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Date : 20060324

Dossier : IMM‑1438‑06

Référence : 2006 CF 377

Ottawa (Ontario), le 24 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

ENTRE :

NANDALALL RAMRATRAN

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeurs

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

INTRODUCTION

[1]               Le demandeur a déposé une requête en sursis d’exécution de la mesure de renvoi prononcée contre lui. La demande originale est une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire déposée à l’encontre de la décision de l’agente d’examen des risques avant renvoi (l’agente d’ERAR), qui a refusé au demandeur sa demande d’ERAR.

 

LES FAITS

[2]               Le demandeur, un Guyanien, est arrivé au Canada le 18 juin 2003.

[3]               Le demandeur a demandé l’asile et sa demande a été refusée le 7 juin 2004. Le demandeur n’a pas contesté cette décision.

[4]               Le 22 novembre 2004, Mme Karen Maria Sukhram a demandé, en sa qualité d’épouse du demandeur, de parrainer la demande de résidence permanente présentée par le demandeur. La demande de parrainage a été refusée le 7 novembre 2005. Mme Sukhram a fait appel du refus à la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Section d’appel). Le demandeur n’a pas fait appel de cette décision.

[5]               Le 22 juillet 2005, le demandeur a déposé une demande d’ERAR. Sa demande a été rejetée le 26 janvier 2006.

[6]               Le demandeur doit être renvoyé en Guyana le 24 mars 2006.

[7]               Rejetant la demande d’ERAR, l’agente d’ERAR a relevé que le demandeur n’avait produit aucune preuve nouvelle depuis le rejet de sa demande d’asile. Des extraits de documents décrivant les conditions générales que connaissent tous les ressortissants guyaniens et non le demandeur personnellement ont été présentés à l’agente d’ERAR. L’agente d’ERAR a examiné lesdits documents lorsqu’elle a évalué les conditions générales ayant cours en Guyana.

 

LE POINT LITIGIEUX

[8]               Le demandeur n’a pas satisfait au triple critère applicable à l’octroi d’un sursis d’exécution d’une mesure de renvoi, puisqu’il n’y a pas de question sérieuse à trancher, qu’il n’a pas prouvé l’existence d’un préjudice irréparable et que la prépondérance des inconvénients favorise le ministre.

LA MODIFICATION DE L’INTITULÉ

[9]               Le demandeur a déposé une requête en sursis d’exécution de la mesure de renvoi prononcée contre lui, jusqu’à ce que soit jugée sa demande sous‑jacente d’autorisation et de contrôle judiciaire. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire concerne la décision d’un agent des renvois, une décision qui émane de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC). Le défendeur voudrait que la Cour ordonne la modification de l’intitulé par l’ajout, comme partie défenderesse, du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, et les parties défenderesses sont donc le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, compte tenu de l’entrée en vigueur de la Loi sur le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile (le projet de loi C‑6) le 4 avril 2005; les responsabilités du solliciteur général en ce qui a trait à l’ASFC sont maintenant celles du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration assume quant à lui la responsabilité des ERAR. (Loi sur les restructurations et les transferts d’attributions dans l’administration publique, L.R.C. 1985, ch. P‑34; Décrets C.P. 2003‑2061 et C.P. 2003‑2063; Loi sur le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, L.C. 2005, ch. 10, article 7; Décret C.P. 2005‑482.

LE CRITÈRE

[10]           Le critère applicable à l’octroi d’un sursis d’exécution est bien établi. Le demandeur doit prouver :

1)         qu’il y a une question sérieuse à trancher;

2)         que, si le sursis n’est pas accordé, il subira un préjudice irréparable;

3)         que la prépondérance des inconvénients joue en sa faveur.

 

Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.); RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311

[11]           Les conditions du triple critère sont cumulatives. Plus précisément, le demandeur doit satisfaire aux trois volets du critère avant que la Cour puisse ordonner une suspension de la procédure. (Toth, précité; Marenco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 86 F.T.R. 299, à la page 303)

LA QUESTION SÉRIEUSE

[12]           Pour réussir à soulever une question sérieuse, le demandeur doit prouver que son droit à une ordonnance lui accordant l’autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire de la décision d’ERAR comporte une question sérieuse. Ainsi que l’écrivait la Cour dans la décision Emmanuel :

Pour établir l’existence d’une question grave, on doit démontrer que la question est soulevée par la demande fondamentale et qu’elle est étayée par des éléments de preuve.

