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T-1267-98

Entre :     


STEVE JASLOWSKI,


demandeur,


et


SA MAJESTÉ LA REINE,


défenderesse.

                                        

         Que la transcription ci-jointe des motifs de la décision que j'ai prononcée à l'audience, tenue à Winnipeg (Manitoba) le 12 août 1998, soit déposée conformément à l'article 51 de la Loi sur la Cour fédérale.

                      F.C. Muldoon                              Juge

Ottawa (Ontario)

Le 14 octobre 1998.

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


NO DU GREFFE T-1267-98

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

ENTRE :


STEVE JASLOWSKI,


demandeur,


et


SA MAJESTÉ LA REINE,


défenderesse.

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Transcription de la décision prononcée par le juge Muldoon,

     le mercredi 12 août 1998.

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TRANSCRIT PAR :

Sherryl Puchlik,

Auditrice officielle, B.R.

LE MERCREDI 12 AOÛT 1998.

             LA COUR : Regrette de dire, en raison du sentiment d'injustice qu'éprouve M. Jaslowski et de tort qui lui est fait, que la présente demande doit être accueillie. Le procureur général du Canada ne fait pas officiellement partie de la présente affaire. M. Jaslowski fonde tous ses espoirs sur les articles 579 et 579.1 du Code criminel du Canada, dont la Cour lui a fourni un exemplaire et dont le juge saisi de la présente affaire dispose en ce moment.

             Les dispositions du Code criminel permettent au procureur général provincial, qui est le procureur général principal au Canada en vertu du Code criminel, au procureur général principal d'intervenir dans toute instance présentée en vertu du Code criminel et d'ordonner un arrêt des procédures. Les instances en matière de parjure ou de complot sont notamment visées. En fait, c'est ce qui s'est produit en l'espèce. Le procureur général du Manitoba a effectivement ordonné l'arrêt des procédures que M. Jalowski avait engagées dans le cadre d'une poursuite privée. La Cour du Banc de la Reine du Manitoba a confirmé cette intervention et a ordonné l'arrêt des procédures. La Cour d'appel du Manitoba et la Cour suprême du Canada ont confirmé cette décision.

             La Cour renvoie à l'affaire O'Grady c. White de 1983 ou de 1984, un arrêt de la Cour d'appel fédérale rendu par le juge Urie à l'égard du traitement d'une demande ou d'un bref de mandamus. La Couronne, dans cette affaire le demandeur, cite Apotex c. Le procureur général du Canada, [1994] 1 C.F. 742, un arrêt de la Cour d'appel fédérale, et [1994] 3 R.C.S. 1100, un arrêt de la Cour suprême du Canada.

             Par conséquent, les dispositions du Code criminel citées par M. Jaslowski permettent au procureur général d'ordonner l'arrêt des procédures, mais ne l'obligent pas à poursuivre les procédures ni à engager des poursuites. L'article 579 porte sur le procureur général de la province et lui confère le pouvoir discrétionnaire d'arrêter les procédures. Remarquez le mot " peut " (" may " en anglais). " Le procureur général ou le procureur mandaté par lui à cette fin peut , à tout moment après le début des procédures à l'égard d'un prévenu ou d'un défendeur et avant jugement, ordonner au greffier ou à tout autre fonctionnaire compétent du tribunal de mentionner au dossier que les procédures sont arrêtées sur son ordre et cette mention doit être faite séance tenante; dès lors, les procédures sont suspendues en conséquence et tout engagement y relatif est annulé. " Remarquez comment le législateur formule cet article. Le procureur général peut ; mais quand il a exercé ce pouvoir discrétionnaire qui lui donne la permission, il est alors obligatoire que les procédures soient suspendues comme le démontre l'utilisation du verbe être à l'indicatif " sont " (" shall " en anglais). Ainsi, le procureur général peut ordonner l'arrêt des procédures et, quand le procureur général de la province le fait, les procédures sont suspendues. Évidemment, il ne s'agit pas de l'avis de la Cour, mais bien de ce que le législateur a édicté. Le paragraphe 579(1) du Code criminel du Canada.

             Le paragraphe 2 de cet article autorise le procureur général à reprendre les procédures arrêtées dans l'année et, de nouveau, le paragraphe 2 prévoit que les procédures arrêtées conformément au paragraphe 1 peuvent être reprises. On ne dit pas sont, mais peuvent être. Le procureur général n'a ni le devoir ni l'obligation de reprendre de telles procédures.

