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     Date : 20001011

     Dossier : T-2551-97

                                                

OTTAWA (Ontario), le 11 octobre 2000

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MacKAY

                                    

ENTRE :


THE INDUSTRIAL CAPE BRETON COMMUNITY ALLIANCE GROUP

ON THE SABLE GAS PROJECT,

                                        

     demandeur,


     - et -



LE PROJET ÉNERGÉTIQUE EXTRACÔTIER DE L'ÎLE DE SABLE,

MOBIL OIL CANADA PROPERTIES, SHELL CANADA LIMITÉE,

PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE RESSOURCES LIMITÉE,

NOVA SCOTIA RESOURCES LIMITED,

LE PROJET DE GAZODUC MARITIMES & NORTHEAST et

MARITIMES & NORTHEAST PIPELINE MANAGEMENT LTD.,

     défendeurs.

                                    

     VU la demande présentée par le demandeur pour que le rapport de la Commission d'examen public conjoint sur les projets gaziers de l'île de Sable daté du 27 octobre 1997 fasse l'objet d'un contrôle judiciaire, soit annulé et renvoyé à la Commission accompagné de directives précises;

     APRÈS avoir entendu les parties à Halifax les 3 et 4 mai 1999, le demandeur ayant retiré sa demande telle que déposée dans la mesure où il sollicitait aussi le contrôle du rapport du commissaire sur le projet énergétique extracôtier de l'île de Sable daté du 27 octobre 1997, et ayant aussi modifié la réparation sollicitée et les directives demandées pour clarifier qu'il ne demandait pas l'annulation de tout le rapport de la Commission d'examen public conjoint mais plutôt que la Commission termine d'autres travaux dans le cadre de son mandat;

     APRÈS que les avocats des parties eurent fourni d'autres observations écrites à la suite de l'audience, d'abord en mai et à nouveau en novembre-décembre 1999;

     APRÈS avoir examiné les observations présentées à l'audience et, subséquemment, par écrit, et en soulignant que les défendeurs n'ont pas réclamé les dépens dans leurs observations écrites ou lors de l'audience sur cette question;


     O R D O N N A N C E

     LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

     .      La demande est rejetée.
     .      Chaque partie supportera ses propres dépens.




     (Signé) W. Andrew MacKay

     JUGE

Traduction certifiée conforme:


Richard Jacques, LL. L.



     Date : 20001017

     Dossier : T-2551-97


ENTRE :


THE INDUSTRIAL CAPE BRETON COMMUNITY ALLIANCE GROUP

ON THE SABLE GAS PROJECT,

     demandeur,


     - et -



LE PROJET ÉNERGÉTIQUE EXTRACÔTIER DE L'ÎLE DE SABLE,

MOBIL OIL CANADA PROPERTIES, SHELL CANADA LIMITÉE,

PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE RESSOURCES LIMITÉE,

NOVA SCOTIA RESOURCES LIMITED,

LE PROJET DE GAZODUC MARITIMES & NORTHEAST et

MARITIMES & NORTHEAST PIPELINE MANAGEMENT LTD.,

     défendeurs.



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE MacKAY


[1]      Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d'une décision rendue par la Commission d'examen public conjoint des projets gaziers de l'île de Sable (la Commission), consignée dans son rapport du 27 octobre 1997, et par laquelle cette dernière a décidé que les études des répercussions socio-économiques sur l'économie et la population de la Municipalité régionale du Cap-Breton de la mise en valeur des champs de gaz naturel situés sur le plateau Scotian, près de l'île de Sable, et l'introduction du gaz naturel dans la province, débordaient le cadre de son examen.

[2]      La Commission a été créée en vertu d'un accord (l'Accord pour un examen public conjoint)1 signé par les ministres de l'Environnement et des Ressources naturelles du Canada, les ministres de l'Environnement et des Ressources naturelles de la Nouvelle-Écosse, le président de l'Office national de l'énergie et le président-directeur général intérimaire de l'Office Canada-Nouvelle-Écosse des hydrocarbures extracôtiers (OHE). Cet accord prévoyait la création d'une Commission d'examen public conjoint pour examiner les effets environnementaux des projets proposés par les défendeurs, le projet énergétique extracôtier de l'île de Sable (le SOEP) et le projet de Maritimes & Northeast Pipeline, y compris leurs effets socio-économiques. L'accord offrait aussi au commissaire nommé en vertu de la Loi de mise en oeuvre de l'accord Canada-Nouvelle-Écosse sur les hydrocarbures extracôtiers du Canada et de la Canada-Nova Scotia Offshore Petroleum Resources Accord Implementation Act de la Nouvelle-Écosse, un moyen de participer à l'examen et de formuler par la suite des recommandations à l'OHE.