Emmanuel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 674 (C.F. 1re inst.) (QL), paragraphe 11; Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), article 97.

[13]           Aucune question sérieuse n’a été soulevée au regard de la décision d’ERAR. Il n’a été présenté aucune preuve montrant que l’agente d’ERAR a laissé de côté, mal appliqué ou mal interprété telle ou telle preuve quand elle a rendu sa décision. Il est manifeste que l’agente d’ERAR a apprécié tous les faits qu’elle avait devant elle. Elle a estimé que le demandeur pouvait se prévaloir d’une protection adéquate de l’État et qu’il n’avait pas prouvé qu’il serait objectivement exposé à une menace pour sa vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités. L’agente d’ERAR a estimé que le demandeur n’avait pas montré qu’il serait soumis à un risque de torture dont il y aurait des motifs sérieux de croire qu’il est réel. L’agente d’ERAR est arrivée à une conclusion qui n’est pas favorable au demandeur, mais elle n’a pas, de ce seul fait, commis une erreur sujette à révision. (Dossier du défendeur, onglet 1, pièce « B »; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, paragraphe 38; Zheliazouski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (19 février 2003); IMM‑924‑03 (C.F. 1re inst.); Bukhari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 467 (C.F. 1re inst.), paragraphes 12 et 13; Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, page 723; Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 18 Imm. L.R. (2d) 130 (C.A.F.), pages 132 et 133)

[14]           Une requête en sursis d’exécution est un recours extraordinaire; le demandeur doit établir des circonstances spéciales et impérieuses pouvant justifier une « intervention judiciaire exceptionnelle ». Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas apporté cette preuve en l’espèce. (Ikeji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 573 (C.F. 1re inst.), [2001] A.C.F. n° 885 (QL), paragraphe 8)

[15]           L’épouse du demandeur a fait appel du refus de sa demande de parrainage devant la Section d’appel. La LIPR ne prévoit pas la suspension d’une mesure de renvoi durant la procédure d’appel.

LE PRÉJUDICE IRRÉPARABLE

[16]           Le demandeur n’a pas prouvé qu’il subirait un préjudice irréparable si son renvoi est mis à exécution.

[17]           La Cour a jugé que le préjudice irréparable est un critère strict selon lequel il faut démontrer qu’il existe une probabilité ou un risque sérieux que la vie ou la sécurité du demandeur soit en danger. Le demandeur n’a pas apporté la preuve d’une menace à sa vie ou à sa sécurité. (Duve c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. n° 387 (C.F. 1re inst.) (QL), paragraphe 22; Mikhailov c. Canada ((Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 642 (C.F. 1re inst.) (QL), paragraphes 12 et 13; Frankowski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 935 (C.F. 1re inst.) (QL), paragraphe 7; Csanyi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 758 (C.F. 1re inst.) (QL), paragraphe 4; Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. n° 403 (C.F. 1re inst.) (QL), paragraphes 20 et 21; Akyol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 931, [2003] A.C.F. n° 1182 (QL), paragraphe 6)

[18]           Dans la décision Melo, précitée, la Cour écrivait ce qui suit :

[...] pour que l’expression « préjudice irréparable » conserve un peu de sens, elle doit correspondre à un préjudice au‑delà de ce qui est inhérent à la notion même d’expulsion. Être expulsé veut dire perdre son emploi, être séparé des gens et des endroits connus. L’expulsion s’accompagne de séparations forcées et de cœurs brisés.

