de la décision, que la Commission ait conclu que le ministre n'avait pas soumis suffisamment de preuves pour prouver que le défendeur principal avait été accusé d'avoir fait le trafic de personnes, ou pour prouver que la femme qui l'accompagnait avait elle aussi été accusée. À mon avis, la Commission a appliqué une norme de preuve beaucoup plus exigeante, à laquelle le ministre n'avait pas à se conformer pour assurer l'exclusion du défendeur principal en raison du trafic de personnes. Une telle erreur dans l'application de la norme de preuve constitue une grave erreur de droit, qui justifie l'intervention de la Cour sans qu'il lui soit nécessaire d'examiner tout autre argument que pourrait soulever le demandeur à l'encontre de la décision contestée.

[18]       Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la Commission en date du 26 avril 2004 sera annulée dans son intégralité, et l'affaire sera renvoyée pour une nouvelle audience devant un tribunal de la Commission différemment constitué.

[19]       La question énoncée par le demandeur pour la certification, qui a aussi été énoncée avec une légère modification par les défendeurs, ne sera pas certifiée parce qu'elle est reliée à la question du trafic de drogues, crime pour lequel le défendeur principal a déjà purgé une peine de 49 mois. Compte tenu des motifs exposés ci-dessus, qui ne portent en rien sur l'analyse de la Commission au sujet du trafic de drogues, la question énoncée n'est pas pertinente et n'est donc pas déterminante.

« Yvon Pinard »

JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 25 janvier 2006

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                       IMM-2515-05

INTITULÉ :                                                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c. ABID ULLAH JAN, RIZWANA AFRIDI, MISHA JAN, LAIBA JAN

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                               Le 15 décembre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                  LE JUGE PINARD

DATE DES MOTIFS :                                     Le 25 janvier 2006

COMPARUTIONS :

Sherry Rafai Far                                                POUR LE DEMANDEUR

Silvia R. Maciunas                                             POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

John H. Sims, c.r.                                              POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Silvia R. Maciunas                                             POUR LES DÉFENDEURS

Ottawa (Ontario)


                                                                                                                                  Date : 20060125

                                                                                                                       Dossier : IMM-2515-05

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE PINARD

ENTRE :

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                          demandeur

                                                                          - et -

                                                              ABID ULLAH JAN

                                                             RIZWANA AFRIDI

                                                                   MISHA JAN

                                                                    LAIBA JAN

                                                                                                                                          défendeurs

                                                                ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) datée du 26 avril 2004, dans laquelle la Commission a conclu que le défendeur principal et les membres de sa famille (les défendeurs) étaient des réfugiés au sens de la Convention aux termes de l'article 96, et des personnes à protéger aux termes de l'article 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, est annulée dans son intégralité, et l'affaire est renvoyée pour une nouvelle audience devant un tribunal de la Commission différemment constitué.

                                                                                                            « Yvon Pinard »

       JUGE

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

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