[3]      En octobre 1997, le rapport de la Commission a été soumis aux organismes promoteurs et le commissaire a aussi présenté un rapport à l'OHE. Les deux rapports recommandaient que l'on donne suite aux projets à certaines conditions qu'ils recommandaient. Subséquemment, les gouvernements du Canada et de la Nouvelle-Écosse ont accordé les autorisations réglementaires nécessaires aux projets, lesquels étaient bien avancés au moment de l'audition de la présente demande en mai 1999.

[4]      Dans sa demande de contrôle judiciaire telle que déposée et dans ses observations écrites subséquentes, le demandeur sollicite le contrôle non seulement du rapport de la Commission, mais aussi du rapport du commissaire, qui, comme celui de la Commission, ne recommandait pas d'étude avantages-coûts précise des projets, y compris leurs répercussions sur la situation socio-économique de l'économie et de la population de la Municipalité régionale du Cap-Breton. Les défendeurs ont fait valoir que le commissaire n'était pas assujetti au contrôle judiciaire de la présente Cour, mais dans la mesure où la demande concernait l'examen de la décision du commissaire, la demande a été retirée au moment de l'audition de la présente affaire. Ainsi, seul le rapport de la Commission est en cause dans le cadre de la présente instance.

[5]      Le demandeur en l'espèce, le Industrial Cape Breton Community Alliance Group on the Sable Gas Project, est un groupe communautaire formé de la Municipalité régionale du Cap-Breton, du Industrial Cape Breton Board of Trade, des Métallurgistes unis d'Amérique -- Section locale 1064, du Cape Breton District Labour Council, du Cape Breton Island Building and Construction Trades Council et du United Mineworkers of America -- District 26.

[6]      Les défendeurs sont, premièrement, le Projet énergétique extracôtier de l'île de Sable (le SOEP), un consortium, et ses membres, Mobil Oil Canada Properties, Shell Canada Limitée, Pétrolière impériale Ressources Limitée et Nova Scotia Resources Limited. Le consortium met en valeur les ressources de gaz naturel situées au large des côtes de la Nouvelle-Écosse, ce qui comprend la construction et l'exploitation d'installations extracôtières servant au forage, à la production et à la transmission de gaz naturel ainsi qu'à sa réception et à son traitement à terre à Goldboro dans le comté de Guysborough, et à sa transmission à Point Tupper pour le traitement des liquides de gaz naturel. Les deuxièmes défendeurs, le Projet de gazoduc Maritimes & Northeast et Maritimes & Northeast Pipeline Management Ltd. (collectivement, le Groupe MNP), s'occupent respectivement de la construction et de la gestion d'installations de pipeline de transport du gaz naturel depuis les installations de traitement du SOEP à Goldboro à travers les Provinces maritimes jusqu'au Maine.

[7]      Aux termes de l'Accord pour un examen public conjoint, la mise en valeur extracôtière, dont le SOEP est le promoteur, et la mise en valeur côtière, dont le Groupe MNP est le promoteur, forment des projets distincts, qui faisaient tous les deux l'objet de l'examen de la Commission d'examen public conjoint. L'Accord pour un examen public conjoint aux termes duquel la Commission a été formée prévoyait les paramètres de son mandat, dont les plus pertinents à l'égard de la présente demande incluent l'examen et l'étude des facteurs suivants :

     6.      Les limites de temps et d'espace de l'étude.
     7.      L'environnement, y compris l'environnement socio-économique, susceptible d'être touché par les projets.
     8.      Les effets environnementaux des projets, y compris ceux causés par les accidents ou défaillances pouvant en résulter, et les effets cumulatifs que leur réalisation, combinée à l'existence d'autres ouvrages ou à la réalisation d'autres projets ou activités, est susceptible de causer à l'environnement.
     9.      L'importance des effets environnementaux visés à l'article 8.
     10.      Les effets socio-économiques liés aux projets.