[19]           Le demandeur a produit les notes manuscrites, partiellement illisibles, d’un médecin, pour établir que son épouse est dans un état de tension considérable en raison de la situation familiale; cependant, selon le défendeur, cela n’équivaut pas à une probabilité ou à un risque sérieux que la vie ou la sécurité du demandeur soit en danger. (dossier de requête du demandeur, affidavit de Nandalall Ramratran établi le 21 mars 2006 (l’affidavit du demandeur); pièce « C », page 13; LIPR, paragraphe 52(2))

[20]           Le demandeur n’a pas prouvé qu’il existe une probabilité ou un risque sérieux que sa vie ou sa sécurité soit en danger. Il a bénéficié d’une audience pour sa demande d’asile; la Section de la protection des réfugiés a rejeté sa demande d’asile. Il n’a pas présenté de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision. Il n’a pas produit de preuve nouvelle dans sa demande d’ERAR, et ladite demande a été rejetée. Il a sollicité un report de la mesure de renvoi prononcée contre lui, et le report lui a été refusé. Sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision défavorable d’ERAR ne laisse voir aucune erreur de droit dans ladite décision.

[21]           Étant donné qu’il est statué sur un sursis d’exécution ou une injonction interlocutoire avant que soient décidés les points soulevés dans la procédure de contrôle judiciaire, la preuve de l’existence d’un préjudice irréparable doit être claire et dépasser les conjectures; la Cour doit être persuadée que, si le redressement demandé n’est pas accordé, il en résultera un préjudice irréparable. En l’espèce, il n’a pas été prouvé, par des éléments précis autres que des conjectures, que le simple fait de l’expulsion du demandeur causera à quiconque un préjudice irréparable. (dossier du demandeur, affidavit du demandeur, pages 7 à 10; John c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. n° 915 (C.F. 1re inst.) (QL); Wade c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. n° 579, paragraphes 3 et 4)

LA PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS

[22]           Les inconvénients que le demandeur pourrait subir par suite de son renvoi du Canada ne l’emportent pas sur l’intérêt public à ce que les mesures de renvoi soient exécutées dès que les circonstances le permettent, conformément à l’article 48 de la LIPR.

[23]           L’intérêt public doit être pris en compte et apprécié au même titre que l’intérêt des plaideurs privés. (Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, page 146)

[24]           Le demandeur n’a pas satisfait au troisième volet du triple critère, dans la mesure où la prépondérance des inconvénients favorise le ministre et non le demandeur.

[25]           Le demandeur sollicite un recours extraordinaire d’equity. Il est bien établi en droit que l’intérêt public doit être pris en compte dans l’évaluation de ce dernier critère. Pour que la prépondérance des inconvénients favorise le demandeur, celui‑ci doit prouver qu’il existe un intérêt public à ce qu’il ne soit pas renvoyé comme prévu. (RJR‑MacDonald Inc. c. Canada, précité; Blum c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 90 F.T.R. 54, [1994] A.C.F. n° 1990 (QL))

[26]           Rien ne montre que la prépondérance des inconvénients milite en faveur de la non‑application du droit ou que l’intérêt du demandeur l’emporte sur l’intérêt public. Le demandeur est ici depuis 2003, sa demande d’asile a été refusée, il n’a pas sollicité l’autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire. Sa demande de résidence permanente a été rejetée. Dans ces conditions, la prépondérance des inconvénients favorise le ministre. La requête en sursis d’exécution de la mesure de renvoi est donc rejetée.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         L’intitulé est modifié de telle sorte que les défendeurs sont le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile et le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. (Loi sur les restructurations et les transferts d’attributions dans l’administration publique, L.R.C. 1985, ch. P‑34; Décret C.P. 2003‑2061; Décret C.P. 2003‑2063; Loi sur le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, L.C. 2005, ch. 10, article 7; Décret C.P. 2005‑482; voir la décision Varadarajah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (13 janvier 2004) IMM‑9971‑03 (C.F. 1re inst.), juge Carolyn Layden‑Stevenson – ordonnance modifiant l’intitulé.

 

2.         La requête en sursis d’exécution de la mesure de renvoi est rejetée.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

David Aubry, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑1438‑06

 

 

INTITULÉ :                                       NANDALALL RAMRATRAN

                                                            c.

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 23 MARS 2006, PAR TÉLÉCONFÉRENCE

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 24 MARS 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Elizabeth Jaszi

 

 

                     POUR LE DEMANDEUR

Asha Gafar

                     POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Elizabeth Jaszi

Avocate

Mississauga (Ontario)

 

                     POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑ministre de la Justice et

sous‑procureur général

                     POUR LES DÉFENDEURS

 

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