             Jusqu'à présent, le procureur général du Canada n'est en aucune façon impliqué dans la présente affaire. Toutefois, à l'article 579.1, le paragraphe 1 prévoit " [l]e procureur général du Canada ou le procureur mandaté par lui à cette fin peut, si les circonstances suivantes sont réunies, intervenir dans toute procédure [...] ", peut intervenir, et non intervient, peut intervenir. Les circonstances sont celles d'une procédure ayant trait à une contravention à une loi fédérale autre que la présente loi, soit le Code criminel, ou à ses règlements d'application, à une tentative ou à un complot en vue d'y contrevenir ou le fait de conseiller une telle contravention. Par conséquent, dans le cadre de procédures engagées en vertu du Code criminel du Canada, et c'est la loi en vertu de laquelle M. Jaslowski a introduit sa poursuite privée, le procureur général du Canada ne peut pas intervenir, mais seulement en ce qui concerne d'autres lois fédérales ou un règlement.

             " B ", les procédures n'ont pas été engagées par un procureur général. Soit un procureur général provincial. " C ", le jugement n'a pas été rendu; et " D ", le procureur général de la province où les procédures sont engagées n'est pas intervenu. Mais évidemment, dans le cas de la poursuite privée de M. Jalowski, le procureur général de la province est intervenu. Par conséquent, il est manifeste que même si le procureur général du Canada était disposé à intervenir dans la poursuite privée de M. Jalowski, le législateur a écarté cette possibilité.              Le paragraphe 2 de l'article 579.1 prévoit que l'article 579 s'applique, avec les adaptations nécessaires, aux procédures dans lesquelles le procureur général du Canada intervient en vertu du présent article. L'article 579 s'applique aux affaires dans lesquelles le procureur général du Canada intervient en vertu du présent article. Le type d'intervention que décrivent les articles 579 et 579.1 est l'arrêt des procédures. Il ne s'agit pas d'engager, ni de continuer, ni de poursuivre, mais bien de suspendre les procédures, et c'est ce qui s'est produit quand le procureur général du Manitoba a ordonné l'arrêt des procédures dans les poursuites privées de M. Jalowski.

             Dans ces articles du Code criminel, rien n'est prévu pour M. Jalowski, le demandeur dans l'action et le défendeur dans la présente requête. En fait, ces articles du Code criminel, s'ils sont correctement interprétés et compris, prévoient non seulement que le procureur général du Canada ne peut être contraint d'engager des procédures, ni de reprendre des procédures, mais qu'en plus il ne doit pas intervenir dans les circonstances particulières de la présente affaire.

             Par conséquent, que l'on estime par déclaration ou par avis de requête que le procureur général du Canada est une commission, notamment d'un tribunal fédéral, le procureur général du Canada ne peut tout simplement pas être contraint dans les présentes circonstances à faire quoi que ce soit. Dès lors, la déclaration, même si elle est convertie en avis de requête, ne peut pas donner gain de cause. Par conséquent, il n'y a pas lieu de demander à la Cour de convertir la déclaration, parce qu'elle ne pourrait pas donner gain de cause. Cela étant dit, la déclaration doit être radiée.

             À présent, cela peut sembler dur parfois quand une personne se présente devant la Cour sans être représentée par un avocat, mais les mêmes lois s'appliquent qu'une personne soit représentée par un avocat ou non. En l'espèce, on peut supposer que l'affaire aurait été rapidement réglée même si M. Jalowski avait consulté un avocat de l'aide juridique. On lui aurait dit que la présente affaire n'avait vraisemblablement aucune chance de réussir, et elle ne peut réussir. Ainsi, les mêmes règles et les mêmes lois s'appliquent, qu'une partie soit représentée par un avocat ou non. La Cour a de la sympathie à l'égard d'une partie qui n'est pas représentée par un avocat. La sympathie ne change toutefois ni les règles ni les lois. Elle ne prévoit pas non plus deux catégories de parties à un litige. Même la plus grande sympathie au monde n'y change rien. En l'espèce, la Couronne a demandé des dépens et sa demande est bien fondée. Le montant suggéré peut sembler important pour M. Jalowski, après tout, la somme de cinq cents dollars n'est pas à dédaigner. Toutefois, à titre de dépens, il s'agit d'un petit montant, particulièrement quand il comprend des débours, comme la Couronne l'a suggéré. Par conséquent, la Cour n'accordera pas à la Couronne un sou de plus que la somme de cinq cents dollars, parce qu'elle a demandé cinq cent dollars et que c'est là que ça s'arrête. Cependant, la Cour accordera à la Couronne des dépens contre M. Jalowski sous la forme d'un jugement pour la somme de cinq cents dollars, incluant les débours dans la présente affaire, et la déclaration est radiée car elle ne contient aucune cause d'action raisonnable. Est-ce qu'il y a des questions?