[8]      Les descriptions des projets, qui reposaient sur des observations des promoteurs défendeurs aux gouvernements en cause, ont été incluses dans le mandat et il a été demandé à la Commission d'examiner les observations des défendeurs concernant les projets, conformément à son mandat. Dans le cadre de son processus d'examen, la Commission a tenu 20 séances d'information et d'établissement de la portée de l'évaluation en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick, elle a reçu 1 270 pièces d'observation écrites répondant aux projets tels que proposés; et elle a tenu 56 jours d'audiences publiques à Halifax et à Fredericton à partir desquelles ont été produites plus de 12 000 pages de transcriptions.

[9]      La préoccupation du demandeur au sujet de la procédure de la Commission découle de certaines des décisions en matière de preuve qu'elle a prises dans le cadre des audiences, révélées dans les conclusions de son rapport, qui, fait-on valoir, prouvent que la Commission a commis une erreur dans l'interprétation de sa compétence. La première est la décision d'empêcher l'Allergy and Environmental Health Association of Nova Scotia (l'AEHANS), en tant qu'intervenante, de contre-interroger des témoins sur les effets des utilisations finales du gaz naturel, particulièrement en ce qui a trait aux effets sur la santé de son utilisation en Nouvelle-Écosse. Cette décision confirmait une décision antérieure selon laquelle l'examen des projets par la Commission n'incluait pas les effets sur la santé des utilisations finales du gaz naturel. La décision concernant l'interrogatoire mené par l'AEHANS a été clarifiée plus tard par le président de la Commission, qui a souligné l'intérêt continu à l'égard des effets socio-économiques et environnementaux des projets, à l'exclusion des questions d'ordre général telles que les effets sur la santé des utilisations du gaz naturel. Il a souligné que la Commission n'empêchait pas que soient soulevées des questions concernant les effets socio-économiques, y compris le remplacement possible du charbon par la consommation du gaz naturel.

[10]      Dans le cadre de ses audiences, certains intervenants ont fait valoir que la Commission devrait ordonner aux défendeurs de produire une analyse avantages-coûts spécifique des effets socio-économiques du projet, particulièrement sur le secteur industriel du Cap-Breton. Dans son rapport, la Commission a rejeté cette demande et, à la page 57, elle expose sa justification :

     Selon des intervenants, la méthode utilisée pour prévoir les retombées n'est pas optimale, et des genres différents ou supplémentaires de modélisation ou d'analyse devraient ou pourraient être utilisés. Un intervenant a soutenu qu'étant donné qu'aucune analyse avantages-coûts n'avait été effectuée, l'évaluation socio-économique était incomplète et une étude plus poussée s'imposait. SOEP a répondu qu'une analyse socio-économique a été fournie à la Commission et que la loi sur les évaluations environnementales ne prévoyait pas la réalisation d'une analyse avantages-coûts. La Commission a statué qu'une analyse avantages-coûts n'était pas nécessaire et ne constituait que l'une des nombreuses approches utilisées pour fournir une analyse socio-économique adéquate.

                                    

[11]      La question qui a finalement donné lieu à la préoccupation du demandeur est la réponse qu'a donnée la Commission dans son rapport aux observations présentées par la Municipalité régionale du Cap-Breton et d'autres intervenants au sujet d'une préoccupation sérieuse concernant le remplacement du charbon par le gaz naturel. Dans le cadre des audiences publiques, un certain nombre d'intervenants ont fait des commentaires sur les effets défavorables potentiels sur la région du Cap-Breton si le charbon qui y est produit devait être remplacé par du gaz naturel dans les principales centrales thermiques de Nouvelle-Écosse. La Municipalité a demandé que la Commission ordonne aux promoteurs de produire une analyse socio-économique des répercussions du gaz naturel de l'île de Sable sur l'économie et la population du Cap-Breton. La Commission d'examen public conjoint n'a pas ordonné une telle analyse et dans son rapport final, elle a fait les remarques suivantes :

     D'autres intervenants ont demandé que l'évaluation socio-économique soit élargie pour englober les répercussions particulières sur le secteur industriel du Cap-Breton. En particulier, ils voulaient obtenir des études sur les répercussions éventuelles du remplacement du charbon par le gaz naturel et une étude sur l'impact de la présence ou de l'absence d'un latéral pour le secteur industriel du Cap-Breton. La Commission estime que la méthode analytique adoptée, qui vise les répercussions générales sur la Nouvelle-Écosse et les effets particuliers sur les régions les plus susceptibles d'être touchées des comtés de Guysborough et de Halifax, constitue une base suffisante pour l'évaluation. Elle juge que les études proposées par les intervenants seraient utiles pour une planification d'aménagement provincial détaillée et à long terme, mais que cela déborde le cadre du présent examen2 [Non souligné dans l'original.]

