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Date : 20060411

Dossier : IMM-4132-05

Référence : 2006 CF 475

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2006

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE GAUTHIER

 

ENTRE :

ISHTIAQ HOSSAIN

demandeur

 

et

 

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               M. Hossain demande le contrôle judiciaire de la décision rendue par l’agent des visas rejetant sa demande de résidence permanente au Canada (dans la catégorie des travailleurs qualifiés) pour le motif que son état de santé emporte interdiction de territoire pour motifs sanitaires.  

 

[2]               M. Hossain est un résident de la Malaisie et un professeur d’université. Il a inclus son épouse et ses deux enfants en tant que personnes à charge dans sa demande. L’agent des visas, après avoir évalué sa demande en septembre 2004, a jugé que M. Hossain satisfaisait aux critères de sélection des travailleurs qualifiés. Cependant, à la suite de la visite médicale prévue par la loi, le Dr Lazarus a préparé une déclaration médicale indiquant ceci :

[traduction]

 

Diagnostic : (V42) Transplantation rénale

 

Exposé des faits : Le demandeur de 52 ans, né le 30 août 1952, a subi une transplantation rénale en 2000 à la suite d’une insuffisance rénale. Sa sœur a fait don du rein et l’activité fonctionnelle rénale du demandeur est maintenant normale. Il prend actuellement des médicaments antirejet, 150 mg de cyclosporine par jour et 2 g de Cellcept par jour. Ces médicaments très coûteux sont payés par le régime provincial d’assurance-maladie. Il souffre également d’hypertension et de diabète insulino-dépendant, des maladies liées à la progression de la maladie rénale. On s’attend à ce que son état de santé demeure le même. Le cours naturel de la maladie est de persister avant de finalement s’aggraver. Le demandeur devra toujours être surveillé et examiné par des spécialistes en néphrologie et en endocrinologie. Il a besoin d’être continuellement traité par des médicaments antirejet excessivement coûteux. Après avoir étudié les résultats du présent examen et de tous les rapports reçus concernant la santé du demandeur, je conclus que son état de santé risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services de santé. Plus précisément, son état de santé risque de nécessiter des services dont le coût dépasserait probablement la moyenne canadienne par personne sur une période de cinq ans. Le demandeur est donc interdit de territoire selon le paragraphe 38(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[3]               Le 27 janvier 2005, l’agent des visas a écrit à M. Hossain ce qu’on appelle communément une « lettre relative à l’équité » par laquelle il l’informe du résultat de la visite médicale et de la conclusion voulant que son état de santé [traduction] « risque d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé au Canada, ce qui emporterait interdiction de territoire selon le paragraphe 38(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, 2001 ». Cette lettre contenait le texte entier de la déclaration médicale et l’agent des visas a également ajouté :  

 

[traduction] Si vous croyez que d’autres renseignements médicaux pertinents doivent être pris en considération avant que la décision finale relativement à votre demande soit rendue, veuillez nous les faire parvenir. Vous pouvez également inclure tout renseignement concernant la question du fardeau excessif, si elle s’applique à votre cas.

 

 

 

[4]               Le demandeur avait jusqu’au 29 mars pour répondre à cette lettre. Le 21 mars 2005, M. Hossain a écrit à l’agent des visas pour donner plus d’explications au sujet de son état de santé. Il a inclus une lettre du professeur Tan, qui suivait son état de santé depuis mars 2002, ainsi qu’une lettre du Dr Pary, le néphrologue ayant effectué la transplantation, décrivant son état de santé au moment de sa sortie d’hôpital en juin 2001. Cette dernière lettre avait également été fournie au médecin ayant effectué l’examen médical, le Dr Lazarus, et a, selon toute probabilité, été utilisée par lui pour établir la médication mentionnée dans sa déclaration médicale.