             M. FRASER : Non, Monsieur le juge. J'ai trouvé la citation de l'arrêt O'Grady and White, c'est au bas de --

             LA COUR : Merci.

             M. JASLOWSKI : Une seule question Monsieur le juge. Qu'en est-il de la Charte des droits qui me garantit la justice fondamentale?

             LA COUR : Oui, la Charte des droits existe, mais indiquez-moi à quel endroit elle vous garantit d'avoir gain de cause en la présente demande? Où se trouve l'exigence en matière de justice fondamentale dans la présente affaire, à quel endroit a-t-elle été violée? Je crois que je dois me poser cette question, la Cour doit se la poser, et, même en tenant compte de l'interprétation la plus favorable de la Charte canadienne des droits et libertés, en particulier de l'article 7 qui est la disposition en matière de justice fondamentale, la Cour ne peut pas conclure au manquement à la justice fondamentale. Autrement dit, il n'est pas fondé d'invoquer l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés en l'espèce. La Cour ne peut pas tirer cette conclusion et elle sait que vous êtes très convaincu de votre bon droit Monsieur Jaslowski. Les parties qui perdent leur cause sont habituellement profondément contrariées, mais comme la Cour l'a donné à entendre, une très brève consultation auprès d'un avocat vous aurait peut-être informé que ni votre déclaration, ni la Charte des droits et libertés, ne contiennent de cause d'action raisonnable. Est-ce qu'il y a d'autres questions?

             M. FRASER : Monsieur le juge, j'aimerais ajouter que le but poursuivi par la Couronne en demandant la somme de cinq cents dollars, incluant les débours, était de ne pas punir indûment M. Jalowski, mais la Couronne souhaite que la présente affaire prenne fin et tient à signaler qu'elle ne sera pas aussi généreuse si l'affaire devait se poursuivre.

             LA COUR : Par cette déclaration, garantissez-vous à M. Jalowski que vous ne procéderez pas à l'exécution forcée du jugement? Est-ce que votre dernière déclaration est une garantie que vous ne procéderez pas à l'exécution forcée de votre jugement?

             M. FRASER : Non, je ne dis pas que je ne procéderai pas à l'exécution forcée du jugement.

             LA COUR : Alors, il peut intenter d'autres procédures dans la présente affaire.

             M. FRASER : Je dis que, si la présente affaire devait être portée en appel, la Couronne, dans la préparation de sa réponse, n'envisagerait pas les dépens d'une façon aussi généreuse.

             LA COUR : Je comprends, mais nous ne devons pas -- Monsieur Fraser, il n'est pas indiqué d'essayer d'intimider M. Jaslowski en faisant cette déclaration.

             M. FRASER : Il ne s'agit pas d'intimidation, Monsieur le juge.

             LA COUR : Il a le droit d'essayer et d'interjeter appel s'il le souhaite, mais évidemment, s'il perd, il sera assujetti aux dépens. S'il gagne, il récupérera tout.

             M. FRASER : Oui, bien sûr.

             LA COUR : Et ce n'est pas à nous de prévoir ce que la Cour d'appel décidera s'il interjette appel. Par conséquent, essayons de laisser cela dans ce cadre neutre, il a le droit d'interjeter appel s'il choisit de le faire. S'il perd, alors il devra probablement payer des dépens de nouveau. Il appartiendra à la Cour d'appel d'en décider.

             M. FRASER : Je m'excuse. Il ne s'agissait pas d'une mesure d'intimidation, mais simplement d'une façon de reconnaître que la Couronne savait que les dépens qu'elle cherchait à obtenir étaient inférieurs à ceux qui pourraient autrement être accordés.

             LA COUR : Je crois que oui, c'est très juste. Eh bien, la séance de la Cour est levée.

             (AJOURNEMENT GÉNÉRAL À 10 H 20.)

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  T-1267-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Steve Jaslowski c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :          Winnipeg (Manitoba)

DATE DE L'AUDIENCE :          le 12 août 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE MULDOON

EN DATE DU :                  14 octobre 1998

ONT COMPARU :

Steve Jaslowski                  LE DEMANDEUR EN SON PROPRE NOM

Morris Rosenberg                  POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


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