[12]      La dernière phrase du dernier passage cité est au coeur de la présente demande de contrôle judiciaire. Au nom du demandeur, il est soutenu que la Commission a commis une erreur en définissant sa compétence lorsqu'elle a décidé que les études proposées concernant « les répercussions éventuelles du remplacement du charbon par le gaz naturel et une étude sur l'impact de la présence ou de l'absence d'un latéral pour le secteur industriel du Cap-Breton [...] déborde[nt] le cadre du présent examen » . Cette déclaration a été citée par le demandeur comme déterminant qu'une étude des répercussions socio-économiques des effets des projets gaziers de l'île de Sable sur le secteur industriel du Cap-Breton débordait le cadre de l'examen de la Commission, c'est-à-dire qu'elle était hors de sa compétence.

[13]      Hormis celle qu'elle a initialement demandée mais retirée à l'audience en rapport avec le commissaire, la réparation sollicitée par le demandeur est que le rapport de la Commission soit annulé, du moins en partie, et qu'il lui soit renvoyé pour qu'elle procède à un nouvel examen en fonction de directives. Les directives demandées sont que la Commission ordonne au SOEP de déposer une étude des répercussions socio-économiques, intégrant une analyse économique avantages-coûts des effets environnementaux des projets des défendeurs sur la Municipalité régionale du Cap-Breton; que l'étude inclue les effets environnementaux à long terme directs et indirects de la disponibilité des liquides de gaz naturel provenant des projets des demandeurs; que la Commission fournisse ensuite à des intervenants une possibilité raisonnable de mener des contre-interrogatoires à l'égard de l'étude produite et de soumettre des éléments de preuve en réponse à celle-ci; et que la Commission publie de nouveau son rapport en tenant compte de tout autre élément de preuve qui peut lui être présenté. À l'audition de la présente demande, les avocats ont souligné que le demandeur ne demande pas que les approbations des projets soient annulées ou que les projets soient suspendus de quelque manière que ce soit, mais plutôt que soit entreprise une évaluation des effets socio-économiques des projets sur les conditions du secteur industriel du Cap-Breton, y compris des recommandations en vue d'atténuer ces effets.

Questions en litige

[14]      La réparation demandée peut sembler inusitée dans le contexte d'un contrôle judiciaire, mais avant de l'examiner, je passe au bien-fondé de la demande présentée à la Cour. Deux questions fondamentales sont soulevées, la qualification de la décision rendue par la Commission, et la norme appropriée de contrôle et son application aux circonstances de l'espèce.

Qualification de la décision de la Commission

[15]      Le demandeur fait valoir que dans le Rapport de la Commission d'examen public conjoint, la déclaration :

     [...] Elle [la Commission] juge que les études proposées par les intervenants seraient utiles pour une planification d'aménagement provincial détaillée et à long terme, mais que cela déborde le cadre du présent examen.

est manifestement une décision prise par la Commission au sujet de sa compétence.

[16]      Le demandeur renvoie à la décision rendue par la Commission concernant les questions posées pour le compte de l'intervenante AEHANS, portant que le processus d'examen n'incluait pas l'examen des effets sur la santé de l'utilisation du gaz naturel, pour étayer son opinion selon laquelle la Commission a interprété de manière restrictive son rôle. Il soutient que le mandat de la Commission aux termes de l'accord doit être interprété en tenant compte du vaste mandat dont doit s'acquitter une commission nommée, comme la présente Commission, conformément à la Environment Act3 de la Nouvelle-Écosse, que le demandeur juge quelque peu plus exigeante dans son application que la loi fédérale équivalente4. La première, fait-il valoir, requiert une évaluation des effets environnementaux, y compris des [Traduction] « [...] changements que la réalisation d'un projet risque de causer à l'environnement et [d]es changements susceptibles d'être apportés au projet du fait de l'environnement; sont comprises parmi les changements à l'environnement les répercussions de ceux-ci soit en matière socio-économique [...] » 5.

[17]      Il soutient que le secteur industriel du Cap-Breton est particulièrement vulnérable aux effets de la disponibilité du gaz naturel servant à la production d'électricité en Nouvelle-Écosse, maintenant produite essentiellement avec du charbon dont la majeure partie est extraite des mines du secteur industriel du Cap-Breton. En fait, il dit qu'il est évident qu'il y aura des effets socio-économiques sur le Cap-Breton du fait de la disponibilité du gaz naturel pour la production d'électricité dans la province, et la Commission d'examen public conjoint aurait dû examiner ces effets, particulièrement sur le secteur industriel du Cap-Breton. Plutôt que de faire des commentaires au sujet des effets socio-économiques du projet sur le secteur industriel du Cap-Breton, la Commission a inclus dans son rapport une décision portant qu'une étude de ces effets débordait le cadre de l'examen de la Commission.