 

[5]               M. Hossain a également prétendu que la déclaration médicale comportait une erreur à propos de sa dose quotidienne de Neoral (cyclosporine) et il a aussi affirmé ne prendre que 1 g de Cellcept par jour. Il a également déclaré avoir assumé tous les frais médicaux depuis la transplantation et être prêt à s’engager à ne réclamer aucuns frais médicaux liés à son état de santé actuel aux services de santé canadiens. Il était prêt à signer une déclaration ou une renonciation à cet effet. Il était également prêt à souscrire toute assurance privée nécessaire et il a dit avoir montré à l’appui de sa demande qu’il possédait plus de 200 000 $ CAN à la banque, ce qui lui permettrait de payer ses médicaments par ses propres moyens financiers. 

 

[6]               Les notes du STIDI et l’affidavit de l’agent des visas montrent clairement que cette lettre et l’information qui y est jointe ont été envoyées au Dr Kennedy pour reconsidération de l’avis médical donné par le Dr Lazarus et lui-même.  

 

[7]               Dans son affidavit, le Dr Kennedy déclare que l’information supplémentaire ne fait que confirmer que M. Hossain aura constamment besoin de prendre des médicaments très coûteux et ne contient aucun nouveau renseignement médical. Selon le Dr Kennedy, les doses mentionnées sont basées sur la médication inscrite dans la lettre du Dr Pary datée du 2 février 2002, qui indiquait, entre autres, [traduction] « Neoral 75 mg bid Cellcept 1g bid ». Il affirme que bid, en termes médicaux, signifie deux fois par jour.

 

[8]               Rien dans l’affidavit du Dr Kennedy, dans celui de l’agent des visas, dans les notes du STIDI ou dans la lettre de refus n’indique que les médecins agréés ou l’agent des visas ont tenu le moindrement compte de l’offre du demandeur d’assumer les frais de médicaments liés à son état de santé actuel ni de sa situation financière.

 

[9]               Le 11 mai 2005, M. Hossain a été informé que sa demande avait été rejetée pour le motif que les documents fournis dans sa lettre n’avaient pas fait changer d’opinion les médecins agréés. 

 

QUESTIONS

 

[10]           Le demandeur a soulevé plusieurs questions dans son mémoire ainsi qu’à l’audience. D’abord, il s’est opposé au dépôt d’une partie de l’affidavit du Dr Kennedy parce qu’il contenait de l’information qui ne lui avait pas été communiquée et qui n’apparaissait pas dans l’exemplaire du dossier qu’il avait reçu après avoir présenté une demande en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. 1985, ch. A-1.

 

[11]           M. Hossain soutient également que la décision rendue par l’agent des visas est manifestement déraisonnable parce qu’elle est fondée sur la conclusion erronée selon laquelle il prendrait 150 mg de cyclosporine (Neoral) et 2 g de Cellcept par jour.

 

[12]           Il prétend en outre que l’analyse des médecins agréés et de l’agent des visas était déficiente parce qu’elle ne tenait pas compte de sa situation financière personnelle ni de son offre de s’engager à assumer le coût de ses médicaments.

 

[13]           Finalement, le demandeur soutient que l’agent des visas a manqué aux règles de la justice naturelle en prenant en considération une preuve extrinsèque qui n’avait pas été communiquée au demandeur et en n’expliquant pas de manière appropriée pourquoi les commentaires supplémentaires de ce dernier n’avaient pas fait changer la décision. 

 

[14]           Il ne sera pas nécessaire d’aborder tous ces arguments, car je crois que l’agent des visas et les médecins agréés n’ont pas utilisé la bonne dose dans leur analyse et ne se sont pas réellement penchés sur les observations du demandeur concernant sa capacité financière à assumer lui-même le coût de ses médicaments. 

 

 

 

 

ANALYSE

 

[15]           Il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable en l’espèce, car l’erreur est susceptible de contrôle, peu importe la norme appliquée.

 

[16]           En fait, dans la présente affaire, le décideur n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire après avoir examiné toute l’information portée à sa connaissance. 