[18]      Pour les défendeurs, il est soutenu que le passage en cause du rapport de la Commission n'était pas une décision concernant sa compétence, mais plutôt la consignation d'un jugement au sujet du caractère suffisant de la preuve, une décision qui relevait de la compétence de la Commission telle qu'énoncée dans son mandat, essentiellement que les études demandées par les intervenants inquiets des effets potentiels sur le Cap-Breton n'étaient pas des études nécessaires à son évaluation de ces projets.

[19]      Les deux positions contraires reflètent celles sur lesquelles mon collègue le juge Campbell a fait des commentaires dans Alberta Wilderness Assn. c. Cardinal River Coals Ltd.6. Ce dernier traitait de la distinction entre les erreurs de droit et les erreurs qualitatives dans le cadre d'un processus d'examen environnemental dans les termes suivants, citant la décision du juge Hugessen dans Alberta Wilderness Assn. c. Express Pipeline Ltd.7 :

         Le principe selon lequel une évaluation environnementale peut être contestée et jugée non conforme à [la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale (la « LCEE » )] sur un point de droit a déjà été établi dans la décision Alberta Wilderness Assn. c. Express Pipelines Ltd.
         Les points qui ressortent de la décision du juge d'appel Hugessen, adaptés au cas qui nous occupe, sont les suivants : l'omission de la commission conjointe de satisfaire à une exigence de l'article 16 de la LCEE peut constituer une erreur de droit; il est important de caractériser de la façon appropriée une présumée omission de satisfaire à pareille exigence, à savoir s'il s'agit d'une question de droit ou simplement d'une contestation de la « qualité » de la preuve et, par conséquent, le « bien-fondé » des conclusions tirées à partir de cette preuve; si une présumée omission appartient à la dernière catégorie, aucune question de droit ne se pose et il ne faut donc pas modifier à la légère les conclusions que la commission conjointe a tirées en se fondant sur des connaissances spéciales non contestées des questions environnementales; déterminer l' « importance » d'un effet environnemental en vertu de l'alinéa 16(1)b) de la LCEE comporte une détermination subjective de la part de la commission conjointe et ne comporte pas une interprétation menant à une erreur de droit possible [...].

[20]      À mon avis, vu le processus de la Commission, la citation de son rapport qui a donné lieu à la présente demande constitue une conclusion tirée par la Commission après un examen de la preuve qui lui a été soumise, et non une évaluation a priori de sa compétence aux termes de son mandat. La citation en cause ne vise pas à interpréter les dispositions de la loi, fédérale ou provinciale, aux termes de laquelle la Commission a été créée et sur lesquelles son processus repose, non plus qu'elle ne concernait directement l'interprétation du mandat qui définissait sa compétence.

[21]      La Commission n'a pas créé les projets ni les études environnementales sur ceux-ci. Sa tâche consistait plutôt, conformément à son mandat, à examiner les projets tels que proposés au vu des commentaires et des observations des organismes gouvernementaux, des organismes des secteurs public et privé et des citoyens intéressés ou concernés par les projets. Elle a ensuite préparé un rapport et recommandé en bout de ligne que les projets soient approuvés, tout en formulant des recommandations au sujet des conditions qui devraient être imposées.

[22]      En l'espèce, le projet extracôtier proposé par le défendeur SOEP incluait effectivement l'examen des effets socio-économiques prévus. Cet examen concernait les effets sur l'ensemble de la province de la Nouvelle-Écosse, avec une attention particulière aux régions les plus susceptibles d'être touchées, soit le comté de Halifax et la région du comté de Guysborough et du détroit de Canso qui inclut les sites proposés de l'usine de traitement de gaz naturel à Goldboro et des installations de manutention des liquides de gaz naturel à Point Tupper, auxquelles les liquides doivent être acheminés au moyen du gazoduc que construira le SOEP. Le projet côtier, pour le transport du gaz naturel par la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick jusqu'au Maine, incluait l'examen des effets sur l'environnement de ce projet de construction et de son exploitation. Aucun des projets proposés ne prévoyait l'examen d'installations ou d'utilisations qui pourraient être considérées comme l'utilisation ou la consommation finales du gaz naturel à produire, à traiter et à transporter par les projets examinés en l'espèce par la Commission. Les défendeurs font valoir qu'il y aura d'autres examens environnementaux lorsque seront présentées des propositions de projet qui prévoiront des utilisations finales du gaz. Cela inclurait censément tout projet proposant d'utiliser du gaz naturel pour produire de l'électricité dans la province, une utilisation qui n'est pas envisagée en l'espèce dans les projets proposés.

[23]      Dans le cadre de son travail, la Commission n'a pas empêché que soient présentées des observations proposant de recourir à des méthodes d'études particulières, comme les études avantages-coûts, pas plus qu'elle n'a fait obstacles à des observations sur des questions concernant les effets socio-économiques prévus sur le secteur industriel du Cap-Breton, y compris le remplacement possible du charbon par le gaz naturel comme combustible pour la production d'électricité en Nouvelle-Écosse. La Municipalité du comté du Cap-Breton a fait une telle observation, comme d'autres intervenants. Un représentant du gouvernement de la Nouvelle-Écosse a été interrogé devant la Commission sur la raison pour laquelle la province n'a pas insisté pour que les promoteurs mènent une telle étude, surtout parce que des préoccupations similaires avaient été exprimées dans une évaluation antérieure des effets potentiels pour la province de la mise en valeur des ressources gazières extracôtières. Ce représentant a d'ailleurs fait remarquer qu'après un examen sérieux de la part des intervenants concernés au sein des organismes provinciaux, il a été conclu que les projets, dans la forme où ils avaient été proposés, n'avaient pas en soi des effets socio-économiques marquants sur le secteur industriel du Cap-Breton.

[24]      Dans le cadre de son processus, la Commission a entendu des observations et des questions portant sur le remplacement potentiel du charbon par le gaz naturel en Nouvelle-Écosse. Dans son rapport, elle n'a pas recommandé que soient menées des études semblables à celles qui, selon le demandeur, auraient dû être entreprises. Son rapport n'a été rendu qu'après les audiences publiques, entreprises après un certain nombre de séances d'établissement de la portée de l'évaluation tenues à Halifax et à Fredericton, et visant à transmettre des renseignements sur les projets, sur le travail de la Commission et sur l'importance des observations du public. Dans son rapport, la Commission estime que les études du genre de celles qui sont demandées en l'espèce « seraient utiles pour une planification d'aménagement provincial détaillée et à long terme, mais que cela déborde le cadre du présent examen » .

[25]      À la fin du processus, au sujet du projet extracôtier proposé par le SOEP, la Commission a fait des remarques dans son rapport, notamment sur des questions socio-économiques, y compris la phrase donnant lieu aux préoccupations du demandeur. Cette phrase est incluse dans les paragraphes introductifs sur les questions socio-économiques8 (à la page 57 du rapport de la Commission), où, dans trois paragraphes, les textes examinent la « méthodologie » et les propositions faites par des intervenants dans le cadre de ses audiences. Au nombre de ces propositions figuraient des observations selon lesquelles des méthodes autres que celles employées par le SOEP, y compris des analyses avantages-coûts, auraient dû ou auraient pu être appliquées pour prévoir les avantages du projet. La Commission a souligné qu'aucune méthode particulière n'était requise et qu'elle était satisfaite de la méthode employée par le SOEP, l'une des nombreuses que ce dernier aurait pu utiliser. Dans le même ordre d'idées, d'autres intervenants ont demandé que l'on élargisse l'évaluation socio-économique pour inclure un examen spécifique des effets particuliers sur le secteur industriel du Cap-Breton, tels que le remplacement potentiel du charbon pour la production d'électricité. En réponse à ces propositions, la Commission a fait part de son opinion ou de sa conclusion selon laquelle la méthode analytique employée par le SOEP, qui incluait les effets socio-économiques sur la Nouvelle-Écosse en général et spécifiquement sur les régions les plus susceptibles d'être touchées, soit les comtés de Guysborough et de Halifax, était adéquate pour les fins de la Commission, soit l'évaluation de la proposition.