 

[17]           Il ne fait aucun doute que, lorsque le Dr Pary décrit la [traduction] « médication actuelle » du demandeur, il n’est question que de la situation au moment où il rédige la lettre. Cette lettre, écrite en février 2002, indique expressément à la page 4 que la dose de Neoral [traduction] « pourra être réduite à la fin de l’année et établie à 75‑50 mg ». Dans ces circonstances, on ne peut faire abstraction de la déclaration du demandeur selon laquelle sa dose en 2005 est de 75 mg. Cette information et le fait que les médecins agréés ont donné un avis médical à partir de faits erronés n’ont pas été pris en compte par l’agent des visas après qu’il eut reçu le second avis médical. Sa décision est donc manifestement déraisonnable.  

 

[18]           Parce qu’il ressort clairement des notes du Dr Lazarus et de l’affidavit du Dr Kennedy que leur considération principale était le prix de ces deux médicaments coûteux, cette seule erreur justifie l’annulation de la décision.

 

[19]           Puisque l’affaire sera examinée de nouveau, il est important de souligner que le médecin agréé doit comparer la situation particulière du demandeur au coût moyen pour les citoyens canadiens du même groupe d’âge. Il n’est clair que cela a été fait en l’espèce.  

 

[20]           À l’audience, le défendeur a soutenu que l’agent n’était pas tenu de prendre en compte les autres commentaires du demandeur soit parce qu’ils n’étaient pas juridiquement pertinents aux fins de l’évaluation, soit simplement parce qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve à l’appui de l’offre de M. Hossain. Le simple fait que le défendeur ait pu présenter des arguments subsidiaires à ce sujet pose la question de savoir si la décision est suffisamment motivée. 

 

[21]           Cependant, il ne faut répondre à la question de savoir si une décision est suffisamment motivée ou non relativement à une question donnée que s’il apparaît clairement que le décideur s’est effectivement penché sur la question. En l’espèce, la Cour n’est pas convaincue que le Dr Kennedy ou l’agent des visas ait examiné cette question. Leurs affidavits sont muets sur ce point.

 

[22]           Dans les circonstances, il serait inopportun et prématuré de trancher si, juridiquement, ce facteur doit être pris en considération et si la décision était insuffisamment motivée.  

 

[23]           La Cour prend en note que, depuis que la décision à l’étude a été rendue, la Cour suprême du Canada, dans Hilewitz c. Canada (M.C.I.), [2005] 2 R.C.S. 706, a confirmé que, dans certaines circonstances, il est pertinent de prendre en considération la situation financière du demandeur pour déterminer si sa présence au Canada entraînerait un fardeau excessif pour nos services sociaux. Même si la Cour suprême ne traitait pas des services de santé comme tels dans cette affaire, il conviendrait tout de même de tenir compte de son raisonnement.  

 

[24]           Il serait certainement sage d’expliquer clairement dans les notes du STIDI ou dans la prochaine décision comment cette question aura été abordée.

 

[25]           Le demandeur a proposé que la question suivante soit certifiée : [traduction] « À la lumière de l’arrêt Hilewitz de la Cour suprême du Canada, où il est question d’interdiction de territoire pour motifs sanitaires, l’agent doit-il tenir compte de la capacité financière du demandeur et de son intention d’assumer le coût de ses propres services de santé, plutôt que celui des services sociaux? »

 

[26]           Bien que cette question puisse devenir pertinente, il est clair que, à cette étape-ci, y répondre ne trancherait pas la question. Actuellement, la présente affaire ne soulève aucune question de portée générale. 

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

La demande est accueillie. La demande de résidence permanente de M. Hossain devra être réexaminée par des médecins agréés différents ainsi que par un agent des visas différent.

 

« Johanne Gauthier »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Elisabeth Ross


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                IMM-4132-05

 

INTITULÉ :                                                               ISHTIAQ HOSSAIN

                                                                                    c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION     

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                         TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                      LE 3 AVRIL 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                               LA JUGE GAUTHIER

 

DATE DES MOTIFS :                                              LE 11 AVRIL 2006                

 

                                                                                               

COMPARUTIONS :

 

Matthew Jeffrey                                                            POUR LE DEMANDEUR

 

Vanita Goela                                                                POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Matthew Jeffrey                                                            POUR LE DEMANDEUR

Avocat

Toronto (Ontario)                                                        

                                                                                               

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada                              

                                               

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