[26]      D'un point de vue grammatical, la dernière phrase du passage en cause : « mais que cela déborde le cadre du présent examen » renvoie à « une planification d'aménagement provincial détaillée et à long terme » . J'accepte néanmoins que la manière dont la Commission classe les projets proposés suivant la description de planification générale concernant l'examen des effets socio-économiques spécifiques sur le secteur industriel du Cap-Breton, suscite les préoccupations du demandeur. À mon avis, vu le processus suivi par la Commission, la décision, exprimée dans son rapport de manière implicite, et selon laquelle les études qui intéressent le demandeur « débord[aient] le cadre du présent examen » , ne concernait pas la compétence de la Commission. Il s'agit d'une déclaration faite après examen des observations soumises à la Commission, et elle décrit la conclusion de la Commission, tirée après délibération, selon laquelle les études proposées ne devaient pas être recommandées dans son rapport. À mon avis, la Commission agissait dans les limites de sa compétence telle que définie dans son mandat, particulièrement pour ce qui est de l'examen des facteurs identifiés en vue de l'examen par la Commission dans le cadre de son mandat, soit « les limites de temps et d'espace de l'étude » , « l'environnement, y compris l'environnement socio-économique, susceptible d'être touché par les projets » et « les effets socio-économiques liés aux projets » .

Norme de contrôle

[27]      Lors de l'audition de la présente question, il y avait une nette divergence entre les parties au sujet de la norme de contrôle appropriée. Cette divergence était fondée sur leurs perceptions différentes de la qualification qu'il convient de donner à la décision ou à la question soumise à la Cour. S'il est jugé, comme le demandeur le fait valoir, que la décision concerne la compétence de la Commission, les défendeurs reconnaissent que la norme de contrôle appropriée est celle de la décision correcte. S'il est jugé que la décision relève de la compétence de la Commission d'après son évaluation de la preuve qui lui a été soumise, le demandeur reconnaît que la norme de contrôle appropriée est celle du caractère raisonnable.

[28]      À l'audience, il a été demandé aux avocats de faire des commentaires sur la norme de contrôle appropriée, eu égard à la décision du juge Bastarache dans Pushpanathan c. Canada (M.C.I.)9, et, après l'audience, les avocats ont présenté des observations écrites relativement à l'application de cet arrêt en l'espèce, observations qui ont été utiles à la Cour.

[29]      Par la suite, dans Friends of the West Country Assn. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans)10, le juge Rothstein, s'exprimant au nom de la Cour, a essentiellement confirmé l'opinion du juge de première instance, le juge Gibson, selon laquelle, pour ce qui est des questions de droit concernant la compétence ou l'interprétation de dispositions législatives habilitantes, la norme de contrôle en vertu de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale est celle de la décision correcte. Pour ce qui est de l'exercice du pouvoir discrétionnaire que prévoit cette Loi, la norme de contrôle est le caractère raisonnable, ce qui reflète la décision rendue dans Pushpanathan et la jurisprudence de la présente Cour relative à la législation fédérale sur l'évaluation environnementale et au processus de commissions d'examen. En l'espèce, bien que le fondement du processus d'examen soit quelque peu différent, par accord entre les gouvernements et leurs organismes concernés, en tant que commission mixte traitant des diverses préoccupations des organismes agissant en vertu de la législation fédérale et provinciale, la norme de contrôle énoncée par le juge Rothstein s'applique.

[30]      Je conviens qu'une question de droit concernant la compétence de la Commission doit être évaluée en fonction de la norme de la décision correcte. Toutefois, lorsque la Commission d'examen, formée d'experts reconnus, agit dans le cadre de sa compétence, comme c'est, selon moi, le cas en l'espèce, la Cour accordera beaucoup de respect à la décision de la Commission. La Cour n'interviendra pas, à moins d'être convaincue que la décision de la Commission est déraisonnable au vu de la preuve qui lui a été soumise.

[31]      Aucun élément de preuve ni aucun argument ne me convainquent qu'en l'espèce, la décision de la Commission est déraisonnable, étant donné qu'elle relève de sa compétence et compte tenu de la preuve qui lui a été soumise. Le demandeur fait valoir qu'il aurait été raisonnable pour la Commission, en fonction des observations qui lui ont été présentées, de recommander que l'on mène des études des effets possibles sur le secteur industriel du Cap-Breton. Si la Commission avait formulé une telle recommandation, elle n'aurait guère pu être remise en question. En revanche, le fait qu'une telle recommandation n'ait pas été faite ne constitue pas une décision déraisonnable de la part de la Commission dans l'exercice de ses attributions. Il n'existe pas d'élément de preuve ou d'argument établissant que la Commission n'a pas entendu ni pris en considération les observations qui lui ont été présentées. Manifestement, la Commission était saisie d'opinions différentes au sujet des facteurs géographiques à prendre en considération dans l'évaluation des effets socio-économiques des projets.

[32]      À mon avis, il n'existe aucun élément de preuve -- et aucun argument ne m'a convaincu -- que le fait que la Commission n'ait pas recommandé les études demandées par le demandeur peut être considéré comme déraisonnable.

Conclusion

[33]      Pour ces motifs, le 11 octobre 2000, une ordonnance a été rendue, rejetant la demande présentée par l'Industrial Cape Breton Community Alliance Group on the Sable Gas Project afin que la Cour intervienne et donne des directives pour que la Commission procède à un examen plus poussé.

[34]      Vu les circonstances, il n'y a pas de raison pour laquelle la Cour devrait examiner les directives particulières demandées par le demandeur. La préoccupation du demandeur à l'égard d'une évaluation des effets socio-économiques sur le secteur industriel du Cap-Breton de l'utilisation du gaz naturel en Nouvelle-Écosse, et en particulier toute utilisation du gaz en remplacement du charbon pour la production d'électricité dans la province, est laissée à l'appréciation du gouvernement de la Nouvelle-Écosse et des promoteurs des projets visant les utilisations finales du gaz naturel dans la province.

[35]      Je souligne que les défendeurs n'ont pas réclamé les dépens, dans leurs observations soit écrites soit verbales, et aucuns dépens ne sont octroyés. L'ordonnance rendue pour disposer de la présente affaire ordonne à chaque partie de supporter ses propres dépens.     



     (Signé) W. Andrew MacKay

     Juge

OTTAWA (Ontario)

Le 17 octobre 2000

Traduction certifiée conforme :


Richard Jacques, LL. L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :              T-2551-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      The Industrial Cape Breton Community Alliance Group on the Sable Gas Project c. Projet énergétique extracôtier de l'île de Sable et al.
LIEU DE L'AUDIENCE :          Halifax (Nouvelle-Écosse)
DATE DE L'AUDIENCE :          3 et 4 mai 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE RENDUS PAR MONSIEUR LE JUGE MacKAY

EN DATE DU :              17 octobre 2000

ONT COMPARU :

Alan V. Parish, c.r.

Angela Green                  POUR LE DEMANDEUR

Robert Grant

Richard Southcott              POUR LES DÉFENDEURS, LE PROJET ÉNERGÉTIQUE EXTRACÔTIER DE L'ÎLE DE SABLE, MOBILE OIL CANADA PROPERTIES, SHELL CANADA LIMITÉE, PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE RESSOURCES LIMITÉE ET NOVA SCOTIA RESOURCES LIMITED

Cliff O'Brien, c.r.

E. Bruce Mellet              POUR LA DÉFENDERESSE, MARITIMES & NORTHEAST PIPELINE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Green Parish                  POUR LE DEMANDEUR

Avocats

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Stewart McKelvey Stirling Scales

Avocats

Halifax (Nouvelle-Écosse)          POUR LES DÉFENDEURS, LE PROJET ÉNERGÉTIQUE EXTRACÔTIER DE L'ÎLE DE SABLE, MOBILE OIL CANADA PROPERTIES, SHELL CANADA LIMITÉE, PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE RESSOURCES LIMITÉE ET NOVA SCOTIA RESOURCES LIMITED

Bennett Jones

Avocats

Calgary (Alberta)              POUR LA DÉFENDERESSE, MARITIMES & NORTHEAST PIPELINE
__________________

1 Reproduit à l'annexe I du Rapport de la Commission d'examen public conjoint : Projets gaziers de l'île de Sable, daté d'octobre 1997.

2      Rapport de la Commission d'examen public conjoint, supra, note 1, à la p. 55. (Page 68 du dossier du demandeur.)

3      S.N.S. 1994-1995, ch. 1

4      Loi canadienne sur l'évaluation environnementale, L.C. 1992, ch. 37.

5      Les mots cités sont tirés de l'alinéa 3(v) de la Environment Act, supra, note 3, qui est inclus dans la définition d' « effets environnementaux » dans l'Accord pour un examen public conjoint.

6      [1999] 3 C.F. 425, [1999] F.C.J. No 441 au par. 23 (1re inst.).

7      (1996), 137 D.L.R. (4th) 177 (C.A.F.).

8      Supra, note 2.

9      [1998] 1 R.C.S. 982.

10      [2000] 2 C.F. 263; [1999] F.C.J. No 1515 (C.A.